Illustrissimo nobilissimoque adolescenti Mariano Sauello Franciscus Robortellus. S. D.
Francesco Robortello

Présentation du paratexte

L’épître de Robortello à Mariano Savelli débute par le rappel des qualités du destinataire et de son souhait de voir Eschyle publié (§1-2). Suivent une déploration de l’état dans lequel se trouvaient les pièces d’Eschyle (§3-4) et des remarques sur le style d’Eschyle (§5-6) et la démarche philologique de Robortello (§7). On trouve à nouveau à l’éloge du destinataire (§8-12) et un long retour sur la démarche philologique (§13-23).

Traduction : Sarah GAUCHER

Illustrissimo nobilissimoque adolescenti Mariano Sauello Franciscus Robortellus salutem dat.

Au très illustre et très noble jeune homme Mariano Savelli Francesco Robortello adresse son salut.

Benedictus Mangiolus Mutinensis, quem ego iuuenem propter singularem doctrinam, et summam bonitatem, non amo solum uehementer, sed etiam plurimi facio, superioribus diebus, cum huc uenisset, mihi narrauit quantopere cuperes, ut Aeschylus a me expolitus in lucem prodiret ἅμ' ἔπος ἅμ' ἔργον1 , statim enim id ipsum efficere studui, quod tibi gratum esse intelligebam, ea plane spe ductus ut, cum et auctor ipse eiusmodi sit ut expectationem sui faciat, eo optabilior et amabilior omnibus uideri possit, quod abstersis omnibus maculis nitidior factus a te tantopere fuerit expetitus.

Benoît Mangiolus de Modène, jeune homme que moi-même non seulement j’aime beaucoup pour son exceptionnelle érudition, et pour sa très grande générosité, mais dont je fais grand cas me raconta il y a quelques jours, comme il était venu ici, combien tu souhaitais qu’Eschyle corrigé par mes soins paraisse si tôt dit si tôt fait. De fait je me suis appliqué sans attendre à accomplir cette tâche, dont je comprenais qu’elle t’était agréable, conduit par le ferme espoir que, comme l’auteur lui-même est tel qu’il se fait attendre, il puisse paraître à tous d’autant plus désirable et aimable que, rendu plus beau après avoir été débarrassé de toutes ses taches, il ait été à ce point désiré par toi.

Prorsus igitur laetor, mi Mariane, me iam id confecisse quod et tu ualde optabas, et ego iam diu in animo habebam.

Bref je me réjouis donc désormais, mon cher Mariano, d’avoir accompli ce que toi tu appelais de tes vœux et que moi j’avais depuis longtemps à l’esprit.

Nam cum ego primus omnium, scriptis commentariis in Poeticen Aristotelis, eam artem, quae fere desierat esse in usu, in lucem reuocassem ut iam cognosci posset, quo artificio ueterum poemata constarent, meum quoque esse putaui sedulo efficere, ut Aeschyli tragoediae, quae ad hanc usque aetatem obsoletae ac culpa librariorum foedatae iacuerunt, nitore suo pristino illustratae, uenustiores in hominum manus uenirent.

En effet, comme moi j’ai été le premier de tous à avoir ramené à la lumière, en composant les commentaires à la Poétique d’Aristote2, ce traité qui était presque entièrement sorti de l’usage, pour qu’il puisse désormais être connu, ce savoir-faire sur lequel les pièces des anciens se fondaient, je crus qu’il était aussi de mon devoir de m’appliquer avec zèle à ce que les tragédies d’Eschyle, qui jusqu’à cette époque négligées, et souillées par la faute des libraires ont été jetées à bas, illustrées avec leur éclat d’autrefois, vinssent dans les mains des hommes, plus belles.

Quae uero (malum) seu calamitas, seu uis, et iniuria haec tantum potuit, ut cum reliqui duo tragoediarum scriptores, Sophocles, et Euripides legerentur, hic, qui illos, si non artificio usquequaque, saltem dignitate, et aetate anteit, incultus, et neglectus iaceret ?

Mais (malheur !), quelle calamité, ou bien quelle violence et quelle injustice de notre époque ont eu autant de pouvoir que, alors que les deux autres auteurs de tragédies, Sophocle et Euripide, étaient lus, lui, qui les surpasse tout à fait si ce n’est par son savoir-faire, au moins par son prestige et par son âge, était à terre délaissé et négligé ?

De Aeschylo enim illud uere affirmare posse mihi uideor : et si in eo ars non ita perfecta extat, quod eos aetate praecesserit, apparere tamen in illius scriptis omnium ornamentorum notas quasdam, et artificii totius potuerunt in scribendo assequi quod summum est.

En effet au sujet d’Eschyle il me semble que je peux affirmer cela à raison : même si l’art n’est pas parfait chez lui parce qu’il est plus ancien qu’eux, apparaissent cependant dans ses écrits certains marques de tous les ornements et les traits de l’art tragique tout entier. Comme ils s’appliquaient eux-mêmes à les imiter, ils purent facilement atteindre la perfection en écrivant.

Me igitur susceptae rei non paenitet, nam cum tragici plurimum artis adhibuerint in conscribendis tragoediis, et Aristoteles eorum artificio caeterorum etiam poetarum artificium contineri dixerit, quicquid enim in alio genere poesis, siue Epicorum (modo unam excipias ἀπαγγελίαν3) siue Melicorum, siue Comicorum sit, idipsum etiam in Tragoediis inest, nam amplius etiam nonnulla habent, quae ad alios poetas non spectant, plane, cum ita sese res habeat, uideor mihi magnum adiumentum omni generi poetarum attulisse, qui Tragico huic operam, studiumque meum nauaui ; nam fontem ipsum, cum Aeschylo nullum in hoc genere antiquiorem habeamus, unde omnia fluxerunt aperui ; poterit igitur quiuis Sophoclis, et Euripidis poemata cum Aeschyli tragoediis conferre, et uidere quid quisque secutus sit in scribendo, quantumque postea accessionis arti sit factum, quam ego summam in hoc scriptorum genere uoluptatem legentibus propositam esse uere affirmare possum.

C’est pourquoi je ne suis pas mécontent de l’entreprise, car comme les tragiques ont fait preuve de beaucoup de talent en écrivant les tragédies, et qu’Aristote a dit que l'art de tous les autres poètes était embrassé dans leur art, en effet quoiqu’il y ait dans un autre genre de poésie, soit celui des Epiques (pourvu que tu exceptes la seule narration), soit celui des Lyriques, soit celui des Comiques, cela-même se trouve aussi dans les Tragédies ; car elles ont même plusieurs éléments en plus qu’on ne trouve pas chez les autres poètes, les choses étant telles qu’elles sont, il me semble vraiment que j’ai apporté une grande aide à toutes les sortes de poètes, moi qui ai donné tout mon soin et mon application à ce Tragique ; car j’ai découvert, comme nous n’avons personne de plus vieux qu’Eschyle dans ce genre, la source d’où tout a découlé ; on pourra alors comparer les pièces de Sophocle et d’Euripide avec les tragédies d’Eschyle, et voir, ce que chacun a cherché à atteindre en écrivant, et combien ensuite ils ont perfectionné sa technique, je peux affirmer avec certitude quel très grand plaisir est offert par ce genre d’écrits aux lecteurs.

Laetor uero mirum in modum, quod tuo non solum auspicio, hoc est, bono, sed etiam adiumento id effeci. Tu enim cum intellexisses me hoc negotii suscepisse, librum ad me peruetustum misisti, in quo erant postremae huius auctoris tragoediae descriptae, cuius ope quamplurima loca emendaui : aliumque praeterea in quo tu ipse multa adnotaras.

En vérité je me réjouis d’une manière incroyable, de ce que j’ai accompli cela non seulement sous ta conduite, c’est-à-dire avec ta bénédiction, mais aussi avec ton aide. En effet, comme tu avais appris que je m’étais chargé de l’affaire, tu m’as fait envoyer un livre très ancien, dans lequel les dernières tragédies de cet auteur étaient consignées, avec l’aide duquel j’ai corrigé de très nombreux passages : et un autre ensuite dans lequel tu avais toi-même noté beaucoup de choses.

Quod si comico poetae olim apud Romanos laudi tributum fuit quod in scribendo a maximis uiris adiuuaretur, non et mihi perhonorificum sit a te nobilissimo et doctissimo adolescente fuisse adiutum ? Hoc uero tanti apud me est, atque semper erit, ut nihil mihi gloriosius contingere posse putem. Magnum quidem est quod inter summos Italiae principes, nobilitate, opibus, ac splendore familiae multum excellis, sed id tibi commune cum multis.

Si on a jadis loué le poète comique chez les Romains4 d’avoir été favorisé des plus grands hommes dans l’écriture, n’est-il pas pour moi aussi très honorable d’avoir été favorisé par un très noble et très savant jeune homme tel que toi ? En vérité c’est et ce sera toujours si important pour moi que je ne pense rien pouvoir obtenir de plus glorieux pour moi-même. Certes compte grandement le fait que tu excelles beaucoup entre les princes les plus importants d’Italie, par ta noblesse, par tes richesses et par la splendeur de ta famille, mais tu as cela en commun avec beaucoup de gens.

Quod autem singulari uirtute, et admirabili quadam doctrina praeditus es, hoc totum tuum est, et maxime proprium. Auguror igitur ego, te non multis annis post eum fore ad quem omnes propter summam omnium rerum peritiam et incredibilem sapientiam confugiant ; et propter amplissimos honores, et maximam dignitatem et auctoritatem certissimum rerum omnium suarum praesidium esse sentiant.

En revanche, que tu sois pourvu d’une vertu unique, et d’une éducation admirable, cela t’appartient entièrement, et t’est pleinement propre. C’est pourquoi moi je prédis, que tu seras d’ici quelques années celui, auprès de qui tous chercheront refuge grâce à ta très grande expérience de tout, et de ton incroyable sagesse ; grâce à tes très grands honneurs, à ta très grande dignité et à ton autorité ils sentiront que la protection de toutes leurs affaires est assurée.

De me uno quid est, quod hoc tempore plura dicam ? Tam multis enim ac magnis beneficiis sum tibi astrictus, ut qui te magis colat, aut qui plus tibi debeat, habeas prorsus neminem. Vt te colerem multo etiam ante quam ullo tuo beneficio tibi deuinctus essem, tua summa uirtus effecit, quanuis nescio quod maius uinculum sit quam uirtutis. Eram igitur et tunc tibi deuinctus ; sed ut maiora tibi deberem quam ullus unquam alicui, tu tua humanitate effecisti. Iam uero ut te ea pietate colam, quae maxima est, et gratus sim, hoc mihi procurandum est.

Quant au sujet de moi seul, qu’y a-t-il que je puisse ajouter en cette circonstance ? En effet je suis tellement attaché à toi par tes nombreux et grands bienfaits, qu’en un mot tu n’as personne qui t’honore plus, ou qui te doive plus. Que je t’honore déjà bien avant d’être lié à toi par quelque bienfait de ta part, c’est l’effet de ta très grande vertu, de fait il n’y a pas d’attache plus grande que celle de la vertu. C’est pourquoi j’étais lié à toi à cette époque aussi ; mais que je te dusse plus que personne n’a jamais dû à quelqu’un, c’est toi qui en es la cause par ton humanité. Désormais, que je t’honore de cette affection, qui est très grande, et que je te sois reconnaissant, voilà ce qu’il me faut faire.

Ac sane efficiam, non quidem parem gratiam referendo, tantum enim tibi debeo, quantum, non ego modo, qui tenuis sum, et unus e multis persoluere possim, sed ne alius quidem quiuis omni genere bonorum et ornamentorum locupletissimus : uerum nec praedicando, omnibus enim nota sunt tua in me officia plurima, et maxima beneficia.

Et je le ferai effectivement, sans, assurément, m’attirer en retour la même reconnaissance, car je te dois autant que, non seulement moi qui suis humble, et un parmi d’autres, je n’en pourrais débourser, mais pas même un autre, quel qu’il soit, fût-il très riche de toutes les sortes de biens et de distinctions : et sans le dire haut et fort, car tes nombreuses obligations et tes très grands bienfaits envers moi sont connus de tous.

Quamquam non uideo quid mihi praeter praedicationem reliquum sit, quo me gratum et memorem erga te ostendere possim. Et praedicando igitur, et quauis alia ratione sine ulla exceptione omnibus in rebus, omni tempore efficiam, ut me tui nominis obseruantissimum ac studiosissimum esse cognoscas, nullique plus quam tibi uni debere posse, aut etiam si possim, nolle ; in nostra enim potestate hoc esse iudico, cui debere uelimus, aut nolimus ; mihi uero neque quicquam iucundius, neque honorificentius unquam esse poterit quam tibi tua uirtute et beneficio esse obstrictum.

Pourtant que me reste-t-il sinon la louange ? Je ne vois pas par quoi je puisse montrer que je te suis reconnaissant et que je n’oublie pas ce que je te dois. Donc c’est en proclamant, et de n’importe quelle autre manière sans aucune exception dans toutes les affaires, que je ferai toujours en toute circonstance en sorte que tu comprennes que c’est moi qui révère et montre le plus de zèle pour ton nom, et que je ne peux devoir davantage à personne d’autre qu’à toi seul ou que, même si je le pouvais, je ne le voudrais pas ; en effet je juge que cela, à qui nous voulons devoir, ou nous ne voulons pas, est en notre pouvoir ; mais rien ne pourra jamais m’être plus agréable, ni plus gratifiant, que de t’être obligé par ta vertu à toi et par tes bienfaits.

Verum, quia alias erit de his loquendi locus, decreui tibi in praesentia explicare omnem mei consilii rationem, qua usus sum in emendando Aeschylo, ut quantum in hac ipsa re non solum ego, sed omnes bonarum artium studiosi tibi debeant, cognoscas.

En vérité, parce qu’à un autre moment il y aura lieu de parler de cela, j’ai décidé de t’expliquer pour le moment toute ma méthode, que j’utilise en corrigeant Eschyle, afin que tu saches combien dans cette affaire, non seulement moi, mais tous les admirateurs des belles lettres te doivent.

Tres illas primas Aeschyli tragoedias, ut nunc impressae habentur, emendare haud sane magnus fuit labor, nec in eo mihi magnam laudem arrogo, praeterquam diligentiae, et uigilantiae, nam innumerabiles fere manuscripti libri, quod etiam alias ad te scripsi, reperiuntur, in quibus illae exaratae sunt, et omnes quidem sine labe ulla quo fit, ut magis admirer, quomodo Aldinae officinae librarii homines alioqui bene naui et industrii, decipi se passi sunt, aut certe parum in eo ipsi uiderunt, nam parum fideliter descriptas ex uetustis exemplaribus tragoedias excudere prius non debebant, quam diligenter fuissent cum illis a uiro aliquo collatae, et ab omni labe expurgatae.

Pour les trois premières tragédies5, telles qu'elles sont maintenant imprimées, le grand travail ne fut sans doute pas de les corriger, et je ne m’approprie pas en cela un grand mérite, excepté celui d’avoir fait preuve d’attention, et de vigilance, car on trouve un nombre incalculable de manuscrits, comme je te l'ai écrit ailleurs, où elles ont été transcrites ; et certes toutes sans aucune tache ce pourquoi il arrive que je m’étonne davantage de la raison pour laquelle les libraires de l’officine Aldine pourtant diligents et érudits, ont pu se tromper, ou bien manquèrent de clairvoyance sur ce point, car ils ne devaient pas publier peu fidèlement les tragédies copiées à partir de vieux exemplaires, avant qu’elles n’aient été comparées avec eux par quelqu’un, et nettoyées de toute tache.

Quae enim laus est tam turpiter foedatos libros edere ? hic igitur Aeschyli liber aut non edendus, aut bene elimatus et emendatus edendus fuit. Sed redeo ad rem.

En effet quel est le mérite de publier des livres grossièrement mutilés ? Donc ce livre d’Eschyle ou bien il ne fallait pas le publier, ou bien il aurait fallu le publier bien nettoyé, et irréprochable. Mais je reviens au sujet.

Praeterquam quod ego ipse collegeram omnia ex uetustis exemplaribus, quae ad illas tres Tragoedias emendendas pertinere uidebantur ; Ludouicus quoque Casteluetrius Mutinensis, uir doctissimus et optimus, summo atque acerrimo iudicio, quae ipse adnotarat, mihi tradidit. Idem sedulo effecit Michael Sophianus Iuuenis Graecarum literarum peritissimus. Sed et tu nobilissime Mariane tuum ad me librum Patauio transmisisti, in quo itidem omnia diligentissime erant descripta.

Outre que moi-même j’avais rassemblé toutes les choses sorties des vieux exemplaires, qui paraissaient pertinentes pour la correction de ces trois Tragédies ; Ludovico Castelvetro de Modène aussi, homme très sage, le meilleur, et d’un jugement très pointu, m’a confié ce que lui-même avait remarqué. Michel Sophianos le Jeune, très expérimenté en lettres grecques, fit la même chose avec application. Mais toi aussi très noble Mariano tu me transmis ton livre depuis Padoue, dans lequel étaient copiées toutes ces choses de la même manière très attentivement.

Nec tamen plura in his reperire potui, quam ego ante collegeram, ex quo liquido cognosci potest, cuiusmodi essent omnia exemplaria trium illarum Tragoediarum, quod frequenter essent in manibus hominum superioris aetatis. Omnis igitur labor erat propositus mihi in emendandis aliis Aeschyli Tragoediis, quae corruptissimae erant in singulis ferme uersibus, nec distinctam habebant metrorum compositionem, qualis a poeta fuerat relicta ; nam librarii Aldini omnia temere commiscuerant. nec uidebatur dici posse poeta Aeschylus, si sua non recuperasset metra. Hic igitur aliquot manuscriptis libris, et tuo in primis, ex quo tragoedias has, Agamemnonam, Χοηφόρας, Εὐμενίδας et Ἰκέτιδας, transcribendas curaui, adiutus fui.

Cependant je n’ai pas pu y trouver d’informations plus nombreuses, que ce que j’avais moi-même rassemblé auparavant, d’où il pouvait être connu clairement de quel genre étaient tous les exemples de ces trois Tragédies, parce qu’ils étaient fréquemment dans les mains des hommes des époques antérieures. Tout le travail consistait donc pour moi à corriger les autres Tragédies d’Eschyle, qui étaient très corrompues presque à chaque vers, et n’avaient pas de composition distincte des mètres, telle qu’elle avait été laissée par le poète ; car les libraires d’Alde avaient tout mélangé imprudemment. Et Eschyle ne paraissait pas pouvoir être dit poète, si l’on ne récupérait pas ses mètres. J’ai donc été aidé par un certain nombre de manuscrits et d’abord par le tien, d’où je me suis efforcé de transcrire ces tragédies : l’Agamemnon, Les Choéphores, Les Euménides, et Les Suppliantes.

Nam illorum ope metra restituta sunt omnia, sed quoniam culpa scriptorum erant etiam hi multis in locis deprauati, ex unius literae in alteram, ut plerunque fit, mutatione, duarum mistione dictionum, et nonnullarum seu literarum, seu syllabarum praetermissione, facile speraui posse omnia tolli errata, si coniectura assequi possem, qualis fuisset lapsus scribentis.

En effet tous les mètres sont restitués par leur aide, mais puisque ceux-ci étaient abîmés par la faute des copistes en de nombreux endroits, par la transformation d’une lettre en une autre, ce qui arrive souvent, par le mélange de deux répliques, et par l’oubli de quelques lettres, ou de quelques syllabes, j’espérai pouvoir éliminer toutes les erreurs, si je pouvais savoir par conjecture, la nature de l'erreur du copiste.

Atque sane diiudicari potest sine magno labore ab iis, qui attente legunt modo et loquendi rationem teneant eius poetae, qui Tragoedias scripsit, et antiquitatem calleant ; praeterea sciant, quomodo ex antiquis exemplaribus, quae maiorum literarum formis erant descripta, mutatio fieri potuerit lectionis ab iis, qui parum dignoscentes earum literarum siue formam, siue iuncturam cum aliis, quasdam dictiones nihil significantes pinxerunt minoribus, quibus adhuc utimur, literarum typis.

Mais effectivement on peut distinguer sans grande peine parmi eux ceux qui lisent de manière attentive et qui comprennent la manière d’écrire du poète, qui a écrit les Tragédies, et qui connaissent l’Antiquité ; en outre, qui savent, comment dans les exemplaires anciens, qui avaient été copiés en forme de lettres capitales, le changement de texte a pu être fait par ceux qui, distinguant trop peu soit la forme des lettres, soit leur ligatures avec les autres, ont tracé certains mots ne signifiant rien avec ces plus petits caractères de lettres que nous utilisons encore.

Nec ego sane prouinciam hanc suscepissem emendandi Aeschyli, si me his adiumentis uti non posse perspexissem, nam intuens manuscriptos libros deterrebar potius, tam multis in locis lapsum uidebam scriptorem.

Et moi certainement je n’aurais pas assumé cette charge de corriger Eschyle, si je n’avais pas su que je pouvais bénéficier de cette aide, car j’étais plutôt effrayé en voyant les livres manuscrits, je voyais l’erreur de l’auteur en de nombreux endroits.

Adde quod nullo loco erant personae distinctae, neque loquentium in dramate nomina apposita, ut fit ; Nec me iuuare poterat in hac difficultate tollenda genus illud manuscriptorum librorum, in quibus lineae tantum quaedam, et puncta, ut opinor, ab aliquo critico descripta fuerunt ; nam non omnibus in locis apte erant apposita.

Ajoute que les personnages n’étaient différenciés nulle part, et que les noms des personnages parlants n’étaient pas indiqués dans la pièce, comme cela arrive ; et pour enlever cette difficulté ne pouvait pas m’aider ce genre de manuscrit dans lesquels quelques lignes seulement, et quelques marques, selon moi, ont été copiés par quelque critique ; car ils n’étaient pas disposés correctement en tous les endroits.

Vt ex nostro colligere poteris, in quo aliter a nobis collocatae fuerunt, et sane lineis illis ac punctis non signabantur ulla certarum personarum nomina, quod in primis requiritur, nam in dramate non satis est scire, imitari personam, sed et quae illa sit pernoscendum.

Comme tu pourras l’apprécier en les comparant à notre texte, dans lequel nous les avons disposés autrement, et assurément par ces lignes, et par des marques aucun nom de personnages bien identifiés n’était indiqué, ce qui est requis avant tout, car dans une pièce il ne suffit pas de savoir, qu’un personnage joue, mais aussi il faut parfaitement connaître qui il est.

Quare non dubito, quin et in hoc industriam nostram ualde probes, et laeteris a nobis expolitum ita esse Aeschylum, ac emendatum, ut ab omnibus iam legi possit, et si futurum est, ut ab omnibus non intelligatur, tute enim scis Mariane nobilissime, qui literas Graecas omnium optime calles, dum grandem efficere studet orationem hic poeta, quam interdum obscurus sit, et aliena (ut inquit Cicero de omnibus poetis) lingua loqui uideatur, haec a me dicta sunt propter quoddam morosum hominum genus, qui cum leuiter Graecos auctores attigerint, ac uix inspexerint, continuo se literas Graecas scire profitentur.

C’est pourquoi je ne doute pas que tu apprécies beaucoup dans cette affaire notre travail, et que tu te réjouisses qu’Eschyle ait été ainsi soigné par nous, et corrigé, afin qu’il puisse être lu par tous, et même s’il arrive à l’avenir qu’il ne soit pas compris par tous, toi tu sais en effet, très noble Mariano, qui as de tous la meilleure pratique des lettres grecques, alors que le poète souhaitait pratiquer le grand style, combien il peut être obscur de temps en temps, et il paraît parler en langue étrangère (comme le dit Cicéron de tous les poètes). Ces choses sont dites par moi à cause d’un certain genre d’hommes chagrins, qui alors qu’ils ont peu abordé les auteurs grecs, et qu’ils les ont à peine regardés, déclarent continuellement connaître les lettres grecques.

Sed uulgaribus hoc hominibus fortasse persuadent, cum interim a doctis, et iure quidem, derideantur. Vale. Et me, ut facis, ame.

Mais par là ils persuadent peut-être les hommes du commun, tandis que, dans le même temps, par les savants, et certes à bon droit, ils sont moqués. Salut. Et aime moi comme tu le fais.

Venetiis. Calendis Februarii. MDLII.

Venise. Le premier jour de février 1552.


1. Hdt., Histoires 3.135. Ταῦτα εἶπε καὶ ἅμα ἔπος τε καὶ ἔργον ἐποίεε. « Il parla ainsi, et sitôt dit, sitôt fait. » (traduction Legrand).
2. Après la redécouverte de La Poétique autour de 1498, le théâtre grec est commenté en fonction des propos d’Aristote, probablement cités dans les éditions des pièces étudiées.
3. Arstt., Poet. 1449b.. Référence probable au chapitre 6 de La Poétique (1449b), où Aristote propose une définition de la tragédie. Le terme d’ἀπαγγελίαν sert à désigner la « narration », qui distingue la comédie de la tragédie.
4. Allusion possible à Térence.
5. Il s'agit des Perses, des Sept contre Thèbes et de Prométhée enchaîné.