Patricii et senatorii ordinis uiro pietate, uirtute et sapientia in primis eminenti, Hieronymo Bomgartnero, Domino suo obseruandissimo, salutem et felicitatem in Christo Domino nostro precatur Mathias Garbitius Graecae linguae et morum doctrinae professor ordinarius Tubingae in Academia inclyta.
Mathias Garbitius

Présentation du paratexte

L’épître de Mathias Garbitius à Jérôme Baumgartner présente une longue discussion sur la figure de Prométhée et sur la déchéance de l’humanité, entrecoupée de considérations sur les poètes et notamment sur Homère et les tragiques. La lettre se termine par l’habituel éloge du destinataire et par une recommandation de l’ouvrage et de son auteur.

Traduction : Sarah GAUCHER

Patricii et senatorii ordinis uiro pietate, uirtute et sapientia in primis eminenti, Hieronymo Bomgartnero, Domino suo obseruandissimo, salutem et felicitatem in Christo Domino nostro precatur Mathias Garbitius Graecae linguae et morum doctrinae professor ordinarius Tubingae in Academia inclyta.

Mathias Garbitius, professeur ordinaire de langue grecque et de doctrine morale à la célèbre Académie de Tübingen, prie le Christ, notre Seigneur, pour le salut et la félicité de Hieronymus Baumgartner, son seigneur très vénérable, homme éminent de l’ordre patricien et sénatorial par sa piété, sa vertu et surtout sa sagesse.

Hanc Aeschyli, poetae sapientissimi, tragoediam longe grauissimam, sicut post Hesiodi explicationem certo consilio suscepi interpretandam, ita post illius euulgationem elicitam, hanc quoque fabulae huius interpretationem, tandem passus sum mihi elici, efflagitationibus praecipue Domni Michaelis Toxitae, collegae mei ornatissimi, qui non desinit alia etiam a me in studiosorum gratiam extorquere.

De même qu’après l’explication d’Hésiode j’ai pensé qu’il fallait expliquer cette tragédie d’Eschyle, poète tout à fait sage, de loin la plus grave, selon un plan déterminé, de même après sa publication, qui m’a été arrachée, j’ai enfin souffert que la traduction de cette pièce me soit également arrachée, sur les demandes pressantes du seigneur Michael Toxites, mon collègue très distingué, qui ne cesse de m’arracher d’autres écrits pour m’attirer la gratitude des étudiants.

Nam cum haec fabula sit desumpta ex parte argumenti Hesiodii, et ad illius explanationem tractetur, ego eadem de causa eius interpretationem et adire uolui, et concessi euulgari.

En effet, puisque cette pièce a été tirée d’une partie du sujet d’Hésiode et qu’elle a été utilisée pour l’expliquer, j’ai voulu, moi, entreprendre sa traduction pour cette même raison et j’ai consenti à ce qu’elle soit publiée.

Ille enim Hesiodius locus, ut breuior, ita obscurior, requirebat quandam sui pleniorem et dilucidiorem enarrationem : et argumentum eius uidebatur illa dignum esse, quod latissime patet, et est de re magna in natura humana, et uita communi.

Ce célèbre passage d’Hésiode, assez bref et assez obscur, demandait quelque explication plus complète et plus lumineuse : et son sujet semblait en être digne, ce qui se voit très largement, et il traite d’un sujet important sur la nature humaine et la vie commune.

Vtcumque autem illud non totum tractetur in hac fabula, sed ad absolutionem eius requirantur aliae etiam duae poetae huius Tragoediae : una, quae inscribebatur Προμηθεὺς πυροφόρος, Prometheus ignem auferens : altera, cui titulus erat Προμηθεύς λυόμενος Prometheus solutionem impetrans : quae utraque, dici non potest quantum ruina sua detraxit de argumenti huius declaratione.

Or, il n’a pas tout entier été traité dans cette pièce, mais deux autres tragédies de ce poète sont également nécessaires pour l’épuiser entièrement : la première, qui était intitulée Προμηθεύς πυροφόρος, Prométhée porteur de feu ; la seconde, dont le titre était Προμηθεὺς λυόμενος, Prométhée délivré : or, ces deux pièces, on ne peut dire combien leur perte a causé de dommages à la compréhension de ce sujet.

Quae tamen haec reliqua Προμηθεύς δεσμώτης continet, in qua rigida eius capituitas describitur, non protinus sunt negligenda : quin potius uel propter hoc ipsum magnifacienda, ut saltem aliquid habeatur, quod ad rei tam grauis aliquanto planiorem cognitionem faciat.

Et ce que contient cette tragédie survivante, Prométhée enchaîné, où la dure captivité de Prométhée est décrite, il ne faut pas le négliger : bien plus, il faut en faire grand cas parce qu’on y trouve au moins des éléments qui participent à nous faire mieux connaître un sujet si important.

Et quia haec fabula est media inter illas duas quae desiderantur, non potest ipsa non permulta habere ex illis, unde de toto negotio iudicare liceat.

Et parce que cette pièce se trouve au milieu de ces deux tragédies manquantes, elle ne peut pas ne pas en avoir repris nombre d’éléments, d’où on pourrait avoir une idée de l’ensemble de l’affaire.

Ex prima enim hic exponuntur causae praecipuae captiuitatis, quibus offensus fuit Iupiter ; ex postrema occasiones, tempus, et auctor redemptionis.

En effet, cette pièce emprunte à la précédente les principales causes de la captivité, qui ont offensé Jupiter ; à la suivante, les causes, le temps et l’auteur de la délivrance.

Graue autem esse hoc argumentum, inde etiam apparet, quia est antiquissimum, et multi atque sapientissimi uiri in eo elaborasse uidentur, etiam ante Hesiodum, cum et Homerus Promethei, et Orpheus Pandorae mentionem faciant.

Or, il apparaît également que ce sujet est important parce qu’il est très ancien et que nombre d’hommes très sages semblent y avoir travaillé, avant même Hésiode, puisque Homère fait mention de Prométhée et Orphée de Pandore 1.

Imo si quis id penitius introspexerit, animaduertet ab Hebraeis petitum esse : et quidem ex doctrina Mosae de primo hominis lapsu et discessu a simplicitate et rectitudine diuina ad περιέργεια mentis et uoluntatis suae : pro quo lapsu reparando tandem mentem diuinam carnem subire oportuit.

Bien plus, si on y regarde plus en profondeur, on verra que les Hébreux se sont posé cette question, en tout cas c’est ce que montre l’enseignement de Moïse sur la déchéance du premier homme et de son éviction d’une vie simple et du chemin divin vers la curiosité de sa pensée et de sa volonté : or, pour réparer finalement cette déchéance il a fallu que la pensée divine pénètre dans la chair.

Prisci autem illi Graeciae sapientes, non potuerunt illi quidem sola ui ingeniorum suorum hanc rem tantam ad plenum eruere, et explicare ; quod autem ex quadam sublimiore apprehensione utcunque intelligebant, in eo illustrando non parcebant ingeniis suis.

Quant aux anciens sages de la Grèce, ils n’ont pas pu complètement découvrir un sujet si important par la seule force de leurs esprits et ils ne cessaient en l’éclairant d’expliquer ce qu’ils tiraient d’une connaissance assez grande.

Et certe hoc quicquid est, quod intellexerunt, est satis magnum.

Et en tout cas, quoi qu’ils en aient compris, leur compréhension en est suffisamment importante.

Viderunt enim uitium in utraque parte naturae humanae, in appetitu et in mente.

En effet, ils ont remarqué le vice dans l’une et l’autre partie de la nature humaine que sont le désir et la pensée.

Nec non animaduerterunt, inde hominem, tum caecitate mentis, tum impetu prauarum appetitionum, praecipitem ferri in omne genus malorum : unde etiam senserunt hunc esse morbum illum, cui sanando in primis essent quaerenda remedia sua.

Et ils ont saisi que, de là, tantôt l’aveuglement de sa pensée, tantôt l’assaut de ses désirs dépravés précipitaient l’homme dans des malheurs en tous genres ; d’où ils ont également senti qu’il s’agissait là de la maladie à laquelle il fallait en premier lieu rechercher des remèdes.

Atque proinde in hoc studium praecipue sua industria incubuerunt, qui et essent et uellent haberi aliquanto sapientiores.

Et par conséquent ils ont mis à cette recherche l’essentiel de leur soin et de leur activité, eux qui étaient et voulaient être considérés pour plus sages.

Quod declarant illa plurima quae etiamnum de moribus et officio hominis in omnes uitae partes restant, a philosophis prae aliis rebus in primis grauiter accurate et copiose tradita ; quae omnia eo spectant, ut homo in hisce duabus naturae suae partibus praecipuis emendetur, et ad intelligentiam saniorem, et agendi industriam feliciorem.

En effet, c’est ce qu’expriment bien des enseignements qui perdurent sur les mœurs et le devoir des hommes dans tous les domaines de la vie, enseignements qu’ont avant tout autre sujet transmis les philosophes avec sérieux, précision et abondance, et qui visent tous à corriger l’homme dans ces deux parties principales de sa nature et pour penser plus raisonnablement et agir plus heureusement.

Quem eundem scopum propositum habent historiarum monumenta, et sub instructione eo planiore quo simpliciore, et proprius atque magis ex obuio petita.

Et c’est ce même projet déterminé que regardent les écrits des historiens, en proposant un enseignement d’autant plus rudimentaire qu’il est plus simple, formulé en des termes plus appropriés et mieux compréhensibles.

Sed prisca illa poesis, rectius hoc quidem agit, et inuolutius : uerum sub illis suis inuolucris et integumentis longe grauius, plenius, accuratius et splendidius, atque hoc ipso intelligentibus quidem planius et clarius, quam uel philosophi, uel historici : illi exili sua et nuda traditione, hi simplici et particulari rerum expositione.

Mais cette antique poésie traite le sujet certes plus directement et plus obscurément, mais bien plus gravement, sous ses détours et ses voiles, plus pleinement, plus précisément et plus brillamment et de ce fait, pour ceux qui la comprennent, plus clairement et plus ouvertement que les philosophes ou les historiens, les premiers avec leur enseignement rudimentaire et nu, les seconds avec leur exposé simple et partiel.

Quamquam autem haec omnia, quae pertinent ad naturam hominis ex omni parte tum cognoscendam, tum emendandam, ad intelligentiam et perceptionem non solum humanitatis et iustitiae ciuilis, sed et sanctitatis et iustitiae spiritualis, non debent, neque possunt aliunde potius, salutarius et certius peti, quam ex sacra Scriptura quae est ueritatis caelestis, aeternae et saluificae affluentissima manifestatio : non tamen unquam fuerunt haec etiam, a mente et sapientia humana sanius et utilius aut inuenta, aut agitata, prorsus reiecta et spreta, et quidem per ipsos etiam Theologos, et eos praecipuos, ut Basilium Magnum, Gregorium Nazianzenum, Chrysostomum, Augustinum, Hieronymum et alios : qui et ipsi studiis disciplinarum liberalium eruditi fuerunt, et ad quandam non inutilem προπαιδεύσιν ad doctrinam sacram aliis quoque concesserunt aut etiam commendarunt.

D’autre part, bien que tous ces enseignements qui tendent tantôt à connaître tantôt à corriger complètement la nature de l’homme, à la compréhension et à la connaissance non seulement de l’humanité et de la justice de l’état, mais aussi de la droiture et de la justice spirituelle ne doivent ni ne puissent être cherchés ailleurs plus avantageusement et plus sûrement que dans l’Écriture sainte qui est la manifestation la plus abondante de la vérité céleste, éternelle et salutaire, jamais les écrits élaborés ou pensés assez avantageusement et profitablement par la pensée humaine ne furent absolument rejetés ou dédaignés, en tout cas par les théologiens, et notamment par les principaux, Basile le Grand, Grégoire de Nazianze, Chrysostome, Augustin, Jérôme et d’autres : eux aussi ont été instruits par les études des disciplines libérales, les ont aussi concédées à d’autres voire recommandées pour l’accès à une sorte de propédeutique à la sainte doctrine.

Neque hoc aut ipsi fecerunt, aut alii facere possunt, sine exemplo Apostolico : quoniam certum est D. Paulum non dedignatum esse, inserere etiam in suam doctrinam spiritualem, sententias ex auctoribus ethnicis ; sicut prima ad Corinthios hanc Menandri sententiam allegat :

Et eux n’ont pas fait cela ou d’autres ne peuvent le faire sans l’exemple de l’apôtre, puisqu’il est certain que l’apôtre Paul n’a pas non plus rechigné à insérer dans sa doctrine spirituelle les sentences des auteurs païens ; ainsi la première épître aux Corinthiens avance cette sentence de Ménandre :

φθείρουσιν ήθη καλ’ ομιλίαι κακαί. 2

« Les mauvaises discussions corrompent les bonnes mœurs ».

Et ad Titum hanc Epimenidis :

Et l’épître à Titus cette sentence d’Épiménide :

Κρῆτες ἀεὶ ψεῦσται, κακὰ θηρία, γαστέρες ἀργαί. 3

« Les Crétois sont toujours des menteurs, de mauvaises bêtes, des gloutons paresseux ».

In Actis uero, ubi dicit ἐν αὐτῷ γὰρ ζῶμεν καὶ κινούμεθα καὶ ἐσμέν, ὥσπερ τινες τῶν καθ᾿ ὑμᾶς ποιητῶν εἰρήκασι 4 respicit ad Arati uersus Latine ita redditos,

Dans les Actes, où il dit « En effet, c’est en lui que nous avons la vie, le mouvement et l’être, comme l’ont aussi dit quelques-uns de vos poètes : Nous sommes aussi de sa race. », il fait allusion aux vers d’Aratos ainsi traduits en latin :

A Ioue principium Musae, Iouis omnia plena: 5 Quem reticere nephas : Ioue cuncta utuntur, ab ipso Nos sumus ; ille fouet, cunctis uiresque ministrat. 6

« Jupiter est le commencement de tout, tout est empli de Jupiter, qu’il n’est pas permis de taire ; tout recourt à Jupiter ; nous sommes nés de lui ; lui il favorise tout et il emplit tout de ses forces. »

Doctrina etiam sacra, nusquam tollit legem naturae et officia iustitiae ciuilis et humanitatis quae sunt uitae communis et regni humani : sed ista etiam illustrat, transformat et euehit ad iustitiam fidei, et sanctitatem regni spiritualis.

Même la doctrine sacrée ne repousse nulle part la loi de la nature et les devoirs de la justice des hommes et de l’humanité, qui sont ceux de la vie commune et du royaume des hommes ; au contraire, elle les met même en lumière, les transforme et les amène vers la justice de la foi et la sainteté du royaume spirituel.

Et illos ad regnum caeleste electos, transformatos et assumptos ciues, in hac uita peregrinare oportet inter alios homines quadamtenus more humano et ex praescripto regni ciuilis.

Et les futurs citoyens du royaume céleste, élus, transformés et accueillis, il faut dans une certaine mesure qu’ils voyagent dans cette vie au milieu des autres à la manière des hommes et selon les prescriptions du royaume des hommes.

Sunt enim, quemadmodum D. Augustinus prolixe tradit in illis suis 22 libris de Ciuitate Dei, hae duae ciuitates, terrena et caelestis, in hoc interim saeculo perplexae quodammodo inuicemque permixtae 7 et non tam differunt usu rerum necessarium ad uitam, quam fine utendi, quem utraque suum, et illum diuersum habet : terrena ciuitas pro hac uita fragili et momentana, caelestis pro illa aeterna.

Il y a, en effet, comme Saint Augustin le rapporte largement dans ses vingt-deux livres sur La Cité de Dieu, deux cités, terrestre et céleste, entremêlées et confondues dans ce siècle et elles ne différent pas tant par l’usage des choses nécessaires à la vie que par la finalité de leur usage, qui est différent dans chacune : la cité terrestre en use pour cette vie fragile et passagère, la cité céleste pour la vie éternelle.

Nec ipsa humanitas non est gradus et uia quaedam ad pietatem, sicut statim apparet consideranti uim et naturam eius : et Philo Iudaeus ex professo et prolixe id docet in libro de Humanitate, ubi etiam eam ostendit esse ipsius εὐσεβείας συγγενεστάτην καὶ ἀδελφὴν καὶ δίδυμον ὄντως 8 , pietatis cognatam et sororem, et uere gemellam : quam proinde ὁ πατήρ τῶν νόμων 9 , ipse Moses legum pater ut nullus alius sit amplexus, et ipsis dictis et factis totius uitae suae qui maxime declararit : quia ὁδὸν οἷα λεωφόρον ἄγουσαν εἰς ὁσιότητα ταύτην ἠπίστατο 10 , sciebat eam esse uiam publicam, planam et expeditam, quae ducat ad sanctitatem.

Et l’humanité elle-même est un pas et un chemin vers la piété, ainsi qu’elle apparaît aussitôt à celui qui examine sa force et sa nature : Philon le Juif l’enseigne clairement et largement dans son livre sur l’Humanité, où il montre même qu’elle est εὐσεβείας συγγενεστάτην καὶ ἀδελφὴν καὶ δίδυμον ὄντως, « la vertu la plus proche de la piété, sa sœur et sa jumelle » ; par conséquent ὁ πατήρ τῶν νόμων, « le père des Lois », Moïse lui-même l’ a embrassée comme aucun autre, lui qui l’a fait voir à la fois au travers de ses paroles et de ses actes toute sa vie durant parce que ὁδὸν οἷα λεωφόρον ἄγουσαν εἰς ὁσιότητα ταύτην ἠπίστατο « il savait qu’elle était un chemin ouvert, droit et rapide pour mener à la sainteté ».

Ex quo sane non est ea neque a studio et cultura pietatis excludenda, neque in eiusdem professione deponenda, aut non subinde usurpanda, quoniam inter homines est uersandum et ad ipsos et pro intelligentia, captu, et utili aedificatione eorum, prudenter κατὰ τάξιν et εὐσχημόνως, propaganda doctrina fidei et pietatis.

D’où vraiment il ne faut pas la chasser de l’étude et de la culture de la piété ni l’exclure la profession de cette piété ou l'employer par intermittence, puisqu’il faut vivre au milieu des hommes et que la doctrine de la foi et de la piété doit être répandue prudemment, dans l’ordre et avec gravité parmi eux et pour leur intelligence, leur acquisition et leur profitable édification.

Sobrie ergo est de doctrina humanitatis iudicandum, nec ipsi locus suus detrahendus in Scholis et institutione recta iuuentutis, ad omnis generis functiones pro nostra Christiana Republica quae est temperata etiam sapientia humana : et ipsa humanitatis doctrina non semper humi repit, sine omni diuino subsidio ad altiora contemplanda.

Ainsi, il faut mener une réflexion prudente sur l’enseignement des humanités et ne pas l’exclure des écoles et de la droite éducation de la jeunesse pour occuper tous les postes qui servent notre République Chrétienne, qui a également été organisée par la sagesse humaine : et l’enseignement des humanités ne rampe pas toujours à terre, sans secours divin pour contempler des hauteurs.

Sed et haec tantum contemplatio hominis, et rerum aliarum, ut illae a Deo creatae eruuntur sapientum indagatione, multum facit, teste etiam D. Paulo, πρὸς τὸ γνωστὸν τοῦ θεοῦ 11 ad id quod de Deo scriri potest, tum uero ad ea quae in ipso sunt inuisibilia aliquatenus cernenda.

Au contraire cette observation de l’homme et des autres choses, puisque toutes les choses crées par Dieu ont été découvertes par la recherche des sages, a fait beaucoup, selon le témoignage de Saint Paul, πρὸς τὸ γνωστὸν τοῦ θεοῦ, « pour ce qui peut être su de Dieu », mais aussi pour saisir dans une certaine mesure ce qui en lui est invisible.

Haec autem sanioris et grauioris humanitatis doctrina, uidetur uel in primis petenda ex priscis illis Graecorum poetis, quae etiam apud illos prima sapientia fuit, et quidem uirorum ingeniis, sapientia et religione praestantissimorum, quam post Socraticae studuerunt tradere chartae, ut caelestem quandam, et diuinam doctrinam : et qui eam tum moribus et uita exprimeret, ad eum, apud Spartanos praesertim, dicebatur οὗτος θεῖος ἀνήρ, Iste est uir diuinus.

D’autre part, cet enseignement des humanités assez raisonnables et sérieuses il faut la chercher en premier lieu, semble-t-il, dans les anciens poètes grecs, elle qui fut aussi chez eux la première forme de sagesse, et en tout cas parmi les hommes les plus éminents par le talent, la sagesse et la piété, elle que les écrits socratiques ont ensuite cherché à transmettre, comme une doctrine céleste et divine, et parce qu’il l’exprimait par ses mœurs et sa vie, on disait de lui, surtout chez les Spartiates, οὗτος θεῖος ἀνήρ « Voilà un homme divin ».

Inter illos autem priscos poetas, iure optimo, nullo doctorum non suffragante, primum meretur locum Homerus :

Parmi ces anciens poètes, de droit et par un unanime plébiscite, Homère mérite la première place :

Qui quid sit pulchrum, quid turpe, quid utile, quid non Plenius et melius Chrysippo et Crantore dicit. 12

« Il nous dit ce qui est juste, ce qui est honteux, ce qui est utile, ce qui ne l'est pas, plus simplement et mieux que Chrysippe ou Crantor ».

Scripsit duo opera, quae extant ; tertium, cui titulus erat μαργίτης intercidit.

Il a écrit deux œuvres qui nous sont parvenues ; une troisième, dont le titre était Margitès, a péri.

In his duobus operibus hoc argumentum honestorum et turpium, utilium et inutilium (quae est materia omnium consiliorum et conatuum uitae communis, et totius sapientiae humanae) tam praeclare tractauit, ut nullus philosophorum postea unquam uel plenius, hoc est, abundantius, perfectius, exornatius, picturatius et exactius : uel melius hoc est, utilius, aptius, uerius et certius tractare potuerit : ut uideas uiuas quasdam et illas facundissimas elaborasse picturas mundi ipsius, rerum eius et totius naturae hamanae.

Dans ces deux œuvres il traite si magnifiquement de l’honnête et du déshonnête, de l’utile et de l’inutile (qui est l’objet de tous les projets et de tous les efforts de la vie commune et de la sagesse humaine tout entière) qu’aucun des philosophes ensuite n’a jamais pu le faire plus pleinement, c’est-à-dire plus abondamment, plus parfaitement, plus joliment, plus agréablement et plus exactement, ou mieux, c’est-à-dire de façon plus utile, plus adaptée, plus vraie et plus certaine, si bien qu’on voit qu’il a réalisé des peintures vivantes et éloquentes de ce monde, de ses réalités et de la nature humaine tout entière.

Vt qui eas cum intelligentia et iudicio intueatur, et expendat, ille putet se in συνόψει et conspectu habere totum mundum, mores, consilia, industriam et fortunam omnium hominum et pro temporibus et locis omnibus.

À supposer qu’on les observe et qu’on les pèse avec intelligence et discernement, on comprend que l’on voit et saisit le monde tout entier, les mœurs, les décisions, l’activité et le destin de tous les hommes de tous temps et en tous lieux.

Ilias, Stultorum regum et populorum continet aestus 13 .

L’Iliade « contient les passions des rois stupides et des peuples ».

Depingit in isto opere praecipue appetitiuam hominis uim, et ut illa solet esse excitatior et feruidior in personis et superioribus et inferioribus amplissimorum imperiorum et regnorum, ubi dominantur aestus, hoc est, motus, impetus, fluctus et tempestates cupiditatum et affectuum: unde concitantur et impelluntur mentes ad cogitationes effrenatiores, ad consilia uiolentiora, conatus atrociores conspirationum et concursuum, ad contentiones, ad proelia et conflictus, ad bella diuturna et exitialia, per quae ciuitates, regna et imperia deuastantur et euertuntur ad perniciem potissimum inferiorum in quibus undequaque

Homère dépeint surtout dans cette œuvre le puissant désir de l’homme, et comment il est habituellement plus actif et plus bouillonnant chez les personnages de rangs supérieurs et inférieurs des empires et des royaumes les plus riches, où règnent les passions, c’est-à-dire les mouvements, les assauts, les flux et les tempêtes des désirs et des affects, d’où les esprits sont poussés et excités à des raisonnements plus débridés, à des résolutions plus violentes, à des entreprises plus barbares, à des complots et des conspirations, à des disputes, des combats et des conflits, à des guerres longues et fatales qui dévastent et précipitent dans l’abîme les cités, les royaumes et les empires.

Seditione, dolis, scelere atque libidine et ira Iliacos intra muros peccatur et extra. 14

« Avec les factions, la ruse, le crime, la luxure et la colère, tout va mal à l'intérieur et à l'extérieur des murs de Troie. »

Vbi nihil non ex praecipiti caecitate, uehementia et feruore omnium affectuum efferatorum decernitur, suscipitur et fit ad exitium mutuum.

Lorsque tout est tiré de cet aveuglement précipité, de cette agressivité et de ce bouillonnement de tous les affects débridés, ils poussent et amènent à la destruction mutuelle.

Ex hoc opere licet cognoscere publicas personas, illas magnas et illustres, earum mores, consilia, conatus, fortunam et uitam, initia, occasiones, causas et euentus bellorum uarios et tristes, et sub his conditionem et sortem miseram et afflictam omnium inferiorum ordinum : ubi

Cette œuvre nous permet de connaître les personnages publics, éminents et illustres, leurs mœurs, leurs résolutions, leurs entreprises, leurs destins et leur vie, les débuts, les raisons, les causes et les évènements des guerres diverses et funestes, et en filigrane la condition et le sort misérables et tristes de tous les hommes de rang inférieur : lorsque

Quicquid delirant reges, plectuntur Achiui. Rursus, quid uirtus et quid sapientia possit, Vtile proposuit nobis exemplar Vlyssem. 15

« Quelle que soit la folie des rois, les Achéens en paient le prix. Encore une fois, ce que peuvent la vertu et la sagesse, il nous en a donné un exemple dans Ulysse. »

Quod facit poeta in altero opere, in Odyssea, ubi mentem, partem hominis alteram, et uirtutem eius praecipue depingit et illustrat in ipso Vlysse, cuius post euersam Troiam, et extra belli negotia, reliquum uitae cursum mirifice uarium, errabundum, perplexum et periculosum exponit : qui ipsi, auxiliante Pallade dea prudentiae, sub patientia tolerantissima omnis generis malorum et difficultatum terra et mari exantlandus fuit, pro consecutione tandem reditus in patriam.

Et c’est ce que fait le poète dans sa seconde œuvre, dans l’Odyssée, où il dépeint et donne voir la pensée, l’autre partie de l’homme, et la vertu en Ulysse, dont il expose, après la chute de Troie et en dehors des combats, le reste de l’existence, admirablement variée, errante, sinueuse et pleine de péril : et il lui faut la supporter, avec l’aide de la déesse de la sagesse, Pallas, avec une patience extrême des maux et difficultés en tous genres sur terre et sur mer en échange finalement d’un retour dans sa patrie.

In quo communior quaedam proponitur uitae pictura, quae continet errores, pericula et difficultates illas, quibus fere nullus non prius uarie diripitur et uexatur in uita sua, quam ad aliquem eius statum certum et fixum tanquam in patriam perueniat.

Dans cette œuvre, le poète donne à voir une image plus commune d’une vie, qui comprend les errances, les périls et les difficultés qui bouleversent et tourmentent presque tous les hommes dans leurs existences avant qu’ils ne parviennent à un état assuré et stable, à l’image d’Ulysse dans sa patrie.

Tum uero huiusmodi malorum causae internae in animis hominum declarantur : quae sunt illae uariae, obliquae, distortae, et monstrosae affectiones animorum, sine quibus profligatis nemo ab erroribus et iactationibus suis liberari, et ad portum alicuius σωφροσύνης perduci potest.

Mais il montre aussi clairement les causes de ce genre de malheurs ancrées dans l’âme des hommes : ce sont des affections variées, détournées, entortillées et monstrueuses des esprits sans la suppression desquelles personne ne peut être libéré de ses errances et de ses agitations et être amené vers le refuge d’une certaine tempérance.

Inde enim innuit, hominem quasi multiplici quadam et rapidissima ui fluctuum et tempestatum distrahi, iactari, et passim foris exulare, donec illi fluctus sopiantur et conquiescant : hocque uult esse uere redire ab exilio et fluctibus atque tempestatibus uitae, earumque periculis uariis, in patriam et domum.

De là, en effet, il fait voir que l’homme est tiraillé, ballotté et partout exilé comme par une force considérable et impétueuse des flots et des tempêtes jusqu’à ce que ces flots s’apaisent et se calment et il veut que ce calme marque véritablement un retour de l’exil, des flots et des tempêtes de la vie et de leurs divers dangers dans la patrie et la maison.

Neque hoc contingere nisi Vlysseo, qui habeat similem prudentiam et patientiam, eamque utramque diuinitus confirmatam : et non prius quam omnes sint amissi socii, hoc est, uires corporis et animi exhaustae, fractae et contusae : ut sint omnes appetitiones et impulsiones earum deletae aut compressae.

Et il veut que cela ne touche qu’un homme tel qu’Ulysse, qui aurait une prudence et une sagesse semblables, toutes deux affermies par la divinité et que cette conclusion n’advienne pas avant que tous ses compagnons aient été perdus, c’est-à-dire que les forces de son corps et de son esprit aient été épuisées, brisées, blessés, de sorte que tous leurs appétits et leurs pulsions aient été détruits ou réfrénés.

Tum enim demum in homine mentem nancisci locum et tranquillitatem ad inhabitandum, et munus suum peragendum : ante autem semper infestari, et uiolenter distrahi et uexari.

C’est alors en effet qu’il veut que la pensée trouve finalement dans l’homme un refuge et une tranquillité pour y habiter et pour accomplir son office ; mais avant, il veut qu’elle soit tourmentée et violemment tiraillée et blessée.

Et inde, qui non sint Vlyssei, alias occupati in affectu Circeo, alias Cyclopico, alias Laestrygonum, alias Sirenarum, alias affectu alio in omne genus errorum et periculi aliud deuolui, in quo pereant ante reditum in patriam mentis et rationis.

Et de là il veut que ceux qui ne seraient pas du genre d’Ulysse, accaparés tel dans la passion de Circé, tel du Cyclope, ou des Lestrygons, ou des Sirènes, tel dans telle autre passion, se précipitent dans des errances et des périls en tous genres, de sorte qu’ils y périssent avant de revenir dans la patrie de la pensée et de la raison.

Haec est fere summa doctrinae Homericae, quae est de praecipuis partibus naturae, et uitae humanae : quarum uim ignorare non uideo qui debeat, aut possit uelle : eos uero qui in quadam parte administrationis uel ciuilis uel spiritualis sunt constituti, turpe etiam et incommodum fuerit, uacare omni talium cognitione : ad quae suam ἐπιμέλειαν referre debent illi quidem secundum iustitiam ciuilem, hi uero iuxta diuinam et caelestem.

Voilà presque le point d’orgue de la doctrine homérique, qui traite des principales parties de la nature et de la vie humaine, dont je ne vois pas qui devrait ou pourrait vouloir ignorer la puissance : or, ceux qui ont été placés dans quelque partie de l’administration ou civile ou spirituelle, il aurait été même scandaleux et inconvenant qu’ils soient exempts de toute connaissance de tels sujets, auxquels les premiers doivent faire tendre leur soin les premiers en suivant la justice civile, les seconds conformément à la justice divine et céleste.

Post Homerum, qui hoc idem argumentum apud Graecos quidem elaborarunt aliquanto accommodatius et utilius, sunt Tragici et Comici poetae : sed hi separatim in singulis fabulis certa negotia hominum expresserunt, non ut ille, in uniuersum omnium simul picturas tradiderunt.

Après Homère, ceux qui ont traité ce même sujet chez les Grecs, en tout cas de façon plus appropriée et plus utile, sont les poètes tragiques et comiques : mais eux, à la différence d’Homère, ils ont exprimé séparément dans des pièces différentes des affaires humaines données, et non pas, comme Homère, des peintures universelles qui valent pour tous en même temps.

Et Tragicis quidem negotia et personae publicae fuerunt propositae, quorum argumenta ex Iliade et Odyssea Homeri sumpserunt.

Et les Tragiques pour leur part ont donné à voir des affaires et des personnages publics, dont ils ont emprunté les sujets à l’Iliade et à l’Odyssée d’Homère.

Comicis uero studio fuit personas et negotia priuata et domestica adumbrare, quibus Homerus in suo Margeite uidetur praebuisse occasionem et materiam.

Les Comiques, quant à eux, eurent à cœur d’esquisser des personnages et des affaires privés et domestiques, pour lesquels Homère dans son Margitès semble avoir fourni l’occasion et la matière.

Nec hi sua etiam particulari tractatione non rem totam sunt complexi, cum nullius non negotii aliquanto conspectioris studuerunt effigiem quandam excogitatam proferre.

Et ils ont également embrassé le monde tout entier en passant par le particulier, puisqu’ils se sont efforcés de donner à voir une représentation réfléchie de tout affaire assez remarquable.

Et inde sane, si omnes eorum fabulae extarent, expeditior etiam esset cognitio singulorum negotiorum, ex illis eorum peculiaribus formis.

Et de là, si toutes leurs pièces nous étaient parvenues, nous comprendrions certainement plus rapidement chacune des affaires à partir des images particulières qu’ils en ont données.

Sed interciderunt Aeschyli quidem fabulae circiter sexaginta, Sophoclis autem ultra quinquaginta, Euripidis uero ad septuaginta.

Mais on a perdu environ soixante pièces d’Eschyle, plus de cinquante pièces de Sophocle et environ soixante-dix pièces d’Euripide.

Verum fortasse hae etiam paucae, quae restant, horum trium Tragicorum, diligentius pellectae, suffecerint abunde cuique non plane stupido et inerti, ad iudicium prudentius de nullo non uitae negotio grauiori et publico.

Mais peut-être le peu de pièces qui restent de ces trois tragiques, s’il le lisait plus attentivement, suffirait-il largement à n’importe quel homme qui ne serait ni complètement stupide ni paresseux pour juger plus prudemment toute affaire personnelle et publique assez importante.

De fabulis comicorum Graecorum pauciores habemus reliquas : Aristophanis tantum aliquot, ingeniosas illas quidem et eruditas, sed nonnullas pro statu illo Democratico nimis populares et λεωργoῦς ad modum Plautinarum, ut illae aliae non ita sint desiderandae sanioribus et grauioribus.

Concernant les pièces des Comiques grecs, il nous en reste encore moins : quelques-unes seulement d’Aristophane, ingénieuses et savantes certes, mais certaines trop populaires et audacieuses pour cet état démocratique à la manière de celles de Plaute, de sorte que les gens assez raisonnables et sérieux ne doivent pas en regretter la perte.

Menandri, Diphili et aliorum quos Terentius et Plautus sunt imitati, profuerit aliquot extare : sed est haec tolerabilior iactura in hoc priuato argumento, quam illa in publico : et uel unus Terentius hanc iacturam aequioribus resarserit, qui, quae in illis fuerunt optima, suo exacto iudicio ad imitationem Latinam traduxit.

De Ménandre, de Diphile et des autres que Térence et Plaute ont imités, il aurait été utile que quelques-unes survivent : mais cette perte est plus tolérable concernant un sujet privé que la précédente, qui concerne un sujet public ; et peut-être un Térence, qui a traduit à la perfection les meilleures d’entre elles pour les imiter en latin, aura-t-il comblé cette perte pour les contemporains.

Inter Tragicos primae debentur Aeschylo nostro, qui et tempore praecessit, et artem in multis locupletauit, expoliuitque : tum uero sequentibus grauissima argumenta praebuit, quae etiam non ut grandiori sermone, ita protinus minus significanti, proprio et apto pro temporibus et negotiis illis tractauit.

Chez les tragiques, les premières pièces sont dues à notre Eschyle, qui à la fois a vécu avant les autres et a enrichi et poli cet art sous bien des aspects ; en effet, il a fourni à ses successeurs des sujets très sérieux, qu’il a traités non avec une langue plus grave, mais plus allusive, moins propre et appropriée à ces circonstances et à ces affaires.

Sophocles alteras sibi uendicat, cuius etiam omnia sunt σπουδαῖα, perinde ut Aeschyli : sed oratio est haud paulo tersior, expolitior et suauior.

Sophocle a revendiqué d’autres tragédies, où tout est grave de la même manière que chez Eschyle : mais le discours est bien plus soigné, plus poli, plus doux.

In Euripide, qui locum obtinet tertium, sunt omnia argutiora, pleraque loquaciora et ἀνόμαλα non pauca φαῦλα et πανοῦργα : ideo foro accommodatior, quam illi duo, qui ad σωφρόνων approbationem omnia direxerunt.

Chez Euripide, qui obtient la troisième place, tout est plus expressif, la plupart des formulations sont plus verbeuses et inégales, plusieurs sont faibles et mauvaises : c’est pourquoi il est plus approprié au forum que les deux précédents qui ont tout cherché à faire approuver aux sages.

Ex fabulis Aeschyli qui restant, haec de Prometheo captiuo, est prima : quae continet duo negotia.

Des pièces d’Eschyle qui nous restent, celle sur Prométhée enchainé est la première : et elle contient deux intrigues.

Vnum, de erroribus et fortuna uaria et miserabili Ius, filiae Inachi regis Argiuorum : quod pertinet ad hominis partem appetitiuam ; alterum, de captiuitate Promethei : quod est principale, et refertur ad uim mentis humanae exprimendam.

La première concerne les errances et le destin inconstant et misérable d’Io, la fille d’Inachus, roi des Argiens : elle renvoie à la partie désirante de l’homme ; la seconde concerne la captivité de Prométhée : c’est la principale et elle renvoie à l’expression de la puissance de la pensée humaine.

Quod quale sit, et unde petitum, supra nonnihil est dictum : sed sunt ad illa, quaedam etiam alia adiicienda, pro nostro studio erga hoc Tragicum scripti genus, quod cupimus fieri intelligentioribus aliquanto notius et familiarius : et fortasse nostris qualibuscumque cogitationibus de negotio hoc Promethei, aliorum eruditiores excitabuntur lucubrationes.

Et on a dit plus haut quelque chose de la nature du sujet et de sa source, mais il faut encore ajouter certains autres éléments pour notre étude de ce genre d’écrits tragiques, que nous souhaitons faire mieux connaître et rendre plus familier à ceux qui sont assez éclairés : et peut-être par nos réflexions sur l’intrigue de Prométhée, quelle que soit leur qualité, éveillerons-nous les travaux plus érudits d’autres auteurs.

Illud sit iam constitutum et certum, per Prometheum esse intelligendam mentem et solertiam ingenii humani, et ab initio digressam, et subinde digredientem a mente longe superiore, illa diuina et prima, et hac imperii humani, quae uicaria illius potentia pollet inter homines, ad eos retinendos in πειθαρχίᾳ omnibus salutari.

Il serait établi et assuré qu’en Prométhée il faut saisir la pensée et l’industrie de l’esprit humain, qui au début a été séparée et ensuite se sépare d’une pensée de loin supérieure, cette pensée divine et première et de celle du pouvoir humain, qui, alors que sa puissance remplace la pensée divine, gouverne les hommes pour les retenir dans une obéissance salutaire pour tous.

Sed istam digressionem sciendum est uariam esse : aliam ad affectiones corporeas et appetitus sensitiui, illas omnino turpes et homine indignas, quae sunt uoluptatum gustus et tactus ; aliam ad affectiones aliorum sensuum, ut uisus, auditus, et olfactus : quae sunt honestiores circa colores, σχήματα et picturas, circa sonos cantionum, circa odores pomorum, rosarum et suffituum ; aliam ad cupiditates rerum utilium et honestarum, ut diuitiarum, potentiae, honorum, gloriae, et similium : quorum est πλεονεξία, circa quas et ipsas res, mirum quam magna, uaria et uehemens sit προμήθεια, quam multiplex δεινότης et πανουργία, uafra sollertia et calliditas : cuiusmodi ἀσέλγεια et lasciuia ingenii humani, quae nunquam satis dirigi, coerceri et refrenari possunt ullis legibus, poenis et suppliciis.

Mais il faut savoir que cette séparation se fait de diverses manières ; qu’une se fait vers les passions du corps et de l’appétit des sens, tout à fait honteuses et indignes de l’homme, qui sont celles des plaisirs du goût et du toucher ; qu’une autre se fait vers les passions des autres sens, comme la vue, l’ouïe et l’odorat, qui sont plus honnêtes et concernent les couleurs, les formes et les peintures, les sonorités des chants, les odeurs des pommes, des roses et du parfum ; qu’une autre se fait vers les désirs des choses utiles et honnêtes, par exemple les richesses, le pouvoir, les honneurs, la gloire, et d’autres choses semblables : or, le désir est le propre de ces choses, autour desquelles se déploient une industrie16 admirablement grande, une ingéniosité et une habileté admirablement complexe, une adresse et un savoir-faire habiles, une débauche de ce genre et une licence de l’esprit humain, qui ne peuvent être dirigées, contenues et freinées par aucune loi, aucune punition et aucun supplice.

Sed haec προμήθεια omnis proficiscitur ex studio et amore sui, quo quisque annititur solers et industrius esse pro rebus suis promouendis ad uitam suauiorem et commodiorem.

Mais toute cette industrie vient de l’affection et de l’amour de sa propre personne, en vertu desquels chacun s’efforce d’être habile et actif pour promouvoir ses réalisations afin d’obtenir une vie plus douce et plus agréable.

Est et alia quae est πρὸς ἕτερον, quae regitur studio iuuandi alios circa has res omnes iam expositas, et illas alias quae sunt de usu uitae, et faciunt ad eius uel honestatem, uel utilitatem, uel suauitatem et gratiam quandam.

Il est une autre industrie qui est tournée vers autrui, qui est régie par la volonté d’aider les autres sur toutes les choses déjà exposées et d’autres qui concernent les besoins de l’existence et agissent pour sa rectitude, son profit, sa douceur ou son charme.

De hac προμηθείᾳ et ingenii solertia est haec fabula praecipue.

Cette pièce traite surtout de cette dernière industrie et habileté de l’esprit.

Iste enim προμηθεύς non inducitur ἀπολαυστικὸς, non ἰδιοπράγμων, non ἁπλῶς πλεονεκτικὸς, qui cura rerum suarum sectatur uoluptates proprias aut commoda sua : sed fingitur ἀλλοτριοπράγμων et πολυπράγμων, et quidem λεωργὸς et φιλάνθρωπος, qui ex singulari studio, amore et prosecutione hominum, propter ipsos iuuandos et demerendos, nihil non excogitet, producat et efficiat, quod animaduertat ipsis utile aut gratum futurum, ad quandam suae industriae commendationem : et qui sit in hoc σοφιστὴς ingeniosus et solers, qui sibi maiorem sapientiae laudem arroget, et subinde studeat aut noua et meliora inuenire, aut uetera et priora emendare et corrigere uel addendo quid, uel detrahendo, uel transformando.

En effet ce Prométhée n’est pas représenté comme un homme cherchant son propre plaisir, égoïste, uniquement arrogant, qui recherche par souci de lui-même son plaisir ou son profit personnels ; au contraire, il est dépeint comme altruiste et rusé, et en tout cas audacieux et philanthrope, lui qui, par goût, amour et affection pour les hommes, pour les aider et les servir, ne fait que penser, produire et réaliser ce qui, pense-t-il, leur sera utile ou agréable en vue de leur recommander leur activité, en sophiste ingénieux et habile à même de s’arroger l’éloge de sagesse et de chercher ensuite ou à inventer des choses nouvelles et meilleures ou à corriger et améliorer des choses anciennes et préexistantes en y ajoutant ou en y enlevant ou en transformant quelque chose.

Non est facile dictu quanta sit uis et industria huius Promethei, quam ille late dominetur in omnibus artibus tam illiberalibus quam liberalibus, tam inferioribus quam superioribus : in omnibus statibus Imperiorum, in omnibus ordinibus et partibus uitae cernere est dominium eius.

Il n’est pas facile d’exprimer l’ampleur de la puissance et l’activité de Prométhée, de dire combien il est maître dans toutes les techniques tant non libérales que libérales, tant inférieures que supérieures : c’est dans tous les états des Empires, dans tous les ordres et les parties de l’existence, qu’on peut voir son domaine.

Nec mirum.

Et ce n’est pas étonnant.

Quo enim ille se non insinuet ? Vbi nihil efficiat ? cum eius λεωργὸς καὶ συρφετώδης φιλανθρωπία nulli non se probare soleat, et εὐπρόσωπον, speciosam, plausibilem et gratam efficiat : cum passim χρείαι, indigentiae et difficultates communis uitae, et illa penitus insita in naturam humanam ἁψικορία eius σοφιστείαν perpetuo requirant, desiderent, exoptent, et obuiis ulnis excipiant.

En effet, où ne s’insinuerait-il pas ? Où ne réussirait-il pas, puisque sa philanthropie audacieuse et populaire a l’habitude d’obtenir tous les suffrages et de se montrer magnifique, brillante, louable et bienvenue, puisque partout les besoins, les insatisfactions et les difficultés de la vie commune et cette inconstance profondément ancrée dans la nature humaine réclament, désirent et souhaitent son renfort et l’accueillent à bras ouverts ?

Vnde fit, ut omnia flagrent studiis et contentionibus mutationum, reparationum et νεωτερισμῶν.

D’où il advient que les activités et les efforts qui cherchent à transformer, réparer, innover enflamment le monde tout entier.

Res est in promptu, non sunt de ea procul conquirenda exempla : ultro se obuia offerunt passim in uita.

C’est une évidence, il ne faut pas en chercher loin des exemples : ils s’offrent spontanément partout dans l’existence.

Conuertas oculos ad uitam priuatam, et industriam mechanicorum : quas hic non cernas quotidianas adinuentiones, quas non ἐπιδόσεις, quas non aemulationes, quae non certamina , ubi, καὶ κεραμεὺς κεραμεῖ κοτέει καὶ τέκτονι τέκτων 17 , ubi fere in dies, et a singulis per noua et excultiora praeripitur pretium ueteribus ?

On tourne ses yeux vers la vie privée et l’activité des hommes mécaniques : quelles découvertes quotidiennes, quels progrès, quelles rivalités, quels affrontements ne rencontre-t-on pas, lorsque « le potier est jaloux du potier, le constructeur du constructeur », lorsque presque chaque jour et chacun au travers de choses nouvelles et perfectionnées ôte leur valeur aux anciennes ?

Conferas animum ad ordines artium honestarum et sapientiae officinas : ubi animaduertes hanc ingeniosam προμηθείαν multo etiam inquietiorem esse, ad nescio quod insanabile κακόηθες non solum scribendi, sed et contendendi, et se inuicem petendi saepe non ita benigne per suas γνωσιμαχίας et λογομαχίας : et quidem in ordinibus illis, unde sal omnis sapientiae requirendus erat.

On se tourne vers les ordres des honnêtes arts et les ateliers de la sagesse, où l’on remarquera que cette industrie ingénieuse est encore plus exempte de repos, qu’elle tend à je ne sais quel incurable vice non seulement qui consiste à écrire, mais aussi à combattre et de se chercher soi-même souvent avec méchanceté au travers de joutes de connaissances et de mots, et en tout cas dans ces ordres, où l’on doit rechercher tout le sel de la sagesse.

Hinc uero foris extra officinas uirtutis et sapientiae conspicias, aut speres sedatiorem, aut saniorem προμηθείαν, in aliqua Reipublicae parte, ubi passim et affectionum et ingeniorum humanorum uis fere est uehementior, lasciuior et efficacior, ut inde necesse sit acriora certamina πλεονεξιῶν, φιλοτιμιῶν et κενοτιμιῶν, et similium consiliorum et conatuum exundare temporibus et pacis et belli : illis ad ῥᾳστώνην, ἀπόλαυσιν, ἀσέλγειαν et νοῦν ἀδόκιμον : his ad turbarum, motuum, et exitii mutui uarias machinationes.

D’où en vérité c’est au-dehors des ateliers de la vertu et de la sagesse que l’on voit ou que l’on espère une industrie plus paisible et plus raisonnable, dans une partie de l’État où partout la force des affects et des esprits humains est presque plus véhémente, plus badine et plus efficace, de sorte que de là il est nécessaire que des combats plus énergiques pour le profit, l’amour des honneurs vides, des projets et des entreprises semblables abondent en temps de paix comme en temps de guerre : en temps de paix ils tendent à la tranquillité, au plaisir, à l’indolence, à une intelligence sans vertu ; en temps de guerre aux diverses mises en œuvre de troubles, de soulèvements et d’une ruine réciproque.

De huiusmodi προμηθείᾳ et solertia mentis humanae est haec fabula, quae semper sub specie φιλανθρωπίας dominatur : sed non uacat semper omni priuata πλεονεξίᾳ, si non diuitiarum et opum, at honorum, gloriae, existimationis et famae.

Cette pièce traite de ce genre d’industrie et d’habilité de la pensée humaine, qui prend toujours l’aspect de la philanthropie, mais qui n’est pas toujours exempte de tout profit particulier, sinon celui des richesses et des ressources, du moins celui des honneurs, de la gloire, de la renommée et de la réputation.

Ea autem est quidem partis in homine diuinae, sed quae non est simplex et sola, uerum permixta et composita cum parte corporea et terrena, in qua tanquam domicilio inhabitet, atque inde ab originis suae praestantia diuina ad hanc fere desciscat, et pro huius motionibus uim suam exerat.

Or, elle est certes le propre d’une part divine dans l’homme, mais qui n’est pas simple et unique ; au contraire, elle est mélangée et combinée à une partie corporelle et terrestre, où il habiterait comme dans une maison et de là il passerait d’ordinaire de la supériorité divine de son origine à cette partie et, en retour de ses pulsions, montrerait sa puissance.

Haec est causa digressionis eius : inde sit haec pars in homine φιλάνθρωπος et λεωργὸς, uarie et sollicite occupata et inquieta, quia effectionibus corporeis est obnoxia et communis uitae conditionibus, miseriae, atque eius difficultatibus mederi conatur : hinc eius industria perpetuo excitatur et intenditur, hominesque fiunt

Voilà la raison de cette séparation : de là viendrait cette partie philanthrope et audacieuse dans l’homme, qui est mise en branle de diverses manières et sans trève et demeure sans repos, parce qu’elle est soumise aux actions du corps et aux circonstances de la vie commune, à la misère, et qu’elle est forcée de remédier à ses difficultés ; de là son activité est en permanence éveillée et active, et les hommes deviennent

νήπιοι, οὐδὲ ἴσασιν ὅσῳ πλέον ἥμισυ παντὸς οὐδ᾽ ὅσον ἐν μαλάχῃ τε καὶ ἀσφοδέλῳ μέγ᾽ ὄνειαρ. 18

« insensés, ils ne savent pas que la moitié est plus que le tout, ni combien est grand le bienfait de la mauve et de l'asphodèle ! ».

Pro uarietate enim suarum et appetitionum et difficultatum communium, ita deprauantur in cogitationibus mentium suarum, ut modum nullum uerae et salutaris rectitudinis et sobrietatis uidere et seruare possint : atque proinde sua stulta et immoderata industria subinde se in maiores inuoluunt et praecipitant difficultates.

En effet, à cause de la diversité de leurs désirs et des difficultés communes, ils sont si corrompus dans leurs réflexions qu’ils ne peuvent ni voir ni conserver la mesure d’une droiture et d’une sobriété véritables et utiles : par conséquent leur activité stupide et sans frein se tourne contre les générations précédentes et les précipitent dans les difficultés.

Hic est fons miseriae communis, unde πλείη μὲν γὰρ γαῖα κακῶν, πλείη δὲ θάλασσα 19 .

Telle est la source de la misère commune, d’où « en effet la terre est pleine de maux, et la mer est en pleine ».

Quae est poena uitii et digressionis a mente et iustitia diuina : quod est uitium in natura mirabile, quo omnes τέρπωνται κατὰ θυμόν, ἑὸν κακὸν ἀμφαγαπῶντες 20 : et singuli habent suum peculiare, quo oblectentur et sibi in animo suo abblandiantur.

Et c’est la punition du vice et de la séparation de la pensée et de la justice divine : et ce vice dans la nature, par lequel tous τέρπωνται κατὰ θυμόν, ἑὸν κακὸν ἀμφαγαπῶντες « chacun a son propre fléau pour le charmer et le flatter en son for intérieur » est étonnant.

Vnde elucescit illa πανδώρα, et incredibilis uarietas ingeniorum, studiorum, industriarum, conditionum et generum uitae, quibus singuli suis detinentur, fatigantur, conficiuntur, ad suam quandam saniorem quidem, sed nimis seram et tristem ἐπιμήθειαν.

D’où se manifestent cette bienfaisance et cette incroyable diversité des esprits, des recherches, des activités, des conditions et des genres de vie, qui occupent, épuisent et accablent chaque homme pour le faire tendre à une réflexion ultérieure plus raisonnable certes mais trop tardive et malheureuse.

Hic tamen poetae nostri προμηθεὺς, non habet secum fratrem ἐπιμηθέα, nec agnoscit aliquod suum delictum, talis captiuitatis poena dignum : sed permanet αὐθάδης.

Cependant, le Prométhée de notre poète n’a pas avec lui son frère Épiméthée et ne connait pas le crime qui lui a fait mériter la punition d’une telle captivité, mais il demeure arrogant.

Et pertinaciter contra Iouem defendit suam innocentiam, usque ad amissionem omnis dicendi facultatis.

Et il défend obstinément son innocence face à Jupiter jusqu’à ce qu’il ne puisse plus du tout parler.

Hesiodi autem προμηθεὺς habet secum fratrem ἐπιμηθέα, qui δεξάμενος, ὅτε δὴ κακὸν εἶχ᾽ ἐνόησεν 21 , post malum acceptum agnoscit delictum suum.

Le Prométhée d’Hésiode, quant à lui, a avec lui son frère Epiméthée, lui qui δεξάμενος, ὅτε δὴ κακὸν εἶχ᾽ ἐνόησεν, « après avoir accepté la punition, reconnaît son délit ».

Vtrumque recte fingitur : quia ubique inueniuntur in hoc genere hominum solertiorum, et interdum plures, interdum pauciores, qui sint aut αὐθάδεις et ἀμετάπειστοι, aut μεταμελητικοί, uel certe εὐμετάπειστοι, qui facile patiantur se in aliam sententiam et persuasionem deduci.

L’un et l’autre sont représentés avec justesse, parce qu’on rencontre partout dans ce genre d’hommes ingénieux, parfois un nombre assez important, parfois un assez petit nombre d’individus qui sont soit arrogants et inflexibles, soit portés au repentir ou du moins influençables, qui souffrent facilement d’être amenés à un autre avis et une autre idée.

Hi tamen non ita multi, qui praesertim ingeniis excellant et sint ὑψηλοφρονέστεροι.

Cependant ils ne sont pas si nombreux, ces hommes qui s’enorgueillissent de leurs esprits et sont trop hautains.

Tales enim excitantur ad immensam φιλανθρωπίαν et studium indefatigabile emendandi defectus et errores communes, quos ubique plurimos et sibi non ferendos conspiciunt.

En effet, de tels invidus sont poussés à une philanthropie sans bornes et à un zèle infatigable pour corriger les défauts et les erreurs communes qu’ils voient partout en nombre et qui leur sont insupportables.

In quo non peccant, quia sunt φιλάνθρωποι.

Et en cela ils ne commettent point de faute parce qu’ils sont philanthropes.

Quo modo omnes homines affecti esse debent et pii omnino sunt : sed quia sunt λίαν πέρα καὶ δικῆς φιλάνθρωποι nimis et supra rectum et concessum modum humani, ut non satis sobrie considerent neque superiorum ordinum dignitatem, uoluntatemque neque inferiorum pro natura ipsorum utilitatem : sed ab illorum prudentia, sobrietate, et mysteriis deficientes, ad horum desideria et uota festinent explenda omnia solertiae suae industria, unde uulgo homines aut materiam, aut certe occasionem quandam licentiae suae nanciscantur.

Et tous les hommes ainsi disposés doivent être et sont tout à fait pieux, mais parce qu’ils sont λίαν πέρα καὶ δικῆς φιλάνθρωποι, « démesurément et immodérément philanthropes », au point de ne pas considérer avec suffisamment de prudence la dignité et la volonté des classes supérieures ni l’utilité des classes inférieures à cause de leur nature, mais que, abandonnant la sagesse, la retenue, les secrets des premières, ils se hâtent de combler tous les désirs et tous les souhaits des secondes grâce à l’activité de leur habileté d’où généralement les hommes trouvent ou un prétexte ou certainement une occasion à leur licence.22

Nam fere ut ἀφθονία καρπῶν producit ἀφορίαν φρενῶν, ita aliarum rerum affluentia facit animos hominum insolentiores.

En effet, presque comme l’abondance de fruits entraîne l’absence de pensée, l’affluence des autres choses rend les esprits des hommes plus insolents.23

Vnde facile λαὸς πολύτροπος efficitur ἀκατάσχετος, per mentem reprobam, quam inde consequitur.

D’où la masse industrieuse devient impossible à maitriser à cause de la mauvaise pensée qui en découle.

Huiusmodi φιλανθρωπία depingitur nobis in hoc Prometheo, quae non est ita sobria, aut etiam interdum sic satis sobria: sed non sine illa ebrietate, quam Philo Iudaeus ex Platonis sententia uocat μέθην νηφαλίαν 24 : quae et ipsa saepe uidetur moderanda, aut etiam cohercenda cum aliis multis de causis, tum quia facile amittit quod de sobrietate habet, et sit iusto feruidior et θερμουργοτέρος ut propagata et confirmata deinde non possit facile comprimi, nisi seueritate aliquanto grauiore.

Au travers de Prométhée nous est dépeinte ce genre de philanthropie qui n’est pas tempérante ou même parfois assez tempérante et qui ne va pas sans cet excès, que Philon le Juif appelle, d’après une phrase de Platon, « un excès tempérant », qui souvent semble devoir être modéré ou même contraint d’une part pour bien d’autres raisons, d’autre part parce qu’il abandonne facilement ce qui a trait à la tempérance et qu’il serait plus bouillant et plus hardi qu’il ne convient, si bien qu’ensuite, une fois qu’il s’est propagé et affermi, il ne peut être facilement contenu, si ce n’est avec davantage de sévérité.

Cuius et ipsius hic exemplum quoddam proponitur : sed alia plura exempla omnis humanae προμηθείας inhibendae, tradunt historiae omnium temporum, et praecipue sacrae : quae continent poenas et inhibitiones uarias, quas ipse Deus, iam inde a prima defectione parentium primorum usurpauit in genus humanum, propter affectationem istius digressionis a simplicitate rectitudinis salutaris, ad suas uarias adinuentiones.

On nous fait voir ici un exemple, mais les récits de toutes les époques, et surtout les récits sacrés nous transmettent beaucoup d’autres exemples de l’inhibition de cette industrie humaine : ils renferment diverses punitions et inhibitions, que Dieu lui-même, dès la faiblesse des premiers hommes, a utilisées contre le genre humain parce qu’il continuait, pour poursuivre diverses découvertes, à s’éloigner de la vie simple qu’offre une droiture salutaire.

Atque hoc est illud, a quo etiam Prophetae ipsi nunquam potuerunt satis retrahere homines, quin illi contra minas et poenas diuinas, destituta uia uitae recta, diuinitus praescripta, sequerentur studia et affectiones suas.

Et c’est ce dont les Prophètes également n’ont jamais pu assez écarter les hommes et les empêcher de poursuivre leurs recherches et leurs passions, une fois abandonné le droit chemin de l’existence prescrit par Dieu.

Tandem etiam filius Dei, boni, aeterni, et supremi, λόγος ille θειότατος καὶ κυριώτατος πάντων, per quem facta sunt omnia, et nos ad imaginem Dei creati, ingressus est carnem et mundum, ut nos degeneres et defectores a Deo, palantes in caecitate et uanitate cogitationum et affectionum nostrarum, recolligeret ad Deum ipsum, nobis restitueret imaginem pristinam, per spiritum suum, per doctrinam caelestem, et uitam suam et suorum sanctam et immaculatam : unde nos reparati efficeremur noua creatura Dei, quae tantum spiritu ipsius ageretur.

Finalement le fils de Dieu bon, éternel et très grand, ce logos le plus divin et puissant de tous, qui a tout engendré et qui nous a créés à l’image de Dieu, est entré dans la chair et dans le monde pour nous ramener à Dieu nous qui, dégénérés et traîtres de Dieu, vivions dans l’aveuglement et la vanité de nos pensées et de nos passions, pour nous rendre notre forme passée à travers son esprit, à travers la doctrine céleste et son existence et celle des siens sainte et sans taches : d’où nous, une fois réparés, nous deviendrions une nouvelle créature de Dieu qui serait mue par son seul souffle.

Sed quid fit aut potius quid factum est ? Statim ab instauratione regni ipsius, ab inuectione sapientiae et uitae caelestis, mens humana semper restitit, tenebras et uanitatem speciosam suae sapientiae in omnibus magis est amplexa : illam ueram, sinceram et salutarem simplicitatem et rectitudinem sapientiae caelestis aut spreuit, aut ad errores suarum imaginationum et opinionum defendendos traduxit, et uarie est interpretata : unde diuersitas et peruersitas morum, iudiciorum, dissensionum, contentionum et uitae sine modo et fine exititerunt.

Mais qu’advient-il ou plutôt qu’est-il advenu ? dès l’instauration de son règne, dès l’arrivée de la sagesse et de la vie céleste, la pensée humaine a résisté, elle a embrassé davantage les ténèbres et la vanité spécieuse de sa sagesse dans tous les domaines ; ces véritables, pures et salutaires simplicité et droiture de la sagesse céleste, elle les a ou dédaignées ou entraînées vers la défense des erreurs de sa pensée et de ses opinions et elle les a diversement interprétées : d’où la diversité et la perversité des mœurs, des jugements, des disputes, des débats et de la vie se sont étendues sans mesure et sans fin.

Tam est difficile, προμηθείαν animi humani perducere ad agnitionem sanae et salutaris ueritatis, et in eius prosecutione retinere sub diuturna quadam consensione εὐδοκίας pacificae.

Il est si difficile de conduire l’industrie de l’esprit humain à la connaissance d’une vérité raisonnable et salutaire et de la retenir dans sa course en s’accordant durablement sur un moyen pacifique de la contenter.

Cuius rei haec etiam uidetur interdum esse causa quaedam, quod ista inquietior προμηθεία fere pollet iuuenili alacritate, qua nihil non audet, quiduis ad approbationem multitudinis imperitae efficit, omnem operam et industriam maiorum reddit rudem et imperfectam : praesentium uero senilem sobrietatem, quantamcunque illam, efficit deliram, odiosam et deridendam : quae est ipsa Homerica illa Ate, cuius iuueniles conatus pone sequentes Litae seniles, nunquam satis possunt sanare.

Et la raison en est que cette industrie sans repos tient son pouvoir de la vitalité de la jeunesse, qui nous fait oser tout ce qui permet l’approbation de la foule ignorante, qui rend l’œuvre et l’activité des ancêtres grossières et imparfaites et la mesure des vieillards d’aujourd’hui, quelle qu’elle soit, folle, odieuse et ridicule : c’est cette folie homérique, dont les prières des vieillards, abandonnés loin derrière, ne peuvent jamais assez tempérer les entreprises juvéniles.

Sed sum longior, quod facit amplitudo argumenti huius : et quia utile puto, aliquo modo declarari περιεργίαν προμηθείας humanae, quae ubique gliscit et ex impulsu et praetextu φιλανθρωπίας suae in omnibus λεωργῶς σοφίζεται καὶ πραγματεύεται ad res uitae efficiendas meliores : tum uero ut considerari queat, quae prisci de isto specioso, plausibili et grato in natura humana malo animaduerterunt, et expresserunt.

Mais je suis trop long en raison de l’ampleur de cet argument et parce que je pense utile de faire voir d’une certaine manière la curiosité de l’industrie humaine, qui se développe partout et qui à l’instigation et sous le prétexte de sa philanthropie use avec audace de sophismes et de moyens frauduleux pour engendrer de meilleures productions pour la vie, mais aussi pour qu’on puisse considérer ce que les Anciens ont pensé et ont fait voir de ce mal brillant, louable et agréable dans la nature humaine.

Quod certe magnum deprehendetur, si tantum in hac fabula perpendetur aliquanto diligentius et ad illa quae passim in communi uita eueniunt accommodabitur, nec inde non cuiusque intelligentioris obseruatio talium rerum efficietur expeditior et certior.

Et sans doute on le saisira pleinement, si seulement on le pèse plus attentivement dans cette pièce et si on l’applique sur ce qui advient partout dans la vie commune et si, de là, l’observation des affaires de ce genre par un lecteur assez éclairé devient plus facile et plus assurée.

Ego in ista mea explicatione fabulae huius, fere quas hoc tempore putaui proferendas cogitationes de isto argumento, exposui interdum satis fuse et plane.

Moi, j’ai exposé dans mon explication de cette pièce assez librement et complètement presque toutes les réflexions que j’ai pensé devoir mettre en lumière concernant ce sujet.

Eae si non uidebuntur aberrare a scopo, bene erit : sin minus, licebit cuique doctiori proferre aptiores.

Et si elles ne semblent pas s’éloigner de l’objectif, ce sera bien ; sinon, il sera possible à n’importe quel homme plus savant d’en mettre en lumière de plus appropriées.

Ad quod ut hae meae nullo alio sint commodaturae, ansam tamen fortasse quandam praebebunt illis qui habebunt meliores, ut eas pro sua προμηθείᾳ nolint apud se retinere.

En admettant que pour ce faire mes réflexions ne servent qu’à cela, elles fourniront cependant peut-être quelque point d’accroche à ceux qui en auront de meilleures, sans se refuser à les retenir par devers soi en raison de leur industrie.

Hanc autem meam qualemcunque operam in fabulae huius interpretationem locatam, tibi ante omnes alios praestantissimo D. Hieronyme Bomgartnere adscribere uolui : cui animum gratum debeo usque ab adolescentia mea, pro tua pia benignitate tum large in subleuationem egestatis meae usurpata : quam ego quidem semper in memoria retinui, sed non perinde etiam declaratione quadam gratitudinis meae prosequi potui, ut nunc, cum hoc Poetae antiquissimi scriptum grauissimum edendum esset.

D’autre part, c’est à toi, excellent seigneur Hieronymus Baumgartner, que j’ai en premier lieu souhaité dédier ce travail, quelle que soit sa qualité, placé dans la traduction de cette pièce ; je te suis obligé depuis mon jeune âge en raison de la pieuse bonté dont tu as si largement fait preuve pour soulager mon dénuement ; moi, je l’ai toujours gardée en mémoire, mais je n’ai pas pu l’accompagner d’une preuve de ma gratitude ainsi que je le fais maintenant, alors qu’il faut faire paraître l’écrit si grave de ce poète si ancien.

Id enim tandem oblatum est, quod uideretur tua in primis praestantia dignum, qui et tenes linguam utramque et prudentia atque usu rerum excellis ut et cupias et possis talia cum iudicio et uoluptate quadam legere.

En effet, j’ai enfin fait un présent qui puisse sembler digne de ton excellence, à toi qui pratiques le grec et le latin et qui brilles par ta sagesse et ton expérience, si bien que tu souhaites et peux lire de tels écrits avec réflexion et plaisir.

Vt autem tuae praestanti sapientiae ad aciem mentis acerrimam et excultae omni genere liberalis piaeque doctrinae et exercitatae functionibus grauissimis in Republica amplissima, nihil deesse possit ad haec et similia contemplanda in natura humana et uitae cursu, iuuabit tamen fortasse interdum, cum quid ocii dabitur a tuis occupationibus, haec etiam intueri, quae sunt sapientissime tradita ad effigiem accuratam de nimia et non ita utili industria mentis humanae, nunquam sine omni cohibitione quiescentis in rebus uitae omnibus promouendis ad formam et usum meliorem.

D’autre part, bien que, pour observer ces choses et de semblables dans la nature humaine et dans le cours de l’existence, rien ne puisse faire défaut à ton excellente sagesse, perfectionnée par tous les genres de doctrines libérales et pieuses et entraînée à l’exercice d’une pensée perspicace par les fonctions les plus importantes que tu exerces au sein d’un état très riche, cependant cette œuvre t’y aidera peut-être, lorsque tes occupations te laisseront un moment pour observer également ce qui a été transmis si sagement pour donner une image précise de l’activité excessive et inutile de la pensée humaine, qui, si elle n’est pas contenue, ne se repose jamais lorsqu’il s’agit d’améliorer la forme et l’usage de toutes les choses de l’existence.

Quae effigies tibi eo iucundior erit, quo tu eius plura exempla quotidie ob oculos habes uel in tua tantum Republica ubi sunt haud dubie satis multa huiusmodi industriae mentis humanae publica et priuata certamina in omni genere ordinum, functionum, negotiorum, artium, professionum et ingeniorum.

Et cette image te sera d’autant plus agréable, que tu en a sous les yeux chaque jour d’assez nombreux exemples dans cet état où il y a sans doute d’assez nombreux conflits publics et privés de cette sorte d’activité de la pensée humaine dans tous les genres de groupes humains, de fonctions, d’affaires, de savoir-faire, de professions et d’esprits.

Sed tibi in sublimi gradu dignitatis, administrationis et sapientiae constituto, illae quae in communi Republica et omnibus Imperii partibus exundant conflictationes προμηθείας humanae, non possunt non etiam quotidie in obtutu esse : ad cuius et ipsius προμηθείας, tuam non ἀλαοσκοπίαν, sed acutissimam considerationem, haec ingeniosissima ὑποτύπωσις, si non sapientiam tuam confirmabit et excitabit, at certe sua quadam subiectione oblectabit.

Dans la hauteur où tu te trouves de dignité, de responsabilités et de sagesse, ces conflits de l’industrie des hommes qui abondent dans l’état et dans toutes les parties de l’Empire ne peuvent pas chaque jour échapper à ton regard : cette ébauche si ingénieuse, si elle ne confirme pas et n’excite pas ta sagesse, l’amusera certainement du moins par sa mise en œuvre, non pour que tu surveilles vainement cette industrie, mais pour que tu la considères plus précisément.

Sed ut te haec etiam nihil sint affectura, uel quia sunt ante perlecta et diuturna experientia et meditatione perspecta : uel quia aetas et occupationes non concedant ea inspicere : me tamen non paenitebit ad te misisse testificationem quandam animi mei erga te qui, ut dixi, et iam olim de me es optime meritus, et etiam nunc de me bene sentis, sicut mihi ornatissimus uir et illustrissimus uir peritissimus D. Iodocus Lorberus, saepe praedicauit tuum de me iudicium.

À supposer que ces réflexions ne t’apportent rien soit parce que tu les as déjà lues avant et envisagées avec ta longue expérience et ta réflexion, soit parce que l’époque et les occupations ne te permettent pas de les examiner, je ne regretterai pas de t’avoir envoyé un témoignage de ma disposition envers toi qui, comme je l’ai dit, m’as déjà rendu d’excellents services et qui maintenant encore es bien disposé envers moi, ainsi que le seigneur Jodocus Lorberus, un homme tout à fait excellent, illustre et savant m’a rapporté souvent ton jugement à mon sujet.

Quo tametsi ego me non dignum esse agnoscam, tamen amplector illud animo gratissimo, quia est tuum : cui ego probari cupio, ut uiro optimo, et sapientissimo : quem ego etiam adolescens suspiciebam, ut uirum omni uirtute eminentem : postea autem quam coepi aliquanto certius iudicium habere de moribus hominum, te semper, quoties tui mentio fieret, comparabam cum Amphiarao illo, quem olim ut numen fama Graeciae celebrauit : qui

Moi, bien que je perçoive que je n’en suis pas digne, je l’accepte cependant avec une immense gratitude, parce que c’est le tien ; moi, je souhaite me faire approuver de ce jugement comme d’un homme excellent et très sage et je l’estimais déjà alors que j’étais encore jeune homme comme un homme remarquable par sa vertu ; d’autre part, après que j’ai commencé a avoir un jugement plus assuré sur les mœurs des hommes, je t’ai toujours comparé, chaque fois qu’on faisait mention de toi, à cet Amphiaraus, que jadis la divinité a célébré par la voix de la Grèce, lui qui

οὔτοι δοκεῖν ἄριστος ἀλλ᾿ εἶναι θέλει, βαθεῖαν ἄλοκα διὰ φρενὸς καρπούμενος, ἐξ ἧς τὰ κεδνὰ βλαστάνει βουλεύματα. 25

« ne désire pas l'apparence de l'excellence mais la réalité, récoltant dans son esprit un sillon profond d’où poussent les bons conseils ».

Et ex animo gratulabar Reipublicae tuae, quae tanti uiri consiliis fulciretur : non ignarus ex omni antiquitate et praecipue ex hisce Philonis uerbis quantum unius uirtus posset non solum in familia, sed et ciuitate tota.

Et j’adresse mes sincères félicitations à ton état, parce qu’il est soutenu par les conseils d’un si grand homme, car je n’ignore pas, ainsi que nous l’a transmis toute l’antiquité et surtout les mots de Philon, tout ce que la vertu d’un seul homme peut non seulement sur sa famille mais aussi sur sa cité tout entière.

ἔγωγ’ οὖν ὅταν τινὰ τῶν σπουδαίων διαιτώμενον κατ’ οἰκίαν ἢ κατὰ πόλιν θεάσωμαι, τὴν οἰκίαν ἢ τὴν πόλιν ἐκείνην εὐδαιμονίζω καὶ οἴομαι τήν τε τῶν παρόντων ἀγαθῶν ἀπόλαυσιν βέβαιον καὶ τὴν τῶν ἀπόντων προσδοκίαν τελεσφορουμένην σχήσειν, τοῦ θεοῦ τὸν ἀπεριόριστον καὶ ἀπερίγραφον πλοῦτον αὑτοῦ διὰ τοὺς ἀξίους καὶ τοῖς ἀναξίοις δωρουμένου· καὶ εὔχομαι ὡς πολυχρονιωτάτους αὐτούς, ἐπειδὴ ἀγήρως οὐκ ἔνεστι, γενέσθαι, νομίζων ἐπὶ τοσοῦτον παραμένειν ἀνθρώποις τὰ ἀγαθά, ἐφ’ ὅσον ἂν οὗτοι χρόνον ζῆν ¦ δυνηθῶσιν. ὅταν οὖν ἢ ἴδω ἢ ἀκούσω τινὰ αὐτῶν τεθνεῶτα, σφόδρα κατηφῶ καὶ ἄχθομαι καὶ οὐ μᾶλλον αὐτοὺς ἢ τοὺς ζῶντας ὀλοφύρομαι· τοῖς μὲν γὰρ ἀκολουθίᾳ φύσεως τὸ ἀναγκαῖον ἀποβῆναι τέλος, βίον μὲν εὐδαίμονα εὐκλεᾶ δὲ θάνατον ἐνδεξαμένοις, τοὺς δὲ ἐρήμους μεγάλης καὶ δυνατῆς χειρός, δι’ ἣν ἐσῴζοντο, ἀπολειφθέντας ταχὺ δὴ μάλα τῶν ἰδίων αἰσθήσεσθαι κακῶν, εἰ μὴ πάλιν ἀντὶ τῶν προτέρων ἡ φύσις ὥσπερ δένδρῳ τοὺς ἤδη πεπανθέντας καρποὺς ἀποβάλλοντι νέους ἑτέρους ἀναβλαστῆσαι παρασκευάσει πρὸς τροφὴν καὶ ἀπόλαυσιν τῶν χρῆσθαι δυναμένων. 26

ἔγωγ’ οὖν ὅταν τινὰ τῶν σπουδαίων διαιτώμενον κατ’ οἰκίαν ἢ κατὰ πόλιν θεάσωμαι, τὴν οἰκίαν ἢ τὴν πόλιν ἐκείνην εὐδαιμονίζω καὶ οἴομαι τήν τε τῶν παρόντων ἀγαθῶν ἀπόλαυσιν βέβαιον καὶ τὴν τῶν ἀπόντων προσδοκίαν τελεσφορουμένην σχήσειν, τοῦ θεοῦ τὸν ἀπεριόριστον καὶ ἀπερίγραφον πλοῦτον αὑτοῦ διὰ τοὺς ἀξίους καὶ τοῖς ἀναξίοις δωρουμένου· καὶ εὔχομαι ὡς πολυχρονιωτάτους αὐτούς, ἐπειδὴ ἀγήρως οὐκ ἔνεστι, γενέσθαι, νομίζων ἐπὶ τοσοῦτον παραμένειν ἀνθρώποις τὰ ἀγαθά, ἐφ’ ὅσον ἂν οὗτοι χρόνον ζῆν ¦ δυνηθῶσιν. ὅταν οὖν ἢ ἴδω ἢ ἀκούσω τινὰ αὐτῶν τεθνεῶτα, σφόδρα κατηφῶ καὶ ἄχθομαι καὶ οὐ μᾶλλον αὐτοὺς ἢ τοὺς ζῶντας ὀλοφύρομαι· τοῖς μὲν γὰρ ἀκολουθίᾳ φύσεως τὸ ἀναγκαῖον ἀποβῆναι τέλος, βίον μὲν εὐδαίμονα εὐκλεᾶ δὲ θάνατον ἐνδεξαμένοις, τοὺς δὲ ἐρήμους μεγάλης καὶ δυνατῆς χειρός, δι’ ἣν ἐσῴζοντο, ἀπολειφθέντας ταχὺ δὴ μάλα τῶν ἰδίων αἰσθήσεσθαι κακῶν, εἰ μὴ πάλιν ἀντὶ τῶν προτέρων ἡ φύσις ὥσπερ δένδρῳ τοὺς ἤδη πεπανθέντας καρποὺς ἀποβάλλοντι νέους ἑτέρους ἀναβλαστῆσαι παρασκευάσει πρὸς τροφὴν καὶ ἀπόλαυσιν τῶν χρῆσθαι δυναμένων.

Hoc est : Ego igitur quando uideo aliquem bonum et uirtute praestantem uirum degere in familia aut ciuitate, familiam et ciuitatem illam uoco beatam, et iudico eam et praesentium bonorum usum firmum et absentium expectationem certam habituram ex benignitate Dei, qui suas infinitas et indeterminatas diuitias per dignos etiam indignis largitur : et precor, tales bonos uiros, quoniam sine senectute esse non possunt, uitam quam longissimam consequi, ex hac persuasione, quia arbitror tantisper hominibus permanere bona, dum isti uiuere possint. Quando uero uideo aut audio horum aliquem mortuum, ualde perturbor et doleo, et non magis ipsos quam uiuentes deploro, quia illis ordine naturae contigit necessarius finis per declarationem suae et uitae beatae et mortis gloriosae. Hi autem relicti sine magna et potenti manu, qua seruabantur, breui admodum sint sensuri propria mala, nisi rursus natura pro prioribus, tanquam arbori maturos fructus amittenti, nouos alios efficiat repullulare, ad nutrimentum et iucundum usum eorum qui sciant uti. 27

C’est-à-dire : « Pour ma part, lorsque je vois un homme de bien et remarquable par sa vertu vivant dans une famille ou dans une ville, je tiens cette famille ou cette ville pour heureuse et je crois que la jouissance de leurs bienfaits actuels durera, et que leurs espoirs pour ceux qui manquent encore se réaliseront grâce à la bonté de Dieu, qui, pour le bien des hommes dignes, dispense également aux hommes indignes ses richesses infinies et sans limites. Et je prie pour que, parce qu'ils ne peuvent échapper à la vieillesse, ces hommes voient leurs vies prolongées autant que possible, parce que je pense que, tant qu'ils vivront, la communauté se portera bien. Aussi, lorsque je vois ou entends que l'un d'entre eux est mort, mon cœur est triste et lourd et je les pleure moins que les vivants, parce que les défunts ont atteint, selon le cours normal de la nature, la fin que nous devons tous atteindre en vivant dans le bonheur et en mourant dans l'honneur. Quant aux survivants, privés du bras puissant et protecteur qui leur a apporté la sécurité, ils ne tarderont pas à ressentir les malheurs qui leur sont propres, à moins que la nature ne suscite de nouveaux protecteurs pour remplacer les anciens, comme pour l'arbre qui perd ses fruits mûrs, pour donner subsistance et plaisir à ceux qui peuvent les cueillir. »

Hunc locum integrum adducere uolui, ut et meum de te iudicium confirmarem : et subindicarem, unde fere status et bene et male habeant : tum uero, ex quorum uirorum penuria uideantur praesentia tempora abundare dissensionibus.

J’ai voulu produire ce passage en entier, pour confirmer mon jugement à ton propos et pour donner à entendre les causes des bonnes et des mauvaises situations, mais aussi à cause du manque d’homme de quelle trempe les conflits semblent pulluler à notre époque.

Ad quas profecto sedandas optandi essent piorum uotis, plures tui similes σπουδαῖοι et sobrii, quorum auctoritate compesceretur aliquousque αὐθάδεια praesentium ἰδιογνωμοσυνῶν quarum ποικιλοδοκία non potest facile intellegentioribus spem quamdan praebere concordiae et tranquillitatis.

Pour apaiser ces conflits, les vœux des hommes pieux devraient souhaiter nombre d’hommes semblables à toi, vertueux et modérés, par l’autorité desquels l’insolence des obstinations actuelles serait contenue jusqu’à un certain point, elles dont la diversité des opinions ne peut facilement fournir aux gens assez sages un espoir de concorde et de tranquillité.

Ego quidem propter hoc ipsum etiam has meas cogitationes, qualescunque illas, ἀφιλονείκους certe, ad te mittere uolui : ut tuum uere cordatum iudicium, quo solo eas aestimari cupio, subirent : et ex eo reliquae meae uel sopirentur, uel expergefierent.

Pour ma part, j’ai voulu aussi t’envoyer mes réflexions, qui, quelle que soit leur qualité, sont au moins apaisées, pour qu’elles s’insinuent dans ton esprit avisé, dont je veux qu’il soit leur seul juge et pour qu’ensuite mes autres réflexions ou soient mises en sommeil ou soient éveillées.

In quo tu mihi pro tua excellenti uirtute, et solita humanitate non deeris : et haec mea existimabis, quo dixi, optimo animo, ad te scribi.

Sur ce point, toi, tu ne me feras pas défaut en raison de ton exceptionnelle vertu et de ton humanité habituelle et tu penseras que ces écrits t’ont été adressés, comme je l’ai dit, avec la plus grande dévotion.

Vale quam optime, cum omnibus tuis, in Christo Domino nostro, gubernante te in omnibus consiliis et conatibus tuis, per suam caelestem προμηθείαν.

Portez-vous le mieux possible toi et tous tes proches, dans le Christ notre Seigneur qui te guide dans toutes tes résolutions et tes entreprises au travers de son industrie céleste.


1. Les Argonautica des Hymnes orphiques, attribués donc à Orphée, citent le nom de Πανδώρη au vers 982.
2. Paul, Cor. 15.33.
3. Paul, Tit. 1. 12.
4. Paul, Act. 17.28.
5. Virg., B. 3.60.
6. Paul, Act. 17.28.
7. Aug., Civ. 14.28.1.
8. Phil., Sur les vertus 51.
9. Phil., Sur les vertus 51.
10. Phil., Sur les vertus 51.
11. Paul, Rom. 19.
12. Hor., Ep. 1.2.3-4.
13. Hor., Ep. 1.2.8.
14. Hor., Ep. 1.2.15-16.
15. Hor., Ep. 1.2.14 et 17-18.
16. En grec προμήθεια, le long développement qui sur l'activité et l'industrie humaine entre donc en résonnance avec le nom du personage éponyme de la pièce.
17. Hes., O. 25.
18. Hes., O. 40-41.
19. Hes., O. 101.
20. Hes., O. 58.
21. Hes., O. 89.
22. La phrase latine, au même titre que la traduction française, présente un problème de construction syntaxique.
23. Le jeu de mots sur ἀφθονία καρπῶν et ἀφορία φρενῶν vient de Xénophon, Banquet, 4, 55.
24. Phil., De opificio mundi 71.
25. Eschl., Sept. 592-594. On édite d’ordinaire, aux premiers mots, οὐ γὰρ δοκεῖν ἄριστος etc.
26. Phil., De sacrificiis Abelis et Caini 124-125.
27. Phil., De sacrificiis Abelis et Caini 124-125.