Présentation du paratexte
Édition posthume d’Eschyle imprimée en 1580, cinq ans après la mort du jeune érudit disparu prématurément ; mais l’ouvrage avait été approuvé dès 1570 par Thomas Gozeus. Canter a édité les trois tragiques chez Christophe Plantin.
Chacune de ses éditions s’ouvre sur une dédicace en grec puis des prolégomènes rédigés en latin, les arguments des pièces du volume en un vers latin, des épigrammes sur le poète ; viennent ensuite, toujours en grec, la vie du poète, la liste de ses pièces puis le texte grec de chacune des tragédies, précédé de l’argument en grec. Les vers employés sont indiqués en majuscules grecques dans le texte (ΙΑΜΒΟΙ, ΑΝΑΠΑΙΣΤΟΙ), ainsi que les antistrophes et monostrophes (ΑΝΤΙΣΤΡΟΦΙΚΑ, ΜΟΝΟΣΤΡΟΦΙΚΑ); en minuscules sont précisées l’alternance des strophes, antistrophes, les anapestes, les odes et épodes. En marge, des manicules pointent vers les sentences.
S’appuyant sur le Manuel d'Héphestion, Canter distingue les séries de vers semblables (série d’iambes, d’anapestes), les séries de vers dissemblables, qui peuvent être monostrophiques (qui combinent des mètres différents assemblés sans aucune règle apparente), ou alloiostrophiques ou systèma quand il y a peu de vers. Une troisième catégorie est constituée des séries de vers antistrophiques, où strophe et antistrophe se répondent, des séries épodiques, composées de deux strophes semblables et d’une strophe différente, et les perikommata, où deux séries de strophes dissemblables correspondent entre elles. (Mund-Döpchie 1989)
Le texte est suivi de brèves notes philologiques sur chacune des tragédies (« videtur scribendum… », « malim… », « puto Aeschylum scripsisse… ») qui renvoient régulièrement aux Novae lectiones (« Emendauimus hunc locum Novarum Lection. Lib. I »). Ses sources sont multiples ; il pratique des parallèles avec les autres tragiques, renvoie à La Souda mais aussi à Dorat (Agamemnon, note 20 p.347 « Assentior Ioan. Aurato… »), Henri Estienne (p.354 note 9 « Assentior H. Stephano »).
Parvenu aux Choéphores, il signale que le prologue, absent des manuscrits, se trouve dans les Grenouilles d’Aristophane et le restitue, ainsi qu’un argument en grec et la liste des personnages. Viennent enfin les sentences qu’il a rassemblées ainsi que celles rassemblées par Stobée, traduites en vers latins.
Conformément à l’usage établi, les tragédies d’Eschyle se succèdent dans l’ordre suivant : Prométhée, Les Sept, Les Perses, Agamemnon, les Euménides (qu’il traduit en latin par Dirae), les Choéphores, les Suppliantes, le Jugement des armes, Karès. Son apport concerne l’identification des mètres (iambes, anapestes) et de la structure métrique des chœurs. Il ne semble pas s’être servis de manuscrits, ses corrections sont ope ingenii et s’appuient sur des parallèles avec d’autres auteurs grecs. Il utilise, comme pour les autres tragiques, l’édition de référence : pour Eschyle, Vettori-Estienne (1557), la première à présenter le texte complet de l’Agamemnon. (Mund-Döpchie, La survie d'Eschyle à la Renaissance, 1984, 124-149). Il corrige en s’autorisant de la métrique, de la paléographie à laquelle il a consacré un manuel, et du sens. Mais pour les tragiques il ne disposait pas de manuscrits. Son grand apport consiste à avoir fait connaître la composition chorale. Son édition sera utilisée par Thomas Stanley en 1663.
Bibliographie :-
GRUYS J. A. date The early printed editions pubPlace (voir notamment p. 113-119). -
MUND-DOPCHIE M. date, « Guillaume Canter, éditeur d'Eschyle », dans Album Charles Verlinden, pubPlace p. 233-245. -
MUND-DOPCHIE M. date, « Histoire du texte d'Eschyle à la Renaissance : mise au point préliminaire », L'antiquité classique, 46, 1, p. 169-179. -
MUND-DOPCHIE M. date, La survie d’Eschyle à la Renaissance¸ pubPlace (notamment p. 239-261) -
MUND-DOPCHIE M . date, « Les éditions plantiniennes des Tragiques grecs par G. Canterus », dans Ex Officina Plantiniana: Studia in memoriam Christophori Plantini, M. De Schepper et F. De Nave, pubPlace, p. 491-504. -
TESSIER A. date, Iter responsionis. Le dedicatorie e le praefazioni ai tragici di Tournebus e Canter pubPlace.
Gulielmi Canteri in Aeschylum Prolegomena
Prolégomènes à Eschyle de Guillaume Canter
Quod in duobus prioribus tragicis fecimus, studiose lector, ut, quoniam erant a nobis duo quaedam in illis praestita, de utroque singillatim diceremus ; idem in hoc postremo nequaquam negligendum putamus, sed eodem pacto, quod ad utrumque pertinet, explicandum.
Sur les deux précédents Tragiques, lecteur studieux, nous avons fait en sorte de parler séparément, puisque nous avons commis deux ouvrages sur eux1 ; nous pensons qu’il ne faut nullement négliger cette méthode sur le dernier mais qu’il faut expliquer de la même manière que celle qui convient aux deux autres.
Primum igitur carminum rationem omnium in Aeschylo, magis quam in Sophocle aut Euripide perturbatam, sic, in integrum restituimus, ut ex difficillima et obscuissima facillimam eam et apertissimam reddiderimus.
C’est pourquoi nous avons d’abord restitué dans l’état d’origine l’ensemble de la structure métrique chez Eschyle2, plus confuse que chez Sophocle ou Euripide : nous l’avons rendue très facile à comprendre et très claire alors qu’elle était tout à fait difficile et obscure.
Id autem eo nobis grauimus fuisse credendum est, quod omnia fere nobis nostro Marte fuerunt indaganda, postquam a Grammaticis parum erat subsidii relictum.
Et croyez bien que cela nous a été d’autant plus difficile que nous avons dû presque tout chercher avec nos propres armes, les grammairiens ne nous ayant fourni que peu de secours.
Nam quantum sit illis hac in re tribuendum, ex iis quae in Sophoclem sumus et Euripidem praefati, facile potest intelligi.
En effet, on peut facilement saisir l’étendue de leur contribution sur ce sujet d’après ce que nous avons dit en préface de Sophocle et Euripide.3
Verumtamen cum in Euripide totam fere rem metricam, quae tragicis est in usu, non indiligenter cognouissemus, eandemque post in Sophocle confirmatam reddidissemus ; non paulo fuimus ad hanc ipsam in Aeschylo eruendam facti alacriores, cum iisdem uestigiis, quae nos in duobus illis ubique direxerant, in hoc etiam nunc insistendum putaremus.
Toutefois, puisque chez Euripide nous avions fait connaître scrupuleusement presque toute la métrique qu’utilisent les tragiques et qu’ensuite nous l’avions confirmée chez Sophocle, nous n’avons pas mis moins d’entrain à la mettre en lumière chez Eschyle, puisque nous pensons qu’il faut maintenant suivre en ce qui le concerne les mêmes traces qui nous avaient partout guidé dans l’étude des deux précédents.
Quocirca methodum heic quoque solitam secuti, consuetis carminm nominibus usi sumus, quanquam paucioribus : quandoquidem nec Ἀνομοιόστροφα, nisi semel, ut ante monui ; nec usquam Περικόμματα Aeschylus attigit.
Par conséquent, suivant ici aussi notre méthode habituelle, nous avons utilisé les noms que nous avons ordinairement donnés aux parties chantées4, mais en moindre nombre, puisque ni les anoméostrophes5 (sauf une fois, comme je l’ai rappelé déjà)6 ni les pericommata7 n’ont nulle part été utilisés par Eschyle.
Quare cum tota fere huius poetae metiendi difficultas in antistrophicis consistat ; quemadmodum in Sophocle pericommatum uarietatem, quibus ille plurimum utitur, enarrauimus, ita hoc in tragico diuersitatem antistrophicorum breuiter significabimus.
Aussi, puisque toute la difficulté de métrique chez ce poète se concentre dans les antistrophes, de même que nous avons, chez Sophocle, détaillé la variété des pericommata, qu’il utilise abondamment, de même chez Eschyle nous signalerons brièvement la variété des antistrophes chez ce tragique, de la même manière que nous avons, chez Sophocle, détaillé la variété des pericommata, poèmes qu’il pratique le plus souvent
Cum igitur antistrophica esse in Euripidem dixerimus, quando strophis antistrophae responden, hoc tametsi plerumque eo fiat ordine, singulis ut strophis sua statim subiungatur antistrophe ; nonnumquam tamen eum tragici seruant modum, ut post aliquot strophas ordine posita demum respondentes singulis antistrophas subiiciant.
Nous avons donc dit qu’il y avait pour Euripide des poèmes antistrophiques lorsque les antistrophes répondent aux strophes ; bien que cet ordre soit le plus fréquent de sorte que l’antistrophe est placée immédiatement sous la strophe correspondante, les Tragiques procèdent cependant quelquefois comme suit : après plusieurs strophes placées dans l’ordre ils placent à la suite les antistrophes qui répondent à chacune des strophes.
Id ab Aeschylo semel Agamemnone, ab Euripide bis factum est, Oreste et Electra ; ter a Sophocle, Aiace, Electra et Philoctete : quae quoniam suis in tragoediis non incommode singula considerari poterunt, heic latius exponenda non uidentur.
Cela, Eschyle l’a fait une seule fois dans Agamemnon8, Euripide deux fois (dans Oreste9 et Electre10), Sophocle trois fois (Ajax11, Electre12 et Philoctète13) ; mais puisque les détails pourront se voir dans leurs tragédies, il n’a pas paru utile d’en dire plus long ici.
Ceterum illud quoque obseruandum est, solere etiam poetas hos singulis strophis atque antistrophis alicubi Anapaestos aliquot subiungere, seruato nihilominus recto illarum ordine.
Du reste, il faut aussi remarquer que ces poètes ont également l’habitude de placer parfois quelques anapestes sous chaque strophe et chaque antistrophe, en conservant néanmoins leur ordre régulier.
Hoc Euripides bis fecit, Alcestide ac Rheso ; Sophocles quinquies, Aiace, Antigone bis, Oedipo posteriore, ac Philoctete ; Aeschylus ter, Prometheo, Agamemnone, Diris.
Euripide a fait cela deux fois, dans Alceste14 et Rhésos15 ; Sophocle cinq fois, dans Ajax16 , deux fois dans Antigone17, dans son second Œdipe18 et dans Philoctète19 ; Eschyle trois fois, dans Prométhée20, Agamemnon21 et les Furies22.
Sed et pro Anapaestis nonnumquam paucos iambos usurpant, id quod Aeschylo prae ceteris est familiare.
Mais parfois ils emploient également quelques iambes à la place des anapestes : Eschyle est coutumier du fait et, après lui, le reste des poètes.
Nam inter stropham et antistropham interdum plures iambos interiicere, omnibus est aeque commune.
En effet, placer plusieurs iambes entre une strophe et une antistrophe est une pratique commune et tout autant répandue chez tous les poètes.
Facit hoc Euripides Hippolyto et Rheso : facit Sophocles Oedipo posteriore et Philoctete ; facit Aeschylus Septem ducibus et Agamemnone.
Euripide le fait dans Hippolyte23 et Rhésos24 ; Sophocle dans son second Œdipe25 et Philoctète26 ; Eschyle dans Les Sept Chefs27 et dans Agamemnon28.
Quin etiam saepe hoc idem Aristophanes facit, qui priores etiam duas uarietates proximas non raro usurpat : quod aliquando latius fortasse, si quando ad ipsum quoque a nobis deuentum erit, exponemus.
D’ailleurs, le même procédé est souvent employé par Aristophane, qui met fréquemment en œuvre les deux variations précédentes de manière très rapprochée29: nous nous étendrons peut-être sur ce point si nous en venons à évoquer ce phénomène30.
Et quoniam haec uidentur hac de re nunc posse sufficere, ad alteram dicendorum partem progredimur.
Et puisque ce que nous avons dit sur ce sujet semble pouvoir suffire, nous en venons à la seconde partie de notre propos.
Etenim quemadmodum in Sophocle et Euripide permulta menda nuper sustulimus, ita non paucis nunc Aeschylum liberauimus : ut omittam et cuiusdam tragoediae initium a nobis esse huic poetae restitutum, et sex in Supplicibus uersus, qui hactenus desiderati fuerunt, additos.
En effet, de même que nous avons soulevé précédemment de nombreuses erreurs chez Sophocle et Euripide, nous en avons ici enlevé beaucoup chez Eschyle, sans parler du fait que nous ayons restitué pour ce poète le début d’une tragédie et ayons ajouté six vers qui manquaient jusqu’à présent dans les Suppliantes31.
Ad hanc porro castigationem praecipuum nobis contulit adiumentum, partim ingenii nostri coniectura, longa dilligentique lectione et obseruatione confirmata, partim carminum ratio comperta et examinata.
Ce qui nous a apporté une aide essentielle pour ces corrections, ce sont d’une part des conjectures toutes personnelles mais confirmées par une lecture et une attention patientes et consciencieuses et d’autre part une le soutien et l’examen de la structure métrique.
Quod etiam utrumque nos in uariis lectionibus comparandis, et earum optima quaque usurpanda permultum iuuit : quemadmodum eius ante nos paenuria quosdam in errores non leues compulerat.
Ces deux éléments nous sont d’un immense secours dans la comparaison des différentes leçons et nous aident à choisir la meilleure d’entre elles alors qu’avant nous leur absence avait poussé certains à faire des erreurs importantes.
Veruntamen quaedam sunt a nobis perdifficilia loca tanquam pro derelictis habita, et asteriscis, ut et in Euripide factum est, signata : quorum qui nos restitutionem posceret, rem ualde iniquam postularet.
Toutefois, nous avons considéré certains passages très difficiles comme des loci desperati et les avons signalés, comme nous l’avons fait également chez Euripide, par des astérisques32 ; si l’on nous demandait de les restituer, on nous ferait assurément une demande injuste.
Nos uero, cum fatis probe hactenus munere nostro functi uideamur, heic in praesentia statuimus interquiescere ; et post restitutos a nobis, quantum eius fieri potuit, Graecos tres tragicos, poetas praestantissimos, ad eorundem Latinam interpretationem nos conuertere, eamque omnibus partibus elaboratam et accuratam studiosis dare.
Quant à nous, comme il nous semble avoir assez bien rempli notre mission, pour l’heure nous décidons de faire une pause, puis, après avoir restitué dans la mesure du possible les trois tragiques grecs, poètes considérables, de nous tourner vers leur traduction en latin et de la donner, quand elle sera faite et soignée, à tous les savants33.