Ad illustrissimum DN. Vlricum ducem Megap., principem Vandalorum, Comitem Suerinensem, prouinciarum Rostochianae et Stargardensis Dominum. Prooemium Ioannis Caselii.
Ioannes Caselius

Présentation du paratexte

Ce prooemium est adressé par Johannes Caselius à Ulricus de Mecklembourg parle essentiellement des raisons pour lesquelles les érudits envoient et dédient d’ordinaire leurs ouvrages aux rois.

Caselius souligne que tout le monde s’accorde sur l’utilité de la pratique de la dédicace (§1-2), pour cette raison d’abord que les rois travaillent à prodiguer à leurs peuples petits et grands bienfaits et notamment la conservation et la production des lettres et du savoir (§3-8). D’autres raisons viennent s’ajouter (§9-24) : on forme les princes, par les écrits, à l’exercice du pouvoir (§10-18) ; en adressant ses écrits à un roi, l’homme de bien se prémunit des critiques (§19-24). Après un bref rappel de la raison principale de la pratique de la dédicace (§26-27) commence une recommandation de son destinateur par Caselius (§28-36) et une recommandation de l’ouvrage pour la formation d’un roi (§37-51). Suit en dernier lieu une ultime recommandation et un dernier éloge d’Ulricus, une attaque des faux émissaires de la sagesse et de l’enseignement, et des remarques sur les devoirs des roi (§52-61). L’épître se conclut par les habituelles formules d’adieu (§62-63).

Bibliographie :
Traduction : Sarah GAUCHER

Ad illustrissimum DN. Vlricum ducem Megap., principem Vandalorum, Comitem Suerinensem, prouinciarum Rostochianae et Stargardensis Dominum. Prooemium Ioannis Caselii.

Au très illustre seigneur Ulricus, maître de Mecklembourg, prince des Vandales, comte de Schwerin, seigneur des provinces de Rostock et Stargard. Introduction de Johannes Caselius.

Semper homines docti, iidemque boni uiri ad reges monumenta ingenii sui mittere soliti sunt.

De tout temps les savants et hommes de bien ont eu coutume d’envoyer aux rois les écrits façonnés par leur génie.

Id igitur recte fieri rerum aequus existimator non negabit ; ueram etiam, si quaeret, uidebit, et honestam huius facti causam ; quas ipse tamen plures esse censeo, quamuis harum una uideri possit communis omnibus.

Un juge équitable ne niera pas le bien-fondé de cette pratique ; s’il cherche, il en trouvera également la raison bonne et honnête ; pour ma part cependant, je pense qu’il y en a plusieurs, bien qu’on puisse considérer l’une d’entre elles comme commune à toutes.

Vestri enim cum sit, id est summi apud mortales ordinis, minima, maxima, populis uestris comparare commoda et bona, accepta profecto uobis ferre debemus omnia et omnium beneficiorum auctores amore, cultu et laudibus prosequi.

En effet, puisqu’il revient à votre rang, c’est-à-dire au plus haut rang parmi les mortels, de procurer à vos peuples les plus petits bienfaits comme les plus grands, les profits et les biens, nous devons assurément vous rendre tout ce que nous avons reçu de vous et honorer les auteurs des tous ces bienfaits d’affection, de révérence et de louanges.

Qui igitur ad uos tamquam ad patronos uirtutis et sapientiae, uigilias suas mittunt, minime sunt reprehendendi.

Ainsi, ceux qui vous envoient leurs travaux comme à des patrons de la vertu et de la sagesse, il ne faut nullement les blâmer.

Videntur enim non solum uos honore afficere, quibus quae habent, et homines habere possunt maxima et caelestes genii non repudiarent, dedicant, sed etiam tacite, siue uestri muneris admonere, si opus sit, siue, si opus fortasse non sit, in eo confirmare.

En effet, ils semblent non seulement vous honorer en vous consacrant ce qu’ils ont, à la fois ce que les mortels peuvent considérer comme les plus grandes réalisations et ce que ne mépriseraient pas les génies célestes, mais aussi rappeler en silence, s’il était besoin, votre office, ou bien, si d’aventure il n’en était nul besoin, vous y affermir.

Muneris enim regii non minima pars est, etsi a multis negligitur, a plurimis supine tractatur, omnium partium bonae doctrinae conseruatio : neque id tu ignoras, dux Vlrice, et praeclare te intellegere testatum reipsa facis.

En effet, une part non négligeable de l’office des rois, même si beaucoup la négligent et que la plupart s’en acquittent avec nonchalance, est la préservation d’un excellent savoir sur tous les sujets : et cela, toi tu ne l’ignores pas, duc Ulric, et tu fais dans les faits voir que tu le comprends parfaitement.

Non pateris enim iacere litteras, sed auctoritate eas tua, non minus quam sumptu subleuas, quando iubes in academia tua homines lectissimos et maxime idoneos ad docendum, omnes optimarum doctrinarum partes iuuentuti uirtutis et doctrinarum studiosae interpretari sedulo.

En effet, tu ne tolères pas que les lettres soient à l’abandon ; au contraire, tant par ton autorité que par tes subsides, tu les entretiens en ordonnant que dans ton académie l’élite de l’enseignement explique avec soin tous les sujets des meilleurs savoirs à une jeunesse avide de vertu et de savoirs.

Itaque si quod munus litterarium cui principum debetur, ut existimo ; tu nequaquam sis praetereundus, a nobis praesertim, qui tuo beneficio hic uitam hanc otiosam in perpetuis uigiliis et cum laboribus agimus, si qua hic nascantur luce non indigna, quibus etiam posteris, uel certe nostris modo adolescentibus consulatur.

C’est pourquoi si on doit quelque office littéraire à un prince, ainsi que je le pense, tu ne devrais nullement être oublié, surtout par nous qui menons ici, grâce à ton bienfait, une vie paisible dans des veilles perpétuelles et entouré de travaux, à condition que paraissent à la lumière des ouvrages dignes de veiller également aux intérêts des jeunes gens à venir ou au moins certainement de ceux de notre époque.

Ad hanc causam, quae profecto et honesta et magna satis est, accedunt aliae, quibus tamen aliqui nequaquam, alii recte uti possunt.

À cette raison, qui est assurément suffisamment honnête et importante, s’en s’ajoutent d’autres auxquelles certains cependant ne peuvent nullement recourir quand d’autres le peuvent à bon droit.

Nam profecto non cuiuslibet est hominis eruditi, reges monumentis suis ad uitam informare et ad imperium : quod fecerunt sine reprehensione bonorum praestantissimi uiri, qui sapientia siue sapientiae studio, (quoniam sapientem uere dici non posse unum quempiam mortalium sentiebant, sed sapientiae tamen sese deditos profitebantur, ut qui hoc unum, uel certe prae omnibus, agerent) neque hoc solo, uerum etiam uitae innocentia, et famam sibi et auctoritatem compararant.

Car assurément ce n’est pas le fait de n’importe quel homme de science que de former grâce à ses écrits les rois à l’existence et à l’exercice du pouvoir : et c’est sans encourir la critique des gens de bien que l’ont fait les hommes les plus éminents, qui par leur sagesse ou par leur étude de la sagesse1 (puisqu’il saisissaient qu’aucun homme ne peut véritablement être appelé sage, mais qu’il déclaraient cependant s’être voués à la sagesse puisqu’ils poursuivaient ce seul but ou certainement ce but avant tout autre), mais outre cela par l’intégrité de leur existence s’étaient assuré la renommée et l’autorité.

Plato ad Dionysium Syracusarum principem, quamuis tyrannum, sed inclinari tamen uisum ad regium statum, grauiter et accurate scripsit, ut ex tyranno regem, ex saeuo hero, mitissimum patrem efficeret : ad quem ipsum aliquoties iccirco uenisse accepimus, quamquam non profecit quantum optauerat quoniam, ut dicitur, mala mens, malus animus.

Platon, à Denys, prince des Syracusains, qui, bien que tyran, semblait cependant pencher vers le statut de roi, écrivit avec sérieux et justesse pour faire d’un tyran un roi, d’un terrible maître un père très doux : et nous savons que c’est pour cette raison qu’il l’avait quelquefois visité, bien qu’il n’y ait pas réussi autant qu’il l’avait souhaité puisque, comme on dit, « mauvaise pensée, mauvais esprit ».

Misit orationes, plenas consilii et saluberrimarum sapientiae praeceptionum, etiam Isocrates ad regem Cypri Nicoclem et ad Macedoniae regem illius aetatis potentissimum Philippum.

Isocrate également envoya des discours pleins de conseils et de préceptes de sagesse tout à fait salutaires à Nicoclès, roi de Chypre, et à Philippe de Macédoine, le roi le plus puissant de son temps.

Quid dicam de principe omnium ?

Que dire du premier de tous ?

Aristoteles enim Philippi filium non solum imbuit litteris regiis, sed et alumno huic suo alios libros emendauit, ut nominatim proditum est de Iliade, alios ipse composuit.

En effet, Aristote non seulement abreuva le fils de Philippe de lettres royales, mais corrigea aussi pour son élève certains livres, ce qui nous a été expressément transmis au sujet de l’Iliade, et en composa lui-même d’autres.

Summus item homo Seneca Neronem Caesarem et ore et libris erudiit, eiusque aestuantem saeuitiam, partim ratione, partim auctoritate sua sedauit, quoad mercedem Nero persolueret Senecae, quae maximis ipsius meritis minime responderet : cuiusmodi praemia ingratissimi quique primis mortalium generis εὐεργέταις ut plurimum persoluunt.

De même, Sénèque, le plus grand des hommes, éduqua l’empereur Néron par ses leçons et ses livres et calma sa fureur bouillonnante tant par sa raison que par son autorité, jusqu’à ce que Néron s’acquitte à Sénèque d’un salaire qui ne répondait nullement à ses immenses bienfaits : les plus ingrats individus s’acquittent généralement de récompenses de ce type aux premiers bienfaiteurs du genre humain.

Nominaui ex praestantium scriptorum ducibus paucos, quod plures in re clara producere non esse puto necessarium.

J’ai nommé quelques-uns de ces maîtres d’écrits remarquables, parce qu’il n’est pas nécessaire, je pense, d’en produire davantage dans une affaire entendue.

Aliis certe saeculis exstiterunt alii neque fere ulla aetas hoc genere caruit, nisi qua forte omnis lux litterarum penitus occidisset, et si harum cultum aliquem semper, uel in angustiis quibusdam fuisse libenter crediderim.

D’autres ont certainement existé en d’autres temps et presque aucune époque ne manque de ce genre d’hommes, à moins que d’aventure la lumière des lettres n’ait été profondément ensevelie, même si je crois volontiers qu’on leur a accordé toujours quelque soin même dans certains temps difficiles.

Verum neque hodie desint ueluti Nestores, homines doctissimi : atque ex iis iam aliqui uiam ostenderunt consulendi rebus paene collapsis imperii, sed qui et ualent in hac re plurimum et ita sunt animati minus audiuntur atque ab alio genere sophistarum exploduntur, quibus omnia calumniis et maledictis miscere in animo est ut aqua turbata anguillas ipsi capiant, quemadmodum dixit Graecus ille comicus, de tribunis quibusdam ciuitatis Atticae.

Mais aujourd’hui on ne manquerait pas non plus d’hommes tout à fait sages, tels des Nestor : et, parmi ces gens, certains ont déjà fait voir la route pour gouverner dans des situations presque désespérées, mais ceux qui en ce domaine sont les meilleurs et y sont prédisposés ne sont point écoutés et sont chassés par un autre genre de sophistes qui ont en tête de tout mêler de calomnies et d’insultes pour ramasser eux-mêmes les anguilles après avoir troublé l’eau, comme le dit ce célèbre comique grec au sujet de certains tribuns de la cité attique.

Superest altera ex priuatis causis.

Il demeure l’autre raison, d’ordre privé.

Plures enim, eaeque uerae et honestae mihi in mentem modo non ueniunt.

En effet, plusieurs bonnes et honnêtes raisons ne me viennent pas immédiatement à l’esprit.

Nam qui aiunt defensores suis se scriptis quaerere ; id ut pulchre uerbis exponatur, mihi tamen significare uix aliquid uidetur.

Car se trouvent des gens qui disent chercher pour leurs écrits des défenseurs ; ce motif, bien que leur plume l’expose magnifiquement, ne me semble cependant vouloir dire grand-chose.

Debent enim huius generis monumenta cuiusque per se munita esse et ex firmis aut bonis rationibus non negligenter exaedificata ut sustinere et propulsare impetum sophistarum et quorumque maleuolorum possint.

Les écrits de ce genre doivent en effet être protégés par eux-mêmes et édifiés solidement sur des fondations fermes et justes afin de pouvoir soutenir et repousser l’assaut des sophistes et de tous les gens malveillants.

Talium certe conuiciis non commouetur sapiens, cum sciat ueritatis uictoriam minime esse dubiam.

Le sage n’est pas ébranlé par les médisances de ce genre d’hommes, puisqu’il sait que la victoire de la vérité ne fait aucun doute.

Hic etiam si aberrarit, uolet in uiam redire quique se ducem in ea re non contumeliosum profiteatur, ei aget insuper gratias, quas debere quoque se intelliget.

Même s’il s’est égaré, il voudra revenir dans la voie, et, si quelqu’un se déclare en cette matière un guide acceptable, il lui rendra en outre les grâces qu’il saura également lui devoir.

Ex iis, quae alicuius sint ponderis, una superest ut a quibus singularia beneficia acceperimus, eorum apud nos memoriam uiuere eruditis uigiliis nostris testatum faciamus.

De ces raisons, qui ont un certain poids, une seule suffit : c’est de faire voir par nos veilles que nous faisons vivre chez nous le souvenir de ceux dont nous avons reçu des bienfaits remarquables.

Cum enim ex infimis quique, qui non pessimi sint, gratum animum erga bene de se meritos declarare studeant, et illius quam possint luculentissima signa libenter edant, quanto magis quos optimos esse oportet, iis hac in re esse laborandum existimabimus, neque quiescendum ante, quam aliquid egregium praestiterint, uel certe conatus suos in publicum probarint ?

De fait, vu qu’on en voit chez les plus humbles (du moins ceux qui ne sont pas méchants) exprimer leur gratitude envers ceux qui leur ont fait du bien et en donner volontiers les témoignages les plus éclatants, a fortiori ceux qui ont mission d’être les meilleurs doivent, à notre avis, y travailler et ne pas lâcher l’affaire tant qu’ils n’ont pas fourni quelque preuve remarquable ou, du moins, fait approuver leurs efforts en public.

Praesertim cum hoc ad regum honorem quoque pertinere uideatur ut ad posteritatem uel certe hodie longissime gentium intelligatur et celebretur quibus quam curae fuerit salus suorum et quae huic seruiunt litterarum conseruatio.

Et ce d’autant plus qu’il semble également relever de l’honneur des rois qu’à l’avenir ou du moins aujourd’hui on comprenne et fasse connaître très largement l’identité de ceux qui ont pris grand soin du salut des leurs et de la préservation des lettres qui servent cette dernière cause.

Me uero, cum prima moueret, ut munus tibi litterarium pararem, iure, quam modo indicaui, ad hoc studium siue officium etiam coegit.

Quant à moi, alors que la première cause me pousserait à t’offrir un présent littéraire, c’est à bon droit que celle que je viens d’indiquer me contraint <également> à cet effort ou à ce devoir.

Semper enim professus fui, neque dissimulandum mihi censeo, quanta in me duces Megapolitani ab ultima adolescentia beneficia contulerint ; quae uero his annis a te acceperim neque ipsa silentio sepeliam, et suo loco pleno quoque ore praedicabo et extra adulationis suspicionem dicam de illustribus tuis uirtutibus et praeclaris in patriam meritis.

En effet, j’ai toujours reconnu et je ne crois pas devoir cacher la grandeur des bienfaits que les ducs de Mecklembourg m’ont procurés depuis ma prime jeunesse ; quant à ceux que j’ai reçus de toi en cette période, je ne les enfouirai pas dans le silence, je les proclamerai à pleine voix au moment propice et sans qu’on puisse me soupçonner de flagornerie je parlerai de tes illustres vertus et de tes brillants services envers la patrie.

Iam uero consilium cepi de dedicandis tibi hisce uigiliis meis, quas iudicabam non inutiles futuras optimis artibus studiosae iuuentuti.

En vérité j’ai déjà pris la résolution de te dédier mes veilles, qui, pensais-je, ne seraient pas inutiles à la jeunesse étudiant les meilleurs des arts.

Maiore te esse dignum opere fateor sed maius hoc tempore nihil a me proficisci potuit.

Tu es digne, je l’avoue, d’un plus grand ouvrage, mais je n’ai rien pu produire de plus grand en ce moment.

Tamen tale aliquid in manibus habeo quod ad finem perducere non potui paucis mensibus.

J’ai cependant entre les mains un écrit que je n’ai pu mener à bien en peu de mois.

Tempore enim ei opus est ad meditandum qui cum utilitate publica et aliquo suo honore quid in lucem cogitet emittere.

En effet, il faut du temps pour réfléchir à qui souhaiterait faire paraître un ouvrage d’utilité publique et susceptible de lui apporter quelque honneur.

Intelligo autem, quam hoc sit tenue munus minimeque respondens magnitudini tuorum in me meritorum.

Je saisis par ailleurs combien ce présent est petit et ne répond nullement à la grandeur de tes mérites envers moi.

Sed peruulgatum est neque a ueritate abhorret : animum esse spectandum in rebus huiusmodi eoque sibi satis fieri bonos sinere multo magis magnanimos, quanto uidelicet maiore bonitate illustres.

Mais il a été publié et il n’est pas incompatible avec cette vérité : c’est l’intention qui dans ce genre d’affaire doit être observée et les gens de bien s’autorisent d’autant plus à s’en satisfaire (et surtout les magnanimes) qu’ils sont manifestement dotés d’une plus grande bonté.

Esti autem muneris huius tenuitatem ipse agnosco, tamen neque id isto fastigio indignum prorsus existimarim.

Même si moi-même j’admets la petitesse de ce présent, cependant je ne penserais pas absolument qu’il soit indigne de ta hauteur.

Cum enim, si quae de primis litterarum elementis, quorum est immensa in omni uita utilitas, erudite conscribantur, ad regem recte etiam mitti iudicem, non est quamobrem dubitem de tragoedia.

En effet puisque des écrits savants sur l’alphabet, dont l’utilité est immense pour la vie entière, ne sont pas, à mon avis, indignes d’être envoyés à un roi, il n’y pas de raison que j’en doute pour la tragédie.

In tragoedia enim regum casus proponuntur acerbi et uarii : quos reges aueant cognoscere secundum historias.

Dans une tragédie on trouve en effet représentées les durs et inconstants malheurs des rois : or, les rois pourraient vouloir les connaître d’après les récits historiques.

Historia enim uera refert, tragoedia uero consentanea : illa informat principum animos mirifice multiplicibus consiliis, haec idem conatur, neque infelicius uidetur agere, ut utraque cum summa omnium rerum magistra philosophia magnam habere cogitationem et eius esse aliquid siue ipsius muneris partem explere uideatur.

En effet, l’histoire rapporte des faits, quand la tragédie rapporte des évènements plausibles : la première informe merveilleusement les esprits des princes grâce à divers conseils, la seconde fait le même effort et semble le soutenir avec autant de réussite, de sorte que l’une et l’autre semblent partager une importante réflexion avec la philosophie, la souveraine maîtresse de tous les savoirs, être une partie de celle-ci ou remplir une partie de son office.

Multa sunt in his Septem ad Thebas Aeschyli exempla, quae se accurate legentibus ipsa ostendent, sed duo illustria quorum uno informatur bonus uir, altero bonus imperator.

Dans ces Sept contre Thèbes d’Eschyle, il y a beaucoup d’exemples qui se donneront à voir précisément aux lecteurs, mais il y en a deux célèbres dont l’un forme l’homme de bien, l’autre le bon gouvernant.

Passim et quidem prima Eteoclis oratio bonum principem, in Amphiarao deinceps uirum bonum descripsit ; uel potius ob oculos spectatoribus posuit.

Tout le texte et en particulier le premier discours d’Étéocle ont dépeint ou plutôt ont mis sous les yeux des spectateurs le bon prince, puis en Amphiaraos l’homme de bien.

Vterque locus celebratur a Graecis Latinisque, primae classis scriptoribus : quod suo loco docebimus.

L’un et l’autre passage sont célébrés par les auteurs grecs et latins de premier rang : nous l’enseignerons au moment opportun.

Bonus ille uir est, idemque ciuis bonus, qui domitis suis cupiditatibus expurgatoque pectore totus animo sit ad uirtutem conformatus neque ad opinionem aliorum neque ad falsam gloriam respiciens minimeque uideri, sed esse bonus uelit.

L’homme de bien et aussi le bon citoyen est celui qui, après avoir dompté ses désirs et purgé son cœur, s’étant tout entier de cœur conformé à la vertu et n’ayant égard ni à l’opinion des autres ni à la fausse gloire veut être bon et non en avoir l’air.

Qui sit eiusmodi in eius animo prouenire quoque uberrimam optimorum consiliorum segetem, quis dubitet ?

Si un homme était disposé de cette façon, qui douterait qu’on trouve dans son esprit le plus fécond terreau des meilleurs principes ?

Hic enim est sulcus Aeschyli fecundissimus haec proaeresis celebrata a philosophis hic fons paene dixerim felicitatis humanae.

En effet, tel est le sillon très fécond d’Eschyle, telle est la manière d’être prônée par les philosophes, telle est la source, pourrait-on presque dire, du bonheur humain.

Ex uirtute enim ea promanat et consiliis, determinante nihilominus et largiente omnia, summo omnium moderatore.

En effet, elle jaillit de la vertu et des principes, sous la conduite, néanmoins, et avec la générosité du souverain modérateur.

De rege uideamus, quid ipse hic dicat rex Eteocles : praeterquam quod bonum principem esse bonum uirum oportet, comparat eum cum bono gubernatore, qui in puppi sedens, clauum nauis, quocunque mari, quibuscumque uentis, omni tempestate teneat, oculis somnum numquam capiens.

Voyons, pour ce qui concerne le roi, ce que ce roi Étéocle en personne énonce : outre qu’il faut que le bon prince soit un homme de bien, il le compare au bon pilote, qui, assis sur la poupe, tient la barre du navire sur toutes les mers, par tous les vents, en tout temps, sans jamais s’abandonner au sommeil.

Hoc igitur regium est, tantum uirtute ceteris praestare, quantum dignitate et honoribus ; thesauros salubrium consiliorum habere mente reconditos, quos, quoties opus sit, depromas, cum utilitate publica, ad confirmandas res prosperas, ad calamitatum depulsiones ; excubias agere perpetuas, media etiam nocte uigilare, rebus aliquando gerendis, semper deliberandis occupatum ; cum uulgus etiam ipso meridie stertat et somniet : quae omnia et uere et pluribus, forte etiam magnificentius, a me possent explicari, si modum transeundum putarem epistolae.

C’est le propre d’un roi que de surpasser le reste des mortels en vertu autant qu’en dignité et en honneurs ; que d’avoir au fond de son cœur les trésors des saines résolutions, pour y puiser, chaque fois qu’il est besoin, pour le bien public, pour affermir les situations prospères, pour repousser les malheurs ; que de toujours monter la garde ; que d’également veiller en pleine nuit, occupé parfois à mener les affaires, toujours à y réfléchir alors que qu’à midi même la foule ronfle et somnole : et tous ces devoirs, je pourrais les expliquer avec justesse et plus longuement, d’aventure même plus noblement, si je pensais qu’il faut dépasser le cadre de la lettre.

Sed patere, princeps optime, ut, quemadmodum Romanorum orator optimus, itemque senator nulli secundus, hanc ipsam rem, ex fonte illustrauit, Scipionem in suis de Republica libris ita loquentem inducens, referam.

Mais souffre, meilleur des princes, que, de même que le meilleur des orateurs romains et en même temps le meilleur des sénateurs a illustré à l’origine cette question, en introduisant un discours de Scipion dans ses livres sur la République, j’y fasse référence.

Vt, inquit, gubernatori cursus secundus, medico salus, imperatori uictoria, sic huic moderatori reipublicae, beata ciuium uita proposita est, ut opibus firma, copiis locuples, gloria ampla, uirtute honesta sit. Huius enim operis maximi, inter homines atque optimi, illum esse effectorem uolo. 2

« De même que, dit-il, le but du pilote est le succès du voyage, celui du médecin, la santé, et celui du général, la victoire, de même ce directeur de la République cherche pour ses concitoyens une vie heureuse, fortifiée par la richesse, riche en ressources matérielles, grande par la gloire et honorée par la vertu. Je veux qu'il porte à sa perfection cette réalisation, qui est la plus grande et la meilleure possible parmi les hommes. »

Plura consideranti hanc tragoediam occurrent, digna profecto, quae quisque etiam princeps animo infigat : quorum usus, tum in uita priuata, tum in republica late patet.

Se présenteront à celui qui considère cette tragédie de nombreux enseignements dignes, assurément, que chaque prince les imprime en lui : car le recours qu’il y fait se voit largement tant dans la vie privée qu’au sein de l’Etat.

Non igitur dubito, princeps Vlrice, quin, quam in explicatione tragoediae operam posui, probaturus sis, et qualescumque uigilias non aspernaturus, non rogatu solum meo, sed iudicio etiam tuo.

Ainsi je ne doute pas, prince Ulric, que tu approuveras le soin que j’ai mis à expliquer cette tragédie et que tu ne dédaigneras pas mes veilles, quelle que soit leur qualité, non seulement sur ma prière, mais aussi selon ton jugement.

Iudicas enim sine his litteris iacere omnem humanitatem, et rationem ueram gubernandae reipublicae atque iccirco earum conseruationem, ut regio ordine dignum est, adiuuas.

En effet, tu penses que sans les lettres toute l’humanité et la véritable manière de gouverner l’Etat périssent et pour cette raison tu soutiens leur préservation comme il convient pour les rois.

Mihi nihil noui peto sed de ueteri benignitate gratias agens, quaeso et contendo, de ea nihil ut remittas : uerum multo magis, atque obnixius mihi obtestandus es, ut hanc academiam tuam porro fulcias : quod cum fiat multis aliis modis, tum fit potissimum praestantibus uirtute et doctrina uiris et tuendis aduersus calumnias sycophantarum, et arcessendis aliis, qui succedant bonis.

Je ne demande pour moi rien de nouveau, mais, rendant grâce à ton ancienne bienveillance, je demande et je m’efforce que tu ne la relâches pas : mais je dois te supplier davantage et avec plus de force de soutenir ton académie : et bien que cela se fasse de multiples façons, on y parvient principalement en protégeant les hommes supérieurs en vertu et en savoir contre les calomnies des sycophantes et en en formant d’autres pour succéder aux gens de bien.

Nam pauci hodie reperiuntur, qui cum laude et utilitate publica hoc docendi arduo profecto munere fungantur et inuenit immanis barbaria nouas machinas ad scholarum euersionem.

Car on trouve aujourd’hui peu de gens pour s’acquitter de cet office assurément difficile qu’est un enseignement de qualité et tourné vers le bien public et la cruelle barbarie invente de nouvelles machines pour la ruine de nos écoles.

Dedit enim quibusdam suis emissariis summae sapientiae et sanctimoniae personam, qui ut sibi aurum, honores, et dominatum parent, optimos quosque petunt, exigunt, et quod in ipsis est, e medio tollunt : atque omnia haec artificiis ; non dicam modo, cuiusmodi in excussorum locos subrogent.

En effet, elle a donné à certains de ses émissaires le masque de la plus haute sagesse et de la sainteté : et, afin de se ménager de la richesse, des honneurs et du pouvoir, ils poursuivent tous les meilleurs hommes, les chassent et, ce qui advient dans de ces situations, les suppriment ; et tout cela avec d’habiles moyens ; je ne dirais pas de quelle manière ils se font accepter à la place de ceux dont ils se sont débarrassés.

Vtinam mihi liceat non queri : neque enim libet, neque uiro ualde dignum est, sed tuto liceat hac de re, in qua posteritatis salus sita est, sententiam meam scripto exponere ad Germaniae principes.

Plaise à Dieu de me permettre de ne pas me plaindre : en effet, cela n’agrée ni ne sied vraiment à un homme ; mais puissé-je exposer sans danger aux princes de Germanie mon avis sur cette affaire dont dépend le salut de la postérité.

Malim id fieri ab homine doctissimo, qui et auctoritate polleat : neque sane dubito, multos esse, qui et recte sentiant, et hoc praestare rectius possint quam ego.

Je préfèrerais que s’en charge un homme très savant, qui aurait du poids par son autorité : et assurément je ne doute pas qu’il y en ait beaucoup pour avoir un juste avis sur cette question et pour pouvoir s’en saisir plus justement que moi.

Audire autem sapientes regium est  et sapientum reges monere de iis, quae pertinent ad salutem publicam, non solum horum hominum, sed etiam exorientis saeculi.

C’est le fait des rois que d’écouter les sages et des sages d’avertir les rois de ce qui concerne le salut public, non seulement de leurs sujets mais aussi des siècles à venir.

Nam et principum et doctorum est etiam de posteris bene mereri et nequaquam malitia nostra aut oscitantia aut silentio posteritatem prodere.

En effet, c’est le fait des princes et des savants que de rendre de bons services également aux générations futures et de ne trahir d’aucune façon la postérité par notre méchanceté, notre paresse ou notre silence.

Sed nascatur mihi noui capitis explicatio : finem igitur faciam epistolae.

Mais que naisse pour moi le développement d’un nouveau chapitre : je mettrai donc un terme à cette lettre.

Deus maximus, idemque optimus te optimum principem, tibi, tuis, et imperio incolumem custodiat.

Que Dieu très grand et excellent te garde, toi excellent prince, en bonne santé pour toi, pour les tiens et pour ton pouvoir.

Vale. Rostochio Kal. Decemb. 1580.

Adieu. Depuis Rostock, aux calendes de Décembre 1580.


1. C’est ainsi que Cicéron (dans l’odre inverse studium sapientiae) fait la traduction littérale de philosophia.
2. Cic., Rep. 5.8.. Le fragment est transmis par Cic. Att. 8.11.1.