Q. Sept. Florens Christianus Federico Morello suo S. D.
Florens Christianus

Présentation du paratexte

Cette lettre de Florent Chrestien recommande sa traduction à l’imprimeur Federicus Morellus . Chrestien souligne qu’il a mis de côté sa crainte des critiques.

Bibliographie :
Traduction : Sarah GAUCHER

Q. Sept. Florens Christianus Federico Morello suo S. D.

Quintus Septimus Florens Christianus salue son cher Morellus.

Vicit pertinaciam meam amor in te meus, per quem licuit tibi esse peruicaci.

Mon affection pour toi, qui a permis ton obstination, a vaincu mon opiniâtreté.

Ecce enim Septem Thebanam Aeschyleam tragoediam, quam si non Latinam at barbaram1 factam fidei tuae commendans ut typis mandes, quasi inuitus trado quod nollem nudum prodire istud scriptionis genus, sed cum scholiis et Notatis quae in schedis meis sunt adsecutura mox Commentarium ad Prometheum Desmotam.

Voici en effet les Sept contre Thèbes, tragédie d’Eschyle : et en la confiant, traduite moins en latin qu’en langue barbare, à ta loyauté afin que tu la confies à tes presses, je la livre pour ainsi dire malgré moi parce que j’aurais préféré ne pas produire ce genre d’écrit dépouillé, mais accompagné des scholies et des notes qui rejoindront bientôt dans mes écrits le commentaire à Prométhée enchaîné.

Deinde male metuebam a Criticis nostri temporis, quorum iudicia saepe sunt in dolo et ambitione : quamuis Princeps Scaliger tanquam unus Plato instar mihi multorum esse potest2, cui quum3 non displicuerunt priora Aeschylea nostra , argumentum ut scis dedit ex elegantissimo Prologo.

Ensuite, j’avais grand peur des critiques de notre siècle, dont la ruse et l’ambition dictent souvent les jugements, bien que pour moi le Prince Scaliger, à l’instar d’un Platon, vaille à lui seul une kyrielle d’hommes : vu que mes précédents écrits eschyléens ne lui ont pas déplu, il a donné, comme tu sais, un argument dans un prologue fort élégant4.

Sed illas causas ideo praetexo, ne imiter stolidos homunciones qui nugas maximas in dedecus suum et Typographorum fraudem excusas, ad hoc tantum publicantes ut tanquam ambitiosa mancipia magnis et potentibus amicis adulentur et palpum obiiciant, uiamque sibi parent ad ascensum non οὐρανίης ἄντυγος, sed ἀργυρέης5, tamen confidenti mendacio extortas sibi ad euulgationem conqueruntur.

J’allègue ces raisons pour ne pas imiter ces petits bonhommes grossiers qui geignent (avec cependant une malhonnêteté éhontée) que les plus grandes inepties, imprimées pour leur déshonneur et au détriment des imprimeurs, leur soient arrachées pour parution, alors qu’ils publient dans l’unique but que d’ambitieuses acquisitions, pour ainsi dire, flattent leurs grands et puissants amis, pour exposer leur flagornerie et se ménager une voie pour atteindre non pas la roue céleste, mais la roue d’argent.

Tu mi Morelle, fruere si potes, aut quod potes repone meliora, et Palliatae fabulae os refinge elegantius praetextatum.

Toi, mon cher Morellus, profites-en si tu le peux, ou, parce que le tu peux, remplace-les par de meilleures et maquille plus élégamment le visage voilé de la prétexte d’une pièce vêtue du pallium.

Glossemata ad Aeschylum nostra habebis quando uoles : uix enim alio nomine digna censeo quae in nostris Commentariis Notatisque reperies.

Tu auras nos commentaires à Eschyle quand tu le voudras : en effet je juge difficilement dignes d’un autre nom celles que l’on trouvera dans nos commentaires et nos notes.

Quamquam non me fugit hauriri etiam posse ex istis Tragicorum fontibus utiles sententias τὰ πολιτικὰ καὶ βασιλικά.

Et pourtant, il ne m’échappe pas que d’utiles sentences relatives à l’État et aux rois puissent être puisées de ces sources des tragiques.

Et fortassis tanget me postea haec cura.

Et ce projet me touchera peut-être par la suite.

Firmatur siquidem ualide Constantia etiam ex ueteribus illustrium personarum exemplis : et prope est cum eius firmitudinis usus ueniat, ut si aliquando τὰ ἡμέτερα νοσῇ, et incidamus fortassis in Pelopidarum exempla, sanates induamus animos ad ea toleranda quae fatalis Necessitas Deo uolente inuexerit.

Oui, la constance est grandement renforcée par les exemples anciens de ces illustres personnages : et il s’en faut de peu, lorsque nous prenons l’habitude de la renforcer ainsi, que, chaque fois que nous souffrons et que nous subissons peut-être les châtiments des Pélopides, nous ayons le courage des Sanates pour supporter les malheurs que la Nécessité fatale, sur l’ordre de Dieu, a fait naître.

Vale mi Morelle.

Adieu mon cher Morellus.


1. Pl., Trin. 19.
2. Cic., Br. 191.
3. Nous choisissons ici de corriger quam, qui nous semble être une coquille.
4. Florent Chrestien publia avant 1585 une traduction du Prométhée enchaîné ainsi qu’un commentaire à la pièce. Les deux écrits sont aujourd’hui perdus. L’une des preuves de leur existence réside dans un Prologus écrit pour le Prométhée de Chrestien par Joseph Scaliger (voir Scaligerana, Hagae Comitum, 1668, p. 25 : « Aeschili Prologum Promethei uerti, il y a trente six ans rogante F. Christiano. Cedit in opusculum Josephi Scaligeri. Je ne m’en sçaurois souvenir, j’ay point de mémoire »).
5. Anth. Gr. 11.292.