Aldus Manutius Romanus, Danieli Clario Parmensi, s.p.d
Aldus Manutius

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Aldus Manutius Romanus, Danieli Clario Parmensi, s.p.d.

Alde Manuce le Romain salue grandement Daniel Clarius de Parme

Perbeati illi mihi uidentur, Clari, uir doctissime, qui hoc tempore, in summa bonorum librorum copia, liberalibus disciplinis operam daturi, Graece discunt.

Ils me semblent parfaitement heureux, très savant Clarius, ceux qui aujourd’hui, dans la plus grande abondance de bons livres, apprennent le grec dans l’idée de se consacrer aux arts libéraux.

Facile enim ac breui Graecam linguam, nisi ipsi sibi defuerint, consequentur, in qua multis saeculis nullus fere ex Latinis, culpa magis temporum quam ingeniorum, excelluit.

En effet, s’ils ne se font pas défaut à eux-mêmes, ils parviendront facilement et rapidement à la maîtrise de la langue grecque, dans laquelle pendant de nombreux siècles presque personne parmi les Latins n’a excellé en raison davantage des circonstances que par manque d’intelligence.

Facillime, Graecis litteris adiutricibus, omnium laudatarum artium procreatricem philosophiam callebunt, nec medicinam minus.

Très facilement, avec l’aide des lettres grecques, ils deviendront experts en philosophie, qui est la mère de tous les arts dignes de louanges, et pas moins en médecine.

Errant meo iudicio multum, qui se bonos philosophos medicosque euasuros hoc tempore existimant, si expertes fuerint litterarum Graecarum.

Ils se trompent grandement, selon moi, ceux qui pensent qu’ils finiront par devenir de bons philosophes et de bons médecins, sans avoir appris le grec.

Quibus et Aristoteles quicquid ad dialecticen, ad philosophiam, et naturalem et transnaturalem, et moralem, quicquid ad rhetoricen et poeticen pertinet, doctissime scripsit, et Ammonius, Simplicius, Themistius, Alexander Aphrodisieus, Philoponus, Eustrathius, et caeteri Peripateticae sectae eruditissimi uiri, omnia quaecunque uel scientiae peruestigatione, uel disserendi ratione comprehenderat Aristoteles, optime ac luculentissime commentati sunt.

Car c’est en grec qu’Aristote a écrit de manière très savante tout ce qui a trait à la dialectique, la philosophie - naturelle, métaphysique et éthique -, tout ce qui a trait à la rhétorique et à la poétique, et c’est en grec qu’Ammonius, Simplicius, Themistius, Alexandre d’Aphrodise, Philopon, Eustrathe et d’autres grands savants de l’école des Péripatéticiens ont commenté au mieux et de manière tout à fait lumineuse tous ces domaines qu’Aristote a embrassés soit par l’investigation scientifique, soit par la raison discursive.

Quibus item Hippocrates, Galenus, Paulus, et alii in medicina excellentissimi uiri omnia quae ad medicae artis spectant cognitionem copiosissime, uerissimeque literis commendarunt.

Et de la même manière c’est aux lettres grecques qu’Hippocrate, Galien, Paul et d’autres grands savants en matière de médecine ont confié abondamment et précisément tout ce qui regarde la connaissance de l’art médical.

Non aliis quam Graecis literis ii qui mathematici uocantur artem suam obscuram, reconditam, multiplicem subtilemque, facillimam cognitu posteris tradiderunt ; quo in genere permulti, ut Architas, Ptolemaeus, Nicomachus, Porphyrius, Euclides, perfecti homines extiterunt.

Et ça n’est pas à d’autres lettres que les grecques que ceux qu’on appelle les mathématiciens ont confié leur art obscur, difficilement accessible, complexe et subtil pour qu’il soit très accessible à la postérité ; discipline dans laquelle de très nombreux individus, comme Architas, Ptolémée, Nichomaque, Porphyre, Euclide, qui sont des hommes accomplis, se sont illustrés.

Quae omnia quam deprauate et corrupte, quam mutilate et perperam, ut taceam etiam quam barbare et inepte Latinis scripta sint, qui uel mediocriter eruditus ignorat ?

Toutes ces connaissances, quel savant ignore vraiment combien elles ont été rendues en latin de manière fautive et corrompue, partielle et erronée, pour ne pas dire même barbare et inepte ?

Sed breui spero futurum ut, explosa barbarie, reiectisque ineptiis, bonis literis, uerisque disciplinis, non ut nunc a paucissimis, sed uno consensu ab omnibus, incumbatur.

Mais j’espère que bientôt, la barbarie repoussée et les inepties rejetées, il arrivera que ne s’attacheront aux belles-lettres, et aux vraies disciplines, non pas, comme maintenant, un tout petit nombre, mais tous avec un accord général.

En! erit tandem ut, glande neglecta1, inuentis uescamur frugibus.

Alors enfin il arrivera que, rejetant le gland, nous nous nourrissions des récoltes de ce que nous avons découvert.

Optime igitur tu, mi Clari, in praestanti ista et opulenta urbe Ragusio iuuentuti consulis, qui eam et Graece et Latine simul2, ut praecipit Quintilianus, summo studio ac fide iam multos annos, publico conductus stipendio, doces; quod ut tibi factu facilius sit, mitto ad te Aristophanem, ut illum non modo legendum, sed ediscendum quoque discipulis praebeas tuis.

C’est donc pour le mieux, mon cher Clarius, que dans cette remarquable et opulente ville de Raguse tu veilles sur la jeunesse, toi qui lui enseignes à la fois le grec et le latin, comme le recommande Quintilien, depuis déjà de nombreuses années, avec le plus grand zèle et la plus grande loyauté, rémunéré avec de l’argent public ; et pour que cela te soit plus facile à faire, je t’envoie Aristophane, pour que tu le donnes non seulement à lire, mais aussi à apprendre par cœur à tes élèves.

Quem etiam in tuo nomine publicare uoluimus, ut coniunctionem studiorum amorisque nostri, quo possem, munere declararem, et praesertim, cum tu, etsi de facie nos non nouimus, assiduis tamen me afficias beneficiis.

Aussi, nous avons voulu te le dédier, de manière à déclarer, par un cadeau que je peux offrir, la conjonction de nos études et de notre amitié, puisque toi, même si nous ne nous sommes jamais rencontrés, tu me gratifies de tes bienfaits réguliers

Essem profecto ingratissimus, si te ualde amantem non redamarem

Je serais vraiment très ingrat, si je ne t’aimais pas en retour, toi qui m’aimes tant.

Accipe, igitur, nouem Aristophanis fabulas, nam decimam, Lysistraten, ideo praetermisimus, quia uix dimitiata haberi a nobis potuit.

Reçois donc neuf pièces d’Aristophane ; en effet, la dixième, Lysistrata, nous l’avons omise, parce qu’il nous a été possible de l’avoir seulement à moitié.

Sint satis hae nouem, cum optimis et antiquis (ut uides) commentariis.

Que ces neuf-là̀ suffisent, avec d’excellents et antiques commentaires, comme tu le vois.

Quibus Graece discere cupientibus nihil aptius, nihil melius legi potest, non meo solum iudicio, quod non magnifacio, sed etiam Theodori Gazae, uiri undecunque doctissimi; qui interrogatus, qui ex Graecis auctoribus assidue legendus foret Graecas litera discere uolentibus ? respondis, solus Aristophanes : quod esset sane quam acutus, copiosus, doctus, et merus Atticus.

Rien ne convient mieux à ceux qui désirent apprendre le grec, rien de mieux ne peut être lu, non seulement selon mon jugement, dont je ne fais pas grand cas, mais aussi selon celui de Théodore Gaza, un homme très docte à tous égards ; lui qui, quand on lui a demandé́ qui parmi les auteurs grecs devait être lu assidûment par ceux qui veulent apprendre le grec, a répondu, « seulement Aristophane », parce que selon lui il est vraiment le plus précis, abondant, savant, et purement attique.

Hunc item Ioannes Chrysostomus tanti fecisse dicitur, ut duodetriginta comoedias Aristophanis semper haberet in manibus, adeo ut pro puluillo dormiens uteretur

De la même manière, Jean Chrysostome en faisait si grand cas que, dit-on, il avait toujours avec lui les 28 comédies d’Aristophane, au point de s’en servir comme d’un petit coussin pour dormir.

Hinc itaque et eloquentiam et seueritatem, quibus est mirabilis, didicisse dicitur.

Et c’est de cette façon qu’il acquit, dit-on, cette éloquence et cette rigueur qu’on admire chez lui.

Ego sic assidue legendum a Graecis censeo Aristophanem ut a nostris Terentium, quem, quod semper legeret, M. Tullius familiarem suum appellabat3. Vale. Venetiis, tertio Idus Oulias, M. IID.

On doit donc, selon moi, lire Aristophane parmi les auteurs grecs avec autant d’assiduité́ que Terence parmi les nôtres, lui que, parce qu’il le lisait sans relâche, Cicéron appelait son familier. Salut. Venise, le 13 juillet 1498.


1. Cic., Or. 31. glande uesci, « se nourrir de glands »
2. Quint., I.O. 1.1.14.
3. La référence demeure introuvable.