Illustrissimo ac eruditissimo Alberto Pio principi Carpensi, ingeniorum fautori, Franciscus
Franciscus Passius Carpensis

Présentation du paratexte

Dans cette épître dédicatoire, Franciscus Passius expose la genèse de sa traduction du Ploutos. Parce qu'il n'existe pas encore de comédie ancienne, telle que l'a pratiquée Aristophane, en latin, il se met en scène dans un locus amoenus, décidant de fuir l'oisiveté et pour ce faire de traduire le Ploutos, que son maître Thadeus Ugoletus avait traduit avant lui. La comédie est qualifiée de "satyrocomoedia". Passius demande à son dédicataire, Alberto Pio, prince de Carpi, de bien vouloir corriger et protéger son travail. Passius précise enfin le choix qui a été le sien de traduire la comédie en trimètres, sans égard pour la diversité métrique de l'original, en s'autorisant de Quintilien et de sa critique de la diversité métrique de Térence. Le dédicataire, Alberto Pio de Carpi (1475-15), est le neveu de Jean Pic de la Mirandole. En 1481 ce dernier souhaite que son neveu le rejoigne à Ferrare où il assiste aux cours de Battista Guarino. Elève d'Alde, Alberto le soutient financièrement, ce qui vaut au prince de nombreuses dédicaces dans les éditions aldines. Il possédait dans sa riche bibliothèque l'édition aldine d'Aristophane.

Liste des paratextes dans la même édition : list

Bibliographie :
  • Simone Beta, "Francesco Passi Versipellis. Fra Aristofane e Plauto" in Adriana Romaldo (ed.), A Maurizio Bettini. Pagine stravagante per un filologo stravaganti, Milano, Mimesis, 2017, 47-50.
  • Francesca Caselli, Il Pluto di Francesco Passi di Carpi, tesi di laurea, 2016.
Traduction : Christian NICOLAS

Illustrissimo ac eruditissimo Alberto Pio principi Carpensi, ingeniorum fautori, Franciscus Passius Carpensis domino suo Felicitatem.D.

Francesco Passi de Carpi souhaite le bonheur à son maître, le très illustre et très érudit Alberto Pio, prince de Carpi, protecteur des talents.

Cum aliquando intensissimi caloris euitandi gratia ruratum (ut Plautino uerbo utar) ab urbe secessissemus1, ibi ad Camenas quodammodo inuitari uisus sum, cum loci amoenitate, ut pote qui a limpidis frequentibusque iugis aquae fontibus nomen sibi uendicat, tum ne illud temporis (quo nil parcius a diis in mortalibus nobis tributum est) totum ocio contererem.

Un jour que, pour échapper à une chaleur intense, je m’étais retiré au vert (pour prendre un mot plautinien) et avais quitté la ville, je me crus d’une certaine façon invité chez les Camènes2, d’une part par la beauté d’un lieu à qui la limpidité de ses sources et le nombre de ses collines donne son nom, d’autre part pour ne pas laisser perdre dans l’oisiveté ce temps que les dieux immortels nous ont si parcimonieusement compté.

Dubitanti quam mihi potissimum scribendi materiam ex multis quae occurebant assumerem, Aristophanis Plutus in primis mihi digna uisa fuit, quam in latino sermone imitaremur, partim nouitate rei (non est enim apud nos ulla antiqua comoedia), partim quod non minus grauitatis in se contineret quam facetiarum, quodque hominibus Graecarum literarum expertibus non minus iucundum quam gratum et perutile fore confiderem.

Alors que je me demandais sur quelle matière écrire de préférence parmi les nombreuses possibilités qui s’offraient à moi, le Ploutos d’Aristophane me parut en premier digne d’une imitation en langue latine, en partie pour la nouveauté du projet (car nous ne possédons pas en latin de comédie ancienne), en partie parce qu’il recèle autant de gravité que de plaisanteries et que les non hellénistes y trouveraient, j’en étais sûr, non moins de plaisir que de bénéfice et d’utilité.

Quam olim cum caeteris Aristophanis fabulis mihi et condiscipulo Balthasari Alioto non uulgaris doctrinae iuueni interpretatus est Thadaeus Vgoletus Parmensis numquam sine aliqua utriusque linguae uiri doctissimi praefatione nominandus, quem constat iudicio et rerum cognitione, quam assidua lectione contraxit, inuictissimo Matthiae Pannoniae Regi a secretis fuisse carissimum, cuique non dissimulanter debere fateor quicquid literis ualeo si quid ualeo.

Cette pièce naguère, avec les autres pièces d’Aristophane, c’est pour moi et mon condisciple Balthazar Aliotus3, jeune homme au savoir éminent, qu’en a donné une traduction Thadeus Ugoletus de Parme4, un homme qu’il faut toujours nommer dans une préface d’auteur érudit dans les deux langues, dont on sait que le jugement et la culture, acquise par des lectures assidues, l’ont rendu très cher au cœur du roi Matthias Ier de Hongrie dont il fut secrétaire et à qui sans ambages j’avoue que je dois toute ma valeur en littérature, si j’ai une valeur.

Hanc igitur tibi comoediam uel potius satyrocomoediam (ut unde digressi sumus reuertamur) non tantum recognoscendi quam emendandi gratia misimus. Quam praecipue Antonii Zandemariae equitis Hierosolymitani, non aspernandae indolis adulescentuli et cuius amicitia plurimum utor assiduis obtestationibus ab incude in publicum dare exoratus, existimaui turbidum uulgi iudicium subituram tuo quam caeterorum patrocinio tutiorem fore, quo protectam quocumque ingredi haud dubitauero.

C’est donc cette comédie ou plutôt satyrocomédie (pour revenir au point d’où nous sommes partis) que nous t’envoyons et pour que tu la révises et pour que tu la corriges. C’est surtout Antonius Zandemaria5, chevalier de Jérusalem, jeune homme au caractère bien trempé et avec qui j’entretiens la plus grande amitié, qui par ses constantes prières, me somme de l’imprimer et de la livrer au public ; mais j’ai pensé que, comme elle devrait subir le jugement trouble de la foule, c’est sous ton patronage plutôt que n’importe quel autre qu’elle serait en sûreté, avec la certitude que sous cette égide elle pouvait aller partout.

Nam si tibi pensiculatim omnia trutinanti et perspicacis iudicii uiro placuerit, caeteris quoque non displicuisse oportebit (nam te praeterquam philosophiae arti poetices deditum esse cognoui). Sed ne illud quoque animaduersione dignum uideatur, solis trimetris fabula haec continetur, quam dimetris, trimetris, tetrametris acataleticis et hypercataleticis fecerat Aristophanes. Vbi illud maxime Quintiliani iudicium sequti sumus adserentis Terentium maiorem laudem assecuturum fuisse si se inter trimetros continuisset6. Noli igitur obeliscis parcere, si quid caecus hic noster tibi caecutire uidebitur. Vale.

Car si après une pesée rigoureuse au trébuchet elle plaît à l’homme de goût que tu es, il faudra aussi qu’elle ne déplaise pas à tous les autres (car en plus de la philosophie, tu es connaisseur en poétique, je le sais). Mais, sans que cela aussi mérite une remarque, c’est en trimètres seulement que ma pièce est construite, alors qu’Aristophane l’avait écrite en dimètres, trimètres, tétramètres acatalectiques et hypercatalectes. Mais là, c’est surtout le jugement de Quintilien que nous avons suivi, qui dit que Térence aurait eu plus grand mérite s’il s’était cantonné aux trimètres. N’épargne donc pas les marques de correction, dès lors que notre aveugle te paraîtra voir trouble. Porte-toi bien.


1. Pl., Men. 63-64.
2. Les Camènes sont des divinités romaines archaïques liées aux sources et à l'inspiration poétique. Elles sont liées à la pratique de la traduction par Livius Andronicus qui, dans l'incipit de sa traduction de l'Odyssée en latin, en fait l'équivalent de la muse grecque. Voir Caselli, 2017.
3. Le patronyme Aliotti, ou Aleotti, est courant à Parme. Dans la Storia della città di Parma d'Angelo Pezzana, il est fait mention d'un certain Baldassare Aliotti, adolescent en 1480. Il aurait donc pu être le condisciple de Passius.
4. Bibliothécaire du roi de Hongrie Mathias Corvinus (1443-1490), Thadeus Ugoletus fut le professeur de Passius et de Baldassare Alioto. Son enseignement remonte probablement aux années postérieures à son séjour en Hongrie et à sa collaboration avec son frère Angelo Ugoleto, imprimeur du volume. Il fut l'élève de Merula.
5. Le patronyme Zandemaria est très répandu à Parme, tout comme le prénom Antonio, depuis le XVe s. Plusieurs membres de cette famille ont été chevaliers de Jérusalem. Celui mentionné ici n'est connu que pour les quelques vers qui figurent en tête de la traduction de Passius.
6. Quint., I.O. 10.1.99.