Theodoricus Martinus Alostensis Studiosae Lovaniensis Academiae Juventuti S.D.
Theodoricus Martinus

Présentation du paratexte

Surtout connu pour avoir imprimé l’Utopie de Thomas More en 1516, l’imprimeur humaniste Thierry Martens s’est d’abord installé à Alost, sa ville d’origine, puis à Anvers et Louvain. C’est là que, deux ans après l’Utopie, il fait paraître une édition du Ploutos précédée d’une adresse à la « jeunesse studieuse de l’Université de Louvain ».

L’année 1517 avait en effet vu la fondation du Collège des Trois-Langues de l’Université de Louvain et c’est aux jeunes gens qui y étudient que Thierry Martens dédie l’ouvrage. L’imprimeur a fait figurer dans ses éditions vingt-deux adresses au lecteur et en a signé vingt-et-une, dont celle qui nous intéresse. Selon Renaud Adam, « ces lettres ont fort probablement été rédigées par les éditeurs des livres que Thierry Martens imprimait et par Érasme lui-même, familier du procédé avec ses autres typographes. [...] Parfois même, Thierry Martens se contente de reprendre la lettre d’un autre imprimeur, qu’il s’attribue en modifiant l’adresse et la souscription ». Si l’adresse au lecteur qui précède le texte du Ploutos dans l’édition de 1518 ne semble pas être reprise à un autre imprimeur, elle est cependant très proche de celle de Mosellanus dans l’édition imprimée par Thomas Anshelm l’année précédente.

Selon Renaud Adam, cette édition aurait été supervisée par Rutgerus Rescius ( 14..-1545) et c’est l’un des premiers livres grecs imprimés par Martens . Rescius, qui était originaire des Pays-bas, avait appris le grec à Paris auprès de Jérôme Aléandre. De retour à Louvain, il fut d’abord correcteur chez Thierry Martens avant de devenir en 1518 le premier professeur de grec du Collège trilingue. C’est très probablement pour son enseignement auprès des apprentis hellénistes de ce Collège que fut imprimé ce Ploutos. Rescius avait-il à sa disposition l’édition de Mosellanus ? Rien ne permet de l’affirmer ; mais le texte liminaire qui précède celui du Ploutos semble, à plusieurs égards, reprendre en le synthétisant celui du professeur de Leipzig.

On voit, chez Martens comme chez Mosellanus, émerger progressivement l’idée qu’il y a une hiérarchie entre comédie ancienne et nouvelle, Aristophane et Ménandre, au profit de ce dernier ; c’est faute de mieux, parce que Ménandre est perdu que, pour ces professeurs évoluant en pays germaniques, il faut recourir à Aristophane pour enseigner le grec. On retrouve donc bien là le souhait de justifier la publication d’Aristophane, déjà présente chez les Italiens, mais il n’est plus aussi enthousiaste. Ces réserves, encore timides, seront plus nombreuses et plus affirmées dans les éditions suivantes.

Le volume contient : list

Bibliographie :
  • Adam, Renaud, Passeurs de textes. 1, Thierry Martens et la figure de l’imprimeur humaniste (une nouvelle biographie): avec une liste de ses éditions et les adresses aux lecteurs signées par l’imprimeur, publisher, date.
Traduction : Malika BASTIN-HAMMOU

Theodoricus Martinus Alostensis Studiosae Louaniensis Academiae iuuentuti salutem dicit.

Thierry Martens d’Alost salue la jeunesse studieuse de l’Université de Louvain

Caeteri fere chalcographi, foetus officinarum suarum, aut magnatibus dedicant, aut egregie charis inscribunt.

Les autres imprimeurs, pour ainsi dire, le fruit de leurs officines, soit ils le dédient à des puissants, soient ils l’attribuent, et c’est remarquable, à des personnes qui leurs sont chères.

Mihi quoniam nihil antiquius est, quam huius academiae floretissimae studiis pro uiri consulere, quiquic ars nostra produxerit, id omne uobis optimi iuuenes dicare certum est.

Moi, puisque rien n’est plus important pour moi que de m’occuper suivant mes moyens des études de cette très florissante Université, tout ce que notre art aura produit, cela tout entier j’ai décidé de vous le dédier à vous, excellents jeunes gens.

En damus in praesentia, libellum exiguum, sed eximium.

Nous faisons donc paraître un livre tout petit, mais très grand.

Quarum Fabius tribuerit ueteri comoediae scitis ipsi, qui tenetis illud de ea elogium.

Vous savez, vous qui connaissez l'éloge de Quintilien à son sujet, quel grand cas il a fait de la comédie ancienne.

Antiqua illa comoedia cum sinceram illam sermonis attici gratiam prope sole retinet, tum fecundissimae libertatis, etsi est in insectandis uitiis praecipua, plurimum tamen uirium etiam in caeteris partibus habet. Nam et grandis et elegans et uenusta, et nescio an ulla, post Homerum tamen, quem ut Achillem semper excipi par est, aut similior sit oratoribus, aut ad oratores faciendos aptior. 1

« La comédie ancienne conserve presque seule la pureté et la grâce de la langue attique, mais elle fait aussi preuve d’une très grande liberté de ton et, si elle vise surtout à poursuivre les vices, elle a beaucoup de forces dans tous les autres domaines également. Elle a, en effet, de la grandeur, de l’élégance et du charme, et je ne sais s’il est un autre genre, après Homère toutefois, qu’il convient de toujours considérer à part, comme Achille, qui soit plus à l’image des orateurs ou plus adapté à la formation des orateurs. »2

Atque is inter tam laudati generis primos autores, primas tribuit Aristophani.

Et parmi les premiers auteurs d’un genre si loué, il a attribué le premier rang à Aristophane.

Ac rursus inter huius fabulas primas tenet Plutus, siue leporem spectes, siue foecundidatem argumenti, qui nunc bonis auibus a nobis exit.

Et derechef parmi les meilleures pièces de cet auteur, Ploutos tient le premier rang, soit que tu considères le charme, soit la richesse de l’intrigue, lui qui aujourd’hui avec de bons présages est parti loin de nous.

Atque utinam fiat, ut quantum uobis est allaturus lucri in bonis litteris, tantum ad me redeat rei domesticae compendium.

Ah si seulement il arrivait que la dépense de mon patrimoine me rapporte autant que à vous elle vous apportera de gain dans les belles lettres !

Quid autem precemur istis, quorum opera tota graecorum noua comoedia periit,in qua sic excelleuerunt illi, ut ad huius gratiam Latini ne aspirare quidem potuerint.

Que souhaiter à ceux par l'œuvre desquels la nouvelle comédie des Grecs a péri, genre où ces derniers ont excellé au point que les Latins n'ont pu pas même aspirer à atteindre sa grâce ?

Saltem unus extaret Menander qui autore Quintiliano adeo pollet inveniendi copia3, et eloquendi facultate, sic omnibus rebus ac persois accommodatus, ut unus nobis multorum instar esse posset.

Si seulement du moins seul Ménandre pouvait subsister, lui qui, comme l’écrit Quintilien est si puissant par l’abondance de son invention et par son éloquence, si approprié en toutes choses et en ce qui concerne les caractères, au point qu'à lui seul il en vaudrait beaucoup pour nous.

Sed quo minus superest, hoc auidius utendum est iis, quae superesse contigit.

Mais moins il reste de choses, plus avidement doivent être utilisées celles qui se trouvent rester.

Bene ualete καὶ διὰ τοῦ πλούτου ἀφθόνων πλουτοῖτε

Portez-vous bien, et grâce à la richesse de ceux qui ne sont pas envieux, enrichissez-vous !

In alma Louniensium Academia. An.M.D.XVIII.

Dans la bonne Université de Louvain, en l’an 1518.


1. Quint., I.O. 10.1.65.
2. Traduction Pascale Paré-Rey « Le rôle de la lecture des auteurs dans le chapitre X de l’Institution Oratoire de Quintilien », B. Goldlust, P. Paré-Rey, BAGB 17/2, novembre 2017, p. 140-141 [ensemble de l'article 114-160]. Ambigüité : le texte latin n’utilise aucun mot pour signifier l’idée de « genre » et, grammaticalement, le ulla semble renvoyer à la comédie. Pourtant, la présence de l’incise concernant Homère prouve sans conteste que le cadre générique de la comédie est dépassé et qu’il est question de la notion de genre d’une manière générale, bien que, une fois de plus, le terme soit omis, même si l’idée est manifestement présente.
3. Quint., I.O. 10.1.66.