Présentation du paratexte
Ce paratexte se trouve dans l’édition d’Aristophane parue à Bâle en 1532 chez Andreas Cratander ; on la doit au professeur de grec réformé Simon Grynaeus (1493 ?-1541). C’est la première édition rassemblant en un seul et même volume les onze comédies qui nous sont parvenues dans leur intégralité.
Ami de Melanchthon, correspondant d’Érasme et de Calvin, Simon Grynaeus est un théologien réformé modéré qui s’attire régulièrement des ennuis pour ses prises de position : à Buda, où il fut recteur d’une école, il est un temps emprisonné ; à Heidelberg, où il est professeur de grec à partir de 1524 puis de latin en 1526, ses collègues catholiques n’apprécient guère ses opinions. Invité par Œcolampade, il s’établit alors à Bâle en 1529, puis part pour l’Angleterre en quête de manuscrits. À son retour il obtient, en plus de sa chaire de professeur de grec, un poste de professeur de théologie à Bâle . Son choix d’éditer Aristophane est très probablement lié à ses activités de professeur de grec. C’est en effet le seul poète qu’il ait édité, ses autres travaux étant plutôt consacrées à des philosophes, des historiens, des textes techniques ou chrétiens. Grynaeus n’élude pas les problèmes que pose Aristophane en tant qu’auteur scolaire, et notamment celui, passé sous silence par ses prédécesseurs, de l’obscénité. Ce sera, dit-il, au professeur de jouer son rôle. Les « défauts » d’Aristophane deviennent ainsi autant d’occasion de fortifier les jeunes âmes contre le vice. Les reproches voilés qu’on pouvait lire chez Mosellanus (1517) et surtout Martens (1518) sont désormais clairement exposés ; mais, loin d’amener à délaisser le poète comique, ils deviennent des moyens d’éduquer les jeunes gens. L’édition de 1532 est une édition importante ; elle marque un tournant puisqu’elle est non seulement la première édition complète du poète mais aussi le lieu d’une nette inflexion dans l’interprétation dont il fait l’objet : son usage n’est plus recommandé sans réserve mais fortement encadré. Elle est reprise notamment par Zanetti, en 1538, puis par Wechel, en 1540, Farreum en 1542 et Brubach en 1544, ce dernier allant jusqu’à réimprimer l’épître de Grynaeus.
Bibliographie :-
Pantin, Isabelle , La lettre de Melanchthon à Simon Grynaeus : Avatars d'une défense de l'astrologie in Divination et controverse religieuse en France au XVIe siècle, Cahiers V. L. Saulnier4 date,85-101 -
Margolin, Jean-Claude , Science et philosophie chez Simon Grynaeus, inMonique Samuel-Scheyder (éd.) , Image de l’homme. L’Allemagne au XVIe siècle, pubPlace, publisher, date,137-155 -
Peter Bietenholz , Contemporaries of Erasmus,II , date, pubPlace, publisher,142-146
Simon Grynaeus iuueni studioso s.
Simon Grynaeus à un jeune étudiant, bonjour
Satis, arbitror, magna causa est, cur sint linguae peregrinae discendae, quod non solum testamentum utrumque iis scripta sunt, sed quod artes etiam bonae, quaecumque uel olim extiterunt, uel nunc apud auctores leguntur, e Graecis fontibus omnes manarunt, ut nisi ea lingua familiariter nota, reuocari disciplinarum orbis ills, quo sine obscura naturae uis omnis est, nullo modo possit.
Il y a, selon moi, suffisamment de bonnes raisons d’apprendre les langues étrangères : non seulement l’un et l’autre Testaments sont écrits ainsi mais les textes de culture, tous ceux qui ont été produits autrefois ou ceux qu’on peut lire aujourd’hui chez nos auteurs, émanent tous de sources grecques, au point que, sans une bonne connaissance de cette langue, le cercle des disciplines, sans lequel le sens de toute la nature reste obscur, ne peut en aucune manière être repris.
Quod si diuidi linguarum studium, et uel absque subiectis rebus uerba, uel absque uerbis res nudae percipi potuissent, aut solas e scriptoribus artium res, missis tantisper uerbis, aut e poetis uerba, quibus illi selectis et aptis maxime abundant, sola missis rebus decerperemus :;
Si l’on pouvait cloisonner l’étude des langues et percevoir les mots sans les choses auxquelles ils réfèrent, ou les choses nues sans les mots, nous pourrions cueillir seulement les choses chez les auteurs de traités théoriques, sans nous soucier des mots, ou chez les poètes les mots seuls, bien choisis et précis, dont ils abondent, sans nous soucier des choses ;
nunc autem cum utruncunque ex his tam arcto uinculo copulatis rebus persequi uelis, alterius curam adhibere necesse sit (nam nec sine uerbis res, nec sine rebus uerba quam apta sint, quamque uim habeant intelliguntur) magna difficulta est, e tam corruptis comici huius moribus, ueluti e spinis, uel ut rectius dicam uenenatis herbis, amoenitates illas uerborum colligendi.
mais en réalité, vu que, quoi que tu cherches de ces deux choses si intimement liées entre elles, tu dois nécessairement te préoccuper de l’autre (car d’une part il n’y a pas de chose sans mot et d’autre part, sans la chose, on ne perçoit pas la propriété et le sens des mots), c’est une grande difficulté, au milieu des mœurs si corrompues que décrit notre poète, que de rassembler parmi ces épines, pour ainsi dire, ou même, pour le dire plus justement, parmi ces plantes vénéneuses, la beauté des mots.
Est enim in hoc praesertim, magna utriusque rei copia ac parum abest, quin inter speciosissimos flores in exitiale maxime uenenum incurras, rem tanto periculosiorem, quanto picturatiores campi huius sunt, et quanto blandus instillatur suauitate uerborum miranda, quam propter in omnes mox puerorum ludos suauiloquentissimum uatem distractum iri coniecto.
Car il y a, surtout chez lui, abondance des deux sortes et on a grand risque, au milieu des fleurs les plus brillantes, de tomber sur le poison le plus mortel, chose d’autant plus dangereuse que les champs où on le trouve sont plus diaprés et qu’il s’instille plus insidieusement à cause de la douceur merveilleuse des termes, en raison de laquelle je soupçonne que bientôt c’est vers toutes les écoles pour enfants qu’on fourvoiera ce poète à la parole si suave.
Vbi si spurca professor transilit, cupide magis eruuntur : sin aperit, periculum est tenerae menti.
Là, si le professeur passe outre les saletés, on les déterre d’autant plus avidement ; mais s’il les explique, il y a danger pour des âmes tendres.
Itaque consilium capiet principio statim magister ille puerorum, ubi prius non tam diligenter commoda lectionis huius quam incommoda expenderit, quomodo per haec prata Aristophanica, grece puerorum inducto, tutus faciat iter.
Aussi ce maître de jeunes enfants prendra-t-il aussitôt la décision, tant qu’il n’aura pas pesé avec la même attention les avantages et les inconvénients de cette lecture, de chercher le moyen le plus sûr pour circuler dans ces prés aristophaniens à la tête de son troupeau d’enfants.
De unoquoque uerbis paucis admoneamus.
Sur chaque sujet donnons de rapides conseils.
Disciplinae publicae species quaedam Comoedia apud ueteres fuit, non ferro, sed stilo et genuino dente, uel morbum publicum, uel priuata hominum praecipuorum uitia castigare, uel successus et fortunam subitam sugillare, saepe etiam causam suam agere consueta, sic ut per lusum, et imaginem ad hoc exquisitam, ea quae notasset, tacito hominum iudicio relinqueret cogitanda.
Chez les Anciens, la comédie était une sorte de discipline publique qui avait coutume, sans le fer mais avec le stylet et ses dents à elle, de châtier la maladie publique ou les travers privés des hommes importants, ou d’insulter leurs succès ou leurs coups de chance soudains, souvent aussi de plaider sa propre cause, au point que, au moyen de la caricature1 choisie à cet effet, tout ce qu’elle avait stigmatisé, elle le laissait à penser au jugement silencieux des hommes.
Qua quidem sibi re sapientiae nomen comparare partim, partim populi animos tanquam certo beneficio delinire et demereri conabatur.
Ce faisant, elle s’efforçait à la fois de se faire attribuer le nom de philosophie et de séduire l’âme du public et de se gagner ses faveurs comme si elle lui avait procuré un bienfait certain.
Huic libertati, quam facile plebis tum regnantis potentia protexit, sales et dicacitas histrionica, tum orationis festiuitas et lepos, uelut demulcimentum additi, ut et uoluptate alliceret homines, et doctrinae specie retineret :
A cette liberté, que le pouvoir du peuple alors au sommet protégea, les plaisanteries et la causticité des acteurs, la verve et l’agrément du discours s’ajoutèrent comme un délassement, au point qu’elle séduisait les gens par le plaisir procuré et les retenait sous couleur d'enseignement ;
fueremque deliciae hae Graecorum summae quondam, Atheniensium praesertim, multitudine uelut consensu publico comprobante.
et c’étaient là autrefois les plaisirs suprêmes de la Grèce et surtout d’Athènes, avec l’approbation de la foule et le consensus public.
Et quanquam ubi reipublicae imperium Athenis ad optimates peruenit, immensae libertati modus additus est ; semper tamen haec ualuit in liberis urbibus plurimum, et in theatris regnauit.
Et même si, le pouvoir à Athènes une fois passé aux oligarques, une mesure fut mise à cette liberté, cette dernière continua à prévaloir particulièrement dans les cités démocratiques, et régna sur les théâtres.
Hoc institutum suum, ut de commodis ipsius prius dicamus, tam artifici industria poetae ueteres exequuntur, ut non immerito tam admirabilis eloquentiae uis solicitarit omnes deinde doctos : tam autem inimitabilis fuerit, ut e Latinis praecipui uestigia horum quomodocunque consequi, et simiae uideri contenti sint.
C’est ce genre institué, pour dire d’abord quelque chose de ses avantages, que les poètes anciens suivent, avec un art si habile que, à juste titre, la puissance admirable de son éloquence a mobilisé ensuite tous les savants et s’est trouvée si inimitable que les meilleurs des Latins se sont contentés de les suivre à la trace d’une manière ou d’une autre et de sembler être leurs singes.
Vbi hoc in primis mirum, quod certa imagine delecta, istuc quod moliri in animis hominum uolunt, ita lucidè, ita clarè efficiunt, ut si multa eadem in re docenda inculcandaque consumas uolumina, nihilo plus consequi possis.
A cet égard, ce qui étonne en premier c’est que, en choisissant une certaine image, ce qu’ils veulent imprimer dans l’esprit des hommes, ils le font avec tant de clarté, tant d’évidence que si l’on consacrait de nombreux volumes à enseigner et inculquer cette même abondante matière, on n’obtiendrait pas meilleur succès.
Est enim omnino eloquentiae uis momentum quoddam in rerum natura, et temporum locorumque opportunitate sita, magis quam uel in uerborum copia, uel rerum : ex quibus utrisque nihil sit tantisper dum non consilium auctoris, in subiectas res et uerba, uelut spiritus infusus, cohaerens membris, necessitateque, deuinctum corpus quoddam efficit unum.
Car la force de l’éloquence est tout à fait comme un monument : elle se trouve dans la nature et dans les circonstances spatio-temporelles plus que dans l’abondance des mots ou des choses, deux dimensions qui n’ont guère de valeur tant que le projet d’un auteur, comme un esprit infusé aux choses et aux mots auxquels elles sont associées, n’en a pas fait comme un seul corps cohérent et lié par les membres et la nécessité.
Cuius quidem rei facultas illis uelut in manu fuit.
Eh bien eux ont eu entre les mains cette capacité d’agir sur les choses.
Adde, quod omnia quae ad istud quod iam diximus ueluti corpus, et uiuam imaginem utiliter accomodari potuerunt, occasione et opportunitate perspecta, ita loco quidque adhibuerunt, ut ne Momo quidem, quod ad artificiosam eius argumenti dispositionem attinebat, calumniandum quidquam relinqueretur.
Ajoutons que tout ce qui a pu contribuer utilement à former cette sorte de corps dont j’ai parlé et cette vivacité de l’image, par la prise en compte de l’occasion et de l’opportunité, ils l’ont mis à sa juste place, au point que même un Mômus, pour ce qui touchait à la technique de la disposition argumentative, n’aurait rien trouvé à y calomnier.
quas duas res solas ex istis auctoribus petimus.
Or ce sont les deux seules qualités que nous demandons à ces auteurs.
Ipsa uero imaginis iam expressio et eloquutio, ita accomodatis, ita aptis uerbis, ita luculenter et expedite sit, ut mereatur admirationis non minus quam inuentio ipsa ;
Ce sens de l’image, cette formulation se font avec des mots si choisis, si adaptés, avec tant de brio, tant d’aisance, que cela mérite autant d’admiration que l’invention elle-même.
Nam uirtutes ipsae nusquam etiam apud philosophos syncerè, praeterquam in sacris discuntur.
Car les vertus mêmes, y compris chez les philosophes, ne s’apprennent nulle part en toute sincérité que dans le sacré.
Hanc homines isti industriam utinam aliis in rebus exercuissent, quo minus esset periculum eam nobis peruestigare.
Ah si ces hommes avaient mis la même application à l’étude des autres domaines sans qu’il y eût pour nous de danger à les suivre à la trace !
Nunc autem (nam haec iam incommoda ipsius sunt) cum nulla res perniciosa magis sit, quam specie uirtutis uitia docere, professa autem comoedia uetus disciplinam publicam, qua nihil sanctius, nihil grauus, nihil modestius esse debet, ne micam quidem grauitatis ullius obtineret, nihil moribus publicis, quos perditissimos ipsa habebat, praeter scurrilitatem et dexteritatem quandam contuit, quodlibet dictum factum risu excipiendi, naso suspendendi, scommate prehendendi arripiendique adeo ut eares studio principi Graecorum populo Atheniensium una fuerit, unde nasus Atticus in prouerbium uenit.
Mais en réalité (car ce sont là les inconvénients de cette situation), comme il n’y a rien de plus dangereux que d’enseigner les vices sous couleur de vertus et que la Comédie ancienne, qui faisait profession d’éducation populaire, celle qui est la plus sacrée, la plus sérieuse, la plus modérée, n’obtenait néanmoins pas la moindre once de sérieux, elle n’apporta rien aux mœurs publiques, qu’elle considérait elle-même comme très riches, sauf de la bouffonnerie et une certaine adresse à accueillir toute parole, tout événement en en riant, à leur faire des pieds de nez, à les accepter et à s’en emparer avec sarcasmes, au point que la chose est devenue en même temps pour la première cité grecque, Athènes, une préoccupation, d’où vient que le nez attique est passé en proverbe.
Quod ex eo accidit, quod quemadmodum
praeclare Cicero scribet, cum magnam speciem doctrinae sapientiaeque prae se poetae ferant,
audiuntur, leguntur, discuntur, et penitus in mentibus inhaerescunt
2
Il en est advenu ce que Cicéron écrit excellement, que lorsque les poètes font montre d’un grand étalage de savoir et de sagesse, on les écoute, on les lit, on les apprend par cœur et ils vous restent profondément dans la tête.
Ergo rempublicam illi non iuuabant, sed perdebant, nec emendabant uitia, sed serebant, plebis moribus indulgentes, uitiis adulantes, leuitatem alentes.
Par conséquent, loin de rendre service à l’état, ils causaient sa perte ; loin de corriger les vices, ils les semaient, en montrant de l’indulgence aux mœurs du peuple, en flattant ses vices, en alimentant sa légèreté.
Quem enim scurrae, et ludiones isti ad uirtutem exemplo suo trahant: in quibus praeter linguam, et ingenium, utrumque mirum quidem, sed uenale, in uniuersa uita nullum est momentum frugis bonae, sed fuco, risu, simulatione, dissimulatione, et morbo quidquam cauillandi tranfigitur tota.
Car qui ces bouffons et ludions auraient-ils pu mener à leur exemple à la vertu, eux qui, en dehors de la langue et du talent, tous les deux vraiment remarquables (mais à quel prix ?), ne présentent dans toute leur vie aucun témoignage de bon comportement mais la traversent en entier dans l’énergie, le rire, la simulation, la dissimulation et la manie de se moquer de tout ?
Equidem cum nihil alienius a disciplina, nihil infestum magis moribus bonis sit, quam scurrilitas et leuitas dissoluta, spectaculis istis teneram aetatem prorsus exclusit Aristoteles3, non ignarus theatrum hoc totum corruptum esse.
Et d’ailleurs, comme rien n’est plus éloigné de l’apprentissage, rien plus hostile aux bonnes mœurs que la bouffonnerie et la légèreté dissolue, Aristote a exclu l’âge tendre de ces spectacles, bien conscient de la complète immoralité de ce théâtre.
Vitia risu prosequuntur, quae ferro et igne magis conueniebat: atque, eas res in publicum ad hominum uoluptatem producunt, quas nefas est nominare.
Ils poursuivent les vices avec le rire, quand c’est avec le fer et le feu qu’il faudrait le faire et ils montrent en public pour faire plaisir aux gens des choses qu’il est honteux de nommer.
Vnde intelligimus quam procul a schola Christiana genus hoc totum disciplinae conueniat abesse.
Et nous comprenons donc combien il convient d’éloigner de l’école chrétienne tout ce pan d’apprentissage.
Nam ubi primum coepit impune quiduis dici, etiam fieri incipit, ut sit procliue ab istis ludionibus grauitatem disciplinae Christianae dissolutam iri.
Car dès lors qu’on s’est mis à dire impunément n’importe quoi, il se produit aussi à cause de ces ludions une pente dangereuse qui peut mener à la fin du sérieux de l’éducation chrétienne.
Habes qualis Comoedia fuerit olim, adhaec quae commoda, quae incommoda ferre iuuentuti possit: dicamus nunc quo pacto per illud lubricum suos ita magister ille traducat, ut ex incommodis periculi minimum, e commodis plurimum fructus reportet.
Tu sais comment a été autrefois la comédie, en outre quels avantages et inconvénients elle peut apporter à la jeunesse ; disons maintenant comment, par ce gué glissant, le bon maître peut faire passer les siens, en leur procurant, parmi les inconvénients, le moins de danger possible, parmi les avantages, le plus de profit.
Ac de posteriori quidem, id est lucro ex istis auctoribus faciundo, quando inuentionis, dispositionis, eloquutionis exemplum clarissime praebent, rerum minime contemnendarum, cum scripta multis multa sint, nil opus est uerbis.
Et sur ce dernier point, à savoir le gain à faire à partir de ces auteurs, quand ils offrent un parfait exemple de style, de disposition, de langue, et de situations nullement embarrassantes, comme beaucoup de gens ont beaucoup écrit, il est inutile d’en dire davantage.
Ludit enim et suum et iuuentutis tempus miro modo, quisquis in opere quocunque interpretando, ante omnia non insinuat sese in illud quod diximus scripti momentum, et corporis totius eam compaginem, unde uelut anima et spiritu caetera pendent.
Car il se moque de son temps et de celui de la jeunesse de belle manière celui qui, en traduisant n’importe quel ouvrage, ne s’insinue pas dans ce mouvement du texte dont nous parlions, dans cet assemblage de tout le corps où tout est accroché par l’âme et par l’esprit.
Haec specula, et aeditus ille locus est, unde uelut in subiectam totius scripti regionem dispicere, et de singulis ut inter se cohaereant iudicare licet.
C’est de cette cime et de ce sommet qu’on peut examiner telle région du texte et juger dans le détail comment les éléments s’assemblent entre eux.
Caetera ut sunt aetatum, conditionum omnium mores sui, tum affectus, et in illis rebus publicis finis rerum libertas, tum schemata, tropi, Atticae linguae proprietas, ut facile dicuntur, ita tenenda sunt prorsus, si quis introspiciendum dare auctorem uelit. Quae omnia et instituti sunt alterius, et uirium maiorum.
Par ailleurs, comme les mœurs qu’on a relèvent de l’époque et des circonstances où l’on vit, c’est tantôt les sentiments et, dans ces cités-là, la fin de tout qu’est la liberté, tantôt les figures, les tropes, la précision de la langue attique qui, de même qu’on les nomme facilement, doivent être profondément pris en compte si l’on veut donner à voir un auteur de l’intérieur. Tout cela relève d’un autre statut et de forces plus grandes.
Superest nunc illud, cuius solius gratia non piguit hanc paginam occupare, et de studiis studiosorum iuuenum tantillum temporis suffurari, nempe quomodo spurca illa et leuia? praeceptor fidus transmittat, tyrunculorum auribus inoffensis: quibus nisi iudicio nonnihil confirmatis ista minime proponenda putem, quod ab his solis et uitia damnari, confodique et uirtutes animaduerti recte possint ?
Reste l’unique sujet qui a motivé d’occuper une page de ce livre et de voler quelques secondes aux études des jeunes étudiants : comment ces saletés et balivernes, le professeur scrupuleux doit-il les faire passer, sans offenser les oreilles des jeunes recrues à qui je juge qu’il ne faut pas les proposer avant qu’ils n’aient un jugement sûr, parce que seuls ils peuvent condamner et fossoyer les vices et reconnaître correctement les vertus ?
Ergo cum uerruca incidit, non absque iactura graui teneriorum mentium superanda, professor bonus quemadmodum dux ille periculum nullo pacto diffimulabit, ne tyrones tanquam ab improuiso hoste circumueniantur: sed contione aduocata, ea inuidia grauabit hostem, ea nota iuret, signabitque uitium, ut non solum in praesentiarum, sed in omne deinceps tempus norit iuuenis tanquam letale uirus obseruandum.
Donc, quand survient une verrue, impossible à vaincre sans un détriment important auprès des jeunes esprits, le bon professeur, comme le bon chef, ne dissimulera en aucun cas le danger, pour éviter que les recrues inexpérimentées ne se fassent encercler par l’ennemi qu’elles n’ont pas vu venir ; il convoquera les troupes, il chargera l’ennemi d’une telle haine, marquera si profondément le vice au fer rouge que non seulement pour l’immédiat mais pour le reste des temps, le jeune homme le reconnaîtra comme un poison mortel à surveiller.
Hoc ita meo quidem uidere fiet, si ostendat ipsum per se uitium, ut exemplum scurrilitatis, obscoenitatis, quam indignum homine sit mente praedito, et idcirco rebus solum pulcherrimis imbuendo: item sic Ethnicorum prophanos mores esse, ubi quis Ethnicus, quid prophanum sit docebit.
Il se produira à mon avis, en montrant le vice en soi et pour soi, qu’il fera comprendre à quel point un exemple de bouffonnerie, d’obscénité est en tout point incompatible avec un homme sain d’esprit et, partant, qu’on doit abreuver seulement des plus belles moralités ; de même il enseignera que les mœurs des païens sont profanes quand il enseignera qui est païen, ce qu’est le profane.
Inde ex Euangelio certam sententiam opponet, ut scurrilitati, de quolibet ocioso uerbo reddendam rationem: obscoenitati, tradidit eos per cupiditatem cordium suorum, et solum malum ociosum esse, ubi de utilitate et usu sermonis: in posteriore, de caecitate affectus, utrinque pro captu iuuenum disputabit.
De là, il tirera de l’Evangile un verset à opposer par exemple à une bouffonnerie, à propos d’un mot oiseux, un compte à rendre à l’obscénité ; il les a amenés, par le désir et la saleté qui règne dans les cœurs, à frapper leur corps d’ignominie ; d’abord il montrera que le mal est par essence paresseux, quand il traitera de l’utilité et usage de la langue, ensuite, à propos de l’aveuglement des passions, dans les deux cas en fonction de la compréhension des jeunes gens.
Addet exemplum contrarium, ut obscoenitati castimoniam Iosephi, cum eo affectu quo istic scriptura infixit.
Il ajoutera l’exemple contraire, par exemple contre l’obscénité celui de la chasteté de Joseph, avec le même pathos que dans la Bible.
Postremo in comparatione sacrarum, et prophanarum literarum, et hic et in toto hoc genere auctorum, quotiescunque de recto et honesto mentio est, assiduus erit.
Enfin, comparant les littératures chrétienne et païenne, et ce chez tous les genres d’auteurs, dès qu’il s’agira du juste et du bien, il s’attardera.
Hoc ubi fecerit, tum poetae locum ita producet, ut in singulis rebus mentem pueri ad superiorem scripturae sententiam et exemplum auertat: ita in uitiis non uitia, sed uirtutem interpretabitur, et illustriorem reddet: quod praecipuum esse in omni puerili institutione consilium debet.
Dès lors, cela fait, il montrera une citation de poète de manière à ce que, dans chaque cas, l’esprit de l’enfant soit ramené à une phrase précédente et à un exemple des saintes écritures et ainsi, dans les vices, ce ne sont pas les vices mais la vertu qu’il transposera et illustrera, ce qui doit être le principe directeur de toute éducation d’un enfant.
Et est praeterea uiri boni, qualem praecepto rem esse decet, etiam e uitiis fructum facere posse.
Et c’est en outre l’apanage de l’homme de bien (chose qui doit advenir par les leçons) que de tirer profit aussi des vices.
Quid enim? an non uitiorum omnium seminarium in omnibus aeque est, plus periculi habens scilicet, quam cum est foris ?
Et quoi ? est-il légitime que le séminaire soit la serre de tous les vices en chacun et recèle plus de dangers que l’extérieur ?
Ergo non solum non periculosum, sed utile sit, si caute fiat, ut frugi exemplis radices uirtutum prouocare, ita tetris grauiter et uere proscissis, dum in fruge sunt uitia, prouidenter occurrere, et penetrabili oratione eradicare, aut cum id non possis, tanquam pestem certam notare.
Eh bien qu’il soit non seulement sans danger mais aussi utile, si on y fait attention, autant, par de beaux exemples, pour l’enracinement des vertus que, quand il y en a de néfastes, difficilement et vraiment arrachés par le labour, chaque fois qu’il y a du mal dans le fruit, pour la lutte providentielle et l’éradication qu’on en fait par un discours pénétrant, ou, à défaut, par le stigmate qu’on laisse sur ce fléau.
Facile uenena cauentur, cum sunt deprehensa, cumque uenena esse constat ; quorum utrumque praeceptor diligentia et iudicio suo curabit. Vale.
Les poisons s’évitent facilement quand on les découvre et qu’on sait que ce sont des poisons ; le professeur saura faire l’un et l’autre par son zèle et son jugement. Adieu.