CLARISSIMO ET OMNIS BONAE LITERATURAE PERITISSIMO DOMINO PHILIPpo Melanchthoni, Sigis. Gelenius S.D.
Sigismund Gelenius

Présentation du paratexte

1. Sur la page de titre figure une épigramme à Aristophane d’Antipater de Thessalonique (Ier s. av. J.-C.). ΕΠΙΓΡΑΜΜΑ ΕΙΣ ΑΡΙΣΤΟΦΑΝΗ Βίβλοι ἀριστοφάνευς θεῖος πόνος, αἷσιν ἀχαρνεὺς Voici les livres d’Aristophane, labeur divin, sur lesquels Κισσὸς ἐπὶ χλοερὴν πουλὺς ἔσεισε κόμην. Le lierre acharnien touffu a secoué sa chevelure verte. ᾿Ηνὶδ’ὃσον Διόνυσον ἔχει σελίς, οἷα δὲ μῦθοι Voilà combien de Dionysos contient chaque page, combien les histoires/intrigues Ηχεῦσι, φοβερῶν πληθόμενοι χαρίτων. Résonnent, pleines de charmes effrayants/qu’il faut craindre ? ῏Ω καὶ θυμὸν ἄριστε καὶ Ἑλλαδος ἤθεσιν ἶσα Ô toi le meilleur Comique et pour ce qui est du cœur/courage/colère et Κωμικέ, καὶ στύξας ἄξια καὶ γελάσας parce que tu as haï et ri à la hauteur de ce que méritaient les mœurs de la Grèce. Anthologie Palatine 9.186, Beckby. Here’s Aristophanes in books, a divine production, over which Acharnae’s luxuriant ivy shook its long green locks See how much Dionysus each page has, how greatly the stories resound, filled with fearful grace. O noblest comic heart, as the characters of Hellas merited, you both hated and laughed as the deserved. Traduction de Niall Slater, « Aristophanes in Antiquity : reputation and reception », in P. Walsh, Brill’s Companion to the Reception of Aristophanes, p.11.

2. Troisième édition accompagnée de scholies (après 1498 et 1525).

3. Après l’épigramme et l’épître dédicatoire de Gelenius à Melanchthon on lit : ΜΑΡΚΟΣ ΜΟΥΣΟΥΡΟΣ Ο ΚΡΗΣ ΤΟΙΣ ΕΝΤΕΥΚΟΜΕΝΟΙΣ ΕΥ ΠΡΑΤΤΕΙΝ ΕΚ ΤΟΥ ΕΓΧΕΙΡΙΔΙΟΥ ΗΦΑΙΣΤΙΩΝΟΣ, ΕΠΙΤΟΜΗ ΤΩΝ ΕΝΝΕΑ ΜΕΤΡΩΝ Δεμετρίου τοῦ τρικλινίου Τοῦ αὐτοῦ περὶ σημείων τῆς κοινής συλλαβῆς τῶν ??? κειμένων τῆς βίβλου Ἐκ τοῦ Πλατωνίου, περὶ διαφορᾶς κωμῳδιῶν Τοῦ αὐτοῦ περὶ διαφορᾶς χαρακτήρων Περὶ κωμῳδίας Ἀλλως περὶ κωμῳδίας τῶν τῆς ἀρχαίας κωμῳδίας ποιητῶν ὀνόματα καὶ δράματα Ἀριστοφάνους βίος Περὶ κωμῳδίας Περὶ κωμῳδίας Θωμά τοῦ μαγίστρου συνοψις τοῦτε βίου ἀριστοφάνους, καὶ τῆς τοῦ δράματος ὑποθέσεως Ἡ ὑπόθεσις τοῦ παρόντος δράματος, ἔστιν αὕτη ΑΛΛΩΣ Ἑτέρῶς ὑπόθεσις ΑΡΙΣΤΟΦΑΝΟΥΣ ΓΡΑΜΜΑΤΙΚΟΥ ὑπόθεσις δι’ ἰάμβων ΤΑ ΤΟΥ ΔΡΑΜΑΤΟΣ ΠΡΟΣΩΠΑ

4. Sigismund Gelenius : Sigismund Hruby. Né à Prague. Voyage en Italie, Allemagne, France. Étudie avec Markos Mousouros. Correcteur, éditeur et traducteur chez Froben de 1524 à sa mort.

Traduction : Christian NICOLAS

CLARISSIMO ET OMNIS BONAE LITERATURAE PERITISSIMO DOMINO PHILIPpo Melanchthoni, Sigis. Gelenius S.D.

A l’illustrissime expert de toute la bonne littérature, M. Philippe Melanchthon, Sigismond Gelenius donne le bonjour.

Aristophanem singulare Attici leporis exemplar, primus ex officina Aldi studiosis dedit Marcus Musurus Cretensis praeceptor olim noster, uir in utraque lingua omnium suae gentis doctissimus, et in eruditionis honorem ad summas dignitates euectus.

Aristophane, exemple unique du charme attique, le premier qui l’a édité pour les savants depuis les presses d’Alde, c’est Marcus Musurus de Crète, feu mon maître, l’homme le plus savant de son pays dans les deux langues et élevé aux plus grandes dignités en honneur de son érudition.

Nec potuit uel optari alius ad curandam editionem commodior, quippe qui adiuncta ad exquisitissimum iudicium summa cura ac diligentia effecit ut non alius liber ex ea officina prodierit castigatior.

Et on ne pouvait espérer meilleur spécialiste pour se charger de cette édition, vu que, joignant à un goût très sûr un soin extrême, il a réussi à ce que ce livre soit la meilleure édition critique de toutes celles qui sont sorties de ces presses-là.

Proinde Florentini typographi cum hac parte uincere non possent, addiderunt tamen aliud lenocinium : et sparsim adiecerunt multa in commentariis, sane non aspernanda eiusmodi deliciarum consectatoribus.

Dès lors les typographes florentins, comme ils ne pouvant pas l’emporter sur ce point, ajoutèrent néanmoins un autre atout et parsemèrent beaucoup d’information en notes, ce qui n’est certes pas pour déplaire à ceux qui sont adeptes de ce genre de joyeusetés.

Itaque cum utraque editione mature distracta desiderarentur exemplaria, flagitatione bibliopolarum adducti Hier. Frobenius et Nic. Episcopius uiri multorum iam annorum opera et impensa de literatis optime meriti, noluerunt deesse officio, me quoque in partem laboris adscito : qui eius uiri quem loco parentis semper ueneratus sum, uestigia sequi satis habui, duntaxat in nouem comoediis.

Aussi, comme de ces deux éditions très vite épuisées on manquait d’exemplaires, sous la demande pressante des vendeurs de livres Jérôme Froben et Nicklaus Bischoff, hommes qui depuis des années par leur travail et leur investissement dans les lettres ont mérité l’estime de tous, n’ont pas voulu manquer à leur devoir et m’ont choisi comme partenaire, moi qui, de cet homme que j’ai toujours vénéré comme un père, me suis contenté de suivre les traces, au moins pour neuf comédies.

Nam de duabus postremis hoc tantum polliceri possum, castigatiores esse quam antea. In commentariis Florentinos ut copiosiores sequi maluimus.

Car pour les deux dernières, je peux seulement promettre qu’elles ont été encore plus amendées qu’avant. Dans les notes, j’ai préféré suivre les Florentins, parce que plus copieux.

Quod uero ad autorem ipsum attinet, nemo hominis facundiam uerbis ita queat extollere, ut non re ipsa ille maior inueniatur.

Pour ce qui intéresse l’auteur lui-même, aucun homme au monde ne pourrait hausser suffisamment le niveau de son invention verbale sans être néanmoins dépassé par celui-là.

Quamobrem nunquam non amatores habuit plurimos : et scholis Comici, quasi eorum lectio minus competat adolescentibus ob nequitiam : hic tamen unus in communi crimine impetrauit ueniam, nimirum praerogatiua Atticae eloquentiae.

Aussi a-t-il toujours eu ses fanatiques et, bien que, publiquement accordés, les prêtres et les moines grecs aient éliminé des écoles les auteurs comiques, dans l’idée que leur lecture ne convenait pas aux jeunes gens à cause de leur obscénité, lui seul pourtant a échappé à la condamnation générale, grâce évidemment à son éloquence attique.

Quin et Antiochenus ille Ioannes eximiis semper connumeratus Theologis, et ab oris ubertate cognominatus Chrysostomus, fertus bonam partem suae tum facundiae tum uehementiae in corripiendis uitiis, maxime muliercularum, ex huius paene quotidiana lectione hausisse : quandoquidem non desunt qui tradant ut olim Alexandrum Homeri poema, ita hunc nostrum Aristophanis puluillo subdere solitum.

Bien plus : ce Jean d’Antioche qu’on compte toujours dans les premiers théologiens et qu’on a surnommé, à cause de l’abondance de sa parole, Chrysostome, passe pour avoir puisé une bonne part de sa faconde et de sa virulence à corriger les vices, notamment contre les filles de joie, dans la lecture quasi-quotidienne de cet auteur, puisque certains même racontent que, comme Alexandre le faisait avec le poème homérique, Chrysostome avait l’habitude de prendre Aristophane comme oreiller.

Et quia haec quoque editio mediocri labore mihi constitit, isque ad finem tendebat eo potissimum tempore quo tu Philippe uir doctisime non longe hinc abesse dicebaris, libuit occasionem arripere, et Aristophanem dedicando tibi graecae totius literaturae peritissimo, renouare hospitalem tesseram : simulque si tu tantus Hercules me uelut Molorchum non dedigneris, meum uicissim offerre hospitiolum, quandoquidem et Theseum ab Hecale acceptum legimus.

Et du fait que cette édition aussi m’a coûté un travail consistant, et qu’elle tendait vers sa fin au moment précis où l’on disait que toi, Philippe, homme très savant, tu te trouvais non loin d’ici, j’ai cru bon de saisir l’occasion, en te dédiant cet Aristophane, à toi le plus grand spécialiste de toute la littérature grecque, de te renvoyer l’hospitalité et par là même, à supposer que l’immense Hercule que tu es ne dédaigne pas le Molorque que je suis, de t’offrir le gîte à mon tour, puisque même Thésée a été reçu d’Hécalé, à ce qu’on peut lire.

Nec dubito quod te non paenituerit inuisisse Basiliam, cum sciam hic quoque multos ac magnos uiros esse tui cupientissimos.

Et je suis sûr que tu ne regretteras pas d’avoir visité Bâle, vu que je sais qu’ici aussi il y a des hommes nombreux et importants qui sont désireux de te voir.

Neque me deterruit, quod fortasse quibusdam ambitiose facere uidebor, dum eadem epistola duorum nostri seculi in Graecis literis doctissimorum alterius discipulum alterius etiam hospitem me profiteor.

Et je n’ai pas peur que certains croient peut-être voir chez moi de l’ostentation à m’avouer dans la même lettre, à l’égard des deux plus grands hellénistes de notre époque, du premier le disciple et du deuxième l’hôte.

Cur enim cuiquam inuideantur sua decora.

Car pourquoi envier à quelqu’un ses belles réussites ?

De tua certe uoluntate persuasum mihi est, quod quo animo hoc feci, eodem tu factum interpretaberis.

Pour ce qui est de tes sentiments, j’ai l’intime conviction que c’est avec l’état d’esprit où je l’ai fait que toi tu interprèteras mon action.

Vale. Basiliae, uertente bruma.

Adieu, à Bâle, au tournant de l’hiver.