Présentation du paratexte
Charles Girard, sans toucher à liste des personnages, expose ici au lecteur les raisons, principalement dramaturgiques, qui l'amènent à la remettre en question et à considérer qu'il n'y a pas lieu de mentionner le onzième personnage Ἕτερος ἀνὴρ ἄδικος : les vers qui selon lui pourraient lui être attribués montrent qu'il s'agit d'un personnage juste, et non injuste. Il propose donc de supprimer ce personnage de la liste – ce que cependant il ne s’autorise pas - et d'attribuer ces vers à un autre personnage de la liste, le Juste.
Venatorius et Chilius, eux aussi traducteurs du Ploutos en 1531 et 1533 avaient avant lui supprimé ce personnage de la liste des personnages, sans pour autant s’en expliquer. Le contexte pédagogique dans lequel ils ont réalisé ces traductions, et notamment le fait que Chilius a traduit en vue de faire jouer la pièce à ses élèves, invitent à penser que c’est l’approche dramaturgique et l’horizon de la scène qui les ont amenés eux aussi à modifier la liste des personnages et à supprimer ce personnage auquel ne correspondait aucun texte.
La correction ne sera définitivement adoptée qu’avec l’édition de Brunck, en 1781.
On perçoit bien avec ce texte les liens qui entre philologie, traduction, pédagogie et dramaturgie.
Bibliographie :- Malika Bastin-Hammou, “Translating Aristophanes’ Plutus in Latin during the Renaissance. The Dramatis personae: from text to stage”, Mediterranean Chronicle 7, 2018, 41-54.
LECTORI
AU LECTEUR
Progrediendum nobis non prius duxi, Lector, quam te praemonere in omnibus exemplaribus, quae certe mihi uidere licuit quatuordecim personas huic comoediae tribui, quas ordine propono descriptas. Verum aut ego fallor aut ex iis quae undecima est falso inscribitur Ἕτερος ἀνὴρ ἄδικος : legendum potius Ἕτερος ἀνὴρ δίκαιος.
J’ai estimé, Lecteur, qu’il ne nous fallait pas avancer plus avant sans te prévenir de ce que, dans tous les exemplaires, du moins de ceux qu’il m’a été donné de voir, on attribue quatorze personnages à cette comédie, que je propose inscrits dans l’ordre. Mais ou je me trompe ou celui qui porte le numéro onze est mal nommé « Le deuxième homme injuste » : mieux vaut lire « Le deuxième homme juste ».
Personae huic locus est, si quidem alibi
usquam est, in ea scaena cuius principium habet ita : ἆρ’, ὦ φίλοι γέροντες
1ἐγὼ γὰρ αὐτὸς ἐξελήλυθα
2
Ce personnage se
trouve (si du moins il n’est pas aussi ailleurs) dans la scène qui commence ainsi :
ἆρ’, ὦ φίλοι γέροντες 3
. C’est tout à fait un « homme
juste » et non « injuste » qui voit la vieille femme. On le sait de ce qu’il est
facétieux et ami de Chrémyle, de chez qui il sort tout content quand il dit à la
vieille : ἐγὼ γὰρ αὐτὸς ἐξελήλυθα 4. Or personne ne se
réjouissait, personne n’était heureux qui ne soit pas par là même « Juste ».
Amplius dico : undecimus ille actor ex hoc Catalogo prorsus est expungendus. Nam iustus qui illic anum ridet, ille ipse est qui Sycophantae misero paulo ante illuserat.
J'irai plus loin : ce onzième personnage doit carrément être exclu de la liste. Car cet homme juste qui se moque alors de la vieille est précisément celui qui, peu avant, s’était moqué du sycophante malheureux.
In ea sententia ut sim, plurimum facit, quod
iustus ait τί δ’ ἐστίν ; ἦ που καὶ σὺ συκοφάντρια ἐν ταῖς γυναιξὶν
ἦσθα ;
5
Pour que
j’arrive à cette conclusion, un excellent argument est que le Juste dit : τί δ’ ἐστίν ; ἦ που καὶ σὺ συκοφάντρια ἐν ταῖς γυναιξὶν ἦσθα ;
6
Toi, quand tu
en seras rendu là, tu examineras duquel des deux il se moque plutôt. Pour ceux qui
ont attribué la réplique non pas au Juste mais à Chrémyle, je n’arrive pas à savoir
ce qui leur est passé par la tête.
Leuius fortasse hoc fuerit, non tamen protinus mihi contemnendum. In hoc opusculo aliquot occurrerunt loca quae alio alioque modo accipi possunt ; in his secutus ego sum quae tum mihi uisa sunt probabiliora.
Cela pourrait être peu de chose mais j’ai jugé que ce n’était pas négligeable. Dans l’ouvrage il y a plusieurs passages qu’on peut prendre de telle ou telle façon ; j’y ai suivi ce qui m’a alors paru le plus probable.
Nolim propterea quis meam interpretationem προκατάγνωσιν quandam esse putet, mecumque censura agat seueriore.
Je ne voudrais pas en outre qu’on trouve que ma traduction est une sorte de προκατάγνωσις 7 ni qu’on me fasse des reproches trop sévères.