Présentation du paratexte
Lambertus Hortensius (1500-1574): Lambertus Hortensius est un prêtre historien et humaniste néerlandais. Il est recteur de l’école latine (Gymnasium) de Naarden en 1544 et bien qu’il ne s’éloigne pas vraiment de la foi catholique, il sympathise avec les idées de la réforme. Son nom en langue vernaculaire n’est pas connu. Il a beaucoup commenté les auteurs anciens, et notamment Aristophane, Virgile et Lucain et il a également écrit des œuvres historiques en latin, notamment autour de la Réforme et des Anabaptistes (comme l’Histoire des Anabaptistes ou Relation curieuse de leur doctrine) qui ont un rayonnement international. Ses commentaires sur l’Enéide de Virgile, Enarrationes in sex priores libros Aeneidos Virgilianae ont été publiés en 1559, suivi en 1577 d’une édition complétée avec les commentaires de Lambertus Hortensius sur les six livres suivants. Cependant, les commentaires sur les livres VII à XII sont moins nombreux.
Dans ce paratexte, pour contextualiser les Nuées dans l’ambiance antisocratique de l’époque, Hortensius dresse, d’après les Vies des philosophes de Diogène Laërce, sa source presque exclusive, une doxographie des principales doctrines philosophiques rangées dans un ordre presque strictement chronologique (certaines postérieures à Socrate, d’ailleurs), insistant sur leurs déviances, pour montrer que ces enseignements avaient perverti les esprits des Athéniens de l’époque d’Aristophane, devenus incapables de reconnaître une pensée saine d’une mauvaise. Socrate a donc suscité la haine dont Les Nuées sont une traduction littéraire. La réflexion est proche de celle développée par Melanchthon dans la préface à son édition des Nuées de 1521 : il s'agit de condamner la philosophie. Hortensius est néanmoins plus mesuré que Melanchthon, puisqu'il sauve Socrate.
Bibliographie :- Kristine Louise Haugen, “A French Jesuit’s Lectures on Vergil, 1582-1583: Jacques Sirmond between Literature, History, and Myth”, in Sixteenth Century Journal, Vol. 30, No. 4, 1999, pp. 967-985
- https://nl.wikipedia.org/wiki/Lambertus_Hortensius
- http://www.prdl.org/author_view.php?a_id=6495
- https://books.google.fr/books?id=5B5BAAAAcAAJ&printsec=frontcover&redir_esc=y#v=onepage&q&f=false
- Caspar Burmann, Trajectum Eruditum, Utrecht, 1750, pp. 155-62.
Ornatissimo uiro domino Iacobo Vutenengo, decano ad diuum Petrum, et Vicario episcopi VltraiectiniLambertus Hortensius Montfortius Salutem dat
À l’homme le plus instruit, M. Jacques Vutenengus, doyen de Saint-Pierre et vicaire de l’évêque d’Utrecht1, Lambert Hortensius de Montfort donne le bonjour.
Disputatum aliquando a uiris quibusdam eruditis in umbra est, uir ornatissime, plusne boni, an mali, utilitatisne, an incommodi olim philosophi reipublicae Atheniensi attulerint, cum toto orbe, cum aliis multis nominibus, tum philosophiae studio celebris haberetur.
On a parfois débattu entre quelques érudits, dans l’ombre, ô homme fort doué, pour savoir si les philosophes ont apporté plus de bien ou de mal, plus d’avantages ou d’inconvénients à la cité d’Athènes quand, dans le monde entier, à plusieurs autres titres mais particulièrement pour son goût de la philosophie, elle commençait à être célèbre.
Confluebant eo tanquam in emporium rerum uenalium ex omnibus mundi plagis, uel studiorum caussa, uel ostentandi ingenii gratia, ut, quemadmodum in negotiationibus fieri uidemus, mercem ibi suam extruderent.
On y venait, comme dans une zone commerciale, depuis tous les coins du monde soit pour y étudier soit pour y montrer son talent afin, comme on le voit faire dans les affaires, d’y fourguer sa marchandise.
Et quia nulla ferme urbs, aut regio est,
quin sua peculiaria habeat uel uitia, uel uirtutes, quibus male audiat, aut
commendetur, iuxta paroemiam, νόμος καὶ χῶρα
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Et comme il n’y a presque aucune ville ni région qui n’ait ses spécialités de vices ou de vertus qui lui donnent sa mauvaise ou bonne réputation, selon le proverbe « la loi c’est le pays », il était inévitable que chacun ajoute un peu de la saveur de sa patrie à sa science.
Poeni perfidi, Scythae asperi, Cretenses mendaces, Parthi fugaces, Arcades stolidi, Thraces bibaces, Leontini luxuriosi, Milesii effeminati audiebant.
Des Puniques perfides, des Scythes belliqueux, des Crétois menteurs, des Arcadiens sots, des Thraces ivrognes, des Léontins obsédés sexuels, des Milésiens efféminés, tel était l’auditoire.
Et ne infinitas gentes enumerando prosequar, ex his aliisque barbaris regionibus Athenas profecti, colluuiem quandam effecere.
Et, pour ne pas continuer cette litanie infinie des nations, venus de ces régions barbares et d’autres encore pour gagner Athènes, ils en firent une sorte de décharge.
Eoque amentiae fanatici quidam rapti fuere, ut rerum naturam inuertere niterentur, et prima principia, quae nobiscum nascuntur, et in omnem generis humani posteritatem propagantur, extinctum irent.
Et un tel degré de démence s’empara de certains fanatiques qu’ils s’employèrent à inverser la nature et que les premiers principes, qui naissent avec nous et se transmettent au genre humain de génération en génération, allèrent à leur perte.
Nam quam per somnium insaniam, aut stultitiam animis conceperant, eam statim griphis persuadere auditoribus, adeoque pertinaciter defendere, uel capitis periculo, ut ita rebus fidem facerent, aggrediebantur, ut citius bonis, quam opinione semel concepta cessuri uiderentur.
Car la folie et la sottise qu’ils avaient conçues en songe, ils entreprenaient aussitôt, par énigmes, d'en persuader leurs auditeurs, de les défendre avec tant d’obstination, même au péril de leur vie, qu’ils accréditaient la chose, au point de sembler prêts à renoncer aux opinions valables plutôt qu’à telle ou telle, conçue une seule fois.
Hi cum maxime gloriam contemnerent, et de eius contemptu dissererent, gloriosum sibi tamen arbitrabantur, placita priorum sapientum, ac philophorum, omnium consensu firmata labefactare.
Ces gens, tout en méprisant hautement la gloire et en faisant des traités sur le mépris qu’on lui doit, estimaient pourtant que c’était tout à leur gloriole d’écrouler les axiomes des premiers sages et des philosophes, confirmés par l’assentiment universel.
Itaque in tanto examine philosophorum Athenienses quid, aut quem sequerentur, cum tot, tamque diuersis opinionibus eorum animi imbuti distraherentur ?
Aussi, dans ce grand essaim de philosophes, quelle option ou quel maître les Athéniens devaient-ils suivre, quand tant d’opinions si diverses imprégnaient leurs esprits et les tiraillaient ?
Neque uero illos solum, sed etiam maximos reges sua amentia et errore fanatico impleuere, ut eorum (quod mirum) amicitiam non tantum per literas ambirent, sed etiam ad fortunarum suarum communionem honorifice inuitarent.
Et ce ne sont pas seulement les Athéniens, mais aussi les plus grands rois que leur folie et leurs erreurs fanatiques ont habités, au point (c’est surprenant) qu’ils sollicitaient leur amitié par lettres et même les invitaient à l’honneur de partager leur sort.
Pherecydes natione Syrus, Pythagorae illius magni praeceptor, circa sexagesimam nonam olympiadem magnus uates, siue magus potius opinionem de religione gentilium hominum, sed iam tum uulgo omnium animis impressam confirmaturus, primus de diis, et rerum principio librum scripsit.
Phérécyde, Syrien d’origine3, maître de ce grand Pythagore4, vers la 69e olympiade, grand poète prophétique5, ou plutôt sorcier, pour conforter l’opinion sur la religion des peuples païens, déjà généralement bien ancrée dans les mentalités de chacun, fut le premier à écrire un livre sur les dieux et les principes des choses.
In quorum posteriori, Iouem, Tempus, et Tellurem idem numen, et ab aeterno fuisse contendit.6
Dans le dernier de ces livres, Jupiter, le Temps et la Terre sont une même divinité, de toute éternité, selon ses dires.
Anaxagoras caelum affirmare ausus fuit ex lapidibus constructum7, homo Anticyram, ut elleborum bibisset8, ablegandus.
Anaxagore9, a osé affirmer que le ciel est construit de cailloux, un homme qu’il eût fallu reléguer à Anticyra pour qu’il eût pu y boire de l’ellébore.
Et quod multo magis ridiculum est, nisi mirabili celeritate ab ortu in occasum raperetur, magno casu ruiturum.10
Et, chose encore beaucoup plus ridicule, que s’il n’était pas entraîné à une vitesse stupéfiante du lever jusqu’au coucher, il s’écroulerait dans un grand fracas.
Archelaus, qui primus physicen in urbem inuexit, nihil ueritus fuit affirmare, ut est amentia, iustum, et turpe, non natura, sed lege constare11.
Archélaos, qui a le premier introduit la physique à Athènes, n’a pas craint d’affirmer, si grande est sa folie, que le juste et l’injuste ne sont pas constitués par la nature mais par la loi.
Pyrrho Heliensis, princeps Aporeticorum, Ephecticorum, Zeteticorum, et Scepticorum12, cum nihil uellet affirmare, dixit nihil comprehendi posse.
Pyrrhon d’Élis, prince des aporétiques13, des éphectiques14, des zététiques15 et des sceptiques16,vu qu’il ne voulait rien affirmer, déclara qu’on ne pouvait rien comprendre.
Idem contendit, nihil esse iustum, aut iniustum : nihil esse turpe, aut honestum17 : et ut summatim dicam, nihil uere esse in omnibus.18
Le même prétend que « rien n’est juste ou injuste, rien n’est laid ou beau » ; et, en somme, qu’il n’y a rien de vrai dans les choses.
Nil intra est oleam, nil extra est in nuce duri.
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Qu’ « il n’y a rien de dur dans l’olive, rien de dur à l’extérieur de la noix ».
Omnia item homines facere lege et consuetudine tantum20
Que « les hommes aussi font tout seulement en raison de la loi et de l’usage ».
Ad haec nesciri, quid natura esset bonum.21
Ajoutons à cela qu’on ignore ce qu’est le beau par nature.
Atque isti Sceptici omnium philosophorum dogmata id genus paradoxis subuertere conabantur.
Et ces Sceptiques essayaient de renverser les dogmes de tous les philosophes avec des paradoxes de ce genre.
Antisthenis, qui primus cynicam sectam condidit, discipulus Diogenes censuit Logicam, et physicam philosophiam prorsus e scholis explodendam.
Antisthène, fondateur du mouvement de pensée cynique22, eut pour élève Diogène qui pensait qu’il fallait expulser logique et philosophie physique des écoles.
Atque hi cynici omnes artes liberales uno ore damnabant.
Et ces Cyniques condamnaient unanimement tous les arts libéraux.
Neque mirum id, cum Antisthenes dixisset, literas non esse discendas23.
Ce qui n’est pas étonnant, puisqu’Antisthène avait dit qu’il ne fallait pas apprendre à lire.
Idem musicam, geometriam, aliasque pulcherrimas artes reiecerat.24
Il avait également repoussé la musique, la géométrie et les autres arts splendides.
Cynicorum exemplum, et temeritatem sequutus Zeno Citticus, cum artes liberales, ut inutiles negligendas praecepisset, a Cassio Scepsio graui actione in iudicio accusatus fuit.25
Suivant l’exemple des Cyniques et leur aveuglement, Zénon de Citium26, après avoir enseigné que les arts libéraux, dans leur inutilité, devaient être négligés, fut traîné en justice dans une grave affaire par Cassius de Scepsis27.
Errorem hunc error alius, ut ansa ansam traxit.28
Une erreur entraîna l’autre, comme une poignée en tire une autre.
Vxores omnes communes esse iussit29, neque commisit sacra, aut iudicia, aut gymnasia in urbe erigi. Ad haec uoluit uiros ac feminas promiscue eadem uti ueste.30
Il prescrivit de mettre en commun toutes les épouses, ne fit ériger aucun temple, aucun tribunal, aucun gymnase en ville. En outre, il voulut qu’hommes et femmes indistinctement portassent le même vêtement.
Atque inter haec Stoicorum paradoxa, haec erant, quod honestum, id solum esse bonum ; peccata aequalia esse ; mundum a nullo gubernari : omnem diuinationem, hoc est, praesensionem, et scientiam rerum futurarum inter homines uersari ; negauit id Panaetius, qui omnia uaticinationum genera, ut per sortes, exta pecudum, auguria, astrologorum praedictiones et somnia sustulit.
Et entre autres paradoxes des Stoïciens31, on trouvait : l’honnête seul est beau ; les péchés se valent ; le monde n’est gouverné par personne ; toute divination, c’est-à-dire tout pressentiment et prescience du futur se trouve parmi les hommes ; Panétius le réfuta, qui supprima tout genre de prophéties comme les sorts, les entrailles animales, les augures, les prédictions des astrologues et les songes.
Quid Aristippus?
Et Aristippe32 ?
Nonne uoluptatem summum bonum statuit?
N’a-t-il pas établi le plaisir comme souverain bien ?
Etiam a rebus turpissimis profectam ?33
Même celui qui vient des pires turpitudes ?
Ex hoc fonte Cyrenaici manarunt, qui corporis uoluptates, animi uoluptatibus praestare asserebant.34
C’est de cette source que sont issus les Cyrénaïques qui affirmaient la prééminence des plaisirs physiques sur les plaisirs psychiques.
Isti physicen damnabant, quod (ut ipsi aiebant) non posset apprehendi.35
Ces derniers condamnaient la physique au motif (selon eux) qu’elle ne pouvait s’appréhender.
Ab his dissentiebant Hegesiaci, qui animam una cum corpore puniri, multaque absurda alia tuebantur.36
Les Hégésiaques37, étaient en désaccord avec eux : eux soutenaient que l’âme est punie avec le corps et beaucoup d’autres absurdités.
Quid Epicurus strennuus uoluptatis assertor?
Et Épicure, le défenseur énergique du plaisir ?
Cum seorsim nouam sectam uellet condere, uoluptatem esse dixit principium et finem uitae beatae, non nepotum, ne quid erres, non asotorum, qui abdomini indulgent, uoluptatem, ut ipse interpretabatur, sed corporis uacare dolore, tranquilla, et recta frui conscientia : nullisque perturbationibus inquietari.
Comme il voulait fonder une nouvelle école séparée, il déclara que le plaisir était le principe et la fin du bonheur, non pas le plaisir des prodigues (ne nous trompons pas) ni celui des débauchés, qui permettent tout à leur estomac, mais, selon son interprétation, le fait de n’avoir pas de douleur physique, de jouir d’une conscience tranquille et droite, de n’être sollicité par aucun trouble38.
Itaque duas res is uoluptati subiciebat, laetitiam in animo, et commotionem suauem iucunditatis in corpore.
Aussi subordonnait-il deux choses au plaisir : la joie dans l’âme et l’agréable soubresaut de la gaieté dans le corps.
Hanc autem Chrysippus homo acutus indifferentem esse uoluit.39
Mais Chrysippe, homme subtil, faisait du plaisir un « indifférent ».
Exortus Theodorus, a quo Theodorei dicti fuerunt : homo nefarius, monstrosus, maledicus, et impius, qui omnem opinionem de diis ex hominum animis sustulit.
S’ensuivit Théodore, d’où ceux qu’on appelle Théodoriens, un homme ignoble, monstrueux, mauvais et impie, qui ôta toute opinion des dieux dans les esprits des hommes.40
Inter huius paradoxa, haec enumerantur : sapientem uirum surto, adulterio, et sacrilegio operam dare debere suo tempore ac loco. Nec horum quicquam natura esse turpe, modo stultorum, et imperitae plebis falsa existimatio tantum e medio tolleretur.41
Parmi les paradoxes de ce dernier, voici une sélection : l’homme doit sacrifier au vol, à l’adultère et au sacrilège au bon moment et au bon endroit. Rien en eux n’est par nature mauvais, pour peu qu’on supprime du paysage cette fausse valeur des sots et de la populace ignare.
Amicitiam nullam esse debere ; sapientem in publico praesentibus arbitris, et quidem spectantibus, sine fronte cum scorto coiturum.42
L’amitié doit être tenue pour rien ; le sage ira en public, devant arbitres et même témoins oculaires, sans vergogne, baiser une prostituée.
Licet ob ista paradoxa merito ab Atheniensibus impius iudicatus fuerit, inuenit tamen adhuc suae nequitiae applausores, ut labra similes lactucas43.
Bien que, pour ces paradoxes il ait à juste titre été jugé impie par les Athéniens, il a néanmoins trouvé encore des thuriféraires de ses vilénies, comme « les lèvres sentent un goût de laitue ».
At Melissus uerecundius opinatus fuit ; nam cum neque affirmare, neque negare deos esse auderet, nihil definiendum de iis aiebat.44
Mais Mélissos eut une opinion plus réservée ; car, n’osant ni affirmer ni nier l’existence des dieux, il disait qu’il ne fallait pas les définir.
Sed Protagoras audacius fecit, si modo audacia ea res sit dicenda, ac non temeritas, aut impietas potius, quod nequiuerit statuere, diine essent, an non. Quamobrem recte a principibus ciuitatis ex urbe exturbatus fuit, libri eius publice in foro exusti, aedes ciuium a praecone exploratae, nuncubi eorum qua exemplaria abstrusa essent.45
Mais Protagoras fut plus audacieux, si l’on peut appeler audace plutôt qu’aveuglement ou impiété de n’avoir pu décider si les dieux existaient ou non. Aussi, à bon droit, les magistrats de la cité le chassèrent de la ville, ses livres furent brûlés en place publique, les maisons des citoyens fouillées par un héraut pour vérifier si des exemplaires de ces livres n’y seraient pas restés dissimulés.
Cum igitur his aliisque innumerabilibus prodigiosis opinionibus, non modo plebs, uerum etiam primores uersarentur, factum, cur ad saniorem philosophiam aures utrasque, praeclusas haberent.
Lors donc que ces innombrables opinions monstrueuses et d’autres affectaient non seulement le peuple mais aussi l’élite, il se fit que les oreilles, des deux côtés, se fermèrent à une philosophie plus saine.
Postquam uero
Socrates parens philosophiae, de quo Pythiae testimonium
huiusmodi a Chaerephonte allatum fuit, Ἀνδρω̂ν ἁπάντων Σωκράτης σοφώτατος
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Alors quand Socrate, père de la philosophie, à propos duquel la Pythie a délivré l’oracle suivant, rapporté par Chéréphon : « de tous les hommes Socrate est le plus sage », commença à professer, il suscita une grande haine chez les gouvernants, et surtout chez Anytos et Mélitos.
Inuidiosum erat oraculum, unum sapientissimum omnium mortalium appellari, ut Aristidi, cognomentum, Iusti.
L’oracle incitait à la haine en désignant un seul comme le plus sage de tous les mortels, comme pour Aristide le surnom de « Le Juste ».
Deinde eam inuidiam exaggerebat doctrina noua, de immortalitate animorum, de uita aeterna, de Deo, de poena sceleratorum post mortem, et piorum praemiis, ipsorum deos daemones esse.
Ensuite cette haine était exacerbée par une doctrine nouvelle sur l’immortalité des âmes, la vie éternelle, Dieu, le châtiment des méchants après la mort et la récompense des hommes pieux, le fait que leurs dieux étaient des démons.
Accedebat ad haec, quod liberrime illorum fastum, et philautiam insectaretur.
S’ajoutait à cela que, en toute liberté, il faisait la chasse à leur luxe et à leur égoïsme.
Itaque a Melito impietatis in deos in iudicio accusatus fuit ; tum autem, quod iuuentutem noua doctrina infectam corrumperet.
Aussi Mélitos lui fit-il un procès en impiété à l’égard des dieux ; et aussi au motif qu’il corrompait la jeunesse d’une nouvelle doctrine abominable.
Anytus uero homo natura arrogans non ferens Socratis in se scommata, petulantiam et dicacitatem, Aristophanem comicum grandi pecunia corruptum huc induxit, ut aduersus eum drama scriberet.
Quant à Anytos, homme naturellement arrogant qui ne supportait pas les moqueries de Socrate à son endroit, sa virulence et sa verve, il acheta le comique Aristophane avec une grosse somme pour l’induire à écrire contre Socrate une pièce.
Suscepit prouinciam comicus, et in eum has edidit Nebulas, uirulentis sycophantiis refertas.
Le comique accepta le marché et monta contre lui ces Nuées, remplies de toxiques calomnies.
In his Socratem Nubes solas deas, ut rerum omnium architectrices admirantem, et caussas malas docentem perorando reddere bonas inducit.
On y voit sur scène un Socrate admirant les nuées comme seules divinités, en tant qu’architectes de l’univers, et enseignant à rendre par la parole de mauvaises causes bonnes.
Hanc fabulam latinitate donatam uir ornatissime tibi dedicauimus.
C’est la version latine de cette pièce, homme fort doué, que nous t’avons dédiée.
Delectaberis legendo, cum propter elegantem eruditionem, tum ob lepores, et sales ad risum concitandum.
Tu prendras plaisir à la lire, tant en raison de son élégante érudition que pour l’humour et les plaisanteries qui suscitent le rire.
Et ne quid lectorem usquam remoretur, annotationibus obscuriora illustrauimus.
Et pour ne pas retarder le lecteur ici ou là, nous avons éclairé par des notes les passages un peu obscurs.
Habet hoc plus gratiae haec nostra uersio, quod carmine comico reddita sit, ne quid usquam graecae phrasis Latinam puritatem contaminaret.
Il y a d’autant plus de grâce dans notre traduction que je l’ai rendue en vers comiques, pour éviter que la tournure grecque ne vînt polluer la pureté du latin.
Vale.
Adieu.
Σώζεται δὲ τοῦ Συρίου τό τε βιβλίον ὃ συνέγραψεν, οὗ ἡ ἀρχή· Ζὰς μὲν καὶ Χρόνος ἦσαν ἀεὶ καὶ Χθονίη· Χθονίῃ δὲ ὄνομα ἐγένετο Γῆ ἐπειδὴ αὐτῇ Ζὰς γῆν γέρας διδοῖ, « on a encore, de l’homme de Syros un livre qu’il a écrit et qui commence ainsi: ‘Zas et Chronos étaient éternels et Chthonia ; Chthonia prit le nom de Gê une fois que Zas lui eut donné la terre en cadeau’ ».
τὸν δὲ Ἀναξαγόραν εἰπεῖν ὡς ὅλος ὁ οὐρανὸς ἐκ λίθων συγκέοιτο· τῇ σφοδρᾷ δὲ περιδινήσει συνεστάναι καὶ ἀνεθέντα κατενεχθήσεσθαι, « [Silénus dit] qu’Anaxagore dit que tout le ciel consiste en pierres, qu’il tient par son mouvement rapide et que s’il s’arrêtait, il s’écroulerait ».
Οὗτος πρῶτος ἐκ τῆς Ἰωνίας τὴν φυσικὴν φιλοσοφίαν μετήγαγεν Ἀθήναζε, « C’est le premier à avoir fait venir d’Ionie à Athènes la philosophie physique ». Mais c’est faux, puisqu’il est postérieur à Anaxagore, qui avait déjà ouvert une école à Athènes où il exposait des fondements de physique. Il est par ailleurs le maître de Socrate. Dans le même paragraphe de Diogène
καὶ τὸ δίκαιον εἶναι καὶ τὸ αἰσχρὸν οὐ φύσει ἀλλὰ νόμῳ.
Οὗτοι πάντες Πυρρώνειοι μὲν ἀπὸ τοῦ διδασκάλου, ἀπορητικοὶ δὲ καὶ σκεπτικοὶ καὶ ἔτι ἐφεκτικοὶ καὶ ζητητικοὶ ἀπὸ τοῦ οἷον δόγματος προσηγορεύοντο, « Tous étaient dits pyrrhoniens, du nom de leur maître, et aussi aporétiques, sceptiques, et aussi éphectiques et zététiques ».
Οὐδὲν γὰρ ἔφασκεν οὔτε καλὸν οὔτ’ αἰσχρὸν οὔτε δίκαιον οὔτ’ ἄδικον.
τῶν μὲν γὰρ πραγμάτων διαφωνούντων τῶν δὲ λόγων ἰσοσθενούντων ἀγνωσία τῆς ἀληθείας ἐπακολουθεῖ, « car comme les choses sont différentes et les raisons équipollentes, il s’ensuit une méconnaissance de la vérité ».
(…) νόμῳ δὲ καὶ ἔθει πάντα τοὺς ἀνθρώπους πράττειν.
Φύσει τε μὴ εἶναι ἀγαθὸν ἢ κακόν, « Par nature, il n’y a ni beau ni laid ».
Ἔλεγε δὲ καὶ κοινὰς εἶναι δεῖν τὰς γυναῖκας, γάμον μηδὲ ὀνομάζων, ἀλλὰ τὸν πείσαντα τῇ πεισθείσῃ συνεῖναι· κοινοὺς δὲ διὰ τοῦτο καὶ τοὺς υἱέας, « il disait qu’il fallait que les épouses soient communes, que le mariage ne signifiait rien, que l’union réclamait un consentement mutuel et que, pour cette raison, les enfants aussi devaient être mis en commun ».
Κοινάς τε τὰς γυναῖκας δογματίζειν ὁμοίως ἐν τῇ Πολιτείᾳ καὶ κατὰ τοὺς διακοσίους στίχους μήθ' ἱερὰ μήτε δικαστήρια μήτε γυμνάσια ἐν ταῖς πόλεσιν οἰκοδομεῖσθαι. (…) Καὶ ἐσθῆτι δὲ τῇ αὐτῇ κελεύει χρῆσθαι ἄνδρας καὶ γυναῖκας, « il dit dans La République, pendant deux cents lignes, que les femmes doivent être mises en commun et qu’il ne faut construire dans les villes ni temples, ni tribunaux, ni gymnases. Il prescrit qu’hommes et femmes portent le même vêtement ».
Εἶναι δὲ τὴν ἡδονὴν ἀγαθὸν κἂν ἀπὸ τῶν ἀσχημοτάτων γένηται, « le plaisir est un bien même s’il naît de choses laides ». L’opinion est prêtée par Diogène Laërce non directement à Aristippe mais à ses disciples cyrénaïques.
φέρε νῦν διέλθωμεν τοὺς ἀπ' αὐτοῦ Κυρηναϊκούς, οἵ τινες ἑαυτοὺς οἱ μὲν Ἡγησιακούς, οἱ δὲ Ἀννικερείους, οἱ δὲ Θεοδωρείους προσωνόμαζον, « attaquons maintenant ses disciples les Cyrénaïques, qui se nomment eux-mêmes Hégésiaques, ou Annicériens ou Théodoriens ».
Καίτοι τίνος χάριν ποριστέον αὐτῷ; εἰ μὲν γὰρ τοῦ ζῆν ἕνεκεν, ἀδιάφορον τὸ ζῆν· εἰ δὲ ἡδονῆς, καὶ αὕτη ἀδιάφορος, « D’ailleurs dans quel but le sage devrait-il chercher son profit ? Si c’est pour vivre, la vie est un indifférent ; si c’est pour le plaisir, lui aussi est indifférent »
Ἀλλὰ καὶ περὶ θεῶν ἔλεγε μὴ δεῖν ἀποφαίνεσθαι· μὴ γὰρ εἶναι γνῶσιν αὐτῶν, « Mais sur les dieux, il disait qu’il ne fallait pas les révéler et que de fait on n’a pas accès à leur connaissance ».
περὶ μὲν θεῶν οὐκ ἔχω εἰδέναι οὔθ’ ὡς εἰσίν, οὔθ’ ὡς οὐκ εἰσίν· πολλὰ γὰρ τὰ κωλύοντα εἰδέναι, ἥ τ’ ἀδηλότης καὶ βραχὺς ὢν ὁ βίος τοῦ ἀνθρώπου, « sur les dieux, je ne peux savoir ni qu’ils existent ni qu’ils n’existent pas : car plusieurs raisons m’empêchent de le savoir, comme l’obscurité de la question et la brièveté de la vie humaine ».