Occasio fabulae quae inscribitur Nubes
Nicodemus Frischlinus

Présentation du paratexte

Traduction latine de cinq comédies d’Aristophane.

Bibliographie :
  • Thomas Baier « Nicodemus Frischlin als Aristophanes-Übersetzer » editor Dramatische Wäldchen. Festschrift für Eckard Lefèvre zum 65. Geburtstag pubPlace publisher date
  • Patrick Lucky Hadley Athens in Rome, Rome in Germany. Nicodemus Frischlin and the Rehabilitation of Aristophanes in the 16th Century pubPlace publisher date
  • David PriceThe Political Dramaturgy of Nicodemus Frischlin : Essays on Humanist Drama in GermanypubPlace publisher, date
Traduction : Christian NICOLAS

Occasio fabulae quae inscribitur Nubes

Circonstances de la pièce intitulée Les Nuées

Quoniam Aristophanes hac comoedia Socratem insectatur, nos occasionem fabulae ex Aeliano referemus, apud quem lib<ro> 2 Var<iae> Historiae cap<itulo> 13 copiose et eleganter omnia quae huc pertinent describuntur.1

Puisque Aristophane, dans cette comédie, s’en prend à Socrate, nous rappellerons les circonstances de la pièce à partir d’Élien, chez qui, au livre 2 de L’Histoire variée, chapitre 13, tout ce qui concerne cette anecdote est décrit dans le détail et avec élégance.

Anytus, inquit, causas et uias quaerebat contra Socratem, propter ea quae supra diximus.

Anytos, écrit-il, cherchait des griefs et des moyens d’intenter contre Socrate, en raison de ce que nous avons dit plus haut2.

Metuebat uero Athenienses et illorum uoluntatem suspectam habebat quemadmodum accepturi essent hominis accusationem.

Mais il avait peur des Athéniens et soupçonnait leur réaction au cas où le bonhomme serait poursuivi.

Nam celebre nomen Socratis erat, tum propter alia, tum potissimum quod in sophistas uehementer inueheretur, in quibus nihil sanum inerat et qui neque sciebant neque docebant quicquam operae pretium.

Car le nom de Socrate était célèbre pour de multiples raisons et en particulier parce qu’il s’attaquait violemment aux sophistes, qui ne pensaient rien de bon et ne savaient ni n’enseignaient rien qui vaille.

Ab his igitur initium petere et periculum facere coepit quam in partem accepturi essent accusationem Socratis Athenienses.

C’est là d’abord qu’il chercha un premier moyen et un test pour évaluer quel parti prendraient les Athéniens dans une accusation contre Socrate.

Nam statim eum in crimen uocare non arbitrabatur esse consultum, partim ob ea quae exposui, partim ne Socratis amici et asseclae exasperatos contra accusatorem iudicum animos in suas partes abstraherent et sic in se aliquod malum redundaret, ut qui falso detulisset hominem non solum nullius calamitatis in republica auctorem, uerum etiam ex diuerso ciuitatis Atheniensium ornamentum.

Car il ne pensait pas prudent de l’assigner en justice, d’une part pour les raisons susdites, d’autre part de peur que les amis et le cercle de Socrate n’irritent les esprits des jurés contre l’accusateur et ne les attirent de leur côté et qu’ainsi quelque malheur ne retombe sur lui pour avoir faussement accusé un homme non seulement innocent de toute mauvaise action à l’égard de l’état mais en outre, tout au contraire, une icône de la cité d’Athènes.

Quid ergo excogitat ?

Quelle est alors son idée ?

Aristophanem poetam comicum, nugatorem qui et ridiculus erat et talis haberi studebat, subornat et persuadet ut in comoedia Socratem ab iis, quae plerique de eo conficta norant, malis taxaret atque incesseret : esse loquacem et dicendo efficere ut malae causae bonae uideantur, introducere nouos et inusitatos daemones, cum neque nosset interim, neque reuerenter haberet deos, atque haec ipsa quoque in eos, qui eius opera uterentur, transfundere et eos in falsam opinionem inducere.

Il va trouver Aristophane, le poète comique, un sarcastique qui était drôle et travaillait à l’être, le suborne et le convainc, dans une comédie, de faire payer à Socrate ses torts, que la plupart savaient mensongers, et de le harceler sur le fait d’être éloquent et, par cette éloquence, de faire passer de mauvaises causes pour bonnes, d’introduire de nouveaux dieux inconnus, tout en niant en même temps l’existence des dieux et en refusant de les honorer, et de de faire passer aussi chez ceux qui suivaient ses leçons de philosophie ces mêmes idées et de leur inculquer une opinion mensongère.

Aristophanes, arrepto argumento, admodum strenue risum interposuit et metrorum festiuitatem, optimum Graecorum, aduersus quem diceret, materiam sibi faciens.

Aristophane s’empara de l’argument, y mit beaucoup de drôlerie et beaucoup de grâce dans ses vers et transforma le meilleur des Grecs, contre qui il composait, en son matériau comique.

Non enim illi Cleon erat in dramate propositus, non suggillabat Lacedaemonios aut Thebanos aut ipsum Periclem, sed uirum diis omnibus, praesertim Apollini, carum.

Car ce n’était plus Cléon qui lui était offert en pâture dans une pièce, il ne s’agissait plus de pourfendre Sparte ou Thèbes ou Périclès en personne, mais l’homme chéri de tous les dieux et particulièrement d’Apollon.

Proinde rei insolentia et inusitato in scaena spectaculo Socratis, primum omnes Athenienses, cum nihil minus expectassent, obstupuerunt. Deinde, quoniam natura inuidiosi erant Athenienses, et ad optimis quibusque detrectandum procliues, non solum illis qui in administratione reipublicae et magistratibus excellerent, uerum etiam qui uel doctrina litterarum, uel uitae grauitate praefulgerent, iucundum eis ludicrum uisae sunt Nebulae et actorem plausu tanto prosequebantur quanto nunquam antea et clamore uictoriam ei decreuerunt mandaruntque iudicibus ut Aristophanis nomen, non alterius, scriberent.

Le caractère inédit, la nouveauté de voir sur scène Socrate clouèrent d’abord de stupeur les Athéniens, qui ne s’y attendaient pas du tout. Mais ensuite, étant donné leur nature jalouse et encline à traîner dans la boue les célébrités, non seulement ceux qui excellaient dans l’administration de la cité et les magistratures mais aussi ceux qui par leur culture ou la profondeur de leur vie étaient de brillants modèles, Les Nuées leur semblèrent un spectacle plaisant et ils firent à l’acteur une ovation comme jamais, lui décernèrent la victoire par acclamations et exigèrent des juges que le nom d’Aristophane, et d’aucun autre, fût inscrit en haut de l’affiche.

Atque drama fuit eiusmodi.

Et telle était la teneur de la pièce.

Socrates uero raro ueniebat in theatra, nisi quando Euripides tragicus poeta cum nouis tragoediis certaret : tum enim accedere solebat ; et tunc quoque cum Euripides in Piraeo contenderet, eo descendebat.

Socrate allait rarement au théâtre sauf pour voir Euripide en compétition avec de nouvelles tragédies : dans ce cas il y allait ; ou encore si Euripide concourait au Pirée, il y descendait.

Nam amabat hominem tum propter sapientiam, tum propter carminum uirtutem et bonitatem.

Car Socrate aimait Euripide, pour sa sagesse d’une part, pour la qualité et la beauté de ses vers d’autre part.

Aliquando tamen ipsum Alcibiades filius Cliniae et Critias filius Callaeschri, ut comoedias etiam in theatro audiret inuitarunt et tantum non coegerunt.

Une fois même Alcibiade, fils de Clinias, et Critias, fils de Calleschros, l’invitèrent à aller voir des comédies au théâtre et ce fut presque sous la contrainte qu’ils l’y traînèrent.

Verum ille non magni comicos pendebat sed egregie contemnebat (ut uir modestus, iustus, probus et sapiens) homines mendaces, iniuriosos et sani nihil dicentes, quod ipsos male habuit.

Or lui ne goûtait guère les Comiques mais méprisait vivement, lui, le modeste, le juste, l’honnête et le sage, ceux qui se montraient menteurs, ceux qui insultaient, ceux qui disaient n’importe quoi, raison pour laquelle il les supportait mal.

Atque etiam haec erant Aristophanis comoediae seminaria, non solum ea quae Anytus et Melitus suggesserant.

Et c’est aussi ce qui explique la comédie d’Aristophane, en plus de ce qu’Anytos et Melitos avaient suggéré.

Haud etiam uero dissimile est Aristophanem magna pecunia ex hac re locupletatum fuisse.

Il n’est pas non plus invraisemblable qu’Aristophane ait gagné dans cette histoire beaucoup d’argent.

Nam cum illi cuperent et omnino festinarent Socratem calumniis et conuiciis proscindere, ipse uero pauper et scelerosus esset, quid absurdum sequatur si statuamus eum argentum ob rem inhonestam et maleficiosam cepisse ?

Car si eux souhaitaient et désiraient déchirer Socrate de leurs accusations et de leurs insultes et que, de son côté, Aristophane était pauvre et malhonnête, qu’y aurait-il d’absurde à supposer qu’il a pu accepter de l’argent contre une entreprise malhonnête et méchante ?

Sed de his ipse sibi conscius est.

Mais lui sait bien ce qu’il en est.

Consecutum est igitur drama magnam gloriam.

La pièce a donc connu un succès retentissant.

Etenim illud Cratini tum maxime uerum erat : theatrum male sana corda habebat et quoniam bacchanaliorum festum celebrabatur, magna multitudo Graecorum eo spectandi causa confluxerat.

Et de fait, ce mot de Cratinus avait toute sa vérité, que « le théâtre a l’esprit malade »3., et comme c’était la fête des Dionysies, une grande foule de Grecs avait afflué pour aller au spectacle.

Cum ergo circumferretur in scena Socrates et crebro nominaretur (non mirum si etiam uisus in histrionum personis nam figulos etiam pulchre eum persaepe expressisse constat) peregrini, quis ille, qui in comoedia traduceretur, esset, nescientes, susurrum et murmur excitabant atque quisnam esset ille Socrates interrogabant.

Comme, donc, Socrate passait partout sur scène et que son nom était cité sans arrêt (sans surprise, son visage était reconnu dans les masques des acteurs car les potiers aussi l’avaient souvent joliment représenté, à l’évidence), les étrangers, ignorant qui était mis en scène dans cette comédie, faisaient du bruit et du brouhaha à demander qui était donc ce Socrate.

Quod cum animaduertisset ille (etenim non forte fortuna aderat, sed sciens se in comoedia taxandum sedebatque in opportuno loco theatri) ad tollendam dubitationem ex animis peregrinorum surrexit et per totum drama, congredientibus histrionibus, stans cernebatur.

Comme Socrate s’en était aperçu (car il était là, non pas par hasard mais parce qu’il savait qu’il allait être mis à contribution dans une comédie et s’était assis à un endroit approprié du théâtre), pour lever le doute dans l’esprit des étrangers, il se leva et pendant toute la pièce, alors que les comédiens jouaient, il se tint là, debout, bien visible.

Adeo Socrates et istam comoediam et Athenienenses nihili fecit.

Socrate avait tant de mépris pour cette comédie et pour les Athéniens.

Hactenus Aelianus, cuius integram narrationem huic libro inferre uoluimus propterea quod ea huic comoediae non parum lucis afferat.

Fin de citation d’Élien, dont j’ai voulu insérer dans ce livre le récit complet parce qu’il apporte à la comédie un éclaircissement particulier.

Sed nos ista iam neque confirmare neque confutare instituimus, hanc rem in alium locum reicientes.

Mais ce n’est pas à nous de décider si c’est vrai ou si c’est faux ; réservons ce débat pour un autre endroit.

Qui plura uolunt in promptu habere pro defensione Socratis, hi legant Apologiam Socratis apud Platonem et Xenophontem, item Plutarchi lib<ro> de Genio Socratis et Apuleium de Deo Socratis.

Ceux qui veulent disposer de livres pour la défense de Socrate n’ont qu’à lire L’Apologie de Socrate de Platon et de Xénophon, également le livre de Plutarque Sur le Génie de Socrate, et Apulée, Le Démon de Socrate.

Nos ad argumentum fabulae accedimus, quod tale est.

Nous, nous passons à l’argument de la pièce, que voici.


1. El., V.H. 2.13.Dans les lignes qui suivent, Frischlin se répète presque au mot près et suit très fidèlement Élien.
2. Allusion à l’introduction générale de l’édition ; cf. Ar1586_Frischlin_p1, par. 12 sq.
3. Cratinus, cité par Élien, V.H. 2.13 : τῷ θεάτρῳ νοσῆσαι τὰς φρένας.