Présentation du paratexte
Avec cette épître dédicatoire, Frischlin offre sa traduction des Acharniens à Erstenberger et Obernburger, et leur demande avec insistance un soutien financier. Il n'est presque pas question d'Aristophane ni des Acharniens. Le titre de la comédie n'est mentionné qu'à la toute fin du texte.
Bibliographie :-
Thomas Baier « Nicodemus Frischlin als Aristophanes-Übersetzer » editor Dramatische Wäldchen. Festschrift für Eckard Lefèvre zum 65. Geburtstag pubPlace publisher date -
Patrick Lucky Hadley Athens in Rome, Rome in Germany. Nicodemus Frischlin and the Rehabilitation of Aristophanes in the 16th Century pubPlace publisher date -
David Price The Political Dramaturgy of Nicodemus Frischlin : Essays on Humanist Drama in GermanypubPlace publisher, date
Nobilibus et clarissimis uiris ac dominis, D. Andreae Erstembergio, et D. Petro Obernburgio, LL. Licentiatis, S. Caesariae Maiestati a consiliis secretioribus, Dominis et amicis suis obseruandis : S.P.D. Nicodemus Frischlinus.
Aux nobles et célèbres seigneurs, M. Andreas Erstenberger, et M. Peter Obernburger, diplômés en droit1, Conseillers spéciaux de Sa Majesté Impériale, ses respectables seigneurs et amis, Nicodème Frischlin envoie son salut appuyé.
Erunt multi qui dicent et credent, paruo constare labore et paruo sumptu comoedias hasce Aristophanicas Graecolatinas.
Beaucoup diront et croiront que ça coûte peu de travail et d’argent que d’éditer ces comédies gréco-latines d’Aristophane.
Nam sunt hodie etiam e numero literatorum, qui tametsi haudquaquam censent se natos in Veruecum patria, tamen de libris non aliter iudicant, quam Megaricus porculator in hac sequenti comoedia de porcis suis.
Car il y en a encore aujourd’hui, dans le nombre des gens de lettres, qui, au lieu de penser qu’ils sont nés dans la patrie des moutons, ont sur les livres la même opinion que le porcher mégarien de cette comédie ci-dessous sur ses cochons.2
Mole enim et chartarum crassitie atque pinguedine ponderant libros, non bonitate et suauitate.
Car c’est d’une masse crasse et graisseuse de pages qu’ils alourdissent les livres, et non de qualité et de douceur.
At ego noui quantum requisiuerit operae Latina haec interpretatio, praesertim auctoris a nullo hactenus tentati et ualde obscuri, adde etiam multis in locis mendosi.
Mais moi je sais bien combien de travail a réclamé cette traduction en latin, surtout d’un auteur auquel personne ne s’était essayé jusqu’ici et bien obscur, et même, dans bien des passages, erroné.3
Noui item quanto cum labore exemplar meum Latinum propter manum intricatam fuerit ab amanuensibus descriptum.
Je sais aussi au prix de quel labeur mon exemplaire latin, en raison de ma manière embrouillée, a été transcrit par mes copistes.
Noui quanto cum studio relecta sint quae amanuenses descripserunt, et quanta cum sedulitate recastigata, nequid mendae, culpa isporum, relinqueretur in exemplari.
Je sais le soin qu’il a fallu pour laisser ce que mes copistes avaient écrit, le travail pour tout corriger, pour qu’aucune erreur de leur fait ne subsiste dans l’édition.
Noui denique quantos fecerim sumptus, dum libros emo ad uersionem necessarios, dum amanuenses alo, qui describunt, dum primo Basileam Tubinga, mox Tubinga in Carniolam, quo fueram uocatus, atque e Carniola Venetias proficiscor, iterum redux e Carniola iter facio Tubinga Francofurtum ut Typographum inueniam, qui hasce Graecolatinas comoedias suis typis in lucem proferat.
Je sais enfin ce que j’ai dépensé en achetant des livres nécessaires à ma traduction, en entretenant des copistes pour les copier, en allant d’abord à Bâle depuis Tübingen, puis de Tübingen en Carniole, où j’avais été appelé, puis de Carniole à Venise, puis au retour, de Carniole à Tübingen puis à Francfort pour trouver un imprimeur qui puisse faire paraître ces comédies grécolatines.
Nam Tubingenses tantum excudunt suorum Theologorum scripta, ut quae unis nundinis possunt distrahi singula et omnia, scripta ualde lucrosa typographis.
Car les gens de Tübingen n’impriment que les textes de leurs propres théologiens, dans l’idée de les écouler tous dans les dix jours, opération lucrative pour les imprimeurs.
Nam e typographis nemo fere est, qui ubi naufragium fecerit, praetendit loco excusationis in edendo libro huiusmodi, damnum et iacturam.
Car aucun imprimeur ou presque, après avoir coulé, ne donne comme prétexte de ne pas éditer un livre de ce genre, la faillite et la perte d’argent.
Itaque centum ego coronatorum impensas prius feci quam typographum inuenirem idoneum, et promptum, qui ista procuderet.
Aussi ai-je dépensé cent couronnes avant de trouver l’imprimeur compétent et disposé à éditer ce texte.
Quid iam dicam de sumptibus qui requiruntur in ipsa editione, ut auctor Graecolatinus prodeat absque erratis typographicis ? ut papyrus sit munda ? ut character elegans ? ut operarii alacres et prompti ? Hic nemo est lectorum, qui consideret labores, qui sumptus, qui impensas, qui molestias lucubrationum, relectionum, emendationum, uiarum, itinerum, qui pericula morborum, qui risus et ludibria pessimorum sanniorum, ubi quid peccatum sit.
Est-il besoin de parler des dépenses requises pour l’édition elle-même, pour qu’un auteur grec en latin sorte sans coquilles ? pour que le papier soit propre ? le caractère élégant ? les ouvriers efficaces et disponibles ? Aucun lecteur ne peut imaginer le travail, les dépenses, les frais, les fatigues des nuits blanches, des relectures, des corrections, des trajets, des allers-retours, des risques de maladie, les rires et les moqueries des pires crétins en cas d’erreur.
Vere enim ausim iurare, quod Academicus Diabolus (habent enim et Academiae suos Alastores et Cacodaemones, praesertim qui me oderunt) editionem, et huius operis et reliquorum omnium, quae hisce nundinis prodeunt, summis uiribus impedire conatus sit.
Car, oui, j’oserais affirmer sous serment ce que le diable de l’université (car même les universités ont leurs mauvais génies et leurs démons, qui, surtout, me détestent) a entrepris pour empêcher de toutes ses forces la parution de ce livre et de tous ceux qui paraissent ces dix derniers jours !
Tot enim obstacula fuerunt, quae meos honestissimos conatus ad hoc usque tempus sunt remorata, ut totus mensis ad narrandum non sufficiat.
Car il y eut tant d’obstacles pour retarder mes louables efforts jusqu’à aujourd’hui, qu’un mois entier de récit n’y suffirait pas !
Quare mirandum non est, uiri Nobiles et Clarissimi, si quid in hisce comoediis minus a me accurate sit scriptum.
Alors rien d’étonnant, nobles et célèbres seigneurs, si, dans ces comédies, j’ai commis dans l’écriture quelque étourderie.
Cum enim rei familiaris ratio non ferret diuturniorem a domo absentiam, idcirco prius discedendum fuit ex officina, quam ultimam possim Acharnensibus manum admouere.
Car comme je ne pouvais rester trop longtemps éloigné de chez moi, il m’a fallu quitter l’atelier avant d’avoir pu mettre la dernière main à ces Acharniens.
Dolendum sane est, tam paucos hodie extare Maecenates e coetu sumptuosorum hominum, qui liberales sint in haec studia.
Certes il est regrettable qu’il reste aujourd’hui si peu de Mécènes de la compagnie des philanthropes qui se montrent généreux pour ces projets littéraires.
Quae enim hae sunt aetatis huius sordes, quae labes, eo peruenire literarum humaniorum studia, ut nihil in iis illustrandis tentare ausis, nisi rei familiaris iacturam facere uelis ?
Car quelle époque sordide, quelle honte que d’en arriver à des études littéraires et culturelles sans rien oser faire pour les valoriser, sauf à accepter de se ruiner soi-même ?
Quamobrem uestro mihi opus est auxilio, uestra ope, uiri Nobiles et Magnifici, ut quae a fucis aliis contemnuntur, aut etiam deuorantur, ea per uos apes conseruentur, et summis in orbe uiris commendentur tradanturque.
Aussi ai-je besoin de votre aide, de votre secours, nobles et généreux seigneurs, car ce que les autres essaims délaissent, voire dévorent, vous, tels des abeilles, vous le préservez et le recommandez et confiez aux puissants de cette terre.
Atque hoc non inuitos esse uos facturos, promittit mihi uestra multiplex uirtus, uestra singularis probitas atque humanitas, quam non parum auget in uobis uaria multarum artium ac doctrinarum et iuris legumque cognitio, cum longo rerum usu coniuncta.
Et que vous fassiez cela de votre plein gré, j’en ai la promesse de la part de vos qualités multiples, de votre probité sans pareille, de votre humanité, accrue de belle manière chez vous par la connaissance variée de tant de matières, de disciplines et de la jurisprudence, jointe à une longue expérience.
Quo accedit etiam pius ille in literatos uiros amor, qui uestros animos in nos quoque inflammat accenditque.
S’ajoute à tout cela une fidèle affection pour les hommes de lettres, qui met dans vos esprits à notre égard aussi de l’ardeur et de la flamme.
Nam etiam antehac quae uestra in me sit fides, qui candor, quae beneuolentia, id e multis ego argumentis perspexi.
Car auparavant déjà j’ai pu observer votre loyauté à mon endroit, votre gentillesse, votre bienveillance, et ce par de multiples preuves.
Pro qua re cum dignas non possim uobis referre gratias, dedico uobis Acharnenses comoediam Aristophanicam, quae caeteras propemodum omnes uincit urbanitate iocorum, grauitate rerum, uarietate personarum.
Pour ces raisons, faute de pouvoir dignement vous remercier, je vous dédie des Acharniens, comédie d’Aristophane qui surpasse presque toutes les autres par ses plaisanteries spirituelles, son sérieux et la variété de ses personnages.
Deus Optimus Maximus uituti uestrae clementer faueat.
Que Dieu Très bon Très Grand appiie dans ca clémence votre vertu !
Spirae Nemetum, 10 Cal. Iunii, Anno, etc. 86.
Spire, 23 mai 1586.