QUINTI SEPTIMI FLORENTIS CHRISTIANI PROLOGUS IN VESPAS ARISTOPHANICAS Ad Senatum Populumque forensem
Florens Christianus

Présentation du paratexte

Dans ce prologue composé en sénaires iambiques, Chrestien s'en prend avec virulence aux gens de robe et au partisans des Espagnols - c'est à dire, sans doute, de la Sainte-Ligue. Le texte ne figure pas dans toutes les éditions de Portus, mais seulement dans la réimpression parisienne. Le fils de Florent Chrestien, Claude Chrestien, évoque dans sa lettre à Joseph Juste Scaliger du 16 août 1605 ce prologue composé par son père, le qualifie de polémique et mentionne qu'il fut tiré en peu d'exemplaires pour le cercle restreint de ses amis. Ce texte, dont le manuscrit est conservé à la BnF dans le fonds Dupuy, ne figure pas dans les exemplaires de l'édition d'Aristophane de 1607 que nous avons pu consulter, mais seulement dans sa réimpression parisienne vendue en 1608 chez David Douceur.

Bibliographie :
  • Malika Bastin-Hammou, "Le prologue des Guêpes de Florent Chrestien. Un texte polémique au destin contrarié" in Malika Bastin-Hammou, Alexia Dedieu et Laure Hermand-Schebat (ed.), Florent Chrestien, écrivain, traducteur et penseur humaniste, Revue Seizième Siècle, 25, 2024.
  • Malika Bastin-Hammou, "Aemilius Portus, Greek Scholar and Latin Humanist. Some Reflexions on Aemilius Portus’s Edition of Aristophanes (1607)", in Vaios Vaiopoulos, Ioannis Deligiannis & Vasileios Pappas (ed.) Post-Byzantine Latinitas. Latin in post-Byzantine Scholarship (1453-1821), Brepols, Turnhout, 77-90.
Traduction : Malika BASTIN-HAMMOUChristian NICOLAS

QUINTI SEPTIMI FLORENTIS CHRISTIANI PROLOGUS IN VESPAS ARISTOPHANICAS Ad Senatum Populumque forensem

Spectare Pacem quum dedisset Atticam Vobis poeta noster, olim barbari Versoris usurpare nomen institit, Quod abdicari flagitat nunc, cum sciat Abominandum nuper abdomen fori, Porcum Aduocatum sic uocatum, qui crepans Aut ore magno, aut parte postica undique Ciuile bellum, et postulatus hosticae Perduellionis, ipse ius dixit sibi Et ibi duxit fata maturans sua. Hinc est poetae nomen hic quod adrogat; Non isto honore digna quod sunt quae docet, Sed quod poeta, qui facit quid, dicitur Factista Gallis dictus a maioribus. Vos ergo forsan ista qui cognoscitis, Praestate cum silentio fauentiam, Paucas querelas dum poeta expectorat Ipsosque apud uos, uos facit reos, quia Frequens senatus multaque auditorii Faex factione fascinati Iberica Exsibilastis pacis et choragium, Et scenam et actus; quin Senati Principem Siuistis alta sede dejectum infimi Duci a nefando rabula subsellii Incarcerandum, ac Praesidem nullius rei Huic subrogari; Soleque inuito et Ioue Lucere postulastis; extincto prius Cum Rege, Regem spurca sortiri exterum. Gens nigra auebat, iura calcans omnia Moresque priscos atque praeceptum Dei Parere Regi, quod iubet uel dyscolo (Nedum ut refragans Eucolo, seque alligans Plebs parricidi mite detrectet iugum) Contagio, inquam, fibulatrix uestium Quas arctat, ut se laxet in latum nefas, Pus et uenenum sanitatis gallicae, Et puritatis Christianoe foetidas. Iniusta sancti nominis possessio, Fallax salutis perditae occupatio, Haereditatum diuitum aucupatio, Iam dudum agenda extorris hinc, si quid piae Leges ualerent, facta nunc ob impia Plectenda poenis more maiorum omnibus. Quid fiet istis pacis aduersariis, Nisi ut fruantur uota quae conceperint? Internecina ut bella semper occupent, Et umbra numquam pacis ipsos protegat, Seseque poscant inuicem expugnascere? Qui forte pacem si uelint, Caudina sit. Sin auferant uictoriam, Cadmoea sit. Iam Christianus si placere non potest Et actor Irenaeus est Misumenos, Tentanda rursus alea est; forsan cubi Dabunt cadentes senionem post canem. Nunc nostra Christum non loquetur pagina (Paganus iste est Comicus), sed iurgia Litesque tantum et fraudium propagines, Fori togatos uultures, hirudines, Crumenimulgas, caetera ignauum pecus, Verosque fucos, mella apum qui uindicant. Adeste Nummi spes dolosa quos fouet, Quos litigandi insanus amor macerat. En ut forense uulgus aures surrigit, Siue ex minutis litibus qui uictitant, Siue ex adultis; ecce concurrunt quibus Hamata lingua, armata saxis est manus, Quid si ipse saxis muniam me, et impetam Coruos hiantes? Mox et illudens, caput Illidam auaris sanguinem limantibus ? Sed reprimam me; nam labos1 est irritus, Nocetque, uespas si quis irritauerit. Vespas theatro, et patriam uespariam Iactat poeta noster, ac uos obsecrat, Vos, inquam, amantes pacis et iuris, simul Et Christianae ueritatis, Gallia Quos uindicatos a lue hispana colit, ut consulatis ludicra haec aequi et boni, Nec fabulam hanc speretis histrioniam, Idololatria omnis est spectaculi Parens, ut Afer autumabat Thascius. Nam Christianus histrio nunquam fuit, Egitue mimos: Caesar istud cogere Non possit ullus (ducere ad mortem potest Tantum et sequetur), non metus, non gratia, Non annulus, quinquaginta non sestertia (Munus quod olim scriptor ille eques tulit Qui Publio certauit), at sibi canit. Nunquam potitus est seruitutis; libere Edoctus et prognatus, a Deo datae Potentiae auscultare nouit qua sibi Fas est piumque et quatenus probos decet. Sed ut cothurnum sumpsit olim, nunc quoque Socco uetustiore grassari studet, Per facta perpera atque mores impios. Vt sic reducat, si pote, ad frugem bonam, Proiure ne sit post id hac iniuria, Sed quisque munus rite fungatur suum. Tantum est, Senatus, nunc uale, o Forum, uale, Quanquam ualere non potes, ni re fuas Poeta noster quod uocatur; me uide, Qui Christianus uerus est, quasi est Deus: Hac absque fine nil beatum censeas. Sic uos ualere mauelim quam plaudere.

Lorsque notre poète vous a donné à voir la Paix attique, Jadis il s’est ingénié à utiliser le nom de Traducteur barbare, Qu'aujourd'hui il revendique de manière pressante de renier, Puisqu'il sait qu'il faut depuis peu repousser avec horreur Le ventre insatiable du forum, l'avocat Porcus ainsi nommé, Qui fait crépiter de partout la Guerre civile Soit avec sa grande bouche, soit avec son derrière, Et, accusé d’entente avec l’ennemi, Il a lui-même plaidé sa cause et a provoqué prématurément son destin. De là vient le nom de poète qu'il s'arroge ici; Non parce que les choses qu'il enseigne sont dignes de cet honneur, Mais parce que l’on appelle poète celui qui fait quelque chose, Factiste comme ont dit naguère les Français. Vous donc qui savez peut-être ces choses Montrez-vous favorables en faisant silence, Tandis que le poète chasse quelques plaintes et chez vous-mêmes, il fait de vous des accusés, parce que, sénat nombreux et lie innombrable d’un public fasciné par le parti espagnol, Vous avez hué et le chœur, et la scène et l'action de la Paix; Bien plus, vous avez permis que, renversé de son siège élevé, Le premier personnage du Sénat soit mené en prison par un abominable brailleur du Siège, Et que soit élu à sa place le président de rien; Vous avez demandé à ce qu’il brille, malgré le soleil et Jupiter, Qui s’étaient éteints auparavant avec le roi ; La sale engeance noire désirait obtenir un roi extérieur, Piétinant toutes les règles du droit Et les coutumes anciennes et les injonctions divines Qui ordonnent d’obéir au roi, fût-il mal embouché (Et il s’en fallait de beaucoup que le peuple s’opposât à un roi bien disposé Et se coalise pour repousser le doux joug du parricide), Cette peste, dis-je, qui agrafe ses vêtements serrés Pour s’en défaire en vue d’une monstruosité à grande échelle, Pus et poison de la santé française, et souillure de la pureté chrétienne. Possession injuste d'un nom saint Occupation trompeuse d'un salut perdu, Chasse de riches héritages, Depuis longtemps devant être menées hors d'ici, Si les lois pieuses avaient quelque force, Mais qu’il faut en réalité, en raison d’événements impies, Punir de tous les châtiments selon la coutume des anciens. Qu'arrivera-t-il à ces adversaires de la paix, Si ce n'est qu'ils ne jouissent des vœux qu'ils ont conçus, Et que jamais une ombre de paix ne les protège eux-mêmes, Et qu’ils veuillent toujours se faire une guerre mutuelle ? Ceux qui peut-être voudraient la paix, qu'elle soit caudine. Si au contraire ils emportent la victoire, qu'elle soit "à la cadméenne". Désormais si Chrestien ne peut pas plaire Et l'acteur de la paix est détesté, Il faut à nouveau jeter les dés; Peut-être les cubes donneront-ils un six en tombant après le coup du chien2. Maintenant notre ouvrage ne parle pas du Christ (ce Comique est païen), Mais seulement de litiges et de fraudes qui se propagent, Des vautours en toges du forum, des sangsues, des coupeurs de bourses, Du reste du bétail paresseux, de vrais frelons, De l'eau miellée des abeilles qui revendiquent. Soyez présents, vous qu'un espoir trompeur d'argent réchauffe, Que l'amour fou du procès consume. Voilà que la foule du forum tend l'oreille, Qu’ils se nourrissent de petit procès, ou de grands; Voici qu'accourent ceux qui ont la langue acérée, la main armée de sacs, Et si moi-même je me munissais de pierres, Et j'attaquais les corbeaux qui ouvrent le bec? Bientôt en me moquant moi aussi, Je frapperai à la tête les cupides qui nous sucent le sang Mais il faut que je me retienne; en effet le travail est inutile, C’est nuire que de s’attaquer à des guêpes. Tamen latino nos damus graecanicas Cependant dans un théâtre latin nous donnons des Guêpes grecques, Et notre poète se flatte de sa patrie guêpière, Et il vous prie, vous, dis-je, qui aimez la paix et la loi, En même temps que la vérité chrétienne, Vous que la Gaule protège Alors que vous êtes revendiqués par la calamité espagnole, De réfléchir à ce divertissement tranquillement et de bonne foi, N'espérez pas que cette fable soit farcesque, (l’idolâtrie est parente de chaque spectacle, comme le disait l’Africain Thascius), En effet Chrestien ne fut jamais un farceur, et il n'a pas joué de mimes: Qu’aucun César ne puisse le contraindre à cela (Il peut seulement le conduire à la mort et il le suivra), Ni la crainte, ni la récompense, ni un petit titre, ni cinquante sesterces (Charge que ce grand auteur chevalier a emportée, lui qui a lutté contre Publius), Mais il chante pour lui-même. Jamais il n’a connu la servitude; Instruit librement et de naissance libre, Il a appris à obéir au pouvoir accordé par Dieu, Par lequel les choses qui sont justes et pieuses et honnêtes lui conviennent. Mais comme jadis il a pris le cothurne, À présent aussi il envisage d'avancer avec une socque comique plus ancienne, À travers des faits tordus et des mœurs impies, Pour les ramener, si c'est possible, dans le droit chemin, Et qu'après cela il n'y ait plus d’injustice à la place du droit, Mais que chacun remplisse sa charge selon les règles. C'est assez, Sénat, à présent porte-toi bien, Forum, porte-toi bien, Bien que tu ne puisses pas te bien porter, Sauf à être vraiment ce que dit le nom de notre poète. Regarde moi : qui est un vrai Chrestien, est quasiment Dieu. Ne juge rien d'heureux avant cette limite. Ainsi je préfèrerais vous voir aller bien plutôt que d'applaudir.


1. Arch. labor. Pl., Ter.
2. Canem, le coup du chien, le plus mauvais, au jeu de dés.