Ad Illustrissimum Principem Ioannem a Lucenburgo, Iueraci Abbatem, Georgii Buchanani Praefatio.
Georgius Buchananus

Présentation du paratexte

Bibliographie :
  • George Buchanan: Poet and Dramatist, ed. by Philip Ford and Roger P. H. Green (Classical Press of Wales, 2009).
  • Zoé Schweitzer, ‘Buchanan, helléniste et dramaturge, interprète d’Euripide (Medea et Alcestis)’, Études Épistémè. Revue de littérature et de civilisation (XVIe – XVIIIe siècles), 23, 2013.
  • Zoé Schweitzer, ‘La traduction d’Alceste par Buchanan, l’imago retrouvée ?’, Anabases. Traditions et réceptions de l’Antiquité, 21, 2015, 113–24.
  • Debora Kuller Shuger, The Renaissance Bible: Scholarship, Sacrifice and Subjectivity (Berkeley: University of California Press, 1994).
Traduction : Sarah GAUCHER

Ad Illustrissimum Principem Ioannem a Lucenburgo, Iueraci Abbatem, Georgii Buchanani Praefatio.

Au très illustre prince Johannes de Luxembourg, abbé d’Iveracus, préface de Georgius Buchananus.

Non dubito plerosque futuros, Princeps clarissime, qui statim ubi haec in manus sumpserint, meam admirentur impudentiam, uel potius temeritatem, quod in tanto bonorum ingeniorum prouentu, id ego potissimum sum ausus aggredi quod aliorum uel pudor refugerat, uel reformidarat audacia, atque Euripidi uertendo manum admoliri non pertimuerim, praesertim quum non ignorarem hanc a plerisque rem prius tentatam, uni Erasmo ita successisse, ut iuxta ab incepto me deterrere debuerit illorum casus, atque huius felicitas ; qui praeterquam quod ad eam rem uenerat tot bonarium artium praesidio instructus, etiam siqua erat in hac parte nouitatis gratia, eam praeoccupauerat.

Je ne doute pas, prince très illustre, qu’il y aura bien des gens pour s’étonner, aussitôt qu’ils auront pris dans leurs mains ces écrits, de mon impudence ou plutôt de ma témérité, sous prétexte que, alors que de grands esprits y réussissaient si bien, j’ai osé, moi, aborder ce que la pudeur des autres avait fui ou ce que leur audace avait redouté et que je n’ai pas craint de m’atteler à traduire Euripide, surtout alors que je n’ignorais pas que bien d’autres s’étaient essayés à cette traduction mais qu’elle avait réussi au seul Érasme si bien que les malheurs de ceux-là et le succès de celui-ci auraient dû me détourner dès le départ : de fait Érasme, outre qu’il avait abordé ce sujet aguerri par le secours de tant de beaux-arts, même s’il jouissait sur ce point du charme de la nouveauté, s’en était emparé avant moi.

Accedit et illud, quod praeter summam in choris obscuritatem (quae huic scriptori adeo familiaris est ut eam de industria sectatus esse uideatur) haec ipsa quondam fabula ab Ennio prius uersa fuerat, cuius non pauci uersus adhuc in ueterum commentariis passim leguntur ; quorum comparatio his nostris, alioqui obscuris, plurimum sua luce officere posset.

Il s’est également ajouté que, excepté la très grande obscurité des chœurs (qui est coutumière de cet auteur au point qu’il semble l’avoir volontairement recherchée), cette pièce avait déjà été traduite jadis par Ennius, dont nous lisons encore beaucoup de vers partout dans les commentaires des Anciens ; et la comparaison avec ces vers pourrait reléguer les nôtres, du reste obscurs, dans les ténèbres.

Ego uero, tantum abest ut his a scribendo rebus fuerim deterritus, ut in utriusque fortunae qualemcunque euentum non mediocre praesidium hinc fore iam animo praeceperim, atque mihi ipsi quodammodo spoponderim.

Mais moi, il s’en faut de beaucoup que cela m’ait détourné d’écrire, si bien que, face à mon éventuelle réussite ou à mon potentiel échec, j’ai déjà ordonné à mon esprit de m’apporter un soutien important et que je me suis en quelque sorte porté garant de moi-même.

Nam tametsi plausum a studiosorum theatro haec fabula non accipiat, si utcunque tamen steterit, nec ignominiose explodatur, nunquam quoque moleste feram, Ennii atque Erasmi autoritate mihi tenebras offundi, quam me post tam praeclara nomina qualemcunque saltem locum tenuisse.

En effet, même si cette pièce ne recevait pas d’applaudissements du théâtre des érudits, pour peu qu’elle soit cependant présentée et qu’elle ne soit pas honteusement huée, il ne me serait jamais insupportable d’être relégué dans les ténèbres par l’autorité d’Ennius et d’Érasme ni d’avoir occupé une place, quelle qu’elle soit, après de si grands noms.

Hoc uero quicquid est operae, nos tibi princeps clarissime potissimum censuimus dicandum, non modo ut grati saltem animi professione tuam erga me summam testarer humanitatem, aut a uestrae familiae nobilissimae splendore contra calumniantium inuidiam praesidium mihi peterem, sed ut meliori spe reliquorum doctorum suffragiis me committerem, si tui iudicii praerogatiuo subnixus essem, qui quum in omni disciplinarum genere principatum teneas, ac in hoc poetice studio singulari quadam felicitate uerseris, soles tamen (ut inquit ille) meas esse aliquid putare nugas1.

Quant à cette œuvre, quelle qu’en soit la qualité, nous nous avons pensé qu’elle devait t’être dédiée, prince très illustre, non seulement pour que par le témoignage de ma reconnaissance je donne au moins à voir ta très grande humanité à mon égard ou que je réclame à la splendeur de votre très noble famille un soutien contre la jalousie des calomniateurs mais aussi pour que je m’expose avec un meilleur espoir aux suffrages du reste des savants, si je me suis d’abord appuyé sur ton jugement, toi qui, alors que tu tiens le premier rang dans tous les genres de disciplines et que tu t’es appliqué à cette étude poétique avec un succès remarquable, as cependant l’habitude (comme le dit le poète) "de considérer mes futilités".


1. Catul., Ep. 1.1.4.