Sigismundus Gelous clarissimo et doctissimo uiro Martino Calmantzehi pastori ecclesiae Neapolitanae apud pannonios ad Carpathum S. D.
Sigismundus Gelous

Présentation du paratexte

Type de texte : traduction seule

Bibliographie :
  • Miloslav Okàl, ‘La Vie et l’oeuvre de Sigismon Gelous Torda’, publisher, VI (date), 105–55.
Traduction : Alexia DEDIEU

Sigismundus Gelous clarissimo et doctissimo uiro Martino Calmantzehi pastori ecclesiae Neapolitanae apud Pannonios ad Carpathum S. D.

Sigismond Gelous salue le très savant Marton Kálmáncsehi, pasteur de l’église de Novigrad chez les Pannoniens en Carpathes.

Οὐδεὶς κόρος τῶν καλῶν 1 , ut Plato inquit. Quo diutius in Euripide uersor, eo mihi lectio ipsius in dies magis ac magis dulcescit. Nec extat, meo quide iudicio, scriptum ullum humanum melius, aut moribus formandis utilius. Itaque his annis aliquot eius fabulas auditoribus meis ennaraui, atque inter docendum uenit in mentem mirari, quod nondum quisquam emerserit, qui hunc auctorem latinum faceret : atque eorum uicem dolere, qui propter linguae graecae imperitiam tanto thesauro priuarentur.

« On ne se dégoûte pas de ce qui est beau », comme le dit Platon. Plus je me plonge dans Euripide, plus sa lecture, de jour en jour, devient pour moi douce. Il n’existe pas, selon moi, d’écrit chez les hommes qui soit meilleur, ou plus utile à former les caractères. C’est pourquoi ces dernières années j’ai expliqué un certain nombre de ses pièces à mes élèves, et, tandis que j’enseignais, il m’est apparu qu’il était étonnant qu’il ne se soit jamais montré quelqu’un pour traduire cet auteur en latin, et qu’au lieu de ça il y en ait qui se plaignent d’être privés d’un si grand trésor par méconnaissance de la langue grecque.

Nam quorundam uerbi ex uerbo redditio, praeterquam quod plurimis in locis auctoris sententiam deprauat, ac misere corrumpit, etiam friuola nimis ac puerilis est. Non illa quidem improbanda ad initia studiorum puerilium, si et iudicio institueretur, et diligentia elaboraretur : cuiusmodi Philippi Melanchtonis nunc etiam expectatur, ac breui fortasse est proditura.

Car le mot-à-mot de certains, outre qu’il déforme la pensée de l’auteur en de nombreux endroits et qu’il produit des dégâts fâcheux, est aussi un travail d’enfant trop superficiel. Un tel mot-à-mot n’est pas blâmable en soi, pour peu qu’il soit mis en place avec bon sens au début des études des jeunes gens et élaboré avec soin. On attend un mot-à-mot de cette sorte de Mélanchthon, et il va probablement être imprimé sous peu.

Conuersit Erasmus Hecubam, et Iphigeniam in Aulide, et illius in ea re studium doctis uehementer probatur. Atque utinam ceteras quoque Trageodias pari diligentia uertere uoluisset, multum profecto adolescentes linguae Graecae studiosos iuuisset.

Erasme a traduit Hécube et Iphigénie à Aulis, et les hommes instruits approuvent pleinement son application en la matière. Si seulement il avait bien voulu traduire également toutes les autres tragédies d’Euripide avec pareil soin, il aurait rendu un bien grand service aux jeunes gens qui apprennent le grec.

Ego optimi et doctissimi praeceptoris, D. Philippi Melanchthonis hortatu incitatus, Supplicum tragoediam et Heraclidarum uerti, quas tanquam abortiuos fetus ipse quoque aspernatus abieci, deinde cum mirifico autoris amore inuitatus, tum ut eis qui solidam linguae graecae cognitionem nondum essent consecuti, qualecunque praesidium ad Euripidem intelligendum adderem, statui aliquot eius fabulas in latinum sermonem numeris conuertere.

Quant à moi, poussé par les exhortations de mon très grand et très savant professeur Philippe Mélanchthon, à traduire les Suppliantes et les Héraclides, que j’ai, sans les accepter moi non plus, laissées à l’état d’avortons, puis, engagé par un amour prodigieux pour cet auteur, et afin d’apporter quelque secours à la compréhension d’Euripide à ceux qui n’avaient pas encore atteint une connaissance solide de la langue grecque, je décidai de tourner en vers latins un certain nombre de ses pièces.

Ac uersi Orestem, quae mihi tragoedia et propter argumentum ipsum, et propter multos insignes locos imprimis placet. Quantum uero in ea re operae et laboris sumpserim, docti facile iudicabunt.

J’ai traduit Oreste, tragédie qui me plaît tout particulièrement à cause de sa trame même et des nombreux passages remarquables qu’elle comporte. Les hommes instruits verront aisément quel labeur, quelle peine cette entreprise m’a coûtés.

Nam ut alias difficultates taceam, habet graecus sermo proprias dicendi formulas, quas si parum apte transtulisti, uenustissima quasi emblemata, et praecipua operis ornamenta sustulisti.

Pour ne pas parler des autres difficultés, le grec possède des tournures de langage propres ; si on les transpose mal, on abime comme de magnifiques mosaïques et la principale parure de l’œuvre.

Quale est, ut exemplo rem demonstrem, illud quod nos uertimus, Scilicet Helene est uetus 2  : Graecis est παροιμιῶδες3, et Pro uno mihi hoc unum dare 4 , et similia : in quibus non tam successum, quam studium et curam praedicare possum. Iam illud, Hastaque posita caedere hostias 5 , et similia, quae nisi de ritibus ac moribus et legibus quoque priscis intelligi possunt, expressimus sicut potuimus.

Voici, pour donner un exemple, ce que je traduis par Scilicet Helene est uetus : pour les Grecs c’est une tournure proverbiale, et Pro uno mihi hoc unum dare pareillement et pour d'autres pour lesquels je peux moins vanter mon succès que mon zèle et mon application. Ou encore ce vers, Hastaque posita caedere hostias et d’autres, qui se comprennent sauf pour ce qui concerne les rites, les mœurs et même des lois de l’ancien temps, je les ai exprimés comme j’ai pu.

In quibusdam interpretem sumus secuti, in quibusdam editionem Aldinam, ut, uerbi causa, κρᾶτα θεῖσ' εἴσω πέπλων 6 , de sorore fuere interpretati, ut esset θεῖσα κατ’ ἔκθλιψιν, atque fieri potuerit, Velas soror caput tuum 7  : confirmantibus quodammodo haec iis quae sequuntur, nos tamen, ut edita fuerunt, sic uertenda putauimus. 

Dans certains cas j’ai suivi le scholiaste, dans d’autres, l’Aldine ; par exemple κρᾶτα θεῖσ’ εἴσω πέπλων a été compris comme évoquant la sœur, avec une élision de θεῖσα, et aurait pu devenir « Tu voiles ta tête, ma sœur ? » , la suite confirmant d’une certaine façon cette option ; moi, cependant, je pense que la traduction doit être fidèle à l’Aldine.

Formulas autem illas, quas aiebam, non est procliue sic transponere, ut eadem gratia ac uenustas maneat. Quandoquidem aliud in illa, aliud in Romana lingua decet, conatus sum et plerisque in locis, uersus uersibus exponere : quanquam istuc non superstitiose curaui.

Ces formules, dont je parlais, il est difficile de les traduire de façon à conserver la grâce de l’original. Vu que grec et latin ont des conventions différentes, je me suis aussi efforcé dans la majorité des cas à rendre tout vers à vers, mais sans en faire une contrainte trop scrupuleuse.

Hanc meam operam, cum utriusque sermonis sis peritissimus, et uaria eruditione excellas, tibi uir optime et doctissime dicaui, ut aliquam grati animi erga te significationem praeberem, quam (etsi tuis ingentibus meritis nequaquam respondet) confido tamen tibi gratissimam fore, qui officia non largitionum magnitudine, sed studio et uoluntate amici metiris, et illud Theocriti tenes Ἦ μεγάλα χάρις δώρῳ ξὺν ὀλίγῳ· πάντα δὲ τίματα τὰ πὰρ φίλων. 8 Vale.

Cette œuvre qui est la mienne, puisque tu es très versé dans chacune des deux langues, et que tu te démarques par la diversité de tes connaissances, je te l’ai dédiée à toi, très remarquable savant, en témoignage de la reconnaissance que j’ai pour toi en mon cœur. J’espère (même si je sais qu’elle n’égalera nullement les mérites immenses qui sont les tiens) qu’elle te sera cependant très agréable, à toi, qui évalues les marques d’obligeance non à l’aune de l’ampleur de la libéralité, mais à l’aune du zèle et de la bonne volonté d’un ami, et qui connais ce passage de Théocrite : « un petit présent recouvre une grande joie ; tout est honneur qui vient d’un ami. ». Adieu.


1. Luc., Dips. 9. Il s’agit en fait d’une citation de Lucien de Samosate qui cite Platon.
2. Eur., Or. 129.. ἔστι δ’ ἡ πάλαι γυνή;
3. Mot employé dans les scholies à Euripide, notamment dans les scholia uetera à Oreste, Vita-argumentum-scholion sch Or, section 1610, 1.
4. Eur., Or. 651.Ἓν μὲν τόδ' ἡμῖν ἀνθ' ἑνὸς δοῦναί σε χρή
5. Eur., Or. 1603. ‘Καὶ σφάγια πρὸ δορὸς καταβάλοις.’
6. Eur., Or. 280(ou 284 selon les éditions).. Σύγγονε, τί κλαίεις κρᾶτα θεῖσ' ἔσω πέπλων; Là encore, Gelous commente les scholies, notamment le passage Vita-argumentum-scholion sch Or, section 284, line 3
7. Eur., Or. 280. Σύγγονε, τί κλαίεις κρᾶτα θεῖσ' ἔσω πέπλων ; Ici, ce que souligne Gelous est que le participe θεῖσ' est ambigu puisque si on considère qu’il n’y a pas d’élision, dans ce cas il peut désigner un personnage masculin. De plus, le terme grec épicène Σύγγονε peut aussi bien être attribué à Oreste qu’à Electre, ce qui n’est pas le cas du latin soror. Dans l’édition de Gelous, cette réplique est attribuée à Electre, alors que les éditions modernes l’attribuent à Oreste. Cette différence d’attribution des vers se retrouve déjà dans l’Aldine de 1503. Gelous explique donc qu’il a suivi l’Aldine, et justifie également son choix de traduction.
8. Thcr., Idyl. 28.24-25.