Présentation du paratexte
- George Buchanan: Poet and Dramatist, ed. by Philip Ford and Roger P. H. Green (Classical Press of Wales, 2009).
- Zoé Schweitzer, ‘Buchanan, helléniste et dramaturge, interprète d’Euripide (Medea et Alcestis)’, Études Épistémè. Revue de littérature et de civilisation (XVIe – XVIIIe siècles), 23, 2013.
- Zoé Schweitzer, ‘La traduction d’Alceste par Buchanan, l’imago retrouvée ?’, Anabases. Traditions et réceptions de l’Antiquité, 21, 2015, 113–24.
Ad Illustrissimam Principem Dominam Margaritam Henrici secundi Francorum regis sororem, in Alcestin Praefatio.
À la très illustre princesse Marguerite, sœur du roi des Français Henri II, préface sur Alceste.
Alcestin Euripidis ante aliquot annos a me Latinam factam, ad te potissimum, Margarita principum optima, censui mittendam.
J’ai résolu qu’il fallait t’envoyer, à toi avant tout autre, Marguerite, plus grande des princesses, l’Alceste d’Euripide que j’ai réalisé il y a quelques années.
Nec id ea modo causa feci qua caeteri fere solent, qui hoc tempore in scribendo aliquid aut possunt aut audent: ut uidelicet hac praerogatiua freti, aliorum iudicia minus reformident, et autoritate nominis tui aduersus calumniantium malignitatem se tueantur, sed quod huius fabulae lectionem tibi multis de causis non ingratam fore sperabam.
Et je l’ai fait non seulement parce qu’en ont l’habitude presque tous les autres qui en ces temps ou peuvent ou osent écrire quelque chose, si bien que, rendus confiants sans doute par ce premier avis, ils craignent moins les jugements des autres et qu’ils se protègent grâce à la garantie de ton nom contre la malignité des calomniateurs, mais aussi parce que j’espérais que la lecture de cette pièce, pour de nombreuses raisons, ne te serait pas désagréable.
Est enim orationis genere leni et aequabili, et quod Euripidis proprium est, suaui ; parricidii uero et ueneficii, et reliquorum quibus aliae Tragoediae plenae sunt scelerum, nulla prorsus hic mentio, nullum omnino uestigium.
En effet, elle est d’un genre de discours lisse et régulier et, ce qui est propre à Euripide, suave ; quant au parricide et à l’empoisonnement et aux autres crimes dont d’autres tragédies sont pleines, absolument nulle mention, vraiment nulle trace ici.
Contra uero coniugalis amoris, pietatis, humanitatis, et aliorum officiorum adeo plena sunt omnia, ut non uerear hanc fabulam comparare cum libris eorum philosophorum qui ex professo uirtutis praecepta tradiderunt ac nescio an etiam praeferre debeam.
Au contraire, tout est si plein de l’amour conjugal, de la crainte religieuse, de l’humanité et d’autres devoirs, que je ne crains pas de comparer cette pièce avec les livres de ces philosophes qui ont transmis ouvertement les préceptes de la vertus et peut-être devrais-je même la préférer à ces derniers.
Actio enim rerum sermone et spiritu pene animata acrius quam nuda praecepta sensus impellit, et facilius in animos influit et illabitur, atque ubi illapsa fuerit, firmius haeret, et quasi radices agit.
Car l’action rendue vivante par la parole et le souffle ébranle les sens plus vivement que des préceptes nus, elle coule dans l’esprit et y glisse plus facilement et, là où elle a penétré, s’attache plus fermement et prend pour ainsi dire racine.
Quod siquis minus ad te pertinere credat ista, quod eo iam in omni uirtutis genere sis progressa, ut non sis alienis exemplis confirmanda, sed alios tuo exemplo ad uirtutem prouoces, fallitur uehementer, meo quidem iudicio : praecepta enim officiorum et rerum praeclare gestarum memoria aliis fortassis utiliora erunt qui ea legunt, ut uelut ad normam suos mores eo dirigant, illis certe iucundissima esse debent, qui iam perfuncti discendi et imitandi laboribus, sub aliena persona suas laudes citra omnem adulationis suspicionem legunt.
Et si l’on pense que ces écrits te concernent moins sous prétexte que tu es déjà si accomplie en toutes espèces de vertu que tu ne doives pas être affermie par l’exemple d’autrui mais que tu rappelles d’autres à la vertu par ton exemple, on commet une grave erreur, à mon avis du moins : en effet, les leçons tirées des devoirs et la mémoire des exploits illustres seront peut-être plus utiles à d’autres lecteurs pour diriger leurs mœurs comme selon une règle, mais ils doivent certainement être les plus agréables à ceux qui, s’étant acquittés du travail de l’apprentissage et de l’imitation, lisent sous le masque d’autrui leurs propres louanges sans soupçon de flatterie.
Habet enim haec fabula, quantum ego quidem iudicare possum, earum uirtutum quas in te non minus libenter agnoscimus, quam in Alcestide legentes miramur, adeo expressam imaginem, ut quoties eam in manus sumas, toties tuarum tibi uirtutum in mentem ueniat necesse est.
En effet cette pièce représente, autant que je puisse en juger pour ma part, le reflet des vertus que nous reconnaissons aussi volontiers en toi que nous les admirons en les lisant dans Alceste, à tel point que chaque fois que tu t’en saisis, il te vient nécessairement à l’esprit le reflet de tes propres vertus.
Eam quum laudari audias, de tuis moribus iudicium fieri existimes.
Et cette pièce, chaque fois qu’on l’entendra louée, qu’on songe que ce jugement s’adresse à tes mœurs.
Eam igitur ad te ut dixi mittimus.
C’est pourquoi, comme je l’ai dit, nous te l’envoyons.
Quod si audacius a me factum uideatur, eam tu potissimum culpam praestes oportet : quae me tua autoritate ad scribendum impulisti, et in arenam productum omni fauoris genere prosequeris et foues.
Et si je semble avoir fait cela avec trop d’audace, c’est toi qui dois en porter la responsabilité : en effet, tu m’as poussé, par ton autorité, à écrire et, alors que j’avais avancé dans l’arène, tu m’as accompagné et soutenu de toutes les faveurs possibles.
Vale.
Adieu.