Présentation du paratexte
Professeur de latin à Sélestat puis à Fribourg-en Brisgau, Caspar Stiblin est surtout connu pour sa grande édition des tragédies d'Euripide qu'il publie en 1562 à Bâle, chez Jean Oporin, avec un double privilège de l'Empereur et du roi de France, et qui contient également une Vie d'Euripide due à Micyllus, des Prolégomènes à la tragédie et des remarques de Jean Brodeau. L'apport spécifique de Stiblin se lit dans la présentation de chaque tragédie : pour chaque pièce, le texte grec et sa traduction en vis-à-vis sont accompagnés d'un argument et suivis d'une « praefatio », de nouveaux arguments acte par acte, et d'« annotationes ». La longue épître dédicatoire de l'auteur à l'Empereur Ferdinand Ier de Habsbourg, rédigée sans doute peu de temps après son arrivée sur le trône (1556), lui offre son Euripide en insistant sur la portée philosophique du poète tragique : la méditation sur la vie humaine que propose la tragédie permet le double apprentissage de la modération et de la connaissance de soi. Mais l'utilité de la tragédie euripidéenne tient aussi à ce qu'elle offre une riche peinture de la condition humaine et, tout particulièrement, des portraits exemplaires de princes, en bien comme en mal.
Bibliographie :Inuictissimo et Potentissimo Principi, Domino Ferdinando Romanorum Imperatori Augusto, Pio et Felici, suo Domino clementissimo, Gaspar Stiblinus salutem plurimam dicit.
Au très invincible et très puissant Prince, le vénérable, heureux et pieux Ferdinand Empereur des Romains, son très clément seigneur, Gaspar Stiblin donne son salut.
Qui regibus solent, Augustissime Imperator, uestes ferre aut aes aut aurum factum, uel aliud quippiam huiusmodi rerum quarum ipsi indigi sunt, isti autem abundant, nimium hi uidentur impudentius cauponam exercere quam qui ex professo hisce rebus negotiantur.
Ceux qui ont coutume, très vénérable Empereur, d’apporter aux rois des vêtements, des objets de bronze ou d’or, ou quelque autre cadeau de cette sorte, parmi les choses dont ils manquent eux-mêmes mais que ceux-là ont en abondance, semblent par trop tenir une taverne avec plus d’impudence que ceux dont c'est le métier.
Ego uero cum ueluti in populoso quodam theatro Tuam Maiestatem, Imperatoriis insignibus sublimi e solio fulgentem, animo contemplarer, deinde omnes omnium hominum ordines circumstare gratulabundos faustisque ominibus excipere sacratissimum Imperatorem, ut in cuius unius humeros orbis terrarum regendi onus iam incumberet, quod prius cum fratre sanctissimo Caesare multis annis commune tulisset, aspicerem, e quibus equestris ordo fortissimum Principem se habere, Pontifices Episcopi et sacerdotes acerrimum religionis propugnatorem, ciuitates optimarum legum et conditorem et defensorem, literaria respublica ingeniorum patronum benignissimum, laetabundi clamarent, uolui aliud quoddam genus muneris Tuae Maiestati serenissimae ferre quod honeste et ego dare et Tua Maiestas accipere posset, nimirum Euripidem, Tragicorum principem, iam Latine paulo luculentius quam antea loquentem, ne scilicet solus ego e literario sodalicio, in tanto amplissimorum ordinum conuentu, gestientis animi mei gratulationem nulla significatione apud Tuam Maiestatem declararem.
Mais moi, alors que, comme dans un théâtre bondé, je contemplais par la pensée Ta Majesté, étincelant de ses insignes impériaux sur un trône élevé, ensuite tous les hommes de tous les ordres l'entourer pour la complimenter et accueillir le très Saint Empereur avec d’heureux présages, afin de voir celui sur les épaules duquel, seul, reposait désormais la charge de régner sur le monde, charge qu'il avait auparavant partagée avec son frère, très saint César,1 (parmi eux, l’ordre équestre criait avec joie qu’il avait un prince très courageux, les évêques pontificaux et les prêtres un ardent défenseur de la religion, les cités un fondateur et un défenseur des meilleurs lois, la République des lettres un patron tout à fait généreux des talents), j'ai voulu apporter à Ta Majesté Sérénissime un autre genre de présent, qu’il serait honorable pour moi de te donner, et pour toi, de recevoir : c'est Euripide, le Prince des Tragiques2, parlant désormais latin avec un peu plus de splendeur qu’auparavant, afin que moi, unique représentant d’une camaraderie littéraire dans un si grand rassemblement d’ordres très importants, je n'adresse pas à Ta Majesté les félicitations de mon cœur en liesse sans marque spécifique.
Fero autem non solum Poetam in suo quidem
scribendi genere praestantissimum, sed etiam philosophum, si modo uera sit haec
Maximi Tyrii Platonici de Poetice sententia,
καὶ γὰρ ποιητικὴ τί ἄλλο ἐστὶ, ἢ φιλοσοφία, τῷ μὲν χρόνῳ
παλαιὰ, τῇ δὲ ἁρμονίᾳ ἔμμετρος, τῇ δὲ γνώμῃ μυθολογικὴ
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Ce n’est pas seulement un Poète remarquable dans le genre qu'il a choisi que je t’apporte, mais aussi un philosophe, si du moins est juste ce jugement du platonicien Maxime de Tyr sur la poésie : Καὶ γὰρ ποιητικὴ τί ἄλλο ἐστί, ἢ φιλοσοφία, τῷ μὲν χρόνῳ παλαιά, τῇ δὲ ἁρμονίᾳ ἔμμετρος, τῇ δὲ γνώμῃ μυθολογική;4 , C’est-à-dire : « Qu’est-ce d’autre que la poésie, sinon de la philosophie, vieille de par l’époque à laquelle elle appartient, métrique de par sa composition, mythologique de par son propos, et recouverte du voile de la fiction ? »
Fuit enim Euripides Anaxagorae, magni nominis philosophi, discipulus : cuius ductu tam feliciter philosophatus est ut sapientiae mysteria quae alii multis ambagibus ac uerborum spinis implicata prodebant ea ipse clarissime ob oculos poneret et ueluti in scenam produceret.
Euripide en effet fut le disciple d’Anaxagore, philosophe d'un grand renom : sous sa conduite, il s’adonna avec tant de bonheur à la philosophie que les mystères de la sagesse que les autres transmettaient de façon confuse, avec force détours et mots épineux, il les eut très clairement devant les yeux et ainsi les mit en scène.
Vnde etiam scenicum philosophum
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De là même lui vient le nom de Philosophe de la scène, selon les écrits d’Athénée.
Et Laertius testatur Crantorem in primis admirari solitum fuisse ex poetis Homerum et Euripidem, nimirum propter abditam et reconditam doctrinam quae in illorum libris esset.6
Et Laërce témoigne que Crantor surtout avait coutume d’admirer, entre les poètes, Homère et Euripide, assurément pour les savoirs cachés et mystérieux qui se trouvent dans leurs livres.
Quod si, ut Cicero ait, haec praestans ac diuina sapientia est, et perceptas penitus res humanas et
pertractatas habere, nihil admirari cum acciderit, nihil antequam euenerit
non euenire posse arbitrari
7Ὁρᾷς οἷα τὰ ἡμέτερα καὶ ὅπως κύκλος τις τῶν ἀνθρωπίνων
περιτρέχει πραγμάτων· νῦν μὲν τῶν, νῦν δὲ τῶν ἀνθούντων καὶ ἀπανθούντων, καὶ
οὔτε τοῦ εὖ πράττειν ἑστῶτος ἡμῖν, οὔτε τοῦ δυστυχεῖν, ὃ δὴ λέγουσιν, ἀλλὰ
τάχιστα μετακινουμένου καὶ μεταπίπτοντος, ὡς αὔραις εἶναι μᾶλλον πιστεύειν
καὶ γράμμασι τοῖς καθ’ ὕδατος ἢ ἀνθρώπων εὐημερίᾳ. Τίνος ἕνεκεν; ἐμοὶ δοκεῖ,
ἵνα τὸ ἐν τούτοις ἄστατον καὶ ἀνώμαλον θεωροῦντες, μᾶλλόν τι προστρέχωμεν τῷ
θεῷ καὶ τῷ μέλλοντι
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Et si, comme le dit Cicéron, « c’est bien là l’éminente et divine sagesse qui a étudié à fond et retourné sous toutes ses faces le problème de la destinée humaine, qui ne s’étonne de rien, quand le malheur arrive, et, avant les événements, considère que tous les événements peuvent se produire »9, on ne pourrait mieux l'atteindre que par la Tragédie, qui, avant toute chose, fait en sorte de montrer, par des exemples lumineux, qu’il n’est rien de sûr, rien d’établi dans la condition humaine, qu'aucune félicité n'est fiable et que les affaires humaines sont exactement telles que Grégoire, dit le Théologien, les décrit en termes fort bien choisis dans une lettre à Sophronius : Ὁρᾷς οἷα τὰ ἡμέτερα καὶ ὅπως κύκλος τις τῶν ἀνθρωπίνων περιτρέχει πραγμάτων· νῦν μὲν τῶν, νῦν δὲ τῶν ἀνθούντων καὶ ἀπανθούντων, καὶ οὔτε τοῦ εὖ πράττειν ἑστῶτος ἡμῖν, οὔτε τοῦ δυστυχεῖν, ὃ δὴ λέγουσιν, ἀλλὰ τάχιστα μετακινουμένου καὶ μεταπίπτοντος, ὡς αὔραις εἶναι μᾶλλον πιστεύειν καὶ γράμμασι τοῖς καθ’ ὕδατος ἢ ἀνθρώπων εὐημερίᾳ. Τίνος ἕνεκεν; ἐμοὶ δοκεῖ, ἵνα τὸ ἐν τούτοις ἄστατον καὶ ἀνώμαλον θεωροῦντες, μᾶλλόν τι προστρέχωμεν τῷ θεῷ καὶ τῷ μέλλοντι, etc.
Quae uerba utcumque nos Latine reddidimus: Vides (inquit) qualia nostra sint et quomodo ueluti rota quaedam rerum humanarum circumagatur, cum nunc hi nunc isti floreant defloreantque et neque felicitas nobis neque infelicitas firma maneat sed alterna uice subinde mutentur, ita ut tutius sit uentis credere aut literis in aquam scriptis quam felicitati humanae.
Ces mots, nous les avons en tout cas rendus en latin : « Tu vois, dit-il, quelle est notre situation, et comment, pour ainsi dire, la roue des affaires humaines tourne, puisque tantôt les uns, tantôt les autres, fleurissent et se fanent, et que ni bonheur, ni malheur ne demeure pour nous inébranlable, mais que l’un et l’autre alternent, si bien qu’il est plus sûr de se fier aux vents ou aux lettres écrites sur l’eau qu'à la félicité humaine.
Cuius rei gratia ? Nimirum, ut dum imbecillitatem et inconstantiam rerum aspicimus, eo magis accedamus ad Deum aeternorum bonorum datorem.
Pour quelle raison ? Assurément, pour qu’en contemplant la faiblesse et l’inconstance des choses nous accédions davantage à Dieu, qui procure des bienfaits éternels. »
Porro harum rerum diligens consideratio ad duas res longe pulcherrimas hominem consuefacit: primum, πρὸς τὸ σωφρονεῖν, deinde, πρὸς τὸ γνῶναι ἑαυτὸν, id est, et ad modestiam et ad cognoscendum seipsum: e quibus ueluti fontibus ceterae uirtutes manant.
En outre, un examen attentif de ces éléments accoutume l’être humain à deux apprentissages bien plus beaux : d’abord, au σωφρονεῖν, et ensuite, au γνῶναι ἐαυτὸν, c’est-à-dire à la modération et à la connaissance de soi : ce sont certes les sources dont découlent toutes les vertus.
Hanc uitae humanae commentationem quam tragoedia profitetur facile contenderim plus conducere ad uitam recte instituendam moresque componendos ad tranquillitatem animi quam quorundam uultuosam philosophiam, argutiarum ostentatricem, quae circa minutiora et subtiliora quam utiliora uersatur.
Cette méditation sur la vie humaine que propose la tragédie, je soutiendrais sans hésitation qu’elle conduit davantage à une vie bien ordonnée et à des mœurs qui visent à la tranquillité de l’âme que la philosophie affectée de certains, qui se complaît dans ses arguties, et qui s’intéresse plus à ce qui relève des minuties et arguties, qu’à ce qui est utile.
Haec nostra pariter populares, doctos, plebeios, philosophos, infimos et summos, delectare, afficere, iuuare, potest.
Cette philosophie qui est nôtre peut pareillement charmer, affecter, ou aider les gens du peuple, les doctes, les plébéiens, les philosophes, les plus humbles et les très grands.
Quem enim non ducat tanta exemplorum, casuum, euentuum, fortunae, rerum, personarum, sermonis uarietas ?
Qui en effet, reste insensible à la si grande variété des exemples, des malheurs, des dénouements, de la fortune, des situations, des personnes, du discours ?
Quae omnia quasi imagines quasdam omittendorum et faciendorum nobis praebent, in quas in omni uitae actione suscipienda intueamur.
Tous ces éléments nous fournissent pour ainsi dire des sortes de représentations de ce à quoi il faut renoncer et de ce qu’il faut faire, que nous pouvons contempler en menant chaque entreprise de notre existence.
Crebro enim et uarie religionem, sapientiam, iustitiam, numinis iram in malos, modestiam, linguae continentiam, prouidentiam, fatum, et alios similes locos nobis Tragoedia inculcat, monarchas praeceptis muniens, ciuitates gubernandi rationem tradens, denique nullas uitae partes non attingens, adeo ut plane plumbeus sit is, cuiuscumque uel loci uel ordinis homo, qui sine insigni fructu legere Euripidem se dicat.
Et de surcroît, de diverses façons, la Tragédie nous enseigne la religion, la sagesse, la justice, la colère des dieux contre les méchants, la modération, la retenue dans le langage, la providence, le destin et d’autres lieux similaires, transmettant la méthode pour gouverner les cités, et enfin, en ne laissant à l’écart aucun des aspects de la vie, tant et si bien que l’homme, quel que soit son rang ou son ordre, qui dirait avoir lu Euripide sans en tirer un profit remarquable serait clairement un lourdaud.
Haec ex ipsis philosophiae fontibus hausta non abs re in theatra publice protulerunt poetae, ut eo fixius animis haererent quae non solum auribus haurirent sed oculis quoque aspicerent.
Ces enseignements, qui ont été tirés des sources mêmes de la philosophies, il n’était pas inopportun pour les poètes de les produire publiquement sur les théâtres, afin de ficher ainsi plus solidement dans les esprits des hommes ce que non seulement ils absorbaient de leurs oreilles, mais aussi regardaient de leurs yeux.
Nam, ut Plato in Ione scribit, τῆς ποιήσεως δημοτερπέστατόν τε καὶ ψυχαγωγικώτατον ἡ
τραγῳδία ἐστὶ
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Car, comme l’écrit Platon dans le Ion : « parmi les arts poétiques, la tragédie est l'œuvre poétique la plus apte à charmer le peuple et à guider les âmes ».
Quin et rhetorum scholis utilem in primis Euripidem11 Quintilianus censet : ex quo non solum παθοποιίαν, sed etiam uerba, sententias, dispositionem, ac uaria orationis ornamenta commodissime sumas.
Bien plus, Quintilien également estime qu’Euripide est surtout utile dans les écoles de rhétorique : c’est de lui en effet qu’on tire le mieux non seulement le moyen d’exciter les passions, mais aussi, les mots, les sentences, la disposition, et les différents ornements d’un discours.
In omni quippe genere causarum illustris et eminens est Euripides.
C'est qu'Euripide est brillant et remarquable dans tous les genres de causes.
Vnum adhuc addam (omitto enim infinita quae ad amplificandam nostri Poetae dignitatem pertinerent, si longius huius laudibus immorari liberet) hunc auctorem in primis debere esse familiarem iis quorum opes in excelso sunt positae, ut intuentes afflictas summorum uirorum fortunas, malefacta grauiter uindicata, bonos indigne deiectos sed tamen aliquando rursus emergentes, subitas rerum mutationes, fortunam uariam et lubricam, et tristia ac laeta pari animo ferre uitamque sapienter gubernare discant.
J’ajouterai à ceci un seul élément (car j’en omets en effet une infinité qui contribuerait à amplifier la gloire de notre Poète, si je voulais insister plus longuement sur l’éloge que je fais de lui) : cet auteur doit surtout être familier à ceux dont les richesses sont placées à un rang élevé, afin qu’en observant les destins malheureux des grands hommes, leurs méfaits sévèrement punis, les hommes de bien indignement déchus, mais qui cependant s’en relèvent parfois, ils apprennent à supporter d’une âme égale les changements soudains des situations, les vicissitudes et incertitudes de la fortune, les malheurs et les joies, ils apprennent à les supporter d’une âme égale et à régler leur vie avec sagesse.
Sint illis ob oculos Priami, Hecabae, Polynices, Eteocles, Thesei, Amphitryones, Hercules, Thoantes, Menelai, Agamemnones, Vlysses, Cyclopes quorum ut facta, ingenia et mores dispares fuere, sic fortuna et uita dispar ac diuersa extitit.
Qu’ils aient devant les yeux les Priam, les Hécube, les Polynice, les Étéocle, les Thésée, les Amphitryon, les Hercule, les Thoas, les Ménélas, les Agamemnon, les Ulysse, les Cyclopes : tout comme leurs actions, esprits, mœurs furent dissemblables, leurs fortunes et leurs vies se sont montrées dissemblables et ont pris des sens opposés.
Et uero quia hunc Poetae librum plane regalem iudicarem, quod regum fortunas tum prosperas tum aduersas clarissime exprimat, exempla item clementiae, pietatis, iustitiae bonorum et contra libidinis, crudelitatis ac perfidiae malorum principum illustria proponat, existimaui nulli me congruentius hoc munus dicaturum quam tuae, inuictissime Caesar, Maiestati, tamquam regi regum et principi ceterorum dynastarum, ut Tuae Clementiae auctoritate et felicissimi nominis auspicio liber uetustissimi ac clarissimi poetae aliis principibus commendatior fieret ; quibus nullum scripti genus, in istis saltem Hellenismi scholis, uel aptius uel utilius legitur.
Et parce que j’estimais tout à fait digne d’un roi ce livre du Poète parce qu'il traduit avec une très grande clarté les fortunes tant heureuses que malheureuses des rois, qu'il propose en outre des exemples de la clémence, de la piété, de la justice des bons princes et, à l’inverse, de la luxure, de la cruauté et de la perfidie des mauvais princes, j’ai pensé qu’il n’était personne à qui il convienne davantage de dédier ce présent qu’à ta Majesté, très invincible César, en tant que roi des rois et prince de tous les souverains, afin que, de par l’autorité de ta Clémence et l'auspice de ton très heureux nom recommandent aux autres princes le livre de ce très ancien et très célèbre poète ; car il n’est aucun genre de textes, du moins dans ces écoles de l’Hellénisme, dont la lecture soit plus convenable et plus profitable pour eux.
Non enim fieri potest quin plausibilior multo et gratior per omnes Romani imperii fines (ad cuius summa gubernacula mirabili omnium gentium et populorum gratulatione et maximorum principum incredibili consensu serenissima Tua Maiestas subuecta est) uolaturus sit si nomen praeferat sanctissimi et fortissimi Imperatoris, qui non solum ipse literarum eruditionem eximiam ac mirandam cum pulcherrimis tum belli tum pacis artibus coniunxerit, sed ubique terrarum ac gentium scholas instauret, amplis praemiis iuuentutem ad bonas artes inuitet, doctos summo in pretio habeat.
En effet, il ne peut manquer de se propager avec bien plus d’applaudissements et de gratitude dans tous les territoires de l’Empire romain (aux commandes duquel Ta Majesté Sérénissime a été promue, par la reconnaissance singulière de tous les nations et les peuples, et à l’unanimité – chose inouïe – des plus grands princes), s’il arbore le nom d’un très Saint et très vaillant Empereur, qui non seulement a associé une haute et remarquable culture littéraire à un art tantôt de la guerre, tantôt de la paix, mais qui installe des écoles dans toutes ses terres, chez tous ses peuplesétablit des écoles, engage les jeunes gens à la pratique des arts libéraux par des récompenses considérables, tient les savants en très grande estime.
Quae res ceteras Tuae Maiestatis uirtutes ueluti fax quaedam clarissima irradiat sic ut harum fulgor procul etiam intuentium animos praestringat.
C’est ce qui, tel un flambeau des plus éclatants fait rayonner les autres vertus de Ta Majesté à tel point que leur splendeur, même de loin, éblouit les cœurs de ceux qui les contemplent.
Et quamquam id muneris Tua sacra Maiestate longe inferius esse iudicarem, tamen quia hic mos dedicandi principibus libros ex ipsis priscorum saeculis ad nos usque deriuatus est, eum et ego usurpare uolui, praesertim apud Tuam Maiestatem, quam quo diuina Prouidentia altiorem in locum prouexit, hoc clementius et placabilius in subditos afficitur.
Et bien que, selon moi, ce cadeau-là soit de loin inférieur à Ta Majesté sacrée, cependant, parce que l’habitude de dédier des livres aux princes nous est venue des siècles anciens eux-mêmes, j’ai voulu moi aussi en faire usage, surtout auprès de Ta Majesté, dont la clémence et l'indulgence envers ses sujets s'accroit de l'élévation que lui confère la divine Providence.
Est hoc uere Imperatorium decus ut sicuti doctrinae lumen in nullo plus emicat quam in regibus, ita praecepta sapientiae non possidentibus modo prosint sed in alios etiam redundent.
À quoi tient la gloire d'un Empereur ? Si la lumière de la science brille chez les rois plus que chez tout autre, alors il lui faut veiller à ce que les préceptes de la sagesse ne servent pas seulement à ceux qui la possèdent mais rejaillissent aussi sur les autres.
Ita quoque unice in uotis id mihi est ut Euripidis, Tuae Maiestatis sacratissimo nomini dicati, utilitas eiusdem felici auspicio ad uniuersos meliorum literarum studiosos dimanet.
J’ai aussi ce seul souhait, c’est que l’utilité de ce même Euripide, dédié au nom très sacré de Ta Majesté, s’étende, sous ton heureux auspice, à l’intégralité des étudiants en littérature antique.
Det, Imperator fortissime, Tuae Maiestati summus ille caelorum Monarcha Deus ut quam diutissime pater patriae, uindex Imperii, assertor libertatis dici merearis.
Que Dieu, le suprême Monarque du Ciel, donne à Ta Majesté, très vaillant Empereur, d'être appelé le plus longtemps possible père de la patrie, protecteur de l’Empire, de garant de la liberté.
Tua quippe familia toto orbe terrarum clarissima ac illustrissima iam olim, multis saeculis praeclare de Republica meretur.
Certes ta famille, si célèbre de par le monde entier et si illustre depuis longtemps déjà, a rendu à la République des services remarquables.
Quis enim ignorat Albertos, Sigmundum, Fridenrichum, Maximilianum, Imperatores grauissimos, inuictissimos, innocentissimos ? quorum opera et uirtute post multos alios Imperatores paene collapsum Imperium resurgere coepit et tandem roboratum est.
Qui en effet ignore les noms d’Albert, de Sigismond, de Frédéric, de Maximilien, Empereurs les plus nobles, les plus invaincus, les plus irréprochables ? C'est grâce à leur peine et à leur vertu que l'Empire, qui s’était presque effondré après de nombreux autres Empereurs, a commencé à se relever et s'est enfin consolidé.
Vnde et in Tuam Maiestatem iam totus respicit mundus ut ad eum qui solus diuino adiutus praesidio orbi afflicto securitatem praestare possit.
C’est pourquoi le monde entier a les yeux tournés vers Ta Majesté comme vers celui qui seul peut, avec l’aide de la protection divine, garantir la sécurité à une terre affligée.
Quod Tuam Maiestatem et uelle et posse ac iam moliri omnes boni pro certo habent idque ex immensis illis tuis praeteriti temporis in rempublicam beneficiis facile intelligunt nec patiuntur quemquam dubitare hac de re diuinae illae uirtutes quae in tam sancto Imperatore otiosae esse non possunt.
Que Ta Majesté le veuille, qu’elle en est capable et s’y attèle d’ores et déjà, les hommes de bien le tiennent pour établi, les services immenses que tu as par le passé rendus à la chose publique, le leur prouvent aisément et ces magnifiques vertus divines, qui chez un Empereur si saint ne sont jamais en repos, ne permettent pas à quiconque d’en douter.
Christus modo optimus maximus sanctissimis Tuae Maiestatis uotis dexter aspiret, qui et eandem Tuam serenissimam Maiestatem pro sua ineffabili sapientia et bonitate perpetuo gubernare, tueri ac conseruare dignetur.
Puisse le Christ, dans sa Grandeur et sa Bonté, exaucer les souhaits très saints de Ta Majesté, lui qui, en vertu de sa sagesse et de sa bonté ineffables, juge aussi Ta Très sérénissime Majesté digne de la charge de gouverner, de protéger et de préserver.
Selestadii, apud ueteris Elcebi reliquias: XXII die Octobris, Anno redempti orbis M. D. LVIIII.
A Sélestat, dans les restes de l’ancienne Elcèbe, 22 Octobre, en l’an de Grâce 1558.