Praefatio Gaspari Stiblini in Cyclopem
Gasparus Stiblinus

Présentation du paratexte

Bibliographie :
Traduction : Sarah GAUCHER

Praefatio Gaspari Stiblini in Cyclopem

Préface de Gaspar Stiblinus au Cyclope d’Euripide.

Hanc fabulam de Cyclope poeta noster ex Odysseae 9. mutuatus est ac felicissime dramatico habitu exornauit : quin et illustriores quoque locos quosdam reddidit mire uim illis tragicam admiscendo.

Notre poète a emprunté cette histoire du cyclope au chant 9 de L'Odyssée et l'a dotée avec beaucoup de succès d'un aspect dramatique : en fait, il a aussi rendu certains passages plus brillants en leur ajoutant merveilleusement une puissance tragique.

Maro lib. 3. nudam et breuem facti narrationem1 (ut Macrobii uerbis utar) posuit : sed Homerus πάθη miscuit et dolore narrandi inuidiam crudelitatis aequauit.2

--> Virgile en place dans le livre 3 une narration courte et dépouillée (si je puis employer les mots de Macrobe) : mais Homère y a mêlé des passions et a équilibré l'odieux de la cruauté avec la douleur de la narration.

Vterque autem fingit uastum corpore, crudelem, diuorum contemptorem, inhospitalem, uoluptuarium.

Les deux poètes, cependant, le représentent comme un être au corps énorme, cruel, méprisant les dieux, inhospitalier et sensuel.

Theocritus uero Eidyl. XI, et Ouid. lib. XIII. Transfor. eum amatorem et ridiculum inducunt. 3

Théocrite, cependant, dans le poème 11 des Idylles et Ovide dans le livre XIII des Métamorphoses le montrent comme un amoureux et un bouffon.

Nostri autem Euripidis consilium fuit ut hac fabula uitae efferae ac barbarae, quae neque legibus neque disciplina ciuili constet neque religione deorum gubernetur, imaginem exprimeret ut huius foeditas et turpitudo ob oculos posita homines ad culturam et mansuetiorem uiuendi rationem amplectendam excitaret.

L'intention de notre Euripide, cependant, était d'exprimer dans cette pièce l'image d'une vie sauvage et barbare, qui n'est ni fondée sur les lois ou l'ordre civique, ni gouvernée par la crainte respectueuse des dieux, afin que la grossièreté et la laideur de ce personnage, placées sous les yeux des hommes, puissent les inciter à embrasser la civilisation et un mode de vie plus doux.

Nam non solum delectare et inani uerborum strepitu aures delenire, sed prodesse uult, et plurimum in genere διδακτικῷ uersatur Tragoedia.

En effet, il ne veut pas seulement plaire et séduire les oreilles par le bruit vide des mots, mais être bénéfique, et la tragédie est très engagée dans le mode didactique.

Vnde causas quoque tantae feritatis et immanitatis non dissimulat poeta, dum solum corporis uoluptates eum consectari et uentri seruire, quem et pro Deo habeat, fingit.

C'est pourquoi le poète ne cache pas les raisons mêmes de cette sauvagerie et de cette barbarie, lorsqu'il montre que le cyclope ne poursuit que les plaisirs du corps et qu'il est esclave de son ventre, qu'il traite comme un Dieu.

Homines enim qui nihil curae aut operae aut temporis animis excolendis impendunt, sed toti corporis uoluptatibus dediti uitam agunt, ipsis interdum bestiis immaniores euadunt.

En effet, les hommes qui ne consacrent aucun soin, aucun effort, aucun temps à cultiver leur esprit, mais qui passent leur vie entièrement consacrée aux plaisirs du corps, se révèlent parfois plus sauvages que les bêtes elles-mêmes.

Id quod facile intelliget qui principum istorum uitas legerit quas conscripserunt Suetonius, Herodianus, et alii.

C'est un fait que comprendra aisément quiconque lit les vies des mauvais empereurs que Suétone, Hérodien et d'autres ont écrites.

Vnde fit, quo quisque corpori addictior ac mentis negligentior, hoc ferocior et inuisior est.

D’où il résulte que plus un homme est dévoué à son corps et moins il se préoccupe de son esprit, plus il est sauvage et hostile.

Rursus quo studiosior aliquis artium quibus humanitas excolitur hoc disciplinae, aequitatis, et legum reuerentior est.

Inversement, plus quelqu'un étudie avec ardeur les techniques par lesquelles on cultive le raffinement, plus il est respectueux du savoir, de la justice et des lois.

Hinc uere Ouidius :

C'est pourquoi Ovide dit très justement :

Adde quod ingenuas didicisse fideliter artes Emollit mores, nec sinit esse feros. 4

« Ajoute à cela que le fait d'avoir étudié avec succès les arts libéraux adoucit les mœurs, et ne permet pas aux hommes d'être féroces. »

Praeterea tyranni imaginem licet uidere in Cyclope, cui quod libet licet et qui fas ac nefas iuxta aestimat cuique propria libido pro lege est, denique quem a sceleribus et saeuitia neque diuina uindicta nec ipsa turpitudo rerum deterret.

De plus, il est possible de voir dans le Cyclope l'image d'un tyran, pour qui tout ce qui lui plaît est permis et qui considère ce qui est permis et ce qui ne l’est pas comme une seule et même chose et dont le propre plaisir remplace la loi, et enfin que ni le châtiment divin ni la bassesse des actes eux-mêmes ne détournent des mauvaises actions et de la férocité.

Tales deplorati sunt, nec ullus Orpheus tam canorus nec quisquam Vlysses tam facundus est et disertus qui eos a feritate illa ad cultum aliquem traducere possit, ut quorum animos tam crassae obsederint tenebrae ut uno corporis cultu, id est cibo, potu, et Venere, uniuersam felicitatem metiantur.

De tels hommes sont désespérés, et il n'y a pas d'Orphée si harmonieux ni d'Ulysse si éloquent et fluide qu’il puisse les faire passer de cette sauvagerie à un certain degré de raffinement, puisque des ombres si denses ont assombri leur esprit qu'ils mesurent tout bonheur à la seule culture du corps, c'est-à-dire à la nourriture, à la boisson et aux plaisirs de Vénus.

Postremo idem Cyclops, cui ebrio oculus effoditur, deterret ab ebrietate, cuius nugas et ineptias et pericula in isto monstro nobis delineat poeta.

Enfin, le même Cyclope, dont l'œil est crevé alors qu'il est ivre, nous décourage de l'ivresse, dont le poète nous dépeint les futilités, les absurdités et les dangers dans cette monstruosité.

Post crateras enim et ingentes amystidas ad ridiculas et illepidas cantilenas procedit : denique Silenum Ganymedem suauiatur ac insulsissime nugatur donec somno oppressus ac lumine orbatus Satyris et Vlyssi ouanti palam ludibrio fiat.

En effet, après les cratères et les immenses beuveries, il procède à des chants absurdes et grossiers : enfin il embrasse Silène comme un Ganymède, et fait des plaisanteries du plus mauvais goût jusqu'à ce que, accablé de sommeil et privé de son œil, il soit ouvertement raillé par les Satyres et Ulysse triomphant.

Nullus enim umquam tam sapiens tamque prudens fuit quem ebrietas non oculo, id est mente et ratione, priuarit.

En effet, il n'y eut jamais personne de si sage ou de si raisonnable que l'ivresse n'ait privé de son œil, c'est-à-dire de son esprit et de sa raison.

In Vlysse summa prudentia animaduertenda est, cui in extremis quoque periculis non deest consilium quo et se et suos conseruet.

Il faut remarquer l'extrême prudence d'Ulysse : même en cas de danger extrême, il a un plan pour préserver lui-même et son équipage.

Est autem diuinae cuiusdam dexteritatis dubiis rebus ex tempore consilium arripere nec statim concidere, sed quocumque modo uel praeter omnem spem saluti non solum suae, sed et aliorum consulere.

Il faut cependant une certaine dextérité divine dans les situations douteuses pour former un plan dans l’instant et ne pas être vaincu immédiatement, mais veiller d'une manière ou d'une autre, même peut-être au-delà de toute espérance, non seulement à sa propre sécurité, mais aussi à celle des autres.

Lege Ciceronem Offic. lib. 1. de Fortitudine.

Lis Cicéron, Des Devoirs, Livre 1 sur le courage.

Argumentum actus primi.

Argument de l’acte 1.

Silenus prologum agens casum suum exponit admixta querela quomodo ad impios Cyclopes delatus sit idque propter Bacchum.

Silène, menant le prologue, explique son malheur, ajoutant une plainte sur la façon dont il a été emporté par les Cyclopes impies, et ce à cause de Bacchus.

Ac duram seruitutem et suam et filiorum maeret, qua tolerandum sit tam immane et sanguinarium monstrum.

Et il déplore sa longue servitude et celle de ses fils, à cause de laquelle ils doivent supporter un monstre si sauvage et si sanguinaire.

2. Chorus ex Satyris, filiis Sileni, pastoricio more pecudes appellat et cum his fabulatur.

2. Le chœur des satyres, les fils de Silène, s'adresse aux moutons à la manière pastorale et converse avec eux.

Deinde thiasorum Bacchicorum desiderii impatiens praesentis uitae uices dolet ipse secum.

Puis, incapables de supporter leur nostalgie des danses bachiques perdues, ils se lamentent sur les revers de leur vie actuelle.

3. Vlysses salutat Silenum et simul audit ex eo de Cyclopis immanitate et saeuitia erga hospites.

3. Ulysse salue Silène et apprend de lui la cruauté du Cyclope et son comportement sauvage envers les étrangers.

Deinde permutatione facta cum sene uina dat pro ouibus, caseis, et aliis id genus cibariis.

Puis, ayant fait du troc avec le vieil homme, il lui donne du vin contre des moutons, du fromage et d'autres aliments de ce genre.

Silenus mira auiditate bibens uinum ac post liberiorem potum iam hilarior disertiorque factus exprimit effecta uini et mores bene potorum.

Silène, buvant le vin avec un empressement extraordinaire et devenu plus vif et bavard après une consommation effrénée, montre les effets du vin et le comportement typique des ivrognes.

Interea aduenit Cyclops.

Pendant ce temps, le Cyclope s'approche.

Vlysses autem quid agat anxius secum dubitat.

Ulysse, lui, débat avec lui-même, hésitant sur ce qu'il doit faire.

Argumentum actus secundi.

Argument de l’acte 2.

Cyclops a uenatione reuersus trepidantem Silenum cum Satyris increpat et num prandium sit paratum saeuo, uti solebat, et uultu et animo quaerit.

Le Cyclope, de retour de la chasse, tonne devant le Silène tremblant avec les Satyres et demande si le repas est prêt avec un visage et un esprit sauvages, comme il en avait l'habitude.

Conspicatus deinde hospites, quid isti uelint rogat.

Puis ayant aperçu les étrangers, il demande ce qu'ils veulent.

Silenus, conficto mendacio ut se metu liberaret, dicit eos oues abstulisse per uim, caseos deuorasse, ipsi Cyclopi minatos esse, denique se male ab illis uapulasse.

Silène, inventant un mensonge pour se délivrer de la peur, dit qu'ils ont emporté les brebis de force, dévoré les fromages, menacé le Cyclope lui-même, et enfin que lui-même a été durement fouetté par ces étrangers.

2. Iubet expediri cultros Cyclops ad mactandum ipsos.

2. Le Cyclope ordonne qu'on apporte des couteaux pour les égorger.

Deprecatur crimen Vlysses.

Ulysse plaide contre cette accusation.

De composito illudunt Cyclopi Silenus et uaferrimi Satyri, dum iureiurando affirmant neutros fecisse illud, non aliter quam isti duo apud Aesopum adolescentes qui carnem coquo abstulerant.

D'un commun accord, Silène et les rusés Satyres se moquent du Cyclope, car ils affirment sous serment que ni l'un ni l'autre ne l'a fait, de même que que ces deux jeunes gens d'Ésope qui ont volé la viande au cuisinier5.

3. Vlysses genus et errores suos exponit, praeterea ut parcat miseris et tot malorum fluctibus iactatis supplex orat, uariis argumentis illius animum ad misericordiam impellere tentans.

3. Ulysse explique son origine et ses pérégrinations ; de plus, il prie comme un suppliant le Cyclope d'épargner les malheureux qui ont été ballotés par les vagues de tant de malheurs, essayant par divers arguments de pousser son esprit à la pitié.

Cyclops pro sua innata feritate repudians preces Vlyssis uitae suae professionem, quae in sola uentris saginatione et corporis uoluptatibus ipsi consumatur, iactat eumque cum sociis intra antrum ad lanienam ire iubet.

Le Cyclope, en raison de sa sauvagerie innée, rejette les prières d'Ulysse et fait une déclaration publique de son propre style de vie, entièrement tourné vers l'engraissement de son ventre et les plaisirs de son propre corps, et il ordonne à Ulysse et à ses compagnons de rentrer dans la grotte pour être torturés.

Vlysses, quod miseris in rebus facere solent homines, diuorum auxilium implorat.

Ulysse, comme les hommes ont l'habitude de le faire dans des circonstances misérables, invoque l'aide des dieux.

4. Chorus, indicato Cyclopi epulas instructas esse, ipse secum detestatur crudelitatem immanissimi domini.

4. Le chœur, après avoir annoncé au Cyclope que son festin est préparé, dénonce la cruauté d’un maître si farouche.

Argumentum actus tertii.

Argument de l’acte 3.

Egressus Vlysses e spelunca cenam quam ex duobus suis sociis mactatis instruxerat intus Cyclops funestam exponit Choro, ac nuntii uicem agit, ea uidelicet spectatoribus narrans quae intus patrauerat Cyclops, deinde quomodo uino dato eum inebriarit.

Ulysse, sorti de la caverne, explique au chœur le fatal souper que le Cyclope avait préparé à l'intérieur en massacrant deux de ses compagnons, et il tient lieu de messager, c'est-à-dire qu'il raconte aux spectateurs ce que le Cyclope avait accompli à l'intérieur de la caverne, puis comment lui-même l’a enivré en lui donnant du vin.

2. Communicat Vlysses consilium cum Choro de perdendo Cyclope ac oculo ei eruendo, id quod summa alacritate Satyri amplectuntur suamque operam ad hoc negotium strenuam pollicentur.

2. Ulysse partage avec le chœur son projet de perdre le Cyclope et de lui crever l'œil, ce à quoi les Satyres s'engagent avec la plus grande promptitude et promettent de se mettre vigoureusement au service de cette affaire.

Epitasis est illa prima miserrima laniatio duorum sociorum.

Le début de l'épitase est fourni par la plus pitoyable mise en pièces des deux compagnons.

Argumentum actus quarti.

Argument de l’acte 4.

Cyclops ridiculus ac ebrius in spectaculum producitur : cuius mores, ineptias, nugas, uecordiam et reliqua uitia quae secum trahit foeda ebrietas mire exprimit poeta.

Le Cyclope, risible et ivre, est amené à se donner en spectacle : ses manières, ses absurdités, ses bagatelles, ses sottises, et les autres défauts que l'ivresse inconvenante entraîne avec elle, le poète les dépeint à merveille.

2. In somnum soluitur temulenta belua libidinaturque cum uetulo Sileno, ut intelligamus ebrietate incentiua libidinum in primis excitari.

2. La bête ivre se détend dans le sommeil et assouvit sa convoitise avec le vieux Silène, afin que l'on comprenne que les fortes agitations des désirs sont particulièrement excitées par l'ivresse.

Vlysses Satyros cohortatus ad fortiter agendum abit ut torrem effodiendo Cyclopis oculo expediat.

Ulysse, après avoir encouragé les Satyres à agir avec courage, part se procurer un tison pour crever l'œil du Cyclope.

Argumentum actus quinti.

Argument de l’acte 5.

Satyri cum iam res praesens animos posceret tergiuersantur, ac Vlyssis spem fallunt.

Les Satyres, alors que la situation présente exige réellement du courage, se retirent et trompent l'espoir d'Ulysse.

Quare hic sociis propriis uti cogitur ad excaecandum Cyclopem.

Il est donc contraint d'utiliser ses propres compagnons pour aveugler le Cyclope.

Orat tamen ut saltem uoce et cohortatione, quantum possint, suos adiuuent.

Il prie néanmoins les Satyres d'aider ses hommes, au moins par la voix et les encouragements, dans la mesure de leurs possibilités.

2. Cyclops lumine orbatus plorat et auctores facti ad poenam quaerit.

2. Le Cyclope, privé de son œil, se lamente et cherche à punir les auteurs de l'acte.

Chorus autem ludit ipsum ac irridet: idque fuco nominis quo se Vlysses Vtim, id est neminem uocari dixerat.

Le chœur, cependant, se moque de lui, et ce avec la ruse du nom par laquelle Ulysse avait dit qu'il s'appelait Outis, c'est-à-dire personne.

Clamat enim iste se ab Vti, id est nemine caecatum esse.

Car le Cyclope s'écrie qu'il a été aveuglé par Outis, c'est-à-dire par personne.

Denique ipse Vlysses ultus probe foedum Cyclopem, frementem iam frustra ac multa minitantem, edito prius suo nomine uero, oram cum Satyris soluit.

Enfin, Ulysse lui-même, s'étant admirablement vengé de l'infâme Cyclope, qui se déchaîne en vain et multiplie les menaces, après avoir d'abord donné son vrai nom, largue les amarres avec les Satyres.


1. Virg., En. 3.588-681.
2. Macr., Sat. 5.13.7.
3. Ov., M. 13.750-897.
4. Ov., P. 2.9.45-46.
5. La fable d'Esope "Les jeunes et le cuisinier" (n° 67 dans Hausrath-Hunger) : pendant que le cuisinier est distrait, un jeune vole de la viande et la cache dans le pli du vêtement de l'autre ; le premier jeune fait le serment qu'il n'a pas la viande manquante, le second jure qu'il ne l'a pas prise.