Présentation du paratexte
PRAEFATIO in Phoenissas.
Préface aux Phéniciennes.
Haec fabula nomen sortita est a Choro, qui ex Phoenissis mulieribus constabat, quae cum ad Delphicum Apollinem ire uellent ac obiter Cadmeam domum inuiserent forte fortuna in istam belli calamitatem inciderunt.
Cette pièce a tiré son nom du Chœur, qui était constitué de femmes phéniciennes qui, comme elles voulaient consulter l’Apollon de Delphes et passaient voir en chemin le palais de Cadmus, tombèrent par hasard dans une guerre affreuse.
Est autem admodum tragica ac plena uehementibus affectibus : id quod praesentis argumenti atrocitas postulat.
La pièce est en outre tout à fait tragique et pleine de passions violentes : c’est ce que veut l’horreur du présent argument.
Quid enim horribilius ac cruentius quam duorum fratrum mutua caedes quam funestiorem reddidit matris interuentus et ultroneus casus ?
Qu’y a-t-il en effet de plus horrible et de plus sanglant que le meurtre de deux frères entre eux qu’ont rendu plus funeste encore l’intervention et le volontaire trépas de leur mère ?
Quid acerbius clade illa et interitu tot heroum et ducum ?
Qu’y a-t-il de plus cruel que ce massacre et cette mort de tant de héros et de chefs ?
Quid porro miserabilius quam Antigonen geminos fratres una cum matre confuso in sanguine se uolutantes ac cum morte luctantes aspicere ?
Qu’y a-t-il encore de plus triste que le fait qu’Antigone voie ses frères jumeaux avec leur mère se débattant dans leur sang mêlé et luttant contre la mort ?
Accedunt his tristissimum nuntium Œdipo allatum de filiorum et coniugis Iocastae interitu miserrimo ; Menoecei uita pro patriae salute impensa ; Œdipi senis et caeci exilium ; Polynices insepultus et infletus uolucribus ac bestiis obiectus.
S'ajoutent à cela la très funeste nouvelle apportée à Œdipe de la si misérable mort de ses fils et de son épouse Jocaste ; la vie de Ménécée donnée pour le salut de l’Etat ; l’exil d’Œdipe, vieux et aveugle ; et le corps de Polynice abandonné sans sépulture, sans funérailles et à la merci des oiseaux et des bêtes.
Quae omnia tanto artificio poeta tractat ut etiam ferreum aut adamantinum pectus concutere ac mouere queant.
Tout cela, le poète le traite avec un si grand art qu’il saurait même ébranler et émouvoir un cœur de fer ou d’acier.
At unde tanta rerum immanitas scatuit, an non e dominandi cupiditate ac discordia ?
Mais d’où jaillit une si grande barbarie, si ce n’est d’un désir de puissance et de la discorde ?
Haec enim ἀργαλέη, πολέμοιο τέρας μετὰ χερσὶν ἔχουσα
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En effet cette « pénible déesse3, tenant entre ses mains un présage de guerre », a saisi les jeunes gens dans la fleur de l’âge, provoquant « dans chacun de leurs cœurs une grande force de faire la guerre et de combattre », pour reprendre les vers d’Homère : elle avait si bien enflammé leur cœur qu’ils confondaient le bien et le mal.
Nam Eteocles accepto Thebarum regno, fratrem legitima parte priuat terraque expellit.
En effet Etéocle, ayant reçu le commandement de Thèbes, prive son frère de sa part légitime et le bannit de sa terre.
Eo siquidem hominem impulerat regnandi auiditas, ut foedus, pacta, parentes, ius denique ipsum, et deos testes uiolaret.
Oui, la soif de pouvoir avait poussé l’homme à un tel point qu’il outrageait alliance, pactes, parents, et enfin la loi elle-même et les dieux qui en sont les témoins.
Polynices indigne patria eiectus Argos profugit : et fortuna sic uolente Adrasti regis Argiuorum filiam uxorem ducit.
Polynice, chassé indignement de sa patrie, fuit à Argos et, ainsi que le voulait la fortune, prit pour épouse la fille d’Adraste, roi des Argiens.
Indigno autem animo ferens se hereditaria imperii paterni portione fraudari, soceri auxilio in regnum restitui cupit ; unde contractis ex omni Graecia ingentibus copiis in Boeotiam proficiscitur, ut per uim reciperet ademptam sibi ditionis per uices administrandae partem, si non sponte frater concederet.
Toutefois, supportant difficilement d’être frustré de sa part de l’empire de son père, il désire être rétabli sur le trône avec l’aide de son beau-père ; de là, avec une troupe innombrable venue de toute la Grèce, il marche sur la Béotie pour reprendre par la force la part du pouvoir qu’ils devaient administrer tour à tour et qu’on lui avait arrachée, dans le cas où son frère ne la lui concèderait pas volontairement.
Iocaste mater intelligens rem ad magnas tragoedias atrocesque exitus spectare filios in gratiam reducere studet : Polynicem intra moenia uocat.
Leur mère Jocaste, comprenant que leur différend annonce de grandes tragédies et des morts atroces, cherche à réconcilier ses fils : elle fait appeler Polynice à l’intérieur des murs.
Venitur in colloquium.
On en vient aux pourparlers.
Polynices animo remissior et modestior, ferocior et impotentior Eteocles ; mater utrique beneuolens rem aequis conditionibus componere cupit.
Polynice est plus calme d’esprit et plus mesuré ; Eteocle, plus fier et emporté ; leur mère, bienveillante avec l’un comme l’autre, désire régler le différend par des conditions justes.
Tandem Eteocles exclusa omni aequitate, fide, pactis omnes conditiones recipiendi fratris in regni consortium recusat.
Finalement, Etéocle ayant rejeté toute justice, toute promesse, tout pacte, refuse toutes les conditions visant à rétablir son frère dans le partage du trône.
Polynices infecta re discedit et cum neque iustitiam neque fidem nec legem naturae sibi praesidio esse uidet, ad uim et arma confugit.
Polynice les quitte sans que la négociation soit menée à bien, et puisqu’il voit que ni la justice, ni les promesses, ni la loi de la nature ne le protègent, il s’en remet à la force et aux armes.
Miserabile autem est, illum fratris crudelitate prohiberi a patris et carissimae sororis conspectu ac colloquio ; ut euidentior fieret imago hominis prae regnandi libidine crudelis ferocis et impotentis.
Mais il est déplorable que ce dernier soit empêché, par la cruauté de son frère, de voir et de s’entretenir avec son père et sa sœur adorée, de sorte que devienne davantage évidente l'image d’un homme rendu cruel, fier et emporté, par le désir de pouvoir.
Acerbum quidem erat Polynici patrios penates natalemque terram populari ; tamen iniuria indignissima non uidebatur mussitanda esse quo minus arma caperet, quum iustitiae et fidei commune praesidium uiolentia tyranni opprimi animaduerteret.
Certes, ce fut cruel de la part de Polynice de détruire les pénates de ses ancêtres et sa terre natale ; cependant, il ne fallait, semble-t-il, pas supporter en silence une si indigne injustice sans prendre les armes, tandis qu’il constatait que la commune défense de la justice et des promesses était écrasée par la violence d’un tyran.
Itaque ancipitem Martis aleam mauult experiri quam fratris libidini turpiter cedere.
C’est pourquoi il préféra s’essayer au jeu hasardeux de Mars, que de céder au désir de son frère en se couvrant de honte.
Generosus animus in Polynice et aequi iustique obseruans dignusque meliore fortuna ; in hoc tamen impius, quod priuatam iniuriam publico patriae dispendio ulcisci uoluerit.
Polynice était noble de cœur, attentif à l’équité et la justice, et méritait un meilleur sort ; cependant il est ici impie, parce qu’il a voulu venger une injustice privée aux frais de sa patrie.
Interea dum acies instruitur et quibus ad bellum opus est expediuntur, Tiresias de belli euentu consultus respondet uictoriam penes Thebanos futuram, si Menoeceus Creontis filius Marti immoletur ; illius enim morte Thebanae urbis salutem stare, alioqui collapsuram.
Pendant que l’on forme la ligne de bataille et que l’on prépare ce qui est nécessaire à la guerre, Tiresias, consulté sur l’issue de la guerre, répond que la victoire reviendra aux Thébains si Ménécée, fils de Créon, est sacrifié à Mars ; en effet par sa mort Thèbes demeurera sauve, tandis qu’elle sera dans le cas contraire vouée à la ruine.
Qua in re magnam diuersitatem animorum patris et Menoecei cernere licet.
Sur ce sujet on peut constater la difference de résolutions entre Ménécée et son père.
Ille enim leuius patriae excidium putat quam filii mortem aspicere.
En effet, le père considère qu’il est moins grave d’assister à la destruction de son pays qu'à la mort de son fils.
Hic autem summae gloriae sibi futurum existimat, si sua unius morte patriae incolumitatem redimat.
Quant au fils, il estime qu’il se couvrira de gloire s’il rachète par son unique mort le salut de son pays.
Ne uero patri refractarius uideretur ac odiosius obstreperet iussis illius, simulat se abiturum, ut imperabat Creon, cum pecunia in Thesprotorum regionem ; nactusque opportunitatem gloriosi facinoris dissignandi4 se de turri in fossam praecipitem dedit uitamque patriae donauit.
Mais pour ne pas trop désobéir à son père et aller trop fâcheusement à l’encontre de ses ordres, il feint de s’en aller, comme l’ordonnait Créon, pour la région de la Thesprotie ; et ayant trouvé l’occasion de faire voir un acte glorieux, il se jeta, tête la première, du haut d’une tour, dans un fossé, et sacrifia sa vie pour sa patrie.
Quo exemplo generosi adolescentis monemur nullum periculum pro patria, cui uitam genus ac omnia debemus, fugiendum esse.
Grâce à cet exemple d’un noble jeune homme, on nous rappelle qu’il ne faut fuir aucun danger pour la patrie à laquelle nous devons la vie, la naissance et tous nos biens.
Interea res armis agi coepta est.
Pendant ce temps, on a commencé à régler le différend par les armes.
Fortiter oppugnant moenia Argiui, acriter Thebani hostem repellunt ; fit pugna cruenta, legitque uirum uir5, et Mars ἀλλοπρόσαλλος6 indomitum furit.
Les Argiens assaillent les remparts avec courage, les Thébains repoussent l’ennemi avec ardeur ; un combat sanglant éclate, et chaque homme choisit son ennemi, et l’inconstant Mars se déchaîne, tête à l’évent7.
Capaneus autem, unus ex septem ducibus Argiuorum, egregium uindicatae insolentiae praebet documentum.
Quant à Capanée, un des sept chefs des Argiens, il offre un exemple remarquable de punition de l’arrogance.
Nam cum superbissime iactaret se etiam diis inuitis moenia occupaturum ac se iam quasi uictorem in ancipiti conflictu efferret, repente ictu fulminis concidit.
En effet, tandis qu’il se vantait, tout fièrement, de pouvoir, même sans la volonté des dieux, s’emparer le premier des remparts, et que, dans un combat incertain, il s’enorgueillissait comme s’il avait gagné, il s’écroula soudain, frappé par la foudre.
Tandem, cum diu Marte dubio utrimque pugnatum esset, in eam sententiam procerum suffragiis itum est, ut Polynices et Eteocles singulari certamine congrederentur (id quod primum petebant duo fratres) ut hac uia res minore sanguinis impensa decerneretur.
Enfin, après que Mars indécis eut longtemps combattu de part et d’autre, on en vint à la décision, votée par les chefs, que Polynice et Eteocle se livreraient à un combat singulier (ce que les deux frères réclamaient au départ), pour que par là, l’affaire soit résolue en versant moins de sang.
Congrediuntur igitur acerbissimis animis.
Ils engagent donc le combat, le cœur empli d’une extrême amertume.
Quid enim acerbius fratrum ira de regni corona dimicantium esse posset ?
Que peut-il y avoir en effet de plus amer que la colère de frères qui luttent pour la couronne du royaume ?
Adsunt diuersa frementis turbae studia.
S’élèvent les divers sentiments d’une foule qui gronde.
Mutuis uulneribus uterque concidunt.
L’un et l’autre succombent à leurs blessures mutuelles.
Quis uel legens ista non exhorresceret ?
Qui, rien qu’en lisant cela, ne frissonnerait pas ?
Duo aetate, uiribus, genere, opibus florentissimi iuuenes, quos naturae uinculum arctissime colligarat, in corona infinitae multitudinis strictis gladiis concurrunt, de uita et sanguine dimicaturi.
Deux jeunes gens, dont l’âge, les forces, la naissance et la richesse étaient à leur zénith, que le lien de la nature avait unis si étroitement, s’avancent, l’épée tirée, dans le cercle d’une infinie multitude, et s’apprêtent à combattre jusqu’à la mort.
Robur, animi magnitudo, uigor, ira in utrisque par erat ; utrique aut dandus aut hauriendus erat sanguis.
Force, grandeur d’âme, vigueur et colère étaient égales de part et d’autre ; l’un et l’autre devaient donner ou faire couler du sang.
Misera mater certior facta de insano filiorum furore cum Antigone per medias acies se ad filios proripit, prohibitura congressum, nisi sero uenisset.
Leur malheureuse mère, que l’on avait informée de la folle fureur de ses fils, se précipite avec Antigone, passant au milieu des lignes de bataille, vers ses fils, pour empêcher leur rencontre, pourvu qu’elle n’arrive pas trop tard.
Ut autem utrumque iam prostratum uidet et parum uitae superesse, se ipsam quoque educto ex alterius corpore ferro occidit et ambos complexa animam exhalauit.
Mais lorsqu’elle voit l’un et l’autre déjà à terre et à l’article de la mort, elle aussi se tue de l’épée qu’elle tire du corps de l’un des deux, et rend l’âme, les embrassant tous deux.
Omnino patheticum illud est, quod Eteocles ille ferox tandem iam cum morte conflictans elatum spiritum illum submittat ac lacrimantibus oculis (loqui enim amplius non poterat) amice sorori et matri annuat ; Polynices item amare fleuerit, iam animam agens ; fratrisque a se interfecti et sororis et funestatae matris uices deplorarit, obtestatus ne suum cadauer insepultum abiicerent, sed in patria terra humarent ut saltem mortuus ea qua uiuo frui non licuerit frueretur.
Cette scène est en tout point pathétique : l’intrépide Etéocle, désormais luttant contre la mort, abaisse son esprit élevé et les yeux pleins de larmes (car il ne pouvait pas parler plus), il reçoit l’amour de sa sœur et de sa mère ; de même Polynice pleura amèrement, au moment de rendre l’âme ; et il déplora le sort de son frère qu’il avait tué, de sa sœur et de sa mère que la mort avait endeuillées, et les supplia de ne pas laisser son cadavre sans sépulture, mais de l’ensevelir dans la terre de ses ancêtres, afin que, après sa mort du moins, il jouisse de ce dont il n’avait pu jouir lorsqu’il était vivant.
Ita fere fit ut post cladem acceptam animi duri et feroces mollescant.
Il arrive ainsi d’ordinaire que les cœurs endurcis et intrépides s’adoucissent après avoir enduré un désastre.
Post haec utriusque gentis denuo recruduit pugna ; sed Thebani praeualentes, Argiuos occisis septem ducibus in fugam compulerunt.
Ensuite, le combat entre les deux peuples reprit de plus belle ; mais les Thébains ayant l’avantage, après avoir tué les sept chefs, contraignirent les Argiens à la fuite.
Creon cognito secundiore belli euentu, etsi uictoria multo sanguine constitisset, tamen in spem imperii obtinendi arrectus, Œdipum ut auctorem tantae cladis et Aten patriae, sub quo florere non posset, in exilium una cum Antigone, quia Haemonis nuptias recusaret, mittit.
Après avoir appris que l’issue de la guerre était assez favorable, Créon, bien que la victoire se fût établie sur beaucoup de sang, conforté dans l’espoir d’obtenir le trône, contraint Œdipe, en tant que responsable d’un si grand désastre et comme Ruine de sa patrie, sous le règne duquel elle ne pouvait fleurir, à partir en exil avec Antigone, parce qu’elle avait refusé d’épouser Hémon.
Quid calamitosius Œdipo, qui coniuge et filiis orbus, caecus, decrepitus, regno submotus, Thebis pellitur, qua in ciuitate multos annos regnauerat ?
Qu’y a-t-il de plus funeste qu’Œdipe qui, privé de son épouse et de ses fils, aveugle, fatigué, écarté du trône, est chassé de Thèbes, cité où il avait régné de nombreuses années ?
Haec est inconstantia rerum humanarum, talisque fortunae ludus.
Voilà l’inconstance de la vie humaine, tel est le jeu du sort.
Insigne pietatis exemplum est in Antigone, quae regias nuptias, opes, regnum, speciosos titulos, despecto et opis egenti parenti posthabuit.
On trouve un exemple remarquable de piété en Antigone, qui donna moins de valeur à des noces royales, à des richesses, à un royaume, et à des brillants honneurs, qu’à son père méprisé et dépossédé de richesses.
Vt breuiter absoluam rem, haec tragoedia nobis belli calamitates et discordiae pestes spectandas proponit regnandique cupiditatem detestatur.
Pour rapidement conclure, cette tragédie nous donne à voir les désastres de la guerre et les fléaux de la discorde, et maudit le désir de régner.
Deinde horrendis istis exemplis docet uim eam esse Adrasteae Nemeseos et offensi numinis uindictam, ut scelera parentum in liberos et nepotes usque persequantur.
Ensuite, à travers ces horribles exemples, elle nous enseigne que la violence de Némésis Adrastée et que la vengeance d’une divinité offensée sont telles qu’elles poursuivent les crimes des parents jusque chez leurs enfants et leurs petits-enfants.
Luerunt filii incestuosos Œdipi concubitus et eiusdem parricidium ; luerunt et suam ipsorum impietatem, qua parentem in tenebras incluserant.
Les fils d’Œdipe ont payé les unions incestueuses et le parricide qu’a commis leur père ; ils ont payé aussi leur propre impiété qui leur avait fait reléguer leur père dans les ténèbres.
Libet huc adscribere eiusdem farinae elegantissimos ex Maphaei supplemento in Vergilium uersus de perniciosa dominandi libidine et funestis regum cladibus et miseria :
Je veux ajouter ici les vers très élégants de la même nature, tirés du supplément de Maffeo à l’Enéide, à propos du dangereux désir de régner, du sinistre malheur et de la misère des rois :
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"Combien de troubles et de changements de sort les affaires humaines confondent-elles ? Quel torrent entraîne la vie des hommes ? Ô funeste orgueil d’un trône fragile, ô folie, ô désir inné de domination absolue, où, dans ton aveuglement, entraînes-tu les mortels ? Où, gloire cherchée à si grands périls, emportes-tu, les hommes gonflés de passion ? Combien d’embûches, combien de morts, combien de tourments par des grands maux emmènes-tu avec toi ? Combien de traits ? Combien d’épées brandis-tu devant les yeux (si tu les discernes) ? Ah ! doux poison, et honneur mortel du monde ! Ah ! sombres charges du trône, qui se paient à grand prix ! Et poids écrasant des richesses, qui jamais ne peuvent accorder une paix sereine ni apporter de repos. Ah ! royal éclat du sort cruel et misérable, et fortunes des rois soumises à une grande peur et privées de paix !"
Argumentum actus primi.
Argument du premier acte.
Prologus exponit occasionem totius fabulae, quae est incestus Œdipi et parricidium, item execrationes quibus Polynicem et Eteoclem Diris deuouerat.
Le prologue expose le contexte de toute la pièce, c’est-à-dire l’inceste et le parricide commis par Œdipe, ainsi que les imprécations par lesquelles il avait voué Polynice et Eteocle aux Furies.
Ex quibus ille sua regni paterni parte fraudatus exercitum Thebas perduxerat, ut quod iure obtinere non posset ui occuparet.
De ces deux frères le premier, frustré de sa part du trône de son père, avait conduit une armée contre Thèbes pour conquérir par la force ce qu’il n’avait pu obtenir par le droit.
2. Habet castrametationem Argiui exercitus ; quae res mire subseruit argumenti rationibus.
2. Il y a ensuite l’installation du camp de l’armée argienne, ce qui renforce admirablement les explications de l’argument.
Nam apparatus ille magnificus belli ducumque praestantia auget horrorem periculi animosque ad exitum rei uidendum arrigit et excitat.
En effet, ces somptueux préparatifs de guerre et l’excellence du chef augmentent l’horreur du danger et soulève et excite les cœurs à voir l’issue de l’affaire.
3. Chorus duo agit.
3. Le Chœur expose deux choses.
Primum suae profectionis causam et unde et quomodo explicat : deinde praesentia pericula detestatur, praesagiendo futuram cladem.
D’abord, il explique la cause de son départ, d’où et comment il est parti ; ensuite, il montre son aversion pour les présents dangers, et prévoit un désastre futur.
Argumentum actus secundi.
Argument du deuxième acte.
Polynices a matre per indutias accersitus urbem domumque patris ingreditur, omnia habens suspecta rebusque omnibus diffidens, sicuti solent qui ad hostium conuentus se recipiunt aut rem plenam periculi audent.
Polynice, que sa mère avait fait venir au cours de la trêve, s’avance dans la ville et le palais de son père, prenant tout pour suspect et se défiant de tout, comme le font d’ordinaire ceux qui font route pour rencontrer l’ennemi, ou qui entreprennent une affaire pleine de danger.
Cuius aduentus matri a Choro nuntiatus eam magna laetitia et insperata explet.
Son arrivée, annoncée par le Chœur à sa mère, remplit le cœur de celle-ci d’une joie immense et inespérée.
2. Iocaste post blanditias obiurgat filium de coniugio peregrino ac Thebanae domus imminentem calamitatem deplorat ; Polynices omnino pathetice, exulantis miserias, percontante id matre, ob oculos ponit, ac quomodo Adrasti filiae connubiis sit potitus exponit ; suamque expeditionem, quae inuisa habebatur, excusat.
2. Jocaste, après de douces retrouvailles, réprimande son fils pour son mariage à l’étranger et déplore l’imminente ruine de la maison de Thèbes ; comme sa mère le questionnait, Polynice lui représente de façon absolument pathétique les misères de l’exil, révèle comment il a pris la fille d’Adraste pour épouse, et excuse son expédition que l’on tenait pour odieuse.
3. Pars habet pulcherrimam fori formam.
3. Cette partie présente un magnifique exemple de plaidoyer.
Polynices suam causam exponit petitque legitimam patrii regni partem.
Polynice expose sa cause et réclame sa part légitime du trône de son père.
Eteocles ferox se nihil concessurum fratri de imperio affirmat, adhibitis ad id argumentis quibus Polynicem inuisum, qui contra patriam hostili grassaretur exercitu, reddere conatur.
Eteocle affirme avec violence qu’il ne cèdera rien du pouvoir à son frère, après avoir employé à ce dessein des arguments qui veulent représenter Polynice comme odieux, pour avoir marché contre son pays avec une armée ennemie.
Mater dum filiorum dissidium grauissima oratione componere studet nihil agit.
Leur mère, alors qu’elle s’efforce d’apaiser la dispute de ses fils avec un discours des plus sérieux, n’obtient aucun résultat.
Itaque post acerba conuicia re infecta disceditur.
Et ainsi, après d’amères injures et sans avoir rien décidé, ils se séparent.
4. Chorus initia urbis et regni Thebani recitat, commendatque terram Thebanam a fertilitate et amoenitate pascuorum fontium et fluminum.
4. Le Chœur chante les origines de la cité et du royaume de Thèbes, et fait valoir la terre thébaine par la fertilité et le charme de ses pâturages, ses sources et ses fleuves.
Denique deos inuocat, ut perclitanti urbi subueniant.
Enfin, il invoque les dieux afin qu’ils sauvent la cité de son péril.
Notandum est hunc actum totum in genere deliberatiuo uersari.
Il faut remarquer que cet acte verse entièrement dans le style délibératif.
Actus tertii argumentum.
Argument du troisième acte.
Primum hic actus continet consultationem de urbis defensione et imminenti bello administrando, in qua disputatur a Creonte, sic moderandam esse uindictam Eteocli ne quid praecipitet, sed ubique occasionem sequatur et captet.
D'abord, cet acte contient la délibération sur la défense de la ville et la gestion de la guerre imminente, où Créon soutient qu’il faut modérer la vengeance d’Etéocle pour éviter qu’il ne précipite quelque entreprise, mais qu’il attende et saisisse le moment propice.
Suadet enim defensionem, non offensionem : id quod iuris naturalis est.
En effet il conseille la défense, et non l’offensive, ce qui est conforme à la loi de la nature.
2. Post consultationem Eteocles longioris morae impatiens ad bellum festinat : domum Creonti commendat et quid porro fieri uelit imperat.
2. Après la délibération, Etéocle, ne supportant pas de plus long délai, se hâte à la guerre : il confie le palais à Créon et ordonne ce qu'il veut qui arrive à l'avenir.
3. Chorus depingit rerum Thebanarum calamitatem ac scaturientia ex incestu Œdipi mala, ut moneamur quam acris sit uindex Deus impietatis et prauarum libidinum.
3. Le Chœur dépeint le désastre des affaires de Thèbes et le jaillissement des malheurs nés de l’inceste d’Œdipe, pour nous rappeler combien le dieu vengeur de l’impiété et des désirs pervers est cruel.
Figurate tamen ipsum Polynicem reprehendit qui patriam tam antiquam olimque clarissimam hostili exercitu immaniter populetur.
Mais le Chœur blâme figurément Polynice qui ravagerait horriblement avec une armée ennemie son pays si ancien et si célèbre depuis longtemps.
4. Tiresias consultus a Creonte quomodo imminenti malo occurri possit respondet saeuam cladem Thebanis instare atque adeo Labdacidarum scelera et impietatem toti ciuitati luendam esse, nisi suo obtemperetur consilio.
4. Tiresias, consulté par Créon qui veut savoir comment pouvoir faire face au mal imminent, répond qu’une ruine terrible menace Thèbes, et pire encore, que l’ensemble des Thébains devront expier les crimes et l’impiété des Labdacides, si l’on ne se conforme pas à ses prescriptions.
Quod cum prodere recusat, cogitur a Creonte explicare : uidelicet Menoeceum ad necem pro salute communi Martem deposcere in uindictam Draconis olim a Cadmo occisi.
Et quand le devin refuse de les lui révéler, il est forcé par Créon de révéler que Mars exige que Ménécée meure pour le salut de tous, en punition du dragon que Cadmus avait jadis terrassé.
Creon alio ablegat filium, potius uisurus patriae excidium quam filii mortem.
Créon éloigne son fils, préférant voir la chute de sa patrie à la mort de son fils.
Menoeceus autem intelligens in se urbis salutem esse sitam clam patre ad necem alacri animo properat.
Mais Ménécée, comprenant que le salut de la cité dépendait de lui, court à sa mort à l’insu de son père, le cœur allègre.
5. Chorus Sphingis foeditatem ac crudelitatem in Thebanos Œdipique in regnum successionem describit, qui isto monstro ciuitatem liberarat ; miraturque ad finem Menoecei uirtutem, qui pro patria oppetere non dubitabat.
5. Le Choeur décrit la laideur de la Sphinge et sa cruauté envers les Thébains, et l’accession d’Œdipe au trône après avoir libéré la cité de ce monstre ; et il admire enfin la vertu de Ménécée, qui n’hésitait pas à affronter la mort pour son pays.
Argumentum actus quarti.
Argument du quatrième acte.
Hic actus quartus habet Catastrophen et absoluitur gemina narratione.
Ce quatrième acte contient la catastrophe et s’achève sur une double narration.
Quarum prima Iocastae euentum belli declarat, in qua mire uariam pugnae, quae et cominus et eminus fit, fortunam licet uidere : nimirum ruentium sternentium casus ancipites et diuersa fata.
La première des deux annonce à Jocaste l’issue de la guerre : on peut y voir la prodigieuse variété de la fortune au combat qui se déroule à la fois au corps-à-corps et à distance : il y a sans doute la double chute de ceux qui renversent et terrassent, et leur sort opposé.
Secunda exponit quomodo Polynices et Eteocles in singulare certamem consenserint ac data mutuo fide factisque de more sacris se iam pugnae accingant.
La seconde expose comment Polynice et Etéocle ont résolu de s’engager dans un combat singulier et comment, après avoir donné leur parole mutuelle et accompli des sacrifices selon la coutume, ils s’arment alors pour le combat.
Quare uehementer turbata Iocaste Antigonen euocat, et una cum illa per medias turbas se proripit, prohibitura tam atrocem rem.
C’est pourquoi Jocaste, atrocement bouleversée, appelle Antigone, et avec elle se précipite au milieu de la mêlée pour empêcher une issue si atroce.
Chorus denique miserae matris uicem deplorat, ut quae cogatur geminorum filiorum caedem aspicere.
Enfin, le Chœur déplore le sort de la malheureuse mère, forcée d’assister à la mort de ses deux fils.
Argumentum actus quinti.
Argument du cinquième acte.
Actus ille ultimus summam epitasin exhibet estque funestus miserrimis calamitatibus.
Ce dernier acte présente le paroxysme de l’épitase et des malheurs absolument terribles le rendent sinistre.
Nam in eo occisorum sepulturae, exilium Œdipi, fratrum caedes mutuae, adeoque uoluntarius interitus Iocastae matris proponuntur.
En effet, on y donne à voir l’ensevelissement des morts, l’exil d’Œdipe, la double fin des frères, et même le suicide de leur mère Jocaste.
1. Habet narrationem monomachiae duorum fratrum.
1. Il contient le récit du combat singulier des deux frères.
2. Matris interuentum et exitium, fugamque et caedem Argiuorum.
2. Puis, l’arrivée et la mort de leur mère, et la fuite et le massacre des Argiens.
3. Querelam tragicam Antigones super funeribus duorum fratrum et matris.
3. Ensuite, la lamentation tragique d’Antigone sur le trépas de ses deux frères et de sa mère.
4. Imperatur exilium Œdipo a Creonte, et Polynicis cadauer iubetur insepultum abiici ; Œdipus causam horum malorum in fatalem necessitatem transfert.
4. Enfin, Créon contraint Œdipe à l’exil, et ordonne d’abandonner le cadavre de Polynice sans sépulture ; Œdipe impute à la nécessité fatale la cause de leurs malheurs.
Antigone animose aduersus Creontem uelitatur, et potius comes exilii patri quam Creontis nurus esse uult.
Antigone s’en prend violemment à Créon, et préfère accompagner l’exil de son père que d’être la belle-fille de Créon.