Ioannes Sturmius Tidemanno Gisio Dantiscano S.P.D.
Ioannes Sturmius

Présentation du paratexte

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Traduction : Sarah GAUCHER

Ioannes Sturmius Tidemanno Gisio Dantiscano S.P.D.

Johannes Sturmius adresse son chaleureux salut à Tidemannus Gisius Dantiscanus.

Tragoedias ego duas Buchanani ad te mitto Tidemanne : unam Alcestidem, quam mutata stola Graecorum Romana ueste ornauit, alteram Iephten, quem etiam togatum maluit quam alio uestitu in theatrum ingredi.

Moi, cher Tidemannus, je t’envoie deux tragédies de Buchanan : d’une part Alceste, qu’il a embellie en changeant sa robe grecque contre le vêtement romain, d’autre part Jephté, qu’il a également préféré introduire sur le théâtre en toge plutôt que dans un autre habit.

Mitto autem idcirco tibi ut tecum in Galliam deportes et Buchanano des, quo uideat et nos ex illius scriptis uoluptatem capere, et ipsum suae gloriae, quam ingenio assecutus est, fructum ex nobis percipere et non solum famam eius, sed etiam Musas peruenisse ad aures totius Germaniae.

Je te les envoie donc pour que tu les emportes avec toi en France et que tu les donnes à Buchanan afin qu’il voie que nous tirons du plaisir de ses écrits, qu’il voie lui-même à travers nous le fruit de la gloire à laquelle il est parvenu par son talent et que non seulement sa renommée mais aussi les Muses sont parvenues aux oreilles de la Germanie tout entière.

Me certe excitauit ut idem conari cogitem ; dices enim ei de arte mea minutula in qua fungor uice cotis exors ipsa secandi ; dices tamen et de meis Helidis, in quibus intelliget meum ζῆλον sui amantem, non quod aequiparari ei uelim sed ut illius laus emineat magis si assequi eum non potero.

Assurément il m’a poussé à méditer la même entreprise ; tu lui parleras, en effet, de ce petit traité où je passe mon existence comme la pierre ponce, privé de la propriété de couper ; cependant tu lui parleras aussi de mes Elidiennes où il comprendra que ma concurrence est une preuve de mon affection pour lui, non que je veuille être son égal mais parce que sa gloire sera plus grande si j’échoue à l’égaler.

Non enim potero.

Car j’échouerai.

Ita enim Alcestidem conuertit ut ne Euripides quidem melius posset, si latine loqueretur, dicere ; et illius Iephthes ita cothurnatus incedit ut Atticum heroa agnoscas ; et Iphis eius ita ad mortem accedit ut Iphigeneam Graecam animi magnitudine superet.

De fait, il a traduit Alceste si bien que même Euripide ne pourrait mieux dire s’il parlait latin ; son Jephté s’avance si bien sur ses cothurnes que l’on reconnaît le héros attique ; son Iphis accède à la mort en surpassant par la grandeur de son âme l’Iphigénie grecque.

Dicas fortassis cur igitur aemularis si assequi non queas, ut te, Tidemanne, ut Carolum Quoerningum et uestri similes alios excitem : neque uobis putetis turpe esse quod me dedecere non sum arbitratus.

Mais tu pourrais me dire : « pourquoi rivalises-tu avec lui si tu ne peux pas l’égaler ? » C’est pour t’y pousser, Tidemannus, pour y pousser Carolus Quoerningus et d’autres qui sont vos semblables ; pour que vous ne pensiez pas qu’il est honteux pour vous de faire ce que je n’ai pas jugé déshonorant d’entreprendre.

Quamquam profecto et Buchananum longe ante me currere gaudeo, et cupio me a uobis superari non secus ac parens gaudet filiorum gloriam suis laudibus anteponi, Arnoldum et Iacobum Vuitueldios fratres non audeo neque possum a suo uitae instituto reuocare ad ludos hos et hunc Heliconem.

Bien qu’assurément je me réjouisse que Buchanan me devance de beaucoup et que je souhaite que vous me surpassiez de la même façon qu’un père se réjouit de placer la gloire de ses fils avant la sienne, je n’ose ni ne peux ramener les frères Arnoldus et Jacobus Witueldius du cours de leurs existences vers ces jeux et cet Hélicon.

Carolus putat se utroque1 studio satisfacere posse : et huic musarum et illi administrandae Reipublicae.

Carolus pense qu’il peut satisfaire à l’une et l’autre étude, celle des Muses et celle d’administrer l’État.

Arnoldus et Iacobus, nisi ad patriae utilitates omnes suos labores dirigant, existimant se non posse assequi quod uolunt et quod possunt, si quantum ingenio possint, queant agnoscere.

Arnoldus et Jacobus, à moins de vouer tous leurs travaux au bien de la patrie, pensent qu’ils ne peuvent pas atteindre le but qu’ils voudraient et pourraient atteindre, s’ils pouvaient percevoir le pouvoir de leurs esprits.

De te quid uis ut dicam aut quid sperem ?

Quant à toi, que veux-tu que je dise ou qu’espèrerais-je ?

Dicere tibi nihil uolo quod ad laudes tuas pertineat ; hortor autem te ut pergas hac tua industria, diligentia, temperantia, pudore.

Je ne veux rien te dire qui touche à tes louanges ; mais je t’exhorte à continuer avec cette assiduité, ce soin scrupuleux, cette tempérance et cette pudeur qui te caractérisent.

Ac tametsi amorem erga te meum augere non potes (est enim summus), uelim tamen abs te hunc dum abes cum tuis epistolis, tum bonorum uirorum de te testimoniiis, magis magisque confirmari.

Et bien que tu ne puisses faire grandir mon affection à ton égard (car elle est à son apogée), je voudrais cependant que, pendant ton absence, tu l’affermisses toujours davantage tant par tes lettres que par les témoignages des gens de bien à ton sujet.

Id fiet si meam expectationem Buchananus, Cuiatius, Ramus, Lambinus, Mercerius, quorum frueris consuetudine confirmabunt.

C’est ce qui arrivera si Buchanan, Cujas, la Ramée, Lambin, Mercier, ces hommes que j’aime à fréquenter, confirment mon espérance.

Vale.

Adieu.

Argentorati XVIII. Calend. Februarii.

À Strasbourg, le 18ième jour des Calendes de février.


1. On attendrait utrique.