Présentation du paratexte
- Malika Bastin-Hammou, ‘Paroles de Paix en temps de guerre : Florent Chrestien et la première traduction de la Paix d’Aristophane en France (1589)’, Anabases. Traditions et réceptions de l’Antiquité, 21, 2015, 139–56.
- Hélène Cazès, ‘« Florent Chrétien »’, in Centuriæ Latinæ, Cent Une Figures Humanistes de La Renaissance Aux Lumières, A La Mémoire de Marie-Madeleine de La Garderie, ed. by Colette Nativel (Genève: Droz, 2006), II, 211–20.
- Brigitte Jacobsen, Florent Chrestien: ein protestant und humanist in frankreich zur zeit der religionskriege (München, Allemagne: W. Fink, 1973).
Quintus Septimius Florens Christianus Nobili et eruditissimo uiro Iano Douzae Nordouici Toparchae salutem dat.
Au noble et très érudit Janus Dousa Nordovicus Florent Chrestien adresse son salut.
Regni huius Gallici, Douza uir clarissime, status laetus olim, et inuidenda forte exteris omnibus admirabilis, ita nunc mutauit ex ὀχλοκρατίας caeco furore et speratae ὀλιγαρκίας temeraria ambitione, uix ut ulla uideantur superesse uestigia pristinae felicitatis, adeo nunc est illaet abilis ille et miserabilis, hoc uno adhuc felix quod aliquot uicinis gentibus miseritudinem conciuerit ; inter quas Batauiam uestram numero, qui unus terrae angulus inter paucos uidetur.
L’état du Royaume de France, très illustre Dousa, jadis heureux et admirable à cause de ce destin que tous ses voisins lui enviaient, maintenant a changé à tel point, en raison de la fureur aveugle de l’ochlocratie, et de l’ambition téméraire de l’oligarchie qu’on espérait, que c’est à peine s’il demeure de quelconques vestiges de sa félicité passée, et d’ailleurs il est aujourd’hui surtout misérable et triste, heureux encore par cela seul qu’il a suscité la pitié de quelques nations voisines, parmi lesquelles, je compte votre Hollande, qui semble être un refuge terrestre comme on n’en compte que peu.
Hodie uelut inconcussus et tutus a crudeli tyranni illius μέλανος usurpatione : neque hoc solum, sed quia malorum non insciens imo doctus superbas fortunae uices expendere, et ueteri, optatus oppido patet portus miseris et afflictis.
Aujourd’hui, comme inébranlable, protégé de l'usurpation cruelle de ce noir tyran ; et ce n’est pas tout, mais aussi parce que, n’ignorant pas ses maux mais au contraire sachant peser et craindre les intraitables revers de la fortune, cet asile, devant toutes les prières qui lui sont adressées, s’ouvre aux malheureux et aux désespérés.
Eo factum est ut multi qui inter publica negotia, Musarum otia et secessum quaerimus, solos ferme felices Batauos existimemus, siue a gentis uirtute, siue ab auspiciis Generosi Principis et fortissimi ducis Comitis Nassouii, qui non ex more stultorum Principum Nobilitatis uerae gloriam in armatis solum hominibus, sed etiam in litteraris reponit.
Tant et si bien qu’un grand nombre d’entre nous, plongés dans les affaires publiques, sommes à la recherche de l’otium des Muses et d’isolement, trouvons que les Hollandais sont les seuls à connaître un bonheur qui leur vient soit de la vertu de leur peuple, soit des auspices de son généreux prince et courageux chef, le comte de Nassau, qui rétablit la gloire d’une noblesse véritable non pas, à la manière des princes insensés, parmi les hommes en armes uniquement, mais également pour les gens de lettres.
Tandemque intellexi non omnino uanam fuisse fidem Brocardi illius qui apud uos Prophetam non ita pridem agebat, quum toties nos de sedis tranquillitate sollicitos antea, et a patria exsules moneret Batauos amare focos.
Et enfin, j’ai compris qu’elle n’était pas complètement infondée, la prédiction de ce Brocardo1, qui, il n’y a pas si longtemps, prophétisait de par chez vous, lorsque, tant de fois, il nous conseillait à nous, qui étions auparavant inquiets pour la tranquillité de notre séjour, et banni de notre patrie, de nous tourner vers les foyers de la Hollande.
Nunc quoniam mihi integrum non est uertere hoc solum, quia ego natura et institutione φιλόπατρις sum et φιλοβασιλεὺς, sed multis aliis de causis, peto a te ut quamuis iniquis longissime spatiis inter se dissiti tamen nos amemus, iam ueteres praesertim amici, et uestrae felicitatis aura frui tantisper possimus quandiu bonarum artium et litterarum quietum obtinebitis domicilium (quod uoueo et spero uobis perpetuum, uel propter Scaligerum μουσηγέτην qui aderit uobis tanquam θεὸς ἀπὸ μηχανῆς) ut scilicet nobis ne inuideatis quicquid boni excuderetur in nobili illa uestra Typographia, altero uestrae Academiae uestrorumque Ordinum ornamento, praecipue si quid a Scaligero, Lipsio, et utroque Douza, aut aliis quorum iudicium et nomen in litteris magna.
À présent, puisqu’il n’est pas raisonnable pour moi de changer de pays, parce que je suis par ma nature, et par ma disposition patriophile et basilophile, mais aussi pour bien d’autres raisons, je t’en fais la demande, quelle que soit l’immensité des distances injustes qui nous séparent, conservons toutefois notre amitié, puisque nous sommes de vieux amis, et puisse le bonheur que vous connaissez souffler, en attendant, sur nous, aussi longtemps que vous conserverez pour domicile la quiétude des beaux-arts et des belles lettres (j’en fais le vœu, et j’espère qu’elle sera pour vous éternelle, ne serait-ce qu’à cause de Scaliger, le musagète, qui arrivera chez vous à la façon d’un deus ex machina), et ne nous refusez pas, bien sûr, ce qui serait imprimé de bien dans votre noble Typographie, ornement ancien de votre Académie et de vos Ordres, surtout s’il paraît quelque chose de Scaliger, Lipse, ou de l’un des deux Dousa, ou d’un autre parmi ceux dont le nom et le goût, dans les lettres, sont estimés.
Hoc, ut a te eliciam, ecce mitto tibi Andromacham Euripideam, cum Notatis aliquot, ueram nostrorum temporum imaginem, ut iure ipso statim initio cognosces.
Afin de t’arracher cette faveur, voici l’Andromaque d’Euripide que je t’envoie, avec des notes, vraie image de notre temps, comme tu le reconnaîtras à bon droit dès le tout début.
Eam tantidem laudis pro pretio mereri uolo quanti uel indicaueris uel iudicaueris. Parum enim abest quin eam scripsisse puditum sit postquam uidi actum me egisse quem Ornatissimus et spectabilis Ratallerus uestras et uester olim edidit, sed qui sciam Arataei carminis uersionem a Cicerone datam non deterruisse posteriora ingenia ab eadem re etiam felicius tentanda, Nemo, ut opinor, aequior arbiter id a me factum, qui me iudice nefas putabit parare sibi laudem ex aliorum reprehensione uel potius obtrectatione.
Je veux qu’elle ne mérite, pour sa valeur, qu’autant de louanges que tu l’estimeras et le jugeras nécessaire. En effet, j’ai presque honte de l’avoir écrite maintenant que j’ai constaté que le projet que j’ai réalisé est celui que votre très honorable et remarquable compatriote Rataller a jadis entrepris, mais, puisque je sais que la traduction par Cicéron du poème d’Aratos 2 n’avait pas détourné de futurs talents de traiter cette même matière, aucun juge équitable, je pense, ne me tiendra rigueur de mon projet en estimant, selon moi, qu’il est sacrilège de tirer gloire des reproches, voire du dénigrement d’autrui.
Vale, clarissime et charissime Douza.
Adieu, très illustre et très cher Dousa,
Vindocini Pridie Kal. Maiio Anno a seruata per dominum Iesum Christum humanitate M.D.XCIII
Vendôme, 30 avril de l’an de Grâce 1593.