Quintus Septimius Florens Christianus Nobili et eruditissimo uiro iuueni Iano Douzae filio salutem dat.
Florens Christianus

Présentation du paratexte

Bibliographie :
  • Malika Bastin-Hammou, ‘Paroles de Paix en temps de guerre : Florent Chrestien et la première traduction de la Paix d’Aristophane en France (1589)’, Anabases. Traditions et réceptions de l’Antiquité, 21, 2015, 139–56.
  • Hélène Cazès, ‘« Florent Chrétien »’, in Centuriæ Latinæ, Cent Une Figures Humanistes de La Renaissance Aux Lumières, A La Mémoire de Marie-Madeleine de La Garderie, ed. by Colette Nativel (Genève: Droz, 2006), II, 211–20.
  • Brigitte Jacobsen, Florent Chrestien: ein protestant und humanist in frankreich zur zeit der religionskriege (München, Allemagne: W. Fink, 1973).
Traduction : Alexia DEDIEU

Quintus Septimius Florens Christianus Nobili et eruditissimo uiro iuueni Iano Douzae filio salutem dat.

Quintus Septimius Florent Chrestien salue le noble et très érudit jeune homme Dousa fils.

Aliqua, te existimo, praestantissime iuuenum, intuentem in scriptis meis laudabilia, non solum ad amicitiae foedus mecum feriendum uenire nunc, sed et, quasi ad id cogendus sim, litterario munere uerberatum me prouocasse.

D’une certaine façon, je pense que toi, le plus excellent des jeunes gens, quand tu contemples dans mes écrits les faits dignes d’éloge, non seulement tu viens immédiatement pour conclure le traité d’amitié qui nous lie, mais aussi, comme si j’y étais contraint, après m’avoir frappé de ton présent littéraire,1 tu m’as provoqué.

Atqui, quamuis longe inferior opinione et praedicatione tua sit laus nostra, satisque sim exigui quod in me est ingenii conscius, tamen currenti quod aiunt, calcar addidisti2.

Et pourtant, bien que notre éloge soit grandement inférieur à l’opinion que tu proclames, et que je sois assez conscient de la faible quantité de génie que je possède, cependant, tu m’as piqué dans ma course, comme on dit.

Qui iampridem parentem tuum, nobilem, eruditum, et optimum uirum, quum in isto fere aetatis, qua tu nunc es, uterque essemus, coluerim et amauerim, huc me impellente proba et Christiana uirtute atque adeo studiorum similitudine, nullum alium mihi proxenetam adhibendum censui ad istam paternae amicitiae ἐμφύτευσιν : tantum Graeco uersiculo admonitus πολλάκι καὶ φιλίην λῦσ’ ἀπροσηγορίη 3 , nolui committere, ut hac iter faciente Tuningio officium meum desideraret Pater Douza, ad quem festino impetu ante annum scribens, recolendum putaui pristinum amorem.

Puisque depuis longtemps j’ai eu pour ton père, un homme noble, érudit, le meilleur d’entre tous, lorsque nous étions tous deux à peu près dans cette période de la vie où tu te trouves aujourd’hui, la considération et l’affection auxquelles me poussaient une honnête vertu chrétienne et une complète identité de goûts, j’ai estimé n’avoir besoin d’aucun autre intermédiaire pour ce bail à longue durée que constituait mon amitié avec ton père : tout juste averti par ce petit vers grec, « souvent l’absence rompt même l’amitié », je n’ai pas voulu être responsable de ce que, alors que Tuning4 passait par chez nous, Dousa, ton père, puisse regretter que je manque à mes obligations. En lui écrivant, avec un prompt enthousiasme, il y a un an, j’ai pensé que cela raviverait notre amitié passée.

Tu uero dignus isto patre filius, et olim Dei uirtute, in maius nomen iturus, meminentis animi leuem illam significationem cumulasti ingenti, et uel omnem principalem sortem superanti accessione, dum nouellum, sed mirificum ingenii tui foetum, quem Propertii hortis adseuisti, mihi consecrasti.

Toi, certes, digne fils de ton père, appelé un jour, grâce à Dieu, à gagner un renom plus grand encore, tu as acquis cette distinction légère propre à un cœur qui a de la mémoire, grâce à cet héritage immense, et qui surpasse même toute fortune princière, quand tu m’as consacré le fruit de ton esprit, tout récent mais remarquable, que tu as planté à côté des jardins de Properce5.

De quo iudicium meum uix feram ad aures tuas, apud alios liberius id fiet, et extra inuidiam quaesitae gratiae.

Mon jugement sur ce travail, j’aurai du mal à le porter à tes oreilles, je le ferai plus librement auprès d’autres, et sans risquer ton antipathie pour avoir recherché ta reconnaissance.

Hoc unum dicam : non solum admirari me, sed amare etiam, quam nonnulli oderunt, teneris in annis praecocem sapientiam.

Je ne dirai que cela : non seulement j’admire, mais j’aime même la sagesse précoce des jeunes années, que certains détestent.

Interim cogitationi incumbam qua te in simili munere redhostiam, et ex scriptis meis ornatum te uelim.

Entre temps, je méditerai sur le moyen de te rendre la pareille avec un cadeau similaire, et je voudrais que tu sois distingué par mes écrits.

Habeo in schedis meis satis multa (bona sint tantum) quibus doctos amicos licet προσφωνῆσαι.

J’ai dans mes dossiers d’assez nombreux papiers (pourvu seulement qu’ils soient de qualité !), dont je peux gratifier mes fellows.

Quorum bonam partem per hos ciuicos motus muginatus sum, postquam aulicae et uanissimae nostris moribus uitae pertaesus ad me redii.

J’ai ruminé longtemps sur bonne part d’entre eux, lors de nos troubles politiques, après que, dégoûté de cette vie de cour, que nos mœurs ont rendue extrêmement futile, je suis revenu à moi.

Ea si elegantibus suis typis diligens et eruditus Raphelengius edere uolet, non admodum pertendam, quandoquidem in Gallia his temporibus bonis artibus pacis (inter quas typographia non postrema) frui non possumus, et uetus prouerbium tollimus, ipsi sitiunt fontes 6 .

Ces écrits, si le diligent et savant Raphelingen les aime et veut les faire imprimer avec ses élégants caractères, je ne m’obstinerai pas du tout, puisqu’en France à notre époque on ne peut jouir des honnêtes arts de la paix (parmi lesquels l’imprimerie n’occupe pas la dernière place), et nous affichons ce vieux proverbe, « les fontaines elles-mêmes ont soif » .

Vale, mi Douza, et quod uideor semper repositurus, me ama.

Adieu, cher Dousa, et parce qu’il me semble toujours devoir rester à l’écart, conserve-moi ton amitié.

Vindocini Propridie Kalendas Maias M.D.XCIII

À Vendôme, l’avant-veille des Calendes de Mai 1593.


1. Il semblerait que Dousa fils ait envoyé à Chrestien son travail sur Properce. Iani Dousae Filii in Petronii arbitri Satyricon spicilegium, Raphelengium, Leyde, 1596. Publiée à la suite de l’édition du Satyricon de Wovweren.
2. Erasme, Ad. 147, .
3. Erasme, Adagia 1026, Le segment semble faire référence au proverbe grec πολλὰς δὴ φιλίας ἀπροσηγορία διέλυσεν qui est cité par Aristote dans Nic. 8.1157b. C’est un vers anonyme qui se retrouve dans Elegiaca Adespota, “Iambi et elegi Graeci, vol. 2”, Ed. West, M.L. Oxford: Clarendon Press, 1972. Le texte cité par Aristote et Erasme est un pentamètre comme sa traduction latine, sans doute faite par Chresten lui-même.
4. Gerard Tuning, professeur de droit à Leyde.
5. Iani Dousae Filii in Petronii arbitri Satyricon spicilegium, Raphelengium, Leyde, 1596. Publiée à la suite de l’édition du Satyricon de Wovweren.
6. Erasme, Adagia 659, Citation de Cic., Ad Q. fr. 3.1.4.