Reuerendissimo in Christo patri et domino Iacobo Zeno pontifici patauino Georgius Alexandrinus Salutem plurimam dicit.
Georgius Alexandrinus Merula

Présentation du paratexte

Dans la lettre dédicatoire de l’editio princeps des comédies plautiniennes, Giorgio Merula, éminent humaniste milanais, élève de Francesco Filelfo et maître de Castiglione, développe, à partir d’une citation de Plaute, la comparaison entre son entreprise – établir et publier pour la première fois le texte de Plaute – et les travaux d’Hercule. Cette comparaison filée, plaisante mais parfois périlleuse, le conduit à évoquer dans le détail les difficultés du texte plautinien, la faiblesse des outils dont il a pu disposer puis les erreurs manifestes des manuscrits consultés. Enfin, il fait l’éloge de son destinataire, souligne encore la difficulté de sa tâche et promet de nouvelles publications sur Plaute. Le présent volume présente, après cette lettre, une Vita Plauti de Merula, souvent reprise dans les éditions ultérieures.

Bibliographie :
  • R. Guarino, « Gli umanisti e il teatro a Venezia nel Quattrocento. Scritture, ambienti, visioni », Teatro e storia, 2, 1987, p. 135-166.
  • M. Campanelli, « Manoscritti antichi, testi a stampa e principi di metodo : spigolando negli scritti filologici di Giorgio Merula », La parola del testo 21 (1998), p. 253-292.
  • Sur Giorgius Merula (1430-1494), http://www.treccani.it/enciclopedia/giorgio-merlani
  • Sur le dédicataire, Jacopo Zeno (1418-1481), https://www.treccani.it/enciclopedia/iacopo-zeno
Traduction : Mathieu FERRAND

Reuerendissimo in Christo patri et domino Iacobo Zeno pontifici Patauino Georgius Alexandrinus Salutem plurimam dicit.

A son excellence dans le Christ, notre père et seigneur Iacobus Zeno, évêque de Padoue1, Georgius Alexandrinus adresse son salut

Libet laboriosi mei conatus ne dicam temerarii difficultatem iis uerbis praefari Reuerendissime Pater.

Je souhaite évoquer en introduction, par les mots que voici, excellence, les difficultés d’une entreprise éprouvante, pour ne pas dire inconsidérée.

Quibus apud eum poetam quem pro uirili nostra corrigendum et emendandum sumpsimus, Toxilus seruus et pauper amorem suum grauem, molestum, atque erumnosum conqueritur.

Chez le poète que, dans la mesure où nous en sommes capable, nous avons choisi de corriger et d’amender, l’esclave Toxile, sans le sou, se plaint des tracas, des soucis et des tourments de l’Amour :

Qui amans egens ingressus est princeps in amoris uiasSuperauit aerumnis suis aerumnas Herculis. Nam cum leone, cum excedra, cum ceruo, cum apro aetolico: Cum auibus stymphalicis, cum Antaeo deluctari mauelim Quam cum amore, ita fio miser quaerendo argento mutuo: Nec quicquam nisi non est, sciunt mihi respondere, quos rogo. 2

« Le premier qui, sans argent, s’est engagé sur les chemins de l’AmourA surpassé, dans ses tourments, ceux d’Hercule. Car je préfèrerais lutter contre le lion, l’hydre, le cerf, le sanglier d’Etolie, Contre les oiseaux du Stymphale ou Antée Plutôt que de combattre Amour. Je suis si malheureux dans ma quête d’argent ! Ceux à qui je m’adresse ne répondent qu’une chose : « je n’en ai pas ! »

Nam Plautinae uiginti Comoediae, quae ad hoc aeui dumtaxat extant, Latinae scilicet linguae deliciae, rerum atque uerborum uenustate, et festiua sermonis elegantia, legentium animos mira uoluptate afficerent, nisi pluribus in locis dimidiatae haberentur et tum temporum iniuria, tum litteratorum negligenti arrogantia, et librariorum inscitia deprauatae forent et siue gentium siue naturae historiae non indigerent, atque tam Graecorum quam Romanorum prisca consuetudine et iampridem desita obscurae essent.

En effet, les vingt comédies de Plaute, celles du moins qui sont parvenues jusqu’à nous, délices de la langue latine, par l’agrément de leurs sujets et de leur style, par la plaisante élégance de leur propos, donneraient à l’esprit du lecteur un plaisir incroyable si elles n’apparaissaient pas, en bien des endroits, comme à moitié perdues, si, tantôt à cause des injures du temps, tantôt à cause de l’arrogante négligence des lettrés ou de l’ignorance des copistes, elles n’étaient devenues méconnaissables, si elles ne nécessitaient le secours de l’histoire des hommes ou de la nature, si, enfin, elles ne demeuraient obscures à cause de l’ancienneté et de la disparition, depuis longtemps déjà, des mœurs aussi bien grecques que romaines.

Quo fit ut frequentem ac curiosum lectorem non minus sollicitum faciant et uexent, quam si Cupidinis sagitta illa aurea confixus rusticam, et intotum uiros perosam uirginem sequeretur.

Ainsi il peut arriver que les vingt comédies troublent et malmènent le lecteur assidu et curieux autant que si, transpercé par la fameuse flèche dorée de Cupidon, il poursuivait une de ces jeunes paysannes qui détestent absolument les hommes.

Quare qui prouinciam huiusmodi duram, ac sane perdifficilem coeperit, quippiam ille non solum amantis inconcessa, sed plane Herculei laboris habere uidetur.

C’est pourquoi celui qui s’engage dans une telle entreprise, éprouvante et extrêmement difficile, semble non seulement rencontrer les mêmes obstacles qu’un amant, mais ceux, vraiment, d’Hercule en ses travaux.

Is siquidem est Plautus, quem uelut aliena lingua locutum, maiores nostri quorum temporibus litterae latinae, et florescebant, et summum conscenderant locum, uix attingere conati fuerint.

De fait, Plaute fut tel que, comme s’il parlait une langue étrangère, nos Anciens, aux temps où les lettres latines fleurissaient et touchaient aux sommets, essayèrent à peine de l’aborder.

Adeo ad eius percipiendos sensus necessaria erat multiplex, uaria, et exquisitissima quaedam eruditio.

Car, pour en comprendre le sens, il fallait des connaissances multiples, variées et très pointues.

Quam rem tum Varro ad Ciceronem scribens, tum Donatus Terentium explanans, testantur.

Ce qu’attestent à la fois Varron, écrivant à Cicéron, et Donat, en expliquant Térence.

Quod si quispiam nostro isto saeculo ubi pleraque ueterum scriptorum aut interierunt aut fracta et mendosa habentur in tanta librorum inopia et bonarum litterarum egestate opus quod prisci uiri macti ingenio et omnifariam doctrina praestantes cognitu difficillimum existimauerunt recognoscere et corrigere, imo abdita et pluribus ignorata aperire temptauerit, is si coepti sui aliqua ex parte compos euaserit, nimirum quid magnum effecit.

Si quelqu’un en notre siècle où la plupart des œuvres anciennes soit ont disparu soit sont considérées comme abîmées ou défectueuses, alors qu’on manque tant de livres et que les belles lettres sont indigentes, tentait de réviser et de corriger une œuvre que les anciens, honorés pour leur génie et l’emportant en tout domaine par leur science, ont tenue pour très difficile à comprendre, et, mieux encore, tentait de révéler ses secrets et ses mystères, celui-ci, s’il s’en rendait maître en quelque partie, accomplirait assurément quelque chose de grand.

Nam ut de octo prioribus taceam, quis duodecim Comoedias quadraginta ab hinc annis repertas lectionis tum confusae tum falsae duodecim Herculis aerumnis apud Poetas famigeratis iure non comparauerit?

Ainsi, pour ne rien dire des huit premières, qui ne comparerait à bon droit les douze comédies qui ont été découvertes il y a quarante ans, dont les leçons sont tantôt confuses, tantôt fausses, aux douze travaux d’Hercule dont les Poètes ont rapporté la légende ?

In quibus corrigendis operam atque studium insumere uelle, monstra persequi atque debellare quodammodo est.

Vouloir mettre sa peine et son zèle à les corriger, c’est comme, en quelque sorte, chasser et combattre des monstres.

Siquidem non magis confici posse uidetur rem in disperationem delapsam et librum qui iaceat atque sordescat in pristinum statum pristinamque gratiam uel ex minima parte uindicare, quam leonem prodigiosum qui nec ferro nec saxis laedi poterat deuincere.

Assurément, une chose tombée dans l’abandon et un livre qui gît dans l’oubli et la saleté, il n’est pas possible de les ramener à leur premier état ni même de leur rendre un tant soit peu leur forme première, pas plus qu’il n’est possible de dompter un lion prodigieux que n’auraient pu blesser ni le fer ni un rocher.

Porro cum nec tantum dictiones examinandae sed litterae atque syllabae pensitandae fuerint atque enumerandae ut ex earum positu atque figura aliquid uel uerum uel uero proximum aucuparemur, quo deprehenso undique multa erumperent, uel magis aperienda, uel plane confutanda, Ex[c]edrae hoc quippiam habere uidetur.

En outre, comme il ne s’agissait pas seulement d’examiner des mots, mais d’évaluer et de compter des lettres et des syllabes afin que, à partir de leur place et de leur forme, nous débusquions le vrai ou ce qui s’en rapproche le plus, de sorte que, une fois saisi, beaucoup d’autres possibilités pussent apparaître à leur suite, de toute part, soit pour être retenues, soit pour être réfutées, ce travail semble avoir eu quelque rapport avec le combat contre l’hydre.

Tum autem multa quae a nobis longe absunt longeque insectantes relinquunt consequi temptasse hoc certe fuit pernicem et ut nobilis poeta cecinit aeripedem ceruam3 delassare.

Ou encore, avoir voulu se fixer de si nombreux objectifs qui demeurent éloignés de nous et de ceux qui les poursuivent sans relâche, ce fut comme tenter d’épuiser la rapide « biche au pied d’airain », comme le chante l’illustre poète.

Aetolicum illum aprum uicinae regioni formidolosum, magniloquentiam Plautinam iure dixerim quae amplitudine et religiosa ueterum uerborum maiestate quasi fulmen quoddam ingenia et eruditionem legentium attonare et concutere ita solet ut non minus Plautinorum uerborum uim et copiam quam ruentis in se apri impetum exhorrescant, immo fulgurantem Plautum trepidi expauescant.

Ce sanglier d’Etolie, qui terrifiait la région voisine, c’est, dirais-je à bon droit, la suprême éloquence de Plaute qui, par son ampleur et la majesté sacrée de ses mots anciens, a pour habitude d’étonner et d’ébranler, comme la foudre, l’esprit et la science des lecteurs ; de même, ces derniers redoutent la force et l’abondance du verbe plautinien, non moins qu’un sanglier qui se jetterait sur eux ; mieux encore, ils craignent la fulgurance de Plaute.

Aues stymphalicas Argutulorum Grammaticulorum interpretatiunculis qui discipulos inter uera et falsa ducunt comparare possumus.

Nous pouvons comparer les oiseaux du lac Stymphale aux notules de petits grammairiens fort subtils qui guident leurs élèves entre le vrai et le faux.

Nam quemadmodum innumerabiles illae aues uicini agri fructus absumentes prae multitudine fugari non poterant, sic isti in finitimam prauitatem multa alioquin recta et emendatissima deducentes, mentes studiosorum iuuenum uel falsa doctrina inbuunt uel eos halucinantes reddunt ; adeo turpissimo et manifestario errato numquam defuit assertor.

En effet, comme ces oiseaux innombrables dévorant tous les fruits des champs voisins ne pouvaient être chassés à cause de leur nombre, de même ceux-ci, en corrompant de nombreux passages, du reste corrects et parfaitement irréprochables, soit imprègnent l’esprit des jeunes gens studieux de fausse science, ou bien les conduisent à divaguer ; tant les juges de paix ont toujours commis de très viles et manifestes erreurs !

Veruntamen numerosa haec et impudens grammaticorum turba non aereo tinitu, quemadmodum Stymphalices paludis olim uolucres abactae fuerunt, sed uera ratione et multiplici ueterum auctorum testimonio absterrebitur, immo fugabitur atque proteretur.

Cependant cette foule si nombreuse et impudente des grammairiens sera repoussée ou mieux encore sera mise en fuite et dispersée non par le tintement de l’airain, comme ont été chassés autrefois les oiseaux du Lac Stymphale, mais par un juste usage de la raison et par les nombreux témoignages qu’ont laissés les anciens auteurs.

Deluctari cum Antaeo est ea cognitione, eaque eruditione quae per haec tempora exigua haberi potest uelle in reconditos et penitissimos Poetae sensus penetrare, et priscarum atque ignotissimarum uocum interpretamenta indagare.

C’est combattre contre Antée que de vouloir, avec cette science et ce savoir qui, de nos jours, peuvent paraître limités, pénétrer la signification cachée et très profonde du Poète et partir sur la piste de vocables anciens que l’on souhaite comprendre mais qui nous échappent tout à fait.

Quae quo magis enarrantur atque aperiuntur eo acrius et grauius quasi sumptis a uetustate uiribus contra enarratorem insurgunt.

Lesquels, plus on les explique et les éclaire, se dressent contre ceux qui les expliquent avec plus d’ardeur et de puissance comme si de leur antiquité ils tiraient leur force.

Absunt praeterea ueteres Grammatici et glossematum scriptores a quibus tanquam ab amicis, non argentum mutuo quod seruus se non inuenire dolet, sed quaestiones poeticae et minus usitatarum dictionum etymologia atque origo requirenda erat.

Au reste, nous manquent ces anciens grammairiens et glossateurs auxquels, comme à des amis, nous aurions dû non pas demander de l’argent – comme celui que l’esclave [de Plaute] se plaint de ne pas trouver – mais des réflexions d’ordre poétique, ainsi que l’étymologie et l’origine de mots trop peu usités.

Et si qui fuerunt nescio quid et modicum et obscurum nobis dederunt.

Et si certains nous sont parvenus, leur apport est demeuré pour nous modeste et obscur.

His omnibus accedit unum tantum fuisse librum a quo uelut archetypo omnia deducta sunt quae habentur exempla.

A tout cela s’ajoute le fait qu’il n’y a qu’un seul manuscrit à partir duquel on a tiré, comme d’un archétype, tout ce que l’on tient pour des copies.

Qui si in manus nostras aliqua uia uenire potuisset, Bacchides, Mustelaria, Menaechmi, Miles atque Mercator emendatiores sane haberentur.

Si ce manuscrit avait pu, d’une manière ou d’une autre, tomber entre nos mains, les Bacchides, la Mustelaria4, les Menaechmi, le Miles et le Mercator nous sembleraient bien moins fautifs.5

Namque in his recognoscendis libros contulimus de corruptis exemplaribus factos.

En effet, en révisant ces textes, nous avons collationné des manuscrits établis à partir de copies corrompues.

At septem ultimae, ut in eas incidimus quae simplices et intactae a censoribus fuerant, quanquam mendosae forent, multo ueriores erunt.

Cependant les sept dernières comédies, sachant que nous avons pu consulter isolément des textes qu’avaient épargnés les censeurs, bien que fautives, seront plus exactes.

Sed quales legebantur octo illae priores, in quibus pro quorundam intelligentia quam pro eruditione et docta diligentia plurima in peruersum mutata et inter se oppugnantia offendimus.

Mais dans quel état se trouvaient les huit premières ! parmi elles, nous avons trouvé tant de leçons corrompues ou contradictoires, produits non point de l’érudition et d’une docte diligence, mais des conjectures personnelles de certains lecteurs.

Hanc ego tam arduam et tam immensi laboris rem ueritus praesertim cum uiderem multorum damnandas esse opiniones et eorum in primis qui siue mandante Nicolao Quinto Romano Pontifice siue Alfonso Rege Apuliae qui auctores et Di salutis bonarum litterarum fuerunt, tam temere et barbare tum plautinos sensus inuertissent tum sales uenustos et subtiles, insipidos et absurdos reddidissent, paene ab emendatione huiusmodi sum deterritus, nisi me potissimum hortati fuissent patricii duo generosa prudentia et spectata eruditione uiri Hieronymus Baduarius et Franciscus Minius, quibus cum multa peruersa et falsa corrigi et in ueram lectionem redigi posse dicerem, ut hoc nomine rem latinam iuuarem, singularique quodam beneficio et qui uiuerent et posteros demererer, non destiterunt, donec me, ut hoc grauissimum et formidandum onus susciperem, perpulerunt, continenter instantes ut quoad possem reuolutis tam nostris quam graecorum scriptoribus uiginti Comoedias emendarem ut aliquando legentibus uoluptati non fastidio forent.

Moi, parce que je craignais un travail si difficile et ambitieux mais surtout parce que je voyais qu’il me faudrait critiquer l’opinion de beaucoup et notamment de ceux qui d’abord, à la demande du pape Nicolas V ou d’Alphonse roi de Naples, grands bienfaiteurs des bonnes lettres, tantôt avaient perverti le sens du texte plautinien d’une manière éhontée et barbare, tantôt avaient fait du sel de son propos, agréable et subtil, quelque chose d’insipide et d’absurde, j’allais me détourner d’un tel travail de correction, si ne m’y avaient poussé deux patriciens en particulier, d’une noble claivoyance et d’une érudition éprouvée, Hieronymus Baduarius et Franciscus Minius : comme je leur disais que bien des erreurs et des fautes pouvaient être corrigées et une lecture correcte restituée, ils n’eurent de cesse que je porte ainsi assistance à la latinité et que j’obtienne par ce singulier service la faveur des hommes d’aujourd’hui et de demain ; ainsi il m’exhortèrent à prendre cette très lourde et effrayante charge, me pressant continuellement de corriger, après avoir consulté tant les auteurs latins que grecs, les vingt comédies afin qu’elles procurent au lecteur du plaisir, et non de l’ennui.

Sed neque is sum qui omnia me emendasse dicam aut amissa acquisiuisse aut defecta suppleuisse aut numeros ad certam regulam et libram ut examussim quadrarent redegisse, immo qui, uel in me ipso plurima desiderans, multa ita ut inueni reliquerim.

Mais je ne suis pas homme à dire que j’ai tout corrigé, que j’ai retrouvé ce qui fut perdu, que j’ai suppléé à ce qui manquait ou bien que j’ai ramené les vers à une sûre et libre régularité, de sorte qu’ils fonctionnent parfaitement ; bien au contraire, alors que j’espérais découvrir davantage par moi-même, j’ai laissé beaucoup de passages tels que je les ai trouvés.

Illa enim tantisper a nobis uel demutata uel emendata fuerunt, dum sic esse ex diligenti et multa lectione comperimus, quae aut fallor aut ueriora ueris sunt. Reliqua iis relinquimus cognoscenda et corrigenda, quibus maior eruditio maiusque supererit otium.

Certains en effet ont été soit modifiés, soit corrigés par nos soins à mesure que nous avons découvert, grace à une lecture diligente et répétée, ce qu’il en était, et ils sont, sauf erreur de notre part, plus vrai que le vrai. Les autres, nous laissons ceux qui auront plus d’érudition et de loisir les reconnaître et les corriger.

Quam modestiam si publici quondam censores seruassent, haud ita multa elegantissimi poetae facete dicta peruersa fuissent.

Si les censeurs publics avaient observé, jadis, cette réserve, nombre des plaisants propos du poète très élégant n’auraient pas été pervertis.

Quale illud est quod pro madulsam habeo, probe mulsaui, pro manta mane posuerunt et ignorantes quid significet in prouerbio romano ue uictis, ue mihi dixerunt et ubi scriblitae legebatur, sub lite factum est et pro sartis tectis sancta leguntur, et pro numero nunc. Grammatici sane semidocti, ne dicam deridiculi, qui item oues Tarentinas, sic enim deprehendimus scripsisse Plautum, in frumentum mutauerunt.

Que dire en effet de cela ? ils ont mis probe mulsaui pour madulsam habeo, mane pour manta ; ignorant ce que signifie l’expression romaine ue victis, ils ont écrit ue mihi ; scriblitae est devenu sub lite ; pour sartis tectis on lit sancta, pour numero, nunc. Des ignares, vraiment, ces grammairiens, pour ne pas dire de vrais clowns, qui de même ont transformé oues Tarentinas (c’est ce que nous trouvons chez Plaute) en frumentum !

Alia item notauimus quae nunc consulto praeterimus pro falsis scilicet redarguenda in eo opere quod maturamus iamque emisissemus nisi successiuo atque tumultuario studio Plautinas Comoedias coleremus.

Nous avons noté encore bien d’autres choses, que nous laissons pour l’heure volontairement de côté pour en réfuter les erreurs dans l’ouvrage que nous préparons et que nous aurions publié déjà si nous ne nous étions consacrés aux comédies de Plaute avec ce zèle soudain qui nous a par la suite saisi.

Tu uero interea Patauine Pontifex cui nominatim emendationem hanc nostram dicamus quum sis Pontificii Iurisconsultissimus et omnium sacrarum litterarum fons atque thesaurus (quod uel ex hoc apparet ut siquando de diuinis humanisque rebus disceptatur te omnes unicum adeant disceptatorem et uelut oraculum quoddam consulent) tuque ita prudenter et scite de omnibus respondeas atque iudices ut te unum nostra aetas habeat quem uere sanctarum legum interpretem et disciplinarum patrem appellare possit, has Comoedias leges, reuolues et pensitabis a studiis sane tuis non abhorrentes, quippe qui in eloquentia non minus praestes quam in sacris litteris et acutis Philosophorum dogmatis siue praeceptis.

Mais toi, évêque de Padoue, à qui nous dédions nommément ce travail de correction, quoique tu sois d’abord versé en droit canon, source et réceptacle de toutes les lettres sacrées (j’en veux pour preuve que, si l’on veut juger de matières divines et humaines, chacun s’adresse à toi comme au seul juge possible et prend conseil auprès de toi comme auprès de quelque oracle), quoique tu répondes et juges sur tout sujet de façon si prudente et si savante que tu es le seul que notre époque puisse appeler à bon droit interprète des lois sacrées et père des disciplines, tu liras et reliras ces comédies et tu ne les jugeras pas indignes de tes études. Car en matière d’éloquence tu ne t’illustres pas moins qu’en matière de lettres sacrées et de subtils principes ou préceptes philosophiques.

Quam rem grauissimae illae et mira arte elaboratae totiens cum summa laude et admiratione in conspectu Romanorum pontificum habitae orationes declarant, tum decem illi libri, quibus Liuiano exemplo in decadis formam praeclara illa aui tui Caroli Zeni facinora memoriae prodidisti, immo immortalitati consecrasti, Nec sinis eum interire uirum quem aliquando urbs haec longe lateque imperans, Europae decus et ornamentum, saluberrimae Religionis propugnaculum et quum maris sit domina, cunctarum paene gentium communis patria, assertorem habuit.

En attestent ces fameux discours pleins de sollennité et composés avec un art admirable, prononcés si souvent pour ta plus grande gloire et l’admiration de tous devant les pontifes romains, ainsi que les dix fameux livres dans lesquels, par décades à l’exemple de Tite-Live, tu as fait connaître, ou mieux encore, tu as immortalisé les très hauts faits de ton aïeul, Carolus Zenus, 6, ne permettant pas que périsse un homme dont jadis cette ville qui gouverne partout, honneur et ornement de l’Europe, rempart de notre très salutaire religion, maîtresse des mers et commune patrie de presque tous les peuples, a fait son protecteur.

Atque ita leges, ut si quicquam te offenderit, uel eorum, quae nos mutauimus, uel eorum quae infirmitatem ingenii nostri excedentia, ut inuenta sunt, ita manent, notabis, et corriges, modo illud sic esse auctoritate ueterum et ratione antiquorum scriptis nixa constet.

Et tu liras de telle sorte que si quelque chose te déplaît, dans ce que nous avons modifié, ou dans ce qui, à cause de nos compétences limitées, demeure tel que nous l’avons trouvé, tu le relèveras et le corrigeras, pourvu que cela apparaisse clairement conforme à l’autorité des anciens et à la manière de leurs écrits.

Res agitur communis. Comoediae Plautinae quae paucae ad nos peruenerunt ab omnibus iuuandae sunt quicunque musas latinas colunt.

Chacun le sait : tous ceux qui cultivent la muse latine doivent se mettre au service des comédies de Plaute qui en petit nombre nous sont parvenues.

Verum haec exigunt acre iudicium quod plurima multiplici et assidua lectione habetur.

Mais elles exigent un jugement pénétrant qui s’acquiert par des lectures nombreuses et répétées.

Nam et Graecis scriptoribus et Varrone asserente iudicium Poematum est quid maximum et difficillimum quanto magis temporibus nostris quibus uix bonarum litterarum principia percipi possunt.

En effet, comme l’affirment les auteurs grecs ainsi que Varron, porter un jugement sur des vers est une très grande et difficile affaire, surtout à notre époque où il est presque impossible de revenir aux sources des belles lettres.

Quare si quis diligens fuerit et sedulus uetustatis explorator poterit et ipse opem aliquam Poetae ueteri et eleganti ferre.

C’est pourquoi si quelqu’un se montre diligent et scrupuleux explorateur des textes anciens, il pourra quant à lui venir au secours du vieux poète plein d’élégance.

Nos quoque ut fecundius fructum nostri labores ferant in commentarios conferemus quaecumque a nobis siue emendata siue aperta fuerunt.

Et nous, pour que notre travail offre des fruits plus féconds, nous produirons un commentaire à partir de tout ce qui a été soit corrigé soit élucidé par nos soins.

Lectoremque rogamus qui Plautinas has legerit Comoedias boni interim consulat dum siue annotamenta siue quaestiones nostras Plautinas ediderimus.

Et nous demandons au lecteur qui lira ces comédies de Plaute de les prendre en bonne part le temps que nous publiions soit nos annotations soit nos réflexions sur cet auteur.

Vale.

Porte-toi bien.


1. Iacopo Zeno (1418-1481), évêque de Padoue (1460-1480), auteur de diverses Vitae latines dont une Vie de son ancêtre Carolus Zenus (cf. infra).
2. Pl., Pers. 1-6.
3. Virg., En. 6.802.
4. Non pas une Pièce à la Belette (mustela) mais bel et bien La Comédie du Fantôme, en latin Mostellaria.
5. Il apparaît donc que Merula n’a pas pu consulter le fameux Codex Orsinianus – ms. Biblioteca Apostolica Vaticana, Vat. Lat. 3870 ;
6. Le dédicataire est l’auteur en effet d’une Vita Carli Zeni, amiral de la République de Venise qui s’illustra lors de la guerre de Chioggia (1378-1381) ; l’ouvrage fut traduit en italien dès le XVIe siècle par Francesco Quirini (La vita di Carlo Zeno, gran capitano de' Viniziani, scritta nel secolo XV da Jacopo Zeno suo nipote, Venise, Alvisopoli, 1829)