Reuerendissimo in Christo patri Francisco Marcello Pontifici Tragurino Bernardus Saracenus Venetus S. P. D.
Bernardus Saracenus

Présentation du paratexte

Le volume réunit deux ensembles bien distincts, le premier dû à Joannes Petrus Valla (avec paratextes et commentaires), le second à Bernardus Saracenus (avec paratextes, textes des comédies et commentaires). Dans cette lettre adressée à Franciscus Marcellus, évêque de Trogir, le vénitien Bernardinus Saracenus, tout en faisant l’éloge de son dédicataire, souligne la difficulté de la tâche qu’il a entreprise – éditer les comédies de Plaute – et les mérites de son travail. Il sollicite la bienveillance de son vénérable lecteur.

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Traduction : Mathieu FERRAND

Reuerendissimo in Christo patri Francisco Marcello Pontifici Tragurino Bernardus Saracenus Venetus S. P. D.

A son révérendissime père dans le Christ Franciscus Marcellus, évêque de Trogir 1, Bernardus Saracenus de Venise adresse son salut.

Castigationes in Plautum nostras nec non enarrationes praesul doctissime nobiscum cui potissimum dicaremus, cuius sincerum, prudens ac doctum subiremus iudicium, animo aliquamdiu reputantibus nobis occurit nemo quem apud nos tibi praeferendum esse existimaremus siue Marcellae domus claritate multis anteferenda siue sanctissimae religionis nostrae obseruantia siue doctrinae eximiae acerrimo iudicio quae omnia mentem meam prius pendulam confirmauerunt, stabiliuerunt,

Très docte seigneur, quand nous songions, à part nous, à quelle personnalité offrir d’abord nos corrections ainsi que nos commentaires sur Plaute, dont nous puissions apprécier l’honnêteté, la clairvoyance et la sagesse de jugement, nous n’avons vu personne qu’il fallût te préférer ; l’éclat de la maison des Marcelli, qui l’emporte sur beaucoup d’autres, ton respect scrupuleux pour notre très sainte religion, ou bien encore le jugement très sûr que permet ton exceptionnel savoir ont affermi et confirmé notre opinion, d’abord hésitante.2

ut minime dubitauerim tibi esse destinandas has lucubratiunculas in Plautinas Comoedias longiusculo tempore perfectas,

Ainsi, nous n’avons guère hésité à te dédier le modeste fruit de nos veillées sur les comédies de Plaute, qui nous a occupé assez longuement

quod domesticis curis multisque anxius solicitudinibus citius non potuerim quam ipse cupiebam transigere.

et que je n’ai pas pu achever aussi vite qu’espéré, accablé que j’étais par les soucis domestiques et de nombreux tracas.

Quae si tibi placuerint uiro nostra hac aetate non liberali animo modo et mentis magnitudine ac religionis cultu, sed etiam doctrina eximia ac propemodum singulari non parum me profecisse putauero, quamquam sentio in re eiusmodi quam difficile sit laudem promereri plautinas polliceri castigationes ubi tot non modo inuersa uerba et praepostere posita sunt, sed etiam tot uerba deficiant.

Certes, si elles devaient te plaire, à toi qui montres, parmi nos contemporains, non seulement un esprit libéral, une âme généreuse et un grand souci de la religion, mais encore une extraordinaire et singulière culture, je croirai avoir obtenu quelque résultat. Mais je sais combien, en cette matière, il est difficile d’obtenir des louanges à qui promet de corriger Plaute, alors que l’ordre des mots est si souvent inversé ou bouleversé, et que, pire encore, beaucoup d’entre eux manquent.

Sed quid ego uerba memorem ? cum non modo uersus dimidiati inueniantur, sed etiam desint integri, nec uersus modo, sed etiam scenae integrae, atque adeo etiam dimidiatae Comoediae iam perierint.

Que dis-je, des mots ? On trouve des vers à moitié tronqués, et certains sont même intégralement perdus, et non seulement des vers, mais des scènes entières ! Si bien que certaines comédies ont elles-mêmes déjà à moitié disparu.

Adde porro tantam Poetae rerum caliginem ob incognitam uetustatem, ut Sisenna, tantus inquam auctor, et Varro, qui undecunque doctissimus est a doctissimis dictus, nedum Donatus, Seruius et plerique alii Grammatici non parum inuigilauerint ut nobis Plautum ex incognito cognitum facerent.

Il faut ajouter la grande obscurité du poète, du fait de son ancienneté exceptionnelle : ainsi, Sisenna, auteur – je le dis – considérable, Varron, que les plus savant tiennent pour le plus savant, mais aussi Donat, Servius et beaucoup d’autres grammairiens, ont dû travailler jour et nuit pour nous faire connaître Plaute, qui nous était inconnu.

Quamobrem, cum haec ipse mecum reputarem, ex ipsa prouinciae mole merito perstiti dubius aliquandiu, num hoc onus mihi esse subeundum censerem.

C’est pourquoi, lorsque j’y songeais à part moi, à cause de l’ampleur de la tâche, je demeurais à raison dans le doute, pendant quelque temps : fallait-il me charger de ce travail ?

E diuerso, cum ex huius auctoris cognitione perspicerem eximiam quandam multis emanaturam utilitatem, putaui, labori minime parcens, hoc onus minime omittendum, ut si etiam, quae uoluerim, omnia, ipse mihi praestare non potuerim, probabile tamen uisum fuerit attentasse me priorem, aliquodcunque modo inchoasse, quod alii fortasse perficiant.

Dans le même temps, comme je voyais de quelle extraordinaire utilité serait pour beaucoup la connaissance de cet auteur, j’ai pensé que, sans m’épargner aucun effort, il ne fallait aucunement renoncer à la tâche, de sorte que si je ne pouvais me charger seul de la totalité de l’entreprise – ce que j’aurais voulu faire – il apparaîtrait comme estimable d’avoir été le premier à m’y essayer et d’avoir seulement commencé une entreprise que d’autres peut-être mèneraient à son terme.

Videbunt per nos tamen eruditi plura mendosa uerae lectioni reddita, in suam quemque decuriam interlocutorem coercitum, qui prius, nullo seruato ordine, uagabatur, et denique non mediocrem praestitam fuisse a nobis diligentiam, ut Plautina lectio iuuaretur ; sales quoque, ac ioci, sensusque iucundissimi, lepidissimi poetae innotescerent.

Cela dit, les savants verront que plusieurs fautes ont été corrigées par nos soins, chaque réplique réaffectée à sa troupe qui d’abord errait en désordre, que nous avons eu grand soin, enfin, de faciliter la lecture de Plaute, et de faire connaître le sel, l’humour, l’esprit du plus plaisant, du plus spirituel des poètes.

Quantum autem laboris in hoc impensum sit, statim in fronte testatum uolumus.

Quel effort nous avons consenti pour cela, nous voulons que, dès l’abord, sans attendre, le lecteur puisse en faire l’épreuve.

Nam ut quiuis noscere facilius queat quid mendosum, quid emendatum, emendandumue, prout cuique pro suo arbitratu, id integrum reliquimus.

En effet, afin que l’on puisse savoir ce qui était défectueux, a été corrigé ou reste à corriger, dans la mesure où cela relève du jugement de chacun, nous le donnons à lire en l’état.

Plautinas castigationes statim in ipso operis uestibulo locauimus, quae (ni fallor) sunt omni ueritate ueriores, pauculis dumtaxat exceptis, quae non tam mendosa, quam omnino cognitu difficillima ex antiquitatis maiestate uisa sunt.

Les corrections sur le texte de Plaute, nous les avons placées dès l’abord, à l’entrée même de l’œuvre. Elles sont, sauf erreur de ma part, plus vraies que vraies ; j’en excepte un tout petit nombre de passages qui ont semblé moins fautifs qu’extrêmement difficiles à comprendre à cause de leur vénérable antiquité.

Quae fortassis una cum aliis fuissent enodata, si uel in aliquem emendatum codicem incidissemus, uel nisi tumultuario magis, quam accurato studio, editiones nostras modo ob nostrum hinc propediem discessum ad Orientis partes maturaremus.

Peut-être ces passages auraient-ils été élucidés avec les autres, si nous étions tombé sur quelque manuscrit de qualité, ou bien si ne nous préparions pas nos éditions avec plus de précipitation que de soin scrupuleux en raison de notre départ imminent pour l’Orient.

Percurres igitur, Pontifex reuerendissime, has nostras cum Plauto lucubratiunculas (in re hac enim te hominem doctissimum, eloquentiae studio ac laude eminentem, prudentia grauissimum, reliquisque uirtutibus insignem iudicem mihi constituendum ratus sum) in quibus si quid recte dictum uideris, non id mihi soli tribui contendo

Tu parcourras donc, Révérendissime éminence, le modeste fruit de nos veillées passées avec Plaute (car nous avons jugé que c’était toi, le plus savant des hommes en la matière, le premier par ton souci de l’éloquence et par la gloire, le plus exigeant en matière de sagesse, le plus remarquable pour les autres vertus, que nous devions prendre pour juge). Si quelque chose t’y semble correctement formulé, je prétends que tout le mérite ne m’en revient pas :

cum non ex mea, sed eminentissimorum auctorum sententia cuncta ferme protulerim ; in qua re ne quidem ueterum, etiam recentiorum quorundam, et eorum praesertim qui Plautinas delicias sectati sunt, non puduit sententias sciscitari et in primis Georgii Valla uiri clarissimi, quem nostris temporibus bonarum disciplinarum omnium aerarium dixerim, cuius censura nihil est grauius.

car, pour établir la quasi-totalité du texte de Plaute, je ne me suis pas appuyé sur mon seul jugement, mais sur celui des auteurs les plus irréprochables ; et, en cette matière, je n’ai pas hésité à m’informer de l’opinion non seulement des anciens, mais de quelques auteurs plus récents, en particulier de ceux qui ont été les sectateurs des délices plautiniennes ; parmi eux, surtout, Georges Valla, homme très illustre, dont je fais volontiers, pour notre temps, le trésor des Belles Lettres 3. Rien n’est plus précieux que son jugement.

Si quid autem minus ornatum, aut non omnino enucleatum compereris, aut forte incuria omissum (non enim potest Lippus quantum contendere Lynceus4) uel ignoscas, uel emendes, ceterosque moneas ut si quam habent in nos feruidam mentem, tegant.

Mais si tu trouves quelque chose qui te semble moins heureux, ou en tout cas moins achevé, ou bien peut-être un oubli, à cause d’une négligence (parce que le chassieux ne peut rivaliser avec Lyncée), pardonne-moi, ou bien corrige, et invite les autres à ce que, s’ils ont contre moi quelque sujet d’emportement, ils le gardent pour eux.

Qui si forte liuore agitati perstreperint, tua oratione compesces ; quamquam nihil moror quod si quid boni factum fuerit bonis, inuideant non boni.

Et si par hasard l’on pousse de grands cris, mu par la malveillance, réprime-les de ton éloquence ; du reste, je ne me préoccupe pas de ce que, si l’on a fait du bien aux bonnes gens, les mauvaises gens puissent se montrer envieux.

Haec autem si tui acerrimi iudicii stabunt incudi, nullius formidabo Rhinocerotis nasum5.

En revanche, si l’ouvrage est remis sur l’enclume de ton très rigoureux jugement, je ne craindrai le nez d’aucun rhinocéros.


1. Franciscus Marcellus fut évêque de Trogir (actuelle Croatie) de 1488 à 1524
2. On trouve une interrogation similaire chez Sénèque, pour savoir qui est le plus digne destinataire.
3. L’édition commentée de Valla constitue la première partie du volume publié en 1499
4. Hor., Ep. 1.1.28.. Voir aussi Erasme, Adagia, 1054.
5. Mart., Ep. 1.3.6.. Cité en partie par Erasme, Adagia, 722 : le nez (dont le nez du Rhinocéros) évoque la moquerie sournoise.