Inclyto principi Ioanni Bentiuolo Bononiae dictatori patri patriae Ioannes Baptista Pius Bononiensis cliens.
Ioannes Baptista Pius

Présentation du paratexte

En 1500, l’humaniste bolonais Giovanni Battista Pio, élève de Béroalde, publie à Milan une copieuse édition des vingt comédies de Plaute. Cette édition se distingue notamment par ses commentaires abondants, la richesse de son paratexte et par la vive polémique qu’elle a ensuite suscitée, à propos des choix philologiques de Pio. C’est à Giovanni II Bentivoglio, seigneur de Bologne, que Pio dédie son ouvrage dans cette épître encomiastique où l’érudition des références intertextuelles rivalise avec les qualités physiques et morales du dédicataire, parangon de sagesse et de vertu entièrement dévoué à sa patrie. Parmi les nombreuses sources intertextuelles de ce texte, on notera l’influence particulière de Pline l’Ancien, qui est alors l’objet de polémiques (cf. l’édition de 1496 réunissant les Pliniae aliquot castigationes de Béroalde et des Annotamenta de Battista Pio [en ligne : https://www.digitale-sammlungen.de/en/view/bsb00065620?page=,1]).

Traduction : Déborah BOIJOUX

Inclyto principi Ioanni Bentiuolo Bononiae dictatori patri patriae Ioannes Baptista Pius Bononiensis cliens.

À l’illustre seigneur, Giovanni Bentivoglio, premier magistrat bolonais et père de la patrie1, de la part de Giovanni Battista Pio de Bologne, son obligé.

Etsi, Ioannes Bentiuole, princeps auguste, uultus tui maiestas uerborumque pondus prope fulmineum penes me tanti sint ut te per litteras petente aliquid scilicet ederem quod sub nomine tuo legeretur negare non auderem –, perstiti tamen aliquamdiu in quodam prope freto cogitationis obhaerens, captum modumque ingenii mei considerans,

S’il est vrai que, Giovanni Bentivoglio, auguste prince, la majesté qui émane de ton visage, le poids fulgurant (si je puis dire) de tes mots m’en imposent tant que, quand tu me demandais par lettre de publier quelque écrit sous ton patronage, je n’osais pas le refuser, j’ai cependant hésité un certain temps, m’arrêtant comme au milieu du flot de mes pensées, considérant la capacité et les limites de mon génie,

qui satis gloriae adepturus sim, si modo non ingloriose latuerim ; tum numinis tui diuinitatem reueritus cui si quae dicantur condigna futura sunt.

moi qui pourrais me satisfaire de la gloire que donne une vie obscure, si du moins une telle vie peut en donner ; puis s’est imposée à moi la divinité de ta puissance, laquelle rend digne tout ce qu’on lui dédie.

Nihil tamen horum in tantum me terruit quo penes me tuum imperium minus autoritatis haberet.

Cela dit, rien de tout cela ne m’a autant terrifié que de voir ton pouvoir exercer sur moi moins d’autorité.

Statim igitur ex omni eruditorum albo Marcum Plautum delegimus qui summus poetarum antistes ad principum principem delegaretur, utpote qui inter clarissimorum uatum centuriam titulos et triumphos laudis cuiuslibet reportauerit.

Ainsi, j’ai sans tarder choisi Plaute, dans toute la liste des hommes de science, pour que le souverain maître des poètes fût préposé au seigneur des seigneurs, car il a rapporté, parmi la centurie des poètes les plus éclatants, les titres et les triomphes de la gloire.

Ad te inclytum principem uirtutis adoreis 2 ornatissimum ueniat, cuius laudes si strictim et summatim praelibare collibuerit, erit perinde « frondes ac si quis ab IdaEt summam Libyco de mare carpat aquam3 »

Qu’il se présente donc à toi, illustre prince paré plus que nul autre de la gloire des vertus. Songe-t-on à parcourir, rapidement, la somme de tes mérites ? « Autant dérober, sur l’Ida, quelques branches Ou quelques goûtes d’eau dans la mer de Lybie. »

De quo forsan melius tacere sit quam pauca dicere, nec ut ille unius dieculae aut alterius spatium ad eloquendum petere sed otium Melissi qui in apium meditatione consenuit.

Mais il vaudrait sans doute mieux se taire à ce propos que d’en dire trop peu, et, comme l’autre4, ne pas réclamer une seule petite journée ou même deux pour en parler, mais bien la retraite de Mélisseus5, qui vieillit en s’occupant de ses abeilles.

Quanto causatius ego in consideratione principis qui aeui nostri decus est ocium petam et uires ingenii cum aetate, etiam si Nestoris illius triseclis 6 futura sit, effundam.

Il serait bien plus raisonnable pour moi, par égard pour un prince qui fait la gloire de notre époque, de demander une retraite et de prodiguer les forces d’une vie entière, dussè-je égaler Nestor aux trois vies d’homme.

Filumne liberale formae tuae meritis laudibus efferam ?

Vanterais-je, à bon droit, ta noble silhouette ?

Siquidem ut dici solet et repetitum est a Platonico Porphyrio, «  Species Priami digna est imperio 7 »  :

Puisque, comme on le dit et le répète d’après le platonicien Porphyre, « la beauté de Priam le rend digne de l’empire ».

corpus tibi bene habitum, statura quadrata, proceritas succulenta, thorosi lacerti, pes modicus, longae manus, oculi flores animae caesii et in aspectus micantes aquilinos 8, nasus inter simum et aquilum, labra modica, compactiles aures, caesaries flaua auri fulgorem aequiperans quae natiuis radiis irrutilat et cuius fulgor infucatus est neque infucatus creditur.

Ton corps épanoui, ta stature équilibrée, ta taille vigoureuse, tes bras musclés, tes pieds bien proportionnés, tes mains fines, tes yeux bleus – fleurs de ton âme –, ton regard d’aigle, ton nez ni camus ni aquilin, tes lèvres harmonieuses, tes oreilles bien faites, ta chevelure blonde, égalant l’éclat de l’or, qui s’embrase sous les rayons naturels, dont l’éclat n’est, ni ne paraît, artificiel.

« Nec quod laudamus formam tam turpe putarisLaudamus magnos hac quoque parte deos. »

« Ne pense pas qu’il soit si honteux de louer ta beauté : c’est au même titre que nous louons aussi de grandes divinités. »

Nonne Paris Homericus appellat haec «  deorum munera gloriosissima 9 »  ? Nec uiro liberaliter educato refugienda quae multis etiam uolentibus non contingunt.

Pâris ne qualifie-t-il pas ces « dons des dieux », chez Homère, de « très glorieux » ? Un homme de noble éducation ne doit pas refuser ce dont beaucoup, qui le désirent pourtant, sont privés.

Sed et Plato, quem philosophorum principem non immerito personat Academia, recensens adulescentem meditationibus philosophicis idoneum, eum pulchrae habitudinis affectat.

De fait, Platon aussi – que l’Académie présente comme le prince des philosophes –, quand il fait l’examen critique du jeune homme capable d’encourager les méditations philosophiques, recherche un individu au bel aspect.

Augustissima quaeque species plurimum creditur trahere de caelo. Siue enim diuinus ille animus uenturus in corpus dignum prius metatur hospitium siue, cum uenerit, fingit habitaculum pro habitu suo, siue aliud ex altero crescit et, cum se paria iunxerunt, utraque maiora sunt. Virtus tua meruit imperium, sed uirtuti addidit forma suffragium. Illa praestitit ut oporte<re>t te principem fieri, haec ut deceret. 10

« On admet que plus un visage est majestueux, plus sa beauté lui vient du ciel. Soit que l’âme divine, avant de descendre en un corps, se ménage d’abord une demeure digne d’elle, soit que, après sa venue, elle modèle son logis à son image, soit que l’un doive à l’autre son développement et que, semblables au moment de leur union, ils grandissent de compagnie. [...] Ta vertu a mérité l’empire, mais à ta vertu la beauté a ajouté son suffrage. L’une a fait de toi l’empereur qu’il fallait, l’autre l’empereur qui convenait. »11

Forma tua fabulam Homeri fecit historiam.12Oculis et capite Iouem exscribis, cinctu Martem et pectore Neptunum.

Ta beauté a fait rentrer les récits légendaires d’Homère dans l’histoire : tu ressembles, par tes yeux et par ta tête, à Jupiter, par ta taille, à Mars et, par ta poitrine, à Neptune.

Hanc ne ego in te summam dotem putem ?13

Puis-je, pour ma part, estimer si cette qualité est, chez toi, la plus élevée ?

Sed quid ita ? Memoria, necessarium uitae bonum14, formae laudibus obstrepit : haec te sibi uindicat. Qua facile Cyrum regem, Lucium Scipionem Mithridatem Charmadam 15 Simonidem melicum Metrodorum Scepsium 16 praecellis. 17

Mais à quoi bon ? La mémoire, bien nécessaire à la vie, éclipse les éloges que l’on fait de la beauté : la voici qui te revendique. Et, dans ce domaine, tu l’emportes facilement sur le roi Cyrus, Lucius Scipion, Mithridate, Charmadas, Simonide, le poète lyrique, et Métrodore de Scepsis.

Quam saepe municipibus meis pro tribunali familiariterue respondens, illorum curas et domestica ferme negotia praeuenis.

D’ordinaire, lorsque tu réponds à mes concitoyens, du haut de ta tribune ou de façon plus familière, tu devances presque leurs soucis et leurs affaires domestiques.

Non semel tantae beatitudinis spectator et arbiter, audiui non unum e popularibus meis secum ita loquentem :

Spectateur et témoin à de nombreuses reprises de cette heureuse disposition, j’ai entendu plusieurs de mes compatriotes te parler ainsi :

« Quis tibi, faustissime princeps, dixit quae cupiebam dicere ? 

« Qui t’a dit, bienheureux seigneur, ce que je désirais te dire ?

Quis tibi mea sensa suggessit ? »

Qui t’a fait connaître mes pensées ? »

Sed memoriae fidelitatem hanc patientiaene praeponam ? quae Leenae, quae Anaxarchi exempla praeuenit, quos calamitatum sors uirtutis honore decorauit. 18

Mais placerai-je la fidélité de ta mémoire devant ta résistance ? Comme cette dernière l’emporte sur les exemples de Leaena19 et d’Anaxarque20, dont le sort funeste a éprouvé avec honneur leur vertu !

Tu patiens, ut Augustus in foelicitate citraque calamitatem, fuisti sub haud aequo tutore, sub principe non iusto et, quod non mediocre patientiae uisebatur inditium, temporibus malis ausus es esse bonus.

Comme Auguste, étranger au malheur, le fut dans le bonheur, tu as fait preuve de résistance sous un tuteur illégitime21, sous un seigneur injuste et, ce qui est une preuve marquante de résistance, tu as osé être bon dans un contexte difficile.

Legiones hostium barbaras patientia tua molliuit, Italiaque uniuersa ferro, igni, peste ruente, Bononia patria nostra non cladem, non rapinam nec latrocinium quidem sustinuit : non minima tui laude qui uir omnium horarum22 nedum fortunam uicisti.

Ta résistance est venue à bout des légions barbares de nos ennemis et, tandis que le fer, le feu et la peste s’abattaient sur l’Italie tout entière, Bologne, notre chère patrie, n’a pas subi le moindre désastre, ni le moindre pillage ni brigandage : grâce à cette gloire immense qui est tienne, homme de tous les instants, tu as vaincu, à plus forte raison, la fortune23.

Sed dum te uincere conatur sors ipsa uicta est.

Mais tandis que le sort s’efforce de te vaincre, c’est le sort lui-même qui a été vaincu.

Subsequitur fortitudo temeritatis hostis, perturbationum domitrix atque uitiorum, quae nullum titulum, palmam nullam, nullum suffragium sibi arroget, nisi possessorem suum possederit, qui cum plurimum possit minimum uelit, iram exuat, misericordiam induat, clementiam uelit, superbiam nolit, multum habeat, minimum possideat, thesauros omnis in fide amicorum credat, arces et munimina populorum corda recognoscat, sit populi pastor non depeculator aut praedo.

Vient ensuite la force d’âme, ennemie de la témérité, souveraine des passions et des vices, qui ne saurait s’arroger aucun titre, aucune palme ni aucun suffrage si ce n’est d’être maître de son propre possesseur qui, quand il pourrait le plus, désirerait le moins, se dépouillerait de toute colère, se vêtirait de compassion, désirerait la clémence, se défendrait de tout orgueil, détiendrait beaucoup mais posséderait très peu, confierait tous ses trésors à la fidélité de ses amis, considérerait comme des citadelles et des remparts les cœurs de ses citoyens, serait le berger de son peuple, non son prédateur ou son voleur.

Te aemuletur, iucundissime princeps, qui eum diem perdidisse profiteris, in quo amicum non officio demereris 24, qui clementissimus mortalium non minus mansuete regis quam rex apum, cui natura non dedit aculeum, etsi dedit eo non utitur.

Mais qu’il cherche donc à rivaliser avec toi, seigneur comblé de charme, qui déclares avoir perdu ta journée quand tu ne gagnes pas un ami par ton devoir, toi qui, le plus clément des mortels, règnes avec plus de douceur que le roi des abeilles, que la nature a dépourvu de dard ou qui, s’il en est pourvu, ne l’utilise pas.

Tu, princeps integerrime, commoda patriae praeponis, deinde tua.

Toi, seigneur de la plus grande intégrité, tu places avant toute chose les intérêts de la patrie, les tiens ensuite seulement.

In publico diues, in priuato pauper.

Tu es riche en public mais pauvre en privé.

His sororibus iustitia coniuncta non minimam partem uitae tuae probatissimae uindicat.

Aux côtés de ses sœurs, la justice25 ne revendique pas, à son tour, une moindre place dans ta vie pleine de probité.

Haec in sacris litteris lucere dicitur qua Phosphorus et reliqua sidera impendio minus.

On dit, dans les textes sacrés, que cette dernière 26 est resplendissante ; et, à côté d’elle, l’étoile du matin et le reste des étoiles resplendissent bien moins.

Nouit Bononia immo tota Italia quam iustus potius sis quam uideri uelis : qua non Aristidae caederes, Tiberio Graccho, Caio Claudio, Cnaeo Domitio, Pittaco Mytilenaeo et Seleuco Locrensi.

Bologne, elle, sait bien, ou plutôt l’Italie tout entière, à quel point tu es beaucoup plus juste que tu ne veux le paraître : par là, tu ne le céderais ni à Aristide, ni à Tiberius Gracchus, ni à Caius Claudius, ni à Cnaeus Domitius, ni à Pittacus de Mythilène27, ni à Seleucus le Locrien.

Quid temperantiam moderationemque animi connumerem ? quae in Catone, Fabricio, sarrano Camilloque et, ut nouos attingam, Vespasiano, Tito Diocletianoque minor extitit.

À quoi bon énumérer la tempérance28 et la modération de ton âme, laquelle s’est révélée moins grande chez Caton, Fabricius et Camille, revêtu de la toge prétexte [du dictateur], et, pour en arriver à des personnages plus récents, chez Vespasien, Titus et Dioclétien ?

Quis te liberalitate praecedit ? qua sane nulla ducis uirtus dulcior esse potest.

Qui l’emporte sur toi par la libéralité, en comparaison de laquelle, assurément, un chef ne peut pas avoir de plus douce vertu ?

Hanc peculiariter et propemodum familiariter uirtutem complecteris, hanc erigis, hanc id aeui 29 paene intermortuam reuocas strenis Saturnalitiis, thesseris donatiuis, congiariis nec maiorem foelicitatem putas quam fecisse foelicem.

C’est cette vertu que tu embrasses personnellement et, pour ainsi dire, familièrement, c’est cette vertu que tu exaltes, cette vertu – presque morte à notre époque – que tu ranimes, pour les étrennes de la nouvelle année, les distributions de vivre, les largesses et les distributions de vin, et tu ne penses pas qu’il y ait de plus grand bonheur que d’avoir fait le bonheur.

Sed nimis longum loquor si singula connumero.

Mais je parle trop longtemps si j’énumère chaque chose.

Adde quod animus tuus iis angustis terminis, quos natura mortalibus dedit ad uiuendum, nunquam potuit esse contentus ; semper enim immortalitatis gloria flagrauit.

Ajoute que ton esprit n’a jamais pu se contenter des limites étroites que la nature a données aux mortels pour vivre ; toujours il a brûlé du désir de l’immortelle gloire.

Nec tua uita dicenda est uelut ea quae solum corpore continetur et spiritu sed ut diuina.

Et on ne peut pas dire que ta vie ressemble à celle que limitent le corps et la respiration mais à celle qui est d’ordre divin.

Summa summarum est in te gloria patriae et subiectorum utilitas.30

Au premier rang des priorités se trouvent, pour toi, la gloire de la patrie et les intérêts de tes sujets.

Te principe florent artes ingenuae.

Fleurissent, sous ton gouvernement, les arts libéraux.

Imitatus es id Hesiodicum praeceptum :

Tu as imité ce précepte d’Hésiode :

« Calliope regum comes est ; Ioue 31 nata parente,A Ioue nutritos reges comitatur honorat. » 32

« Calliope est la compagne des rois ; fille de Jupiter, ce sont les rois, nourrissons de Jupiter, qu’elle honore et accompagne. »

Praeterea non mediocre Musarum patrocinium suscepisti quae non minori33 Hercule indigebant.

Tu as pris en charge, en outre, le patronage splendide des Muses, qu’Hercule a tout autant favorisées.

Annona frumentaria, quae laudes plures Pompeio quam tot orientis occidentisque triumphi peperit, sub te semper in uilitate fuit.

La production de blé, qui a valu à Pompée plus de gloire que ses nombreux triomphes en Orient et en Occident, a toujours été, sous ton gouvernement, bon marché.

Artes postremo liberalibus artibus subseruientes, quae Graeci mechanemata dicunt, nusquam floridiores, pax nusquam diuturnior atque tranquillior.

Pour finir, les arts qui sont au service des arts libéraux, et que les Grecs appellent « mécaniques » 34, ne sont nulle part plus florissants ; la paix n’est, nulle part, plus durable et plus tranquille.

Haec morum suauitas, regendi tranquillitas, perturbationes proprias superandi robur, fortitudini Cecilii Teucri , Sicinii Dentati, Capitolini, Sergii et caeterorum praeponantur. Haec opima spolia dignitate superant puras hastas, phaleras, torques, armilllas, ciuicas laureas, murales myrtheas obsidionalesque coronas. 35

Que cette douceur dans les mœurs, cette tranquillité à gouverner et cette force à dominer ses propres passions soient placées au-dessus du courage de Cecilius Teucer36, de Sicinius Dentatus37, de Capitolinus [Manlius], de Sergius et de tous les autres. Ces dépouilles opimes dépassent en dignité les javelots sans fer, les phalères, les colliers, les bracelets, les lauriers civiques, les couronnes murales de myrte et obsidionales.

Haec triumphis quibuslibet potiora sunt.

Ces qualités sont supérieures à toutes les formes de triomphes.

His, inclyte princeps, fama tua iuuenescet in dies, caelum, terram, aequora transmeabit, locum ac sedem stabilem non habebit.

Forte de ces qualités, illustre seigneur, ta renommée grandira de jour en jour, se répandra jusqu’au ciel, sur la terre et les mers et ne restera pas enfermée dans un séjour et une demeure fixes.

Accipe igitur, qua polles humanitate, Pii clientis tui commentaria in Plautum Latii delicium edita annua cura ac labore et, cum a publicis administrationibus dabitur ocii locus, illa cupidissime lege quae uitae ciuilis, in qua regnare crederis, tibi formulam dictabunt – philosophicis sententiis intermixtis ad bene beateque uiuendum pertinentibus – et sicuti post arma Martiosque sudores ad cytharam commeabat Achilles, perinde tu a curis senatoriis ad lepores modosque Plautinos interiunge ; quae tali principe condigna diuerticula futura sunt.

Reçois donc, avec la bienveillance dont tu es rempli, les commentaires de ton obligé serviteur Pio à Plaute, délice du Latium, édités au prix d’un an de soin et de labeur et, quand les charges publiques administratives t’accorderont le temps du loisir, lis avec un empressement certain les passages qui te conseilleront sur la conduite de la vie civile – sur laquelle tu es supposé régner –, des sentences philosophiques ayant été mêlées à des propos sur le bien vivre et le bonheur – et, de même qu’après les armes de Mars et la sueur, Achille se tournait vers sa cithare, consacre-toi pareillement, loin des soucis sénatoriaux, aux charmes et aux vers plautiniens ; car ce seront là des détours dignes d’un prince tel que toi.

Ita tu eris Achille praestantior si animi pabulum aurium delectationi praeponderat.

Ainsi, tu seras, pour ta part, encore plus remarquable qu’Achille, s’il est vrai que les nourritures de l’âme l’emportent sur les plaisirs de l’oreille.

Vale foeliciter Pioque tuo aura perpetui fauoris aspira.

Porte-toi avec bonheur, et insuffle à jamais ta faveur à ton cher Pio.


1. Après l’assassinat de son père, Annibale Bentivoglio, en 1445, et la tutelle assurée par son oncle, Sante Bentivoglio, jusqu’à la mort de ce dernier en 1463, Giovanni Bentivoglio (1443-1508), déjà reconnu chevalier par l’empereur Frédéric III et promu au rang sénatorial, est élu le 1er novembre 1463 à la charge de gonfalonnier de justice de Bologne. Son mariage avec la veuve de Sante Bentivoglio, Ginevra Sforza, en mai 1464, le confirme comme successeur de Sante en même temps qu’il renforce l’alliance de Bologne avec le duc de Milan, Francesco Sforza. Soutenu par l’oligarchie sénatoriale et investi publiquement du premier rang de citoyen, Giovanni Bentivoglio entreprend aussitôt des réformes politiques qui contribuent, insensiblement, à faire de son pouvoir une seigneurie personnelle, néanmoins plus limitée que celle des Medici ou des Sforza.
2. Pl., Amph. 193.
3. Ov., Ib. 197-198.
4. Nous n’avons pas identifié cet ille.
5. Légendaire roi de Crète, père des nymphes Amalthée et Mélissa ; cela dit, nous n’avons pas compris l’allusion.
6. Gell., Noct. 19.7.14. Trisaeclisenex, is est précisément le surnom de Nestor.
7. Boet., Arist. Cat. 2.1. Pio se réfère à l’Isagoge de Porphyre (2.1 : πρῶτον μὲν εἶδος ἄξιον τυραννίδος, qui citait lui-même Euripide, cf. Eur., Aeolus, fr. 8.2 Van Looy-Jouan / fr. 15.2 Kannicht : « Puissé-je voir naître d’eux des enfants, des fils de mes fils. Qu’en premier lieu ils soient par leur prestance dignes de la royauté »), tout en citant, vraisemblablement par l’intermédiaire de Guillaume d’Occam, la traduction latine qu’en donne Boèce (Priami quidem species digna imperio). La leçon Priami (au lieu de Primum, pour πρῶτον) circula, de fait, durant tout le Moyen Âge, comme en témoignent les commentaires de Guillaume d’Occam, où l’on retrouve la formule de Pio (Expositio in librum Porphyrii de praedicabilibus, 2.1) : Dicit ergo in prima parte quod species dicitur uniuscuiusque forma rei, sicut dicimus quod species Priami digna est imperio - hoc est, Priamus propter suam speciem, scilicet propter uirtutem animi uel propter pulchritudinem uel propter aliquam talem uirtutem et formam, est dignus imperio. Voir Porphyre, Isagoge, Texte grec et latin, trad. A. de Libera et A.-Ph. Segonds, p. 4, ainsi que l’Introduction d’A. de Libera, p. CXLII, et la note 36 p. 45.
8. Apul., M. 2.2.9.. La description est démarquée de celle que les Métamorphoses d’Apulée proposent du narrateur.
9. Apul., Apol. 4. Pio reprend ici la traduction proposée par Apulée ( munera deum gloriosissima) des mots de l'Iliade.
10. Pacatus, Panégyrique de Théodose 6.3 et 7.1.
11. Nous reprenons, pour partie, la traduction d’Édouard Galletier (Panégyriques latins, t. III (XI-XII), Paris, Les Belles Lettres, 1955, p. 73-74).
12. Fulg., Myth. 3.7. Allusion à Fulgence, cite lui-même Homère.
13. Plin., Nat. 7.88. L’interrogation de Pio semble répondre à Pline l’Ancien : Memoria necessarium maxime uitae bonum cui praecipua fuerit, haut facile dictu est, tam multis eius gloriam adeptis.
14. Plin., Nat. 7.88. Memoria necessarium maxime uitae bonum
15. Nous corrigeons la coquille typographique du texte qui donne Charmidam (confusion entre Charmadas et Charmide).
16. Le texte donne, de façon erronée, sceptium.
17. Plin., Nat. 7.88-89. Éloge de la mémoire et exempla présents chez Pline l’Ancien : Memoria necessarium maxime uitae bonum cui praecipua fuerit, haut facile dictu est, tam multis eius gloriam adeptis. Cyrus rex omnibus in exercitu suo militibus nomina reddidit, L. Scipio populo Romano, Cineas Pyrrhi regis legatus senatui et equestri ordini Romae postero die quam aduenerat. Mithridates, duarum et uiginti gentium rex, totidem linguis iura dixit, pro contione singulas sine interprete adfatus. Charmadas quidem in Graecia quae quis exegerat uolumina in bibliothecis legentis modo repraesentauit. Ars postremo eius rei facta et inuenta est a Simonide melico, consummata a Metrodoro Scepsio, ut nihil non isdem uerbis redderetur auditum.
18. Plin., Nat. 7.87. Le chapitre précède juste l’éloge de la mémoire précédemment cité par Pio : Patientia corporis, ut est crebra sors calamitatum, innumera documenta peperit, clarissimum in feminis Leaenae meretricis, quae torta non indicauit Harmodium et Aristogitonem tyrannicidas, in uiris Anaxarchi, qui, simili de causa cum torqueretur, praerosam dentibus linguam unam que spem indicii in tyranni os expuit.
19. Courtisane qui résista à la torture, au VIe s. avant J.-C., sans dénoncer Harmodios et Aristogiton, les meurtriers du tyran Hipparque.
20. Philosophe originaire d’Abdère, contemporain d’Alexandre, qui périt broyé sous les coups d’un mortier sur l’ordre de Nicocréon, roi de Salamine de Chypre, qui avait également ordonné de lui trancher la langue ; selon la légende, Anaxarque se coupa lui-même la langue avec les dents et la cracha au visage du tyran.
21. Annibale I Bentivoglio est assassiné en 1445, alors que son fils, Giovanni II, n’a que deux ans. C’est son cousin, Sante Bentivoglio, qui assure la tutelle jusqu’à sa mort, en 1463.
22. Quint., I.O. 6.3.110. L’expression est peut-être empruntée à Quintilien à propos d’Asinius Pollion : <ut> de Pollione Asinio seriis iocisque pariter accommodato dictum est, esse eum omnium horarum [...].
23. Sur les formes et les fonctions de cette allégorie à la Renaissance, voir Buttay-Jutier F., Fortuna. Usages politiques d’une allégorie morale à la Renaissance, Paris, Presses Universitaires Paris-Sorbonne, 2008.
24. Suet., Tit. 11.8.2.
25. Après la forma (la « beauté »), la memoria (la « mémoire »), la patientia (la « patience », la « résistance ») et la fortitudo (la « force d’âme »), Pio se concentre sur la iustitia (une autre vertu cardinale, avec la fortitudo, la prudentia et la temperatio).
26. La justice, si on se réfère à Malachias (ab Hieronymo transl.), 4.2 : et orietur uobis timentibus nomen meum sol iustitiae
27. Un des sept sages de la Grèce.
28. Autre vertu cardinale.
29. Il vaut mieux comprendre in hoc aeuo. Cf. Ov., P. 2.5.5-6 : candor, in hoc aeuo res intermortua paene, / exigit.
30. Plin., Nat. 7.9. Pline fait référence à la gloire du grand Pompée : Summa summarum in illa gloria fuit (ut ipse in contione dixit, cum de rebus suis dissereret) Asiam ultimam prouinciarum accepisse eandemque mediam patriae reddidisse.
31. L’édition donne icue, qui n’a aucun sens.
32. Hes., Th. 80. Ἣ γὰρ καὶ βασιλεῦσιν ἅμ’ αἰδοίοισιν ὀπηδεῖ... (« C’est elle [Calliope] en effet qui justement accompagne les rois vénérés. Celui qu’honorent les filles du grand Zeus, celui d’entre les rois nourrissons de Zeus [...] », trad. Paul Mazon). La traduction ici proposée par Battista Pio diffère de celle de Bonino Mombrizio (publiée à Ferrare, en 1474, par André Belfort) : Calliope cunctas superminet unica Musas / Haec claros sequitur reges, quibus extat honori / Caetera Musarum concordi lege caterua (en ligne ). On notera que Pio reprend, à propos de Calliope, la périphrase Ioue nata parente, déjà utilisée par Niccolò della Valle, à propos de la Iustitia, dans sa traduction latine des Travaux et [d]es Jours (trad. en ligne, publiée vers 1471, à Rome, par Conrad Sweynheym et Arnold Pannartz : Illa [Iustitia] quidem uirgo est supero Ioue nata parente).
33. Comprendre minore.
34. Aux sept arts libéraux que sont la grammaire, la dialectique, la rhétorique, l’arithmétique, la musique, la géométrie et l’astronomie) s’opposent les arts mécaniques, qui supposent un savoir-faire manuel et technique (comme, par exemple, la menuiserie ou la poterie).
35. Plin., Nat. 7.101 et 1.03-104. L’énumération des trophées militaires est encore empruntée à Pline l’Ancien, à propos de L. Siccius Dentatus (Pline l’Ancien, 7, 103-104).
36. Admiré par Ennius.
37. Tribun du peuple sous le consulat de Sp. Tarpéius et A. Atérius, peu après l’expulsion des rois.