Présentation du paratexte
En 1500, l’humaniste bolonais Giovanni Battista Pio, élève de Béroalde, publie à Milan une copieuse édition des vingt comédies de Plaute. Cette édition se distingue notamment par ses commentaires abondants, la richesse de son paratexte et par la vive polémique qu’elle a ensuite suscitée, à propos des choix philologiques de Pio. Outre de nombreux poèmes de nature encomiastique, le paratexte de cette édition donne à lire un certain nombre de textes théoriques sur la comédie et son histoire, reproduisant ou traduisant des textes anciens (Priscien, Rufinus, scholies à Aristophane), ou proposant de nouvelles synthèses. Après une réflexion d’ordre philosophique, dans le style souvent obscur lui fut reproché, Pio présente ici le genre comique.
Bibliographie :- Comboni Andrea, « Giovan Battista Pio a Milano 1497-1500 », in Rinascimenti in transito a Milano (1450-1525), Baldassari Gabriele, Barucci Guglielmo, Carapezza Sandra et Comelli Michele (dir.), Milan, Università degli Studi di Milano, 2021, p. 205-206.
- G. Ventura, « Il "Comicus" per i grammatici: Plauto tra filologia e imitazione nella Bologna del primo Cinquecento », dans Le forme del comico, éd. Francesca Castellano, Irene Gambacorti, Ilaria Macera et Giulia Tellini, Florence, Società Editrice Fiorentina, 2019, p. 166-175.
- V. del Nero, « Note sulla vita di Giovan Battista Pio (con alcune lettere inedite) », Rinascimento, 21 (1981), p. 247-263
- Id., « G. B. Pio fra grammatica e filosofia: dai primi scritti al commento lucreziano del 1511 », dans L. Avellini (éd.), Sapere e/è potere. Il caso bolognese a confronto, Actes du colloque de Bologne, avril 1989, vol. 1 : Forme e oggetti della dispute delle arti, Bologne, 1990, p. 243-257.
Ioannis Baptistae Pii Bononiensis commentarius in Plautum et primum lectorem alloquitur.
Commentaire de Jean-Baptiste Pio Bononiensis sur Plaute, et d’abord, adresse au lecteur.
Phisiculanti subinde et per horarum minutias acerrime uestiganti quidnam sit forte fortuna in hac labida et morbili ne dicam morbonia et nosocomio mortalitatis nobile, regium, consumatum et absolutum, subit id sapientis apophthegma et bracteatus adagio : illum esse nimirum hominem qui rerum caducarum et subcisiuarum principatum scaeptrumque retinet.
Tandis que, souvent, je médite et qu’à tout instant, je cherche avec le plus grand soin ce qu’il pourrait y avoir, dans cette vie fragile et mortelle, pour ne pas dire dans ce pays de maladie et de mort, de noble, de royal, de vraiment achevé et parfait, me vient alors à l’esprit ce principe de sagesse et cet adage d’or : celui-là est vraiment homme qui maintient sous son autorité et son sceptre les choses caduques et accessoires.
Est palam uidere atque animaduertere non corpus tabidum ita hominum quemadmodum belluinorum considerandum, ut donem tibi inora inaudita et id genus animantia uiuentia sane uitam alentem non ingeniatam. Si probauerim corpus non attendendum nec hominem exteriorem, uinco interiorem, si igitur est animus omni carceris impuritate depuratus.
On peut voir et comprendre clairement qu’il ne faut pas considérer le corps putride des hommes comme celui des bêtes (prenez donc ces êtres inouïs privés de bouches ou les animaux du même genre vivant une vie si mal dotée par la nature). Si je trouve bon que le corps ni l’apparence extérieure des hommes ne soit l’objet d’attention, je contrôle l’homme intérieur, dans la mesure où son âme a été débarrassée de toutes les impuretés de sa prison.
Manifestarium est rursus et in propatulo hominem omnium quaecumque sunt animantia esse nobilissimum, in quem per caelipotentes stellas diuinus ille animus necessitate cuiusdam legis infunditur cui descensus per orbem solis tribuitur, per orbem enim lunae praeparatur ascensus.
Donc, il est avéré et parfaitement évident que l’homme est le plus noble de tous les animaux. En lui, l’âme divine, à travers les astres souverains du ciel, se répand par une sorte de nécessité ; elle peut descendre par le disque du soleil et voit de fait son ascension préparée par le disque de la lune.
Mens enim illa diuina animusque caelestis per omne mundi corpus in modum
circuli collocatus et nunc intrinsecus nunc extrinsecus positus cuncta regit
atque componit et propria originis generatione conceptus ad procreanda et
conseruanda omnia ignita hac sempiterna agitatione perpetuat.
1
Car cet esprit divin, cette âme céleste, ayant pris place dans le corps entier de l’univers, de manière circulaire, soit à l’intérieur soit à l’extérieur, dirige et compose le tout ; et, par sa seule origine, afin de produire et conserver le tout, il se perpétue grâce à l’activité éternelle de ses feux.
Numer<os>ius caeteri scite et eleganter omnem ingenio multiformem, multimodum, multicipitem2 cogitationum curriculo Protheum illum memoratissimum tropologice et sub quodam uelut iuolucro notari uoluerunt quod se in uarias figuras uersipellis alterat et imutat.
D’autres, en plus grand nombre, ont voulu, avec finesse et pertinence, qu’on gratifie l’esprit, capable, du fait de son génie, de prendre de multiples formes, aspects et visages dans la carrière même de ses pensées, du nom du très fameux et très célèbre Protée, par métaphore et comme par énigme, parce qu’il prend et adopte de multiples figures, changeant de peau à volonté.
Is diuinissimus chameleon et aethriuagus non dubitat oculos alieno imittere caelo.
Ce très divin caméléon, se déplaçant dans l’éther, n’hésite pas à jeter ses yeux ailleurs vers les cieux.
Cum scilicet sit deus in nobis, agitante calescimus illo, spiritus hic sacre semina mentis habet3, hic ueluti Heraclius lapis caelico spiratus afflatu et hisce mortalibus faeculentis altior alterum catennatim et connexim ad diuinum numen insinuat.
Puisque assurément « il est un dieu en nous, par son action il nous échauffe ; ce souffle trouve son origine dans l’esprit divin », celui-ci, comme une pierre d’Héraclée4 est inspirée par un souffle divin et plus élevé que ces mortelles ordures, il fait toucher l’autre corps à la puissance divine, l’enchaînant et l’attachant étroitement à elle.
Illi inserit diuinitatis gaudio gliscens
superni amoris dulce seminarium. Sed Plato in
contrarium obstrigillari uideri potest : qui simium dixit esse hominem si
deo compares
5
Il introduit en lui les douces semences de l’amour céleste, qui se développent sous l’effet de la joie divine. Mais Platon peut sembler d’un avis contraire, lui qui dit que l’homme est un singe si on le compare à Dieu.
Adde quod ex pindarica autoritate scribit difficile immo impossibile reperire hominem ex omni parte tetragonum uerum6 Plato, philosophorum Achilles. Super hisce mortalibus meminit7 qui sunt nulli rei inter homines uelut inter animantia pedes pulicesque.
Ajoutons encore cela : suivant la tradition pindarique, Platon, l’Achille des philosophes, écrit qu’il est difficile, voire impossible de trouver un homme véritable, sur quelque côté du tétragone que l’on soit ; il rappelle, à propos des mortels, qu’il n’y a que poux et puces, qui ne sont rien ni parmi les hommes ni parmi les bêtes.
Denuo si dilogia et horismo uelim cate et cordate ex materiali chaldei uerbis prolata stabilire qui facile canit esse homini deum inuenire quod in homine sit deus, animus scilicet caelestis particula aurae, in hunc mundum ueluti triarius subsidens insurgerem.
Si à nouveau je voulais, cherchant à répéter et à préciser ce qui a été dit, étayer avec finesse et bon sens ce qu’on a tiré des mots des Chaldéens (ceux-ci rappellent volontiers qu’il appartient à l’homme de trouver dieu car il y a un dieu en l’homme, c’est-à-dire une âme, parcelle du souffle céleste), placé en embuscade comme un soldat de troisième ligne, je partirais à l’attaque de ce monde-là.
Extat aristotelica sententia et puta et proba si passibile iungatur agenti ; recte disposito medio necesse est in id agens operari.
Il existe une sentence aristotélicienne : songe et examine si le passif s’allie à l’actif. Par un moyen approprié, il est nécessaire d’agir pour cela en actif.
Animus humanus passibile est respectu dei.
L’âme humaine est passive par rapport à Dieu.8
Igitur deus in id operatur actione sua sibi peculiari qua sit ultra mondanus animus aeuithernus, caelestis et ad beatitatem illam perennem perennigaudam fruendam accinctus mediatoribus litteris, litteratis dulci otio, grato diuersorio, saliari pabulo, amoeno condimento sine quibus uita uitalis esse nequit. Ea9 iuuentutem tenent, senectutem oblectant, pueritiam castigant quae praelibata cuncta uti adipiscamur Plautum, auspicabimur comicum primi nominis ; iam superest uti de comoedia nonnulla dicamus.
C’est pourquoi Dieu pour cela agit par l’action qui lui est propre afin que, grâce à cette action, l’âme mondaine soit aussi éternelle, céleste et apte à jouir de cette béatitude éternelle et pérenne, grâce à la médiation des lettres10, au loisir doux aux lettrés, au refuge agréable, au dansant paturage, à d’agréables assaisonnements, sans lesquels la vie ne peut être supportable. Ces choses qui toutes ont été évoquées afin d’introduire Plaute tiennent les jeunes gens, récréent les vieillards, contiennent les enfants ; nous aborderons le premier des poètes comiques. Il reste encore à parler un peu de la comédie.
De comoedia11.
Sur la comédie.
Comoediam Graeci complexim et adfatim ita deffinierunt :
Les Grecs ont donné de la comédie une définition générale et complète :
Κωμοδια εστιν ἴδιοτικὦν καὶ πολυτὶκων πραγαματων ακυδινος
περιοχὴ
12
« Κωμῳδία ἐστὶν ἰδιωτικῶν καὶ πολιτικῶν πραγμάτων ἀκίνδυνος περιοχὴ13 »
Comoedia dicta απο τον κωμων 14 (κωμαι15 enim
appellantur pagi id est conuenticula rusticorum ; ita iuuentus ut ait
Varro attica circum uicos ire solita
fuit et quaestus sui causa hoc genus carminis pronunciabat) aut certe a
uiculis. Nam postea quam ex agris athenas commigratum est et hi ludi
constituti sunt, sicut Romae compitalitii, ad canendum prodibant et ab
urbana come et oda comoedia dicta est uel απο τον
κωμων16 id est uiculorum quod humilium
domuum fortunae comprehendantur, non ut in tragaedia publicarum regiarumque,
uel απο του κωμωυ17 id est
comessatione quod olim in huiusmodi fabulis amantium iuuenum κωμοι18
canebantur. Comoedia a tragoedia differt quod in tragoedia introducuntur
duces heroes reges. In comoedia humiles atque priuatae personae. In illa
luctus exilia caedes in hac amores uirginum raptus. Deindeque in illa
frequenter et paene semper laetis rebus exitus tristes et liberorum
fortunarumque priorum in poenis19 agnitio.
20
La comédie tire son nom du mot κῶμαι (car c’est ainsi que sont appelés les bourgs c’est-à-dire les regroupements de paysans ; ainsi, comme l’écrit Varron, la jeunesse de l’Attique avait l’habitude d’aller autour des villages et pratiquait ce genre de chant en vue d’un gain), autrement dit, des « petits villages ». En effet, après que, suite au transfert de la campagne vers Athènes, ces jeux ont été institués (comme les « jeux des carrefours » le furent à Rome), on prit l’habitude de chanter en cortège ; et la comédie fut nommée d’après cette pratique urbaine des « κώμῃ et ᾠδῇ » (« cortège et chant ») ou bien alors d’après le mot κῶμαι (c’est-à dire « villages » parce que la comédie évoque le sort des humbles maisons et non pas, comme la tragédie, les affaires publiques et le sort des rois) ou bien encore d’après le mot κῶμος, c’est-à-dire « fête », parce qu’autrefois, dans ce genre de pièces, on célébrait des κῶμοι (cortèges) de jeunes gens amoureux. La comédie diffère de la tragédie en ce que dans la tragédie sont mis en scène héros et rois. Dans la comédie, il s’agit de personnes modestes et de particuliers. Dans la première, ce sont deuils, exils et meurtres ; dans la seconde, il est question d’amours et de rapt de jeunes filles. Enfin, dans la tragédie, souvent ou presque toujours, les situations heureuses connaissent une issue lamentable et s’achèvent par la découverte qu’enfants et bonheurs passés ont sombré dans la peine.
In comaedia turbulento principio subsequitur laetus exitus.21
Dans la comédie, aux turbulences du début succède une fin heureuse.
Poetae primi comici fuerunt Sussarion, Mullus et Magnes.
Les premiers poètes comiques furent Susarion, Mullus et Magnes.
Hi iocularia scite et uenuste canebant.
Ceux-ci chantaient des plaisanteries avec art et agrément.
Secunda aetate fuerunt Aristophanes, Eupolis et Cratinus qui et principium uitia sectati acerbissimas comaedias composuerunt in quibus Eupolis quod pulsauerit, sugillauerit et inuenustauerit Alcibiadem mola22 in mare coniectus est ; et Bapto siue Cotyto eiusce comoedia nulli rei habita.
A la seconde époque, il y eut Aristophane, Eupolis et Cratinus qui composèrent des comédies très virulentes contre les vices des personnages importants. Parmi eux, Eupolis, parce qu’il avait attaqué, insulté et couvert de farine Alcibiade, fut jeté à la mer ; on ne fit pas grand cas de sa comédie des Baptai ou Kotyto23.
Hec archea comoedia uocitata de qua satyram Latini transtulerunt.
Cette forme de comédie fut appelée « ancienne » d’où les Latins tirèrent leur satyre.
Palam est Aristophanem solitum in Nephele Socratem carpere pullicis saltatriculae passus dinumerantem24.
On sait bien qu’Aristophane avait l’habitude dans les Nuées d’étriller Socrate qui évaluait la longueur du saut d’une puce.
Tertia aetas fuit Menandri Philemonisque qui omnem acerbitatem comaediae mitigauerunt ; sic ferme quidam tradunt. Censeo tamen Sussarionis Magnetis et Mulli resopitas et tacito consensu litteratorum oblitteratas comaedias reuocasse quam nouiter a Menandro et Philemone excogitatas.
La troisième époque fut celle de Ménandre et de Philemon qui adoucirent toute la virulence de la comédie ; c’est ce que du moins rapportent certains. Mais je pense quant à moi que Ménandre et Philémon ont ramené à la vie des comédies de Susarion, Magnes et Mullus, endormies et oubliées, selon l’avis unanime des lettrés, plutôt qu’ils ne les ont inventées.
Liuius,
Diomedes, Donatus ceterique notificant primum Andronicum comaediam dedisse Romanis excitumque ex ethruria ludionem
qui uocatur hister unde histrio cognominatus. Sunt qui Epicarmum uelint idest insula Co frequentasse unde comaedia dicta.
Per huius orbitas Plautus incedit, hunc sequitur,
huic inhaeret unde Horatianum illud : Plautus ad exemplum Siculi properare
Epicarmi.
25
Tite Live, Diomède, Donat et les autres notent que le premier à avoir donné une comédie aux Romains fut Andronicus, que les joueurs vinrent d’Etrurie qui sont appelés histri, d’où leurs noms d’ « histrions ». Il en est qui voudraient qu’Epicharme ait vécu sur l’île de Cos d’où la comédie tirerait son nom. Suivant son exemple, Plaute se présente, il le suit, il l’imite d’où ce vers horatien : « Plaute modèle son pas rapide sur celui du Sicilien Épicharme »
De personis.
Sur les masques.
Ludiones galeris non personis utebantur.
Les joueurs portaient des perruques, et non des masques.
Roscius
Gallus, ut Tullius inquit, peruersissimis oculis persona primus
usus est 26. Super his personis nonnulla in haec uerba
Pompeius : PERSONATA. Fabula quaedam nunc inscribitur quam putant quidam primum a
personatis histrionibus. Sed cum post multos annos comoedi personis uti
coepere, uerisimile est eam fabulam propter inopiam comoediorum actam nouam
per atellanos qui proprie uocantur personati quia ius est iis non cogi in
scaenam ponere personam quod caeteris histrionibus necesse est.
27
Roscius Gallus, comme le dit Cicéron, fut le premier à utiliser un masque à cause d’un strabisme très prononcé. Sur ces masques, on trouve chez Pompeius Festus : « PERSONATA. Une pièce porte ce titre aujourd’hui ; certains pensent que c’est la première qui fut interprétée par des acteurs masqués. Mais lorsque de nombreuses années après les comédiens eurent introduit le port du masque, il est très vraisemblable que cette nouvelle pièce fut jouée, à cause du manque de comédiens, par des joueurs d’atellanes qui justement sont appelés « personati » parce qu’on n’a pas le droit de les forcer à ôter leur masque en scène, ce que les autres acteurs ne peuvent refuser de faire. »
Demiror lapsum esse Diomedem in re praesertim manifestaria qui Roscium scribit fuisse non satis decorum cum decorissimus extiterit, filo corporis quadrato, ingenuo, liberali si strabi uitium demas28.
Je m’étonne de ce que Diomède se soit trompé sur un point si bien avéré pourtant : il écrit que Roscius n’était pas assez beau, lui dont le corps était très beau, parfaitement proportionné, gracieux et tout à fait digne d’un homme libre, si l’on omet son strabisme.
Hunc Quintus Catulus efflictim et impatienter amauit in quem extant hi uersus.
Quintus Catulus 29 l’aima ardemment, passionément. Ces vers sont pour lui :
30
" Je m’étais arrêté pour saluer l’Aurore au levant, quand soudain, à ma gauche, Roscius se lève. Permettez-moi de le dire, habitants du ciel, un mortel m’a paru plus beau que la divinité. "31
Principio togatae comaediae dicebantur quae postea in praetextatas et
tabernarias diuidebantur. Togatae fabulae dicuntur quae scriptae sunt
secundum ritus et habitus hominum togatorum a toga sicut Graecas fabulas ab
habitu aeque palliatas Varro ait nominari.
Togatarum prima species quae praetextatae dicuntur in quibus imperatorum
negotia agebantur et publica et reges romani uel duces inducunt personarum
dignitate et personarum sublimitate tragoediis similes. Praetextatae autem
dicuntur quia fere regum uel magistratuum qui praetexta utuntur in huius
modi fabulis acta comprehenduntur. Togatorum secunda species tabernariae
humilitate personarum et argumentorum similitudine comoediis pares quod olim
tabulis tegerentur, communiter tabernariae uocabantur. Tertia species
latinarum quae a ciuitate Oscorum Atella, in qua primum coeptae, atellanae
dictae, argumentis dictisque iocularibus similes satyricis fabulis graecis,
in quibus floruit Pomponius
Bononiensis.
32
Au commencement, les comédies étaient dites « togatae » ; on distingua ensuite les « praetextae » et les « tabernariae ». On appelle pièces « togatae » celles qui été composées selon les rites et les coutumes des hommes en toge, à partir du mot « toga », de même que, dit Varron, les pièces grecques ont été appelées « palliatae » d’après le costume. La première espèce de togatae est dite « praetexta » ; elle traite des affaires de généraux et de celles de l’Etat ; des rois ou des chefs romains y apparaissent ; par la dignité et la grandeur de ses personnages, elle ressemble à la tragédie. On parle de « praetextae » parce que les pièces de ce genre traitent généralement des exploits de rois et de magistrats qui portent la robe prétexte. La seconde espèce de togatae est la « tabernaria » ; par la condition humble de ses personnages et par la proximité des arguments, elle se rapproche de la comédie ; parce que jadis des « tabulae » (planches) les abritaient, on les appelait communément des comédies « tabernariae »33. La troisième espèce de pièces latines est celle que l’on nomme « atellane » du nom de la ville osque d’Atella, où elle est apparue, semblable, par les sujets et les propos amusants, aux drames satyriques des Grecs ; Pomponius Bononiensis y excella.
Quarta species est planipedis ; graece dicitur mimmos. Mimmographi quoque et mimmologi34, a Firmico Materno, horum erant cynedologi, itiphalli, dicelistae, et sexcenti alii.
La quatrième espèce est dite « déchaussée » ; on dit « mime » chez les Grecs. Et aussi « mimographes » et « mimologues », d’après Firmicus Maternus ; ce sont leurs « cynedologues », « ityphalliques », « dicelistes » et mille autres choses encore. 35.
In Sticho
plautina comoedia carmen est si quis Cynedus aut
ionicus ubi lego « cynedologus » quod aptius et cohaerentius. Censet conspiranter et
uniter cum caeteris Diomedes ideo latine planipedes
uocitatos quod actores planis pedibus idest nudis proscenium introirent non ut
tragici actores cum cothurnis neque ut comici cum soccis a quo stat Seneca libro primo epistularum ita scribens : « Quam multa Publi<l>i non excalceatis sed
cothurnatis dicenda sunt »
36
37
Dans le Stichus, comédie de Plaute, il y a le vers « quis cynedus aut ionicus », mais moi je lis « cynedologus » 38 car c’est plus adapté et cohérent. Diomède en accord unanime avec les autres, pense que les acteurs ont été appelés « acteurs déchaussés » parce que les acteurs se présentaient en scène « déchaussés », c’est-à-dire pieds nus, à la différence des acteurs tragiques (qui portaient des cothurnes) ou des acteurs comiques (qui portaient des souliers). Ce dont témoigne Sénèque au premier livre des épîtres en écrivant : « Que de sentences de Publilius39 devraient être prononcées non par des pitres déchaussés mais par des tragédiens en cothurnes ! ». Et Juvenal dit encore à ce propos : « Lui qui écoute volontiers les Fabius déchaussés, qui peut rire des soufflets donnés aux Mamercus. »
Malim a uerbo prisco implanare quod enotat ioculariter scurribiliterque decipere.
Je serais plutôt d’avis que l’expression vient du mot ancien « implanare » qui signifie « tromper par des plaisanteries, des bouffonneries ».
Ciprianus :
« qui quod non est se putat se ipsum implanat »
40
Cyprien : « quelqu’un qui croit être ce qu’il n’est pas se trompe (se implanat) lui-même ».
Plani scurrae et ordinarii priscis
appellati uel eo oratiano uersu « attollere curat fracto crure planum »
41
Bouffons et simples soldats étaient dits « va-nu-pieds » (plani) par les Anciens, ainsi dans ce vers d’Horace : « il se préoccupe d’aider les va-nu-pieds à la jambe cassée ».
Plinius uocante plano regio ubi pro uocatore sed scurrili accipitur.42
Pline écrit « sur convocation d’un bouffon royal (plano regio) » au lieu de « sur convocation d’un émissaire »43, mais la convocation se fit par plaisanterie.
Nec obstat planum prima correpta proferri planipedes producta, hoc enim fieri assolet quod in his planipediis ioci 44, scurrilitates, morologia, insania45 et facetosa canebantur, ideo fabulae planipediae uocatae.
Rien n’interdit de prononcer « planum » avec une première syllabe brève dans le mot « planipedes » 46. Il arrivait souvent en effet que dans ces comédies « déchaussées » on chantât des plaisanteries, des bouffoneries, des extravagances et des bêtises ; c’est pour cette raison que les pièces auraient été appelées « planipedes ».
In dictione planipes, pes fortassis parelcon est seruiens uenustamento orationis. Si huic non adlubescis interpretamento, scito paedes non solum pueros sed et iuuenes graecos appellitare ; quae Seruius diligenter et exquisitim annotauit47 et in sexcentis Graecis epigrammatis paedes pro pentathlis et luctatoribus prolatum est ut scilicet paedes iuuenes histriones fabulam actitantes appellentur.
Dans le mot « planipes », pes est peut-être superflu, servant d’ornement au propos. Et si cette explication ne te séduit pas, sache que l’on appelle « paedes », en grec, non seulement les enfants, mais aussi les jeunes gens ; ce que Servius a noté avec soin, au terme de ses nombreuses recherches. Et dans des centaines d’épigrammes latines, « paedes » est mis pour « athlètes » et « lutteurs », si bien que, naturellement, les jeunes histrions qui jouent des pièces sont appelés « paedes »48.
Fabulae dictae ueluti factibulae.
On dit « fabulae » aussi bien que « factibulae ».
Dramata sunt in fabulis παρα το δραν49, id est agere.50
Le drame vient, dans les pièces, du verbe « δρᾶν » c’est -à-dire, agir.
Dramate uero tres personae tantum agunt.
Dans les drames, trois personnages seulement agissent.
Ideoque Horatius ait :
52
Nec quarta loqui persona laboret
51
Raison pour laquelle Horace dit : « Qu’on ne s’embarrasse pas d’un quatrième personnage », car le quatrième reste toujours muet.
Graecis haec cophos prosopos dicitur, super qua et martialis53.
Celui-ci, chez les Grecs, est appelé « cophos prosopos54 » ; voir aussi Martial à ce propos.
Membra comoediarum tria sunt : diuerbium, canticum, chorus. Diuerbia sunt
partes comaediarum <in> quibus diuersorum personae uersantur. Personae
autem diuerbiorum aut duo aut tres aut raro quattuor esse debent. In
canticis autem una tantum debet esse persona aut si duae fuerint ita debent
esse ut ex occulto una audiat nec loquatur sed secum si opus fuerit uerba
faciat.
55
La comédie est constituée de trois éléments : le dialogue, le chant, le chœur. Les dialogues sont les parties de la comédie dans lesquelles échangent divers personnages. Les personnages du dialogue doivent être deux ou trois, rarement quatre. Dans les parties chantées, il doit y avoir un seul personnage (s’il y en avait deux, il faut que l’un d’eux entende et parle en cachette et ne s’exprime qu’en aparté, si besoin).
Hoc monodium appellant.
C’est ce qu’on appelle une monodie 56.
In choris miscellanea turba inducitur ; pantomimus et choraules antiquitus in comoedia canebant. Siquando monodio agebat unam tibiam inflabat si quando synodio utramque.
Dans les chœurs se présentait un groupe mêlé ; pantomimes et joueurs de flûtes, dans l’Antiquité, s’y faisaient entendre. Quand il s’agissait d’une monodie, on jouait d’une seule flûte, s’il y avait plus d’un chanteur, on jouait des deux57.
Nunc abolitum prorsus.
Maintenant, cela a complètement disparu58.
Addamus et hoc de planipedis quod in
sinceris Pompei codicibus legitur planipedes hi
peculiariter appellabantur reciniati, recinium omne uestimentum quadratum hi qui xii interpraetati sunt esse
dixere uiri ; toga mulieres utebantur praetexta clauo purpureo unde
reciniati mimmi planipedes quam rem diligenter exequitur Sanctra libro secundo
59
Ajoutons encore cela, sur les « déchaussés » : dans les livres authentiques de Pompeius Festus, on lit que ces comédiens « déchaussés » étaient tout particulièrement appelés « reciniati » : « RECINIUM : tout vêtement carré, selon les interprètes de la loi des XII tables. C’est la toge prétexte ornée d’une bande de pourpre que portaient les femmes ; de là vient le mot « reciniati » pour nommer les mimes déchaussés. Santra60 a traité le sujet avec beaucoup de soin dans son second livre » sur L’Antiquité des mots.
Ceterum claudicare latinam comoediam 61 Quintilianus autumat libro duodecimo hoc est esse mensum camoenalem illegitimum.
Du reste, Quintilien affirme que la comédie latine boite au livre XII, c’est-à-dire que le rythme poétique y serait irrégulier.
Homerus
omnis poeticae largissimus fons Iliadem instar tragaediae, Odisseam ad imaginem comaediae fecisse
monstratur.
62
On voit qu’Homère, source la plus abondante de toute poésie, a écrit l’Iliade comme une tragédie, l’Odyssée à l’image de la comédie.
Adde quod paene excidit rhintonicas comaedias Donato dici ab auctore63 quod penitus exsibilandum est praecipue cum planipedia ab humilitate et tapinomate rhyntonicae uocitentur.
Ajoutons – on l’a presque oublié – que des comédies ont été appelées « rhintoniques » par Donat d’après le nom de leur auteur, ce qui doit être absolument récusé puisque, surtout, les « déchaussées » sont dites « rhintoniques » en raison de leur caractère humble et bas.
Rhyntonem [planum] uocari abiectum et sordidatum planum est, in qua significantia Iunius Columella usurpauit non tam doctissimus quam eloquentissimus. Huius uerba sunt haec ex libro nono agricultionis.
Il est clair qu’on appelle rhintonien le bas et le sordide, sens usité par Junius Columelle, homme moins savant qu’éloquent. On trouve ces mots dans le neuvième livre sur l’agriculture :
Itaque Terentius Varro : Nullus est
inquit hoc seculo nebulo ac rhinton qui non iam dicat nihil sua interesse
utrum eius modi piscibus an ranis frequens habeat uiuarium.
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« C’est pourquoi Varron a dit : "Nul vaurien ou Rhinton aujourd’hui ne prétend qu’il n’y a pas de différence entre la possession d’un vivier peuplé de tels poissons et la possession d’un vivier rempli de grenouilles." »
Amplius quod omissum est. Comaedia per quattuor partes diuiditur : prologum, prothesin, epitasin,
catastrophen. Prologus est praefatio quaedam fabulae in quo solo licet
propter argumentum aliquid ad populum uel ex poetae uel ex ipsius fabulae
uel ex actoris commodo loqui. Prothesis primus est actus initiumque
drammatis. Epitasis incrementum processusque turbarum ac totius ut ita
dixerim modus erroris. Catastrophe conuersio rerum est ad iocundos exitus
patefacta cuncta cognitione gestorum.
65
Et voilà encore un oubli : la comédie est constituée de quatre parties. Le prologue, la protase, l’épitase, la catastrophe. Le prologue est une sorte de préface de la pièce. C’est le seul endroit où, outre l’intrigue, on peut présenter à loisir le poète, la pièce elle-même ou l’acteur. La protasis est le premier acte et le début du drame. L’épitasis est le développement et le progrès des embarras, et, pour ainsi dire, le nœud de toute la méprise. La catastrophe est le renversement de la situation conduisant à une heureuse fin, quand on a accès à la parfaite connaissance des événements. 66.
Comaediam esse Cicero ait imitationem
uitae speculum consuetudinis imaginem ueritatis.
67
Cicéron dit que la comédie est une imitation de la vie, le miroir de nos habitudes, l’image du réel.
Prologi species sunt haec : commendatiuus, relatiuus, argumentatiuus, mistus. 68
Il y a différents types de prologues : le prologue de recommandation, le prologue relatif, le prologue argumentatif et le prologue mixte.
Comicis senibus candidus uestitus inducitur quod is antiquissimus fuisse
memoratur, adolescentulis discolor attribuitur. Serui comici amictu exiguo
conteguntur paupertatis antiquae gratia uel quo expeditiores agant. Parasiti
cum intortis palliis ueniunt. Laeto uestitus candidus, aerumnoso obsoletus,
purpureus diuiti, pauperi phoenicatus – sic enim lege apud Donatum pro
palmaris cum phoeniceus deliciosus pauperi haudquaquam conueniat –, militi
chlamys purpurea, puellae habitus peregrinus inducitur. Leno pallio uarii
coloris utitur ; meretricis ob auaritiam luteum datur.
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Les vieillards de comédie portent un costume blanc car c’est, rappelle-t-on, un costume très ancien ; aux jeunes gens on donne un costume d’une couleur qui tranche. Les esclaves de comédie sont vêtus d’un manteau court, en raison de leur antique pauvreté ou pour leur permettre d’agir plus librement. Les parasites viennent sur scène avec des manteaux repliés70. Le personnage favorisé par le sort porte un costume blanc, le fâcheux un costume démodé, le riche un costume pourpre, le pauvre un costume brun-rouge – c’est ce qu’on doit lire en effet chez Donat à la place d’ « écarlate », puisque le rouge éclatant ne peut absolument pas convenir au pauvre –, le soldat porte une chlamyde pourpre, la jeune femme un costume étranger. Le proxénète revêt un manteau bariolé ; à la courtisane, en raison de sa cupidité, on donne un manteau jaune.
Pro aulaeis quibus ornabatur scena siparia aetas posterior
accepit71 ; sic enim
potius apud Donatum lege quam suppara
72
A la place des rideaux dont on ornait la scène, la génération suivante a connu des tentures que l’on repliait ; c’est ce qu’on doit lire en effet chez Donat, plutôt que « suppara ».
Iuuenalis
uocemque locasti sipario
73
Juvénal : « et tu as vendu ta voix au rideau de scène (sipario) ». Allons, nettoyons le texte de Donat et pour faire même d’une pierre deux coups, corrigeons Pompeius Festus. C’est le voile de scène qui protège de la poussière. Quand la pièce changeait d’acte, les acteurs parlaient cachés derrière lui.
Rursus est comaedia motoria est stataria.75
Et encore : il y a la comédie mouvementée et la comédie statique.
Motoria uerbi gratia Amphitryo, stataria Cistellaria.
L’Amphitryon, par exemple, est mouvementée, la Cistellaria est statique.
Haec in comoedia comi, dulci, geniali requiruntur
Dans la douce, calme et réjouissante comédie il faut :
ioca non infra soccum feria non usque ad coturnum ; uti errores, concessi
amores ; leno periurus, amator feruidus, seruulus callidus et amica illudens
et uxor inibens et mater indulgens et patruus obiurgator et sodallis
opitulator et miles praeliator, parasiti edaces, parentes tenaces et
meretrices procaces.
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« des vers plaisants, qui ne descendent pas sous le soulier comique, des vers sérieux qui ne montent pas jusqu’au cothurne tragique ; si l’on aime, c’est par égarement ; mais le proxénète y est parjure, l’amoureux passionné, l’esclave rusé, la maitresses infidèle et l’épouse sévère, la mère indulgente, l’oncle grondeur, l’ami secourable et le soldat batailleur, les parasites gloutons, les pères implacables et les courtisanes impudentes ».
Si ergo ad summum bonum ueluti imago et speculum uitae ducit ipsa comoedia auspicanda est sequenda et assequenda praecipue cum quae bene auspicantur perfecta77 ut autor est columella non seruentur.
Si donc il est vrai que, comme une image et un miroir de la vie, la comédie elle-même conduit au souverain bien, il faut l’aborder, la suivre et ne pas la laisser surtout parce que, ce que l’on aborde, on ne le tient pas <toujours> jusqu’à son terme, comme l’écrit Columelle.