Plauti uita
Ioannes Baptista Pius

Présentation du paratexte

En 1500, l’humaniste bolonais Giovanni Battista Pio, élève de Béroalde, publie à Milan une copieuse édition des vingt comédies de Plaute. Cette édition se distingue notamment par ses commentaires abondants, la richesse de son paratexte et par la vive polémique qu’elle a ensuite suscitée, à propos des choix philologiques de Pio. Après sa synthèse sur le genre comique, Pio rédige sa propre « Vita Plauti ». Il reprend, et amende pour cela la Vita publiée quelques années plus tôt par Merula, dans l’editio princeps.

Traduction : Mathieu FERRAND

Plauti uita

Vie de Plaute

Plautum nitidissimum linguae latinae patrem comperimus stilo tam grato fuisse et Latinissimo ut Varro undecumque eruditissimus ex Epii Stolonis sententia dixerit musas fore ut latina lingua loquerentur si latine loqui uoluissent.1

Nous savons que Plaute, le père très brillant de la langue latine, écrivait d’une manière si gracieuse et dans un tel latin que Varron, le plus érudit des hommes à tous égards, disait, citant Epius Stolon2, que « les Muses parleraient la langue latine3 si elles voulaient parler latin ».

Regnauit in scenali pupito non tam ut Merula Georgius nullo autore blatit quintodecimo post Hannibalem anno, etiam si hoc Eusebius cui non in omnibus inhaereo profligatum anno, quam detonantibus Poenorum bellicis procellis et crudescentibus cuius rei argumento est ipse sic scribens in Poenulo :

Il triompha sur la scène non pas, comme Georges Merule4 le prétend sans citer ses sources, quinze ans après Hannibal –même si Eusebius5, avec lequel je ne suis pas toujours d’accord, rapporte aussi qu’il est mort cette année-là – mais quand les orages de la guerre punique grondaient et faisaient rage, ce dont Plaute lui-même témoigne en écrivant, dans le Poenulus :

« Vincite ut fecistis ante hac et Poeni uicti poenas sufferant ». 6

« Soyez victorieux comme vous l’avez été jusqu’ici et que les Carthaginois vaincus reçoivent leur châtiment ».

Varro cum ceteris posteritati commendauit Plautum, pecunia omni cum puluiculo naufragio amissa posteaquam Romam reuenit ob quaerendum uictum ad circumagendas molas quae trusatiles appellantur operam pistori locasset, in pistrino saturionem et addictum et tertiam quandam fabulam cuius nomen non legitur scribsit.7

Varron, entre autres choses, a transmis à la postérité que, comme Plaute, ayant perdu tout son argent jusqu’au dernier sous dans un naufrage, après qu’il fut revenu à Rome avait loué ses services à un boulanger, pour gagner sa pitance, afin de tourner la meule que l’on dit « à bras », il écrivit au moulin le Saturion et l’Insolvable et une troisième pièce dont on ne connaît pas le nom.

De molis trusatilibus his meminit Calphurnius cum ait « Vilia cum subigit manualibus ordea saxis » 8.

De ces meules à bras, Calphurnius rappelle le souvenir en disant « quand il place de l’orge commune entre deux pierres à mains ».

Epitaphistam iussit iis enicalibus uersibus suum sibi sepulcrum insigniri :

Plaute ordonna que cette épitaphe soit inscrite pour lui sur son tombeau, avec ces vers :

Postquam est morte captus Plautus : Comoedia luget, scaena est deserta, Deinde risus, ludus iocusque et numeri Innumerique simul omnes collacrimauerunt. 9

« Après que Plaute a été emporté par la mort La Comédie pleure, la scène est déserte, Enfin les rires, les jeux, les ébats, les vers La prose, tous, de concert, ont versé des larmes. »

Gellius annotauit Marcum Varronem scripsisse Plautium fuisse quempiam poetam comoediarum cuius quando fabule Plauti inscriptae forent acceptas esse quasi plautinas cum essent non a Plauto plautinae sed a Plautio plautianae 10 uocandae.

Selon Aulu-Gelle, Marcus Varron a écrit qu’a existé un certain Plautius, auteur de comédies. Comme ses pièces étaient notées « Plauti », elles ont été reçues comme « plautiniennes », c’est-à-dire « de Plaute », alors qu’elles devaient être appelées « Plautiennes », c’est-à-dire « de Plautius ».

Cuius indicaturae praetii et honoribus Plautus antiquis extiterit Cecilius ostendit Sedigitus hisce uerbis :

A quel niveau d’estime et d’honneur se sont élevés Plaute, Cécilius11, pour les Anciens, Sedigitus le montre par ces vers-là :

Caecilio palmam statuo de comico Plautus secundus facile exuperat ceteros. 12

« Je donne à Cécilius13 la palme du comique. Plaute, après lui, l’emporte aisément sur tous les autres. »

Amplius cur Plautus appellatus non temere qui tibi explicet inuenies.

En outre, pourquoi il a été appelé Plaute, tu ne trouveras pas sans mal quelqu’un qui puisse te l’expliquer.

Scito igitur scribere romanorum scriptorum opinatissimos plotos appellari qui sunt planis pedibus unde et poeta Actius qui umber Sarsinas erat a pedum planitie initio plotus, postea Plautus est dictus14.

Les plus illustres des auteurs romains, sache-le, écrivent que sont appelés "ploti" ceux qui ont les pieds plats. Ainsi Accius lui-même, le poète ombrien de Sarsina, fut d’abord appelé, à cause de ses pieds plats, Plotus puis Plautus.

Soleas quoque dimidiatas quibus utebantur in uenando quo planius pedem ponerent semiplotia appellabantur.15

De même, les chaussures pliées en deux qu’on utilisait à la chasse pour poser le pied bien à plat étaient appelées semiplotia16.

Ea loquendi forma Plautus dictus qua « plancus » uocatur qui supra modum pedibus planus est sicut planae tabulae plancae ; « scauri » appellantur qui extantes talos habent ; « pansae » uero dicuntur quorum pedes incurui sunt a uerbo pando, recuruo ; « compernes » longis pedibus.

Le plautus est qualifié du vocable dont on nomme les planci, qui ont les pieds très plats, comme la planca17 désigne une planche plate ; scaurus qualifie celui qui a un talon proéminent ; « pansa » celui qui a des pieds incurvés (du verbe pando, « incurver ») ; Compernis celui qui a de longs pieds.

Plinius libro xi Naturalis Historiae : Nam et hinc cognomina inuenta Planci Plauti Scauri Pansae. 18

Pline, au livre XI de L’Histoire Naturelle, écrit « En effet, c’est à partir de là qu’ont été forgés les noms des Planci, des Plauti, des Scauri et des Pansae ».

Eusebius Sarsinatem ex Vmbria fuisse Plautum19 refert de qua Silius et diues Sarsina lactis 20, ad quam ciuitatem Plautus inferius adlusit si non umbra ecquid est aliqua Sarsinatis ? 21

Eusèbe rapporte que Plaute était de Sarsina en Ombrie à propos de laquelle Silius Italicus écrit « Sarsina, riche en lait » ; Plaute fit jadis allusion à cette ville : « s’il n’y a pas d’ombre, est-ce qu’il n’y a pas l’Ombrie sarsinienne ? »

Sunt qui Terentium Plauto praeponant.

Il en est qui préfèrent Térence à Plaute.

Causa refertur a Seruio libro Aeneidos primo : 

La cause en est donnée par Servius, au premier livre de L’Énéide :

« Sciendum tamen est Terentium propter solam proprietatem omnibus comicis esse praepositum quibus est quantum ad cetera spectat inferior ». 22

« Il faut cependant savoir que, pour la propriété des termes, on préfère Térence à tous les comiques, auxquels il est cependant inférieur sur tout le reste ».

In laudem Plautinam Sidonius Quo genio Plautus, quo fulmine Quintilianus…  23 ; idem sed phalecio carmine Graios Plaute sales lepore transis 24

Pour la louange de Plaute, Sidoine Apollinaire évoque « le génie de Plaute, l’impétuosité de Quintilien… »  ; et du même, mais en vers phaléciens, « Plaute, toi qui surpasses, par ta gaîté, l’esprit piquant des Grecs ».


1. Quint., I.O. 10.1.99.
2. Il s’agit en réalité de Lucius Aelius Stilo, philologue et maître de Cicéron et Varron.
3. Lapsus fâcheux pour « plautina ».
4. Allusion à la Vita publiée par Georgius Merula dans la princeps des œuvres de Plaute (Venise, 1472). Voir ce paratexte.
5. Il s’agit d’Eusèbe de Césarée, dont la Chronique fut traduite par Jérôme
6. Pl., Cist. 197-198 et 202.
7. Gell., Noct. 3.3.14.
8. Calp., Ecl. 3.85.
9. Gell., Noct. 1.24.3.
10. Gell., Noct. 3.3.10.
11. La juxtaposition Plautus… Cecilius surprend (ainsi que, dans une moindre mesure, l’accord au singulier). A moins qu’il s’agisse d’un lapsus : « Cecilius… Sedigitus » pour « Volcatius… Sedigitus ».
12. Gell., Noct. 15.24.
13. Sur Cecilius, voir la note de R. Marache dans son édition des Nuits Attiques Paris, Les Belles Lettres, t. III, 1989, p. 227-228.
14. Fest., De uerborum significatione 274.
15. Fest., De uerborum significatione 274.
16. Ibid.
17. Ibid.
18. Plin., Nat. 11.254.
19. Hier., Eus. Chron. 145, .
20. Sil., Pun. 8.462.
21. Pl., Most. 770.. Pio réécrit (de mémoire ?) un vers de la Mostellaria. Le jeu de mots repose sur le double sens du mot « umbra » : « ombre » mais aussi « Ombrienne ».
22. Serv., En. 1.1.410.. Cf. l’édition du commentaire de Servius à l’Énéide, livre I, procurée par A. Baudou et S. Clément-Tarantino, A l’école de Virgile. Commentaire à l’Enéide Livre I, Villeneuve d’Ascq, Presses Universitaires du Septentrion, 2015 (ici, p. 256-257).
23. Sid., Carm. 2.191.
24. Sid., Carm. 23.149.