Pylades Buccardus Salutem Plurimam Alouisio Dardano Veneto.
Pylades Buccardus

Présentation du paratexte

Traduction : Christian NICOLAS

Pylades Buccardus Salutem Plurimam Alouisio Dardano Veneto

Pylades Buccardus1 donne son salut appuyé à Alovisius Dardanus de Venise

Si Georgius Alexandrinus, uir quidem nostra aetate non obscuri nominis quippe qui et Graecae et Latinae eruditionis satis haberet, Chalcographis Plauti Comoedias imprimere uolentibus, quia in illis uel orthographiae nescio quid addidisset uel paucas dictiones, scriptorum ignorantia confusas et inculcatas separasset, laboriosum conatum suum eiusmodi, laboribus herculaneis comparandum censuit, professus tum demum se leonem prodigiosum deuicisse, excetram, ceruam aeripedem, aprum aetolicum, Stymphalicas aues, Antaeumque debellasse, quid de nobis dici iure possit, qui non pauca quaedam, sed innumerabilia ab illo relicta errata uel scriptorum inscitia uel correctorum aut potius peruersorum audacia, sustulimus ?

Si Georgius Alexandrinus2, certes un de nos contemporains de grand renom, doté d’une bonne culture grecque et latine, alors que des éditeurs voulaient imprimer les comédies de Plaute et parce qu’il y avait ajouté je ne sais quels mots ou séparé d’autres que l’ignorance des scribes avaient rendus confus et interpolés, avait jugé ses laborieux efforts comparables aux travaux d’Hercule, estimant qu’il avait justement vaincu le lion monstrueux, l’Hydre, la biche aux pieds d’airain, le sanglier d’Étolie, les oiseaux du Stymphale et Antée, que pourrait-on dire légitimement de nous, qui avons ôté non pas un petit nombre mais une infinité des erreurs qu’il avait laissées, soit par l’incurie des scribes, soit des correcteurs soit plutôt par la folie sans limite de quelques-uns ?

Qui cum duobus Plautinis interpretibus, Ioannebaptista Pio Bononiensi et Bernardo Sarraceno Veneto (pace utriusque dixerim) deluctati, uix tandem eorum ineptias et futiles commentationes excussimus, quibus ad tria errorum milia debacchati, uniuersum fere Plauti ipsius codicem foedis maculis oblitum reddiderant, ut qui ante Georgium aegrotabat, his duobus ueluti insulsissimis medicis ad extremam perniciem deductus et paene conclamatus censeretur ?

Nous qui, luttant contre deux exégètes de Plaute, Gian Battista Pio de Bologne et Bernardo Sarracenus de Venise (soit dit sans les offenser), avons eu bien du mal à expurger leurs sottises et leurs notes futiles, environ trois mille erreurs délirantes dont ils avaient souillé de taches hideuses la quasi-totalité du manuscrit de Plaute, lequel, avant Merula, se portait mal, et, avec ces deux médecins des plus ignares, se trouva mené à un péril extrême et presque laissé pour mort ?

Qui demum uersus poetae ad certam regulam et libram a nullo unquam tentatam redegimus, quandoquidem ea omissa, nihil firmum aut solidum, uel dici, uel intelligi posset id quod interpretes ii uero uerius ostenderunt, ut a nobis suis locis patefiet ?

Nous qui avons justement rétabli les vers du poète à une certaine règle, en les soupesant comme jamais auparavant, opération sans laquelle on ne pourrait rien dire ni comprendre de solide ou de ferme à ce que ces deux exégètes, en toute vérité, ont montré, comme nous le dévoilerons à chaque passage ?

Haec autem non tam profari libuit ut tribuendum nobis plurimum arbitraremur ob hanc industriam, quam ut Georgii ipsius Alexandrini ostentationem paulo erectiorem, atque immodestam, damnaremus.

Or si j’ai eu à cœur d’en faire une préface, ce n’est pas tant dans l’idée de m’octroyer le plus grand mérite de cette entreprise que pour condamner chez Merula lui-même un degré un peu trop élevé de vantardise et d’immodestie.

Cui quidem satis fuerat se pro uirili reipublicae litterariae prodesse et meliorem Plautum reddere uoluisse profiteri.

Il aurait dû se contenter de reconnaître avoir, pour sa part, fait œuvre utile à la république des lettres et à l’amélioration de Plaute.

Atque utinam ne ipse quoque audaciuscule3 in eundem poetam manum iniecisset.

Et il eût mieux valu qu’il ne jetât pas lui-même la main, avec ce soupçon d’inconscience, sur ce même poète.

Nam neque glandionicam suillam 4 , neque spathalia 5 , neque Cantharidum ritu 6 , neque multa alia monstra a nobis explosa iam annos circiter triginta per italiam et ceteras orbis partes furuissent.

Car on n’aurait pas vu glandionicam suillam, ni spathalia, ni Cantharidum ritu, ni tant d’autres monstruosités que nous avons chassées, sévir depuis près de trente ans par toute l’Italie et les autres parties du globe !

Mouit nos amor publicus ut laborem huiusmodi recognoscendi Plautini codicis desumeremus, quum plagis innumerabilibus affectum, peruersum, mutilum, obrutum ac paene exhalantem uidissemus.

C’est l’amour que j’ai des gens qui m’a incité à entreprendre ce travail d’édition du manuscrit de Plaute, alors que tant de blessures l’affectaient, le pervertissaient, le mutilaient, le dissimulaient et le laissaient presque agonisant, à ce que j’avais vu.

Verum, quum nihil propterea egisse, laboresque et uigilias tantum desudasse et abiecisse uideremur si perfectum iam et absolutum corpus, offuciis et luto, sordibusque duorum ignobilissimorum pictorum illini, deturparique sineremus, Pii ineptias uanasque commentationes et damnabilissimas castigationes, immo uerius corruptiones pueriles, praeterea et omni leuitate et falsitate redundantes Sarreceni emendationes et interpretamenta pati non potuimus adolescentum et aliorum studiis litterarum deditorum aures penetrare, ne pestis taeterrima palladium exercitum iam adorta uel uniuersum protinus excideret, uel in Gallicam tabem conuersa male illum omnino totis uitae diebus agitaret.

Mais comme il nous semblait n’avoir rien fait dans ce but et avoir tant sué et veillé pour échouer finalement si nous laissions ce corps parfait et achevé souillé par le replâtrage, la fange et les ordures répandues sur lui par ces deux abominables peintres, nous n’avons pu tolérer que les sottises de Pio, ses vaines notes et ses condamnables corrections ou, plus exactement, ses altérations puériles, en outre aussi les retouches et les exégèses pleines de toute sorte de légèreté et d’erreur qu’a commises Sarracenus, pénètrent les oreilles des jeunes gens et autres amoureux des lettres, de peur que cette peste abominable, qui a déjà touché l’armée des savants, ne vînt à décimer l’univers ou, muée en mal français, ne l’affectât profondément pour tout le reste de sa vie.

Commentarios itaque nostros in eundem poetam aggressi, quibus potuimus uiribus sincerum illum, et emaculatum conseruare apertissimosque ipsius sensus omnibus tradere studuimus.

Aussi, attaquant notre propre commentaire du même Plaute, c’est avec toutes les forces dont nous étions capables que nous avons tâché de le rendre pur et sans tache et d’en transmettre le sens le plus clair possible.

Ingenue tamen hoc testati nos omnia illius sensa penitus adiisse minime profiteri quin superfuisse nonnulla ne nobis quidem satis intellecta, tum uitio temporum, tum uero codicum fragmentis, sed ea quidem pauca admodum.

Mais je témoigne en toute franchise que je n’en ai pas pénétré toute la signification sans qu’il y reste quelques obscurités, même pour moi, soit en raison de la perte due au temps, soit des lacunes des manuscrits, mais qu’elles sont en tout petit nombre.

Satis autem uisum est publicae utilitati, quoad uires nostrae effunderentur, profuisse, utque cognoscenda haec corrigendaque nobis Georgius reliquit, sic nos quoque aliis cetera post nos memoranda relinquimus.

Mais j’ai cru suffisant de rendre service au bien commun jusqu’à épuisement de mes forces et, de même que Merula m’a laissé matière à critiquer et à corriger, de même je laisse à d’autres après nous des détails sur lesquels revenir.

Hanc uero lucubrationem nostram hosque quinquennii assiduos labores, cui potissimum nomini dicaremus, quum diu mente animoque agitauissemus, tibi uni, Alouisi Dardane, nuncupandos censuimus, ut qui literas literatosque uiros summo semper in honore habuisti.

Ce fruit de mes veilles et ce travail acharné de cinq ans, au moment où je cogitais longuement pour savoir à qui je le dédierais nommément, c’est à toi seul, Alovisius Dardanus, que j’ai pensé qu’il fallait le dédicacer, parce que les lettres et les lettrés ont toujours eu toute ton estime.

Ad hoc etiam illud accedit quod tantum me tibi pro tuis in me maximis beneficiis debere scio, ut, quum nullis iam fortunae bonis tibi possim ulla ex parte satisfacere, statuerim industria saltem mea tibi testatum relinquere me, etsi magno locorum interuallo a te seiunctus sum, animo tamen tibi coniunctissimum esse omnique studio ad tuam dignitatem ornandam deferri.

S’ajoute aussi que je connais tant l’ampleur de ma dette à ton endroit, pour tes extrêmes bienfaits à mon égard, que, même si je ne peux d’aucune façon les rembourser en biens de fortune, j’ai décidé au moins de te laisser par mon zèle le témoignage que, bien qu’éloigné de toi par une grande distance, je te suis néanmoins très attaché par l’esprit et que de tout mon cœur je me condamne à célébrer ton mérite.

Vale meque ut semper fecisti ama plurimum.

Adieu et, comme tu as toujours fait, aime-moi beaucoup.


1. Giovanni Francesco Boccardo, dit Pylades, tint école à Salo, après, sans doute, avoir étudié à l'école de San Marco de Venise, lorsque Giorgio Merula en était le directeur. Il est l'un des principaux collaborateurs scientifiques des imprimeurs brescian Angelo et Giovanni Britannico, auxquels il confia ses travaux (notamment une édition latine des Vitae de Plutarque et un Carmen scholasticum à destination de ses étudiants, outre la présente édition de Plaute).
2. Alias Georges Merula, l’éditeur de la princeps de Plaute.
3. L’adverbe, dont le sens se devine, n’est pas attesté, ni non plus l’adjectif diminutif (ironique) dont il dérive.
4. Pl., Men. 210. On édite glandionidam suillam, qu’Ernout traduit « ris de porc ».
5. Pl., Men. 542. Lindsay édite stalagmia
6. Pl., Men. 395. On édite cantherino ritu.