Francisci Asulani in recognitionem M. Accii Plauti Epistola ad Nicolaum Sconbergum Archiepiscopum Campanum
Franciscus Asulanus

Présentation du paratexte

L’héritier d’Alde Manuce, Francesco Asolano, publie, dans cette édition de 1522, le texte de Plaute tel qu’il fut établi par Alde Manuce et Érasme, quatorze années plus tôt. Érasme, en effet, avait été l’hôte de Manuce en 1508 ; pendant ces dix à onze mois passés à Venise, le Rotterdamois travailla sur l’édition de ses Adages ; il relut et corrigea aussi les manuscrits de Térence et Plaute que préparait Manuce.

Cette courte lettre évoque successivement la place qu’occupait le théâtre à Sparte, à Athènes et à Rome, puis les qualités de Plaute, dont le texte est parvenu mutilé. Fort heureusement, Alde Manuce et Erasme l’ont amendé, et l’auteur de la liminaire se charge à présent de publier leur travail. La lettre s’achève sur l’éloge du dédicataire.

Alexandre Vanautgaerden, le premier, a publié et traduit cette lettre dans son Érasme typographe (Droz, 2012, p. 167-168).

Cette liminaire est suivie dans l’édition de 1522, d’un index verborum, des argumenta de chaque pièce puis de la Plauti vita de Crinito.

Bibliographie :
  • Alexandre Vanautgaerden, « Erasme à Venise », dans Auteur, traducteur, collaborateur, imprimeur... qui écrit ?, éd. M. Furno et R. Mouren, Paris, Classiques Garnier, 2013, p. 69-116.
  • Alexandre Vanautgaerden, Érasme typographe. Humanisme et imprimerie au XVIe siècle, Bruxelles-Genève, Académie royale-Droz, 2012.
  • Annaclara Cataldi Palau, Gian Francesco d’Asola e la tipografia aldina. La vita, le edizioni, la biblioteca dell’Asolano, Gênes, Sagep Libri e Communicazione, 1998.
Traduction : Mathieu FERRAND

Francisci Asulani in recognitionem M. Accii Plauti Epistola ad Nicolaum Sconbergum Archiepiscopum Campanum.

Lettre de Franciscus Asulanus 1 sur l’édition corrigée de Plaute, à Nicolaus Sconbergus, Archevêque de Capoue2.

Monimentis literarum proditum est Lycurgum, qui Lacedaemoniis leges admodum salutares sanxit, cauisse ne ciues sui in Theatris spectarent histriones qui Comoedias aut Tragoedias agerent atque sui facti rationem hanc sapientissimus uir afferebat, ne decere populum, quem prae aliis excellere uolebat laude seruandarum legum, assuescere id audire, quod, uel ioco, uel serio, esset contra leges factum.3

La tradition savante rapporte que Lycurgue, qui fit adopter des lois tout à fait salutaires pour les Lacédémoniens, a veillé à ce que ses concitoyens n’allassent pas aux théâtres voir les histrions qui jouaient comédies ou tragédies ; cet homme très sage s’en expliquait ainsi : il ne convenait pas que son peuple, dont il voulait qu’il excellât et s’illustrât, plus que tous les autres, par son respect pour les lois, s’habitue à entendre ce qui, par jeu ou pas, pouvait enfreindre les lois.

Contra Athenienses ex hoc maximam gloriam se adipisci putabant, si utriusque rei et inuentores et amplificatores haberentur.

Les Athéniens, au contraire, pensaient pouvoir tirer du théâtre la plus grande gloire, s’ils passaient pour avoir inventé et développé l’un et l’autre genre.

Itaque Theatra, Orchestram, Scenam magnificentissime extruebant, et magnam insuper pecuniae uim in eiusmodi ludorum apparatum elargiebantur.

C’est pourquoi ils construisaient des théâtres, avec orchestre et scène, tout à fait somptueux, et consacraient des fortunes à l’organisation de ce genre de spectacles.

Atque hos nostri Romani, cum aliis multis in rebus, tum in hac potissimum imitati sunt.

Nos ancêtres les Romains, comme en bien d’autres domaines, les imitèrent tout particulièrement en cela.

Exstimarunt enim hilaritatem animorum maxime quaerendam esse Populo omnium gentium uictori, idque post bella multa confecta et imperium omnium prope gentium in Vrbe constitutum ; morem autem illum Lacedaemoniorum, ut nimis durus, nimisque inhumanum, repudiarunt, quandoquidem suapte natura se ad leges seruandas propensos esse intellegebant.

Ils estimèrent en effet qu’il était de la plus grande importance de donner l’occasion de s’amuser à un peuple qui avait vaincu l’univers entier, et cela après avoir mené tant de guerres et avoir établi à Rome leur empire sur la totalité, ou presque, de l’univers ; ils rejetèrent l’attitude des Spartiates qui leur paraissait trop dure et trop inhumaine ; ils savaient du reste qu’ils étaient portés par nature à respecter les lois.

Summam igitur auctoritatem semper tribuerunt Sarsinati Plauto, cum propter incredibilem elegantiam, et dicendi puritatem, tum propter festiuitatem, et singularem in iocis leporem.

C’est ainsi qu’ils donnèrent à Plaute, de Sarsine, la préséance, en raison non seulement de son exceptionnelle élégance et de la pureté de son expression, mais aussi de son enjouement et de la grâce singulière de son humour.

Et certe illius fabulae non minus cum agerentur delectarunt ciues romanos, quam, cum legerentur, tenuerunt doctissimum quemque.

Et assurément les pièces de Plaute plurent au peuple de Rome, lorsqu’on les jouait, tout autant qu’elles passionnèrent les plus savants, lorsqu’on les lisait.

Vtinam omnes illas haberemus, aut certe quae nunc habentur integrae et suo carminum sensu constantes extarent, recentiores certe illarum enarratores non tam anxie laborarent in quaerenda significatione multorum uerborum et sententia auctoris, cum emendata lectione et proprietatis [et] uerborum et ueri sensus admoneri possent.

Ah, si seulement nous avions conservées chacune d’entre elles ou si celles que nous possédons demeuraient sans lacune et présentaient une métrique cohérente ! Les commentateurs d’aujourd’hui ne s’épuiseraient pas, avec un soin inquiet, à chercher la signification des mots et la pensée de l’auteur ; une lecture correcte leur révèlerait la propriété des mots et leur sens véritable.

Veruntamen quanta diligentia fieri potuit Aldus noster et Erasmus Roterodamus illas olim castigarunt, quorum exemplar nos librariis nostris proponentes has XX describendas curauimus, easque sacratissimo nomini tuo dicatas uoluimus Archiepiscope amplissime ob singularem praedicationem Petri Alcyonii uiri clarissimi de tuis uirtutibus.

Autrefois, pourtant, notre cher Alde et Érasme de Rotterdam les ont corrigées, avec toute la diligence possible 4. Pour proposer ce travail à nos libraires, nous avons fait imprimer les vingt comédies et nous avons voulu qu’elles fussent dédiées à ton très vénérable nom, illustrissime Archevêque, en raison du singulier éloge que fit de tes vertus le très renommé Petrus Alcyonius 5.

Is enim eum te esse affirmabat qui solus, aut cum paucis, quam recte castigatae esse, iudicare posses propter summam literarum graecarum, et latinarum peritiam, et totius antiquitatis cognitionem.

Celui-ci en effet affirmait que tu étais presque le seul à pouvoir apprécier la qualité des corrections, tant sont grandes tes compétences en lettres grecques et latines et ta connaissance de l’Antiquité tout entière.

Itaque non solum in editione huius praestantissimi Poetae nomen tuum celebrari uidebis, sed etiam in multis aliis auctoribus Graecis et Latinis, qui propediem a nobis excusi emittentur, quoniam illorum dignitatem uel ob singularem tuam doctrinam tueri, uel ob summam auctoritatem amplificare poteris.

C’est pourquoi tu verras célébrer ton nom non seulement dans l’édition de ce poète majeur, mais aussi dans celles de nombreux autres auteurs grecs et latins, que nous ferons imprimer sous peu ; tu pourras de fait garantir leur prestige par ta science exceptionnelle ou bien l’augmenter par ton immense autorité.

Vale.

Porte-toi bien.


1. Gian Francesco Torresani d’Asola, fils de l’imprimeur vénitien Andrea Torresani d’Asola et beau-frère d’Alde Manuce, dirigea l’atelier après la mort de ce dernier en 1515 ; c’est à ce titre qu’il publie, en 1522, l’édition des comédies de Plaute établie par Alde et Erasme, lors du séjour de ce dernier à Venise en 1508
2. Nicolaus von Schönberg (1472-1537), prélat allemand, fut évêque de Capoue de 1520 à 1536. En 1535, Paul III le crée cardinal
3. Plut., Apophth. lac. 239b. Si Lycurgue n'est pas explicitement donné comme instigateur de cette loi, il est question de lui avant et après ce passage.
4. Erasme a travaillé 10 mois à Venise, en 1508, dans l’atelier d’Alde Manuce
5. Pietro Alcionio (c. 1487-1527), humaniste vénitien, commença sa carrière comme correcteur dans l’atelier des Alde, avant d’engager une brillante carrière d’helléniste, à Florence d’abord, puis à Rome, dans l’entourage de son protecteur, le pape Clément VII. Il traduisit Aristote, notamment