Présentation du paratexte
- Ekkehard Stärk, « Camerarius’ Plautus », Joachim Camerarius, éd. Rainer Kössling et Günter Wartenberg, Tübingen, 2003, p. 235-248. Prete, Sesto; “Camerarius on Plautus”, in: Frank Baron (Hg.): Joachim Camerarius (1500 – 1574). Beiträge zur Geschichte des Humanismus im Zeitalter der Reformation,éd. F. Banon, München 1978, p. 223 – 230.
- Ritschl, Friedrich: Über die Kritik des Plautus, in: Ders.: Opuscula philologica, Bd. 2, Leipzig 1868, 1 – 165.
- Ritschl, Friedrich: Bio-bibliographisches zu Camerarius’ Plautus-Studien, in: Ders.: Opuscula philologica, Bd. 3, Leipzig 1877, 67 – 119.
- Projet Opera Camerarii : http://kallimachos.de/camerarius/index.php/Plautus,_Comoediae_viginti,_1558
De Carminibus comicis.
Les poèmes comiques
De Plauto fabularum istarum autore pauca dicam, in primis ut constet quo tempore uixerit, hunc incidere in aetatem Catonis : quo et ipso censore mortuum esse, scripsit Cicero, ante se Cos. CLX annis, hoc est ab V.C. circiter D.P. Claudio, L. Portio Coss.1
Sur Plaute, auteur de ces pièces, je dirai peu de choses, et d’abord, pour établir l’époque où il a vécu, qu’il coïncide avec la génération de Caton, puisque c’est sous sa censure qu’il est mort selon Cicéron, 160 années avant son consulat, soit environ en l’an de Rome 500, sous les consulats de P. Claudius et de L. Portius.
Cuius aetatis, in quam Naeuius quoque includitur, participes fuere ultra citraque Ennius, Caecilius, Pacuuius, Terentius.
Dans cette génération, à laquelle il faut aussi inclure Naevius, vécurent, avant ou après lui, Ennius, Caecilius, Pacuvius, Térence.
Pacuuium quidem ac Caecilium male locutos2, Cicero ait.
Pacuvius et Caecilius parlaient mal, aux dires de Cicéron.
Ennium et Naeuium probat.3
Mais il approuve Ennius et Naevius.
Sed nostro studio relictus est Plautus et Terentius tantum.
Mais pour notre étude, ne restent que Plaute et Térence.
De his igitur petenda forma Latinae locutionis et sternendum quasi solum, super quo oratio bona et diserta, uerbis et sententiis apte constructa collocetur.
C’est donc à partir d’eux qu’il faut chercher la beauté de la parlure latine et paver le sol, pourrait-on dire, sur lequel baser le style beau et éloquent, bien bâti sur les mots et les idées.
Non enim compositio neque ueluti aedificatio qualis esse debeat illius, hinc cognosci aut disci potest.
Car ce n’est pas l’architecture du discours ni, disons, sa construction, telles qu’elle devraient être, qu’on peut connaître ou apprendre à partir de ce genre4.
Etiam munditiae et nitori et, ut ita dicam, innocentiae ac integritati sermonis antiquitas officit, cum quia omnium rerum est sua elaboratio et perpolitio, quae perfectio existimanda, tum quod studium elegantiae ut in uita, sic sermone quoque illa non usurpauit.
En outre le raffinement, l’éclat du style et, pourrais-je dire, son innocence et son intégrité sont brouillés par l’ancienneté, d’abord parce que chaque chose a sa propre élaboration et son polissage, qu’il faut penser comme son achèvement, ensuite parce que le soin de l’élégance, dans la vie comme dans la langue, l’ancienneté ne l’a pas pris à son compte.
Quapropter posteriores in sermone priorum nonnulla mutarunt emendantes, formam certe componendo et quasi coagmentando atque reconcinnando reddiderunt et pulchriorem et meliorem.
Aussi les successeurs ont-ils quelque peu modifié le texte de leurs prédécesseurs avec des émendations ; par des recompositions, des augmentations et des réharmonisations, ils ont embelli et amélioré la forme.
Haec iam illa est certa et constans, atque omnium eruditionis atque bonarum artium cupidorum imitationi sola proposita, Ciceronis, et eorum qui aetate illa uixerun, sed Ciceronis, ut principis et auctoris Latinae linguae, de quo alibi disseruimus copiosius, cum contra reprehensores huius studii disputaremus.
Aujourd’hui la langue précise, constante et la seule qu’on donne à imiter à ceux qui veulent se cultiver et s’instruire dans les belles-lettres, c’est celle de Cicéron et de ses contemporains, mais d’un Cicéron comme premier auteur et garant de la langue latine, dont j’ai copieusement parlé ailleurs, quand je débattais contre les détracteurs de l’étude des comiques.
Haec autem qui perspexerit, in Plautinis et Terentianis scriptis ita uersabitur, ut quasi materiam orationis bonae et, si fas nobis est dicere, eloquentiae Latinae ab5 illis sumat, neque in delectu uel uerborum uel figurarum sermonis allucinabitur.
Qui aura cette perspective passera assez de temps dans les œuvres de Plaute et Térence pour tirer d’eux le matériau du beau style et, s’il nous est permis de le dire, de l’éloquence latine, sans pour autant se laisser abuser par le plaisir que donnent les mots ou les figures de discours.
Sed de hoc iamdudum satis.
Mais en voilà assez à ce sujet.
De comico autem carmine etsi alii scripsere, quae et magnifacio et probo, tamen nostro quoque studio existimo adhuc loci aliquid relictum esse, cum res illa quidem eiusmodi sit, ut penitus comprehendi et omnium etiam diligentia quasi enucleari his temporibus nequaquam posse uideatur.
Sur le genre comique, bien sûr, d’autres ont produit des écrits que j’apprécie et approuve ; mais il me semble que dans notre champ il reste encore un peu à dire, dans la mesure où ce sujet est de ceux qui semblent ne pouvoir en aucune manière être compris à fond et épluchés, malgré l’attention de tous les savants d’aujourd’hui.
Quo autem est difficilior labor, eo assiduitatis plusculum in uestigando adhiberi conuenit.
Or plus la tâche est ardue, plus elle nécessite de constance dans l’enquête.
Nihil autem tam est abstrusum, de quo non aliquid, si saepius et studiose exquiratur, erui posse sperandum sit.
Mais rien n’est si abscons qu’on ne puisse espérer, au prix d’une recherche assidue et attentive, en exhumer quelque chose.
Minus autem certe turpe est, in eo a quo quam plurimos magnitudo et obscuritas deterruerit, quantumuis modicos, quam illorum uestigiis insistentem nullos progressus fecisse, si tamen est adeo digna res, ubi quis neruos intendat suos7, ut ait Terentius.
Mais il y a moins de honte, là où la dimension et l’obscurité ont découragé les plus nombreux, à faire des avancées, fussent-elles modestes, plutôt que de ne pas en faire quand on se met dans leurs pas, si toutefois « l’affaire mérite qu’on y tende ses nerfs », comme dit Térence.
Quod quidem ita esse nobis persuasum est, et senserunt omnes qui aliquam famam eruditionis litterarum et doctrinae consecuti fuerunt, cum quidem non solum bestiae demulceantur numeroso sono, sed solitudines etiam atque siluae quasi afficiantur, ita respondent carminibus.
Nous avons la conviction que c’est le cas et tel fut l’avis de tous ceux qui ont essayé d’obtenir quelque considération dans l’enseignement de la culture et des lettres, vu que non seulement les bêtes se laissent adoucir par des sons cadencés mais que les déserts mêmes et les forêts, comme s’ils en étaient touchés, répondent de même aux poèmes.8
Qui musarum reliquias in cura bonarum artium non amplectetur, uel etiam contemnet, eum nos quidem nimis aut fastidiosum aut barbarum quoque esse iudicabimus, etsi fatemur in hac parte superuacaneum, et in quodam inconcesso amore Musarum insanum studium impendi non opertere, ne sequentes, uolucres illas, hoc remigio destituti, ut de Pyreneo fabulae tradunt9, in exitium nos praecipitemus.
Qui ne prendra pas en compte les restes des Muses, quand il s’occupe de belles-lettres, voire les méprisera, nous le jugerons pour notre part particulièrement ennuyeux ou même barbare, même si nous accordons qu’il ne faut pas consacrer à ce domaine un temps superflu ni, à cet amour excessif des Muses, un temps fou, pour éviter, en les poursuivant dans les airs sans avoir d’ailes, de nous précipiter à la mort, comme le racontent ces légendes sur Pyrénée.
Sed ad rem accedamus, pauca quidem quasi praefati de horum scriptorum genere.
Mais allons au but, non sans avoir fait comme une préface sur ce genre littéraire.
Comicus poeta fuit Plautus.
Plaute était un poète comique.
Comoedia autem est poema δραματικὸν, hoc est expositio numerosa, id est, carmine comprehensa, et in actionem implicita, seu collata in personas, argumenti ficti, de rebus, casibus, negotiis sumptis e uita communi et quasi cotidianis euentis.
La comédie, quant à elle est un poème dramatique10, à savoir un développement cadencé, c’est-à-dire enfermé dans des vers, et entrelacé en action ou transféré sur les personnages d’une histoire fictive évoquant des choses, situations, affaires tirées de la vie ordinaire et presque des événements du quotidien.11
Hoc carminis genus de Tragoedia
fluxit, ut Horatius docuit, qui Thespin dicit inuenisse ignotum genus Tragicae Musae :
atque addit,
12
Ce genre de poème découle de la tragédie, comme l’a enseigné Horace, qui dit que Thespis a inventé le genre inconnu de la Muse tragique ; et il ajoute : « La vieille comédie a pris leur suite, avec plein succès ».
Initia autem fuisse admodum parua et rudia, cum hilares, post labores exactos, diebus festis concinerent aliquid, et alii et idem Horatius in epistola ad Augustum perhibet, ubi dicit, ab innoxiis iocis libertatem hanc ad intolerabilem licentiam prouectam fuisse13.
Mais que ses débuts aient été modestes et frustes, lorsqu’ils chantaient gaiement quelque chose, après le travail, pendant des jours fériés, on en a des témoignages et particulièrement celui du même Horace dans l’épître à Auguste, quand il dit que la liberté issue de ces jeux inoffensifs s’est muée en une intolérable licence.
Qui primus autem Comoediam scripserit, non constat.
On ne sait pas qui a le premier écrit une comédie.
In libro qui Aristoteli inscribitur de Poetica,
inter alia et haec leguntur : Siculos sibi uendicare inuentum comoediae, fuisse enim
Epicharmum ante
Chonnidem et Magnetem et uti nominis quoque testimonio.
14
Dans le livre d’Aristote intitulé La Poétique, on lit entre autres choses ceci : « Ce sont les Siciliens qui revendiquent l’invention de la comédie, car Épicharme est antérieur à Chionidès et à Magnès et ils le prouvent par l’étymologie »
Esse enim certe comoediam non ἀπὸ τοῦ κώμου, sed ἀπὸ τῶν κωμῶν, id est, non de hilaritate et exultatione, sed de pagis appellatam. Sed ab Atheniensibus pagos non κώμας, uerum δήμους uocari. Similiter et quosdam Peloponnesiacos ait suum facere inuentum Tragoediam, quod fabulae δράματα dicantur, cum tamen Atheniensibus in usu non sit uerbum δρᾶν, sed πράττειν.15
Car, disent-ils, le nom comoedia ne vient pas de kômos mais de kômai, c’est-à-dire non pas du nom de la gaieté et de la joie, mais de celui des villages. Mais les Athéniens appellent les villages non pas kômos mais dêmos. Aristote dit également que ce sont des Péloponnésiens qui ont inventé la tragédie, parce que les pièces sont appelées dramata alors que les Athéniens n’utilisent pas le verbe drân mais le verbe prattein (‘faire’)..
Ibidem et hoc scriptum est.
Tout ceci est dans La Poétique.
Ab eo demum tempore comoediae auctores celebrari, quo formam illa et speciem quandam nacta fuerit, cum principio obscura esset, et auctores ipsius laterent.
Les auteurs comiques connaissent une célébrité depuis le moment précis où la comédie a trouvé sa forme et son type, alors qu’au début elle était obscure et leurs auteurs étaient inconnus.
Sed comoedia quae priscis temporibus in usu fuit, qua nominatim hi aut improbos aut inimicos suos perstringebant, principum etiam uirorum uitam et mores reprehendentes, haec igitur antiqua dicta est.
Mais la comédie qui était en usage dans les temps anciens, où les poètes s’en prenaient nominativement à des méchants ou à leurs ennemis, allant jusqu’à blâmer la vie et les mœurs des premiers citoyens, s’appelait donc la comédie ancienne.
De cuius licentia κωμωδεῖσθαι uulgo dixere eos, qui probris incesserentur.
De son caractère licencieux, on utilisait communément le verbe kômôdeîsthai pour ceux qui harcelaient d’insultes.
Huius auctor uetustissimus nominatur Sannyrio.
Le plus vieil auteur de ce genre s’appelle Sannyrion16.
Sed excellentes fuere, temporibus
belli Peloponnesiaci, Eupolis atque Cratinus, Aristophanesque
poetae
17
Mais excellèrent à l’époque de la guerre du Péloponnèse les poètes « Eupolis, Cratinos et puis Aristophane ».
Haec postea fuit mutata, cum
dolerent, ut inquit Horatius, cruento dento18
lacessiti
19
Puis on la transforma, vu que, aux dires d’Horace, ceux qu’elle avait blessés de sa dent cruelle se plaignaient.
Tum nomen obtinuit Mediae, quae dissimulato nomine uitia tantum exagitaret.
On nomma alors « Moyenne » cette comédie qui, sans donner de noms, se contentait de blâmer les vices.
20
« Et même on promulgua une loi Avec son châtiment, et qui interdisait De dessiner personne en un méchant poème »21.
Atque ferunt Eupolin in mari submersum, ab iis quos male dictis laesisset.22
Et, à ce qu’on dit, Eupolis fut noyé en mer par ceux qu’il avait blessés de ses insultes.
Tum igitur Tragoediarum fere argumenta detulerunt in scenam, retexta ad ridiculum modum, deque hoc genere chorus paulatim defluxit, in quo prae caeteris clarus fuit Plato comicus.
Alors ils importèrent presque des arguments de tragédies sur scène, rhabillés de façon ridicule ; et le chœur s’effaça progressivement de ce genre où brilla particulièrement Platon le Comique.
Hanc secuta est Noua comoedia, in qua primas tenuit Menander, potiente rerum Alexandro Magno, atque haec chorum omnino non habet, sed ornatu uario et multiplici personarum insignis est.
S’ensuivit la Comédie Nouvelle, où le premier rôle fut tenu par Ménandre, pendant la suprématie d’Alexandre le Grand ; et il n’y a plus du tout de chœur mais elle se recommande par la typologie variée de ses personnages.
Atque haec indicanda breuiter et strictim putaui, de initiis ac progressionibus Comoediae apud Graecos.
Et j’ai pensé qu’il fallait donner ces indications brèves et serrées sur les débuts et le développement de la comédie chez les Grecs.
Apud Latinos autem, Scenicos ludos institutos fuisse C. uel ut alibi, T. Sulpitio Baetico (uel ut alibi, Petico, alibi Potito) C. Licinio Stolone Coss. annotauit Valerius23 ; et paulatim ludicram artem ad satyrarum modos perrexisse, a quibus primus omnium poeta Liuius ad fabularum argumenta spectantium oculos et animos transtulerit.
Pour ce qui est des Latins, des jeux scéniques furent institués sous les consulats de Caius (ou Titus selon d’autres) Baeticus (ou selon d’autres Peticus ou Potitus) et C. Licinius Stolon, selon les remarques de Valère-Maxime ; et petit à petit l’art scénique en arriva au genre de la satura, à partir de laquelle le poète Livius Andronicus, le premier de tous, opéra un transfert vers des intrigues dramatiques qui captèrent les esprits des spectateurs.
Cicero autem scripsit, Liuium primum omnium fabulam dedisse, annis fere CCCCX post Romam conditam.24
Quant à Cicéron, il a écrit que Livius Andronicus est le premier à avoir donné des pièces, aux environs de l’an 410 de Rome.
Fuere autem celebrati primum ludi Romani patrum et equitum, qui et magni ; ludicrum autem equi et pugiles25, ut Liuius memorat, libro primo, qui et ludorum plebeiorum26 mentionem fecit libro XXVIII.
Or on célébra en premier des Jeux Romains, ceux des sénateurs et des chevaliers, dits aussi les Grands Jeux ; il s’agissait de jeux équestres et de boxe, comme le rappelle Tite-Live au livre 1, lequel fait également mention de Jeux plébéiens au livre 28.
Idem Liuius quo tempore et qua de caussa instituti, et ludi scenici dicti sint, copiose eadem quae Valerius, retulit libro VII.27
Le même Tite-Live, sur l’époque et la raison de l’institution des jeux scéniques et leur nom, donne copieusement au livre 7 les mêmes informations que Valère-Maxime.
Quod tempus est urbis circiter CCCXC.
Ce sont les alentours de l’an 390 de Rome.
Idem tamen libro XXXVI scripsit, ob dedicationem aedis Matris Magnae primos ludos scenicos factos,
Valerium Antiatem esse auctorem, Megalesia
appellatos
28
Mais le même Tite-Live a écrit au livre 36 que c’est pour la dédicace du temple de la Grande Mère que furent créés les premiers jeux scéniques, selon l’autorité de Valerius Antias, les jeux appelés Mégalésiens, soit une époque séparée de la première par plus de 165 ans.
Cicero Liuium fabulam docuisse, ut retulimus, scripsit in Bruto et prima Tuscul. Claudio et Tuditano Coss. anno A.V. C. CCCCX.29
Cicéron a écrit dans le Brutus et dans le premier livre des Tusculanes (nous l’avons rappelé) que Livius a donné une pièce « sous le consulat de Claudius et Tuditanus, l’an de Rome 410 »30.
Hoc Gellius retulit in annum DX ideoque fuere31 qui apud Ciceronem numeros mutandos censerent.
Aulu-Gelle l’a fait remonter à l’année 510 et c’est pourquoi certains ont jugé bon de changer la date cicéronienne.
Quod nobis fieri oportere non uidetur, cum ipse Cicero indicet alios haec aliter exposuisse et res sint inexplicabiliter confusae.32
Mais il ne faut pas le faire, à notre avis, puisque Cicéron indique lui-même que chacun y va de son explication et que les faits sont inextricablement brouillés.
Sed postquam componere fabulas argumentosas poetae Latini coeperunt, sequentes et uertentes Graecorum scripta, in hoc genere magna licentia usi fuerunt.
Mais dès que les Latins se furent mis à composer des pièces à intrigues, en suivant et traduisant les œuvres grecques, ils ont dans ce domaine fait montre d’une grande licence.
Cum autem essent Latinorum propria quaedam poemata, ut Atellanorum, uidentur libertatem illam in Graecis et Latinis argumentis poetae Latini, non tam fuga laboris et cupiditate edendi sua, ut Horatius putat, quam necessitate quadam custodiisse ne aures ciuium peregrinitate offenderentur.33
Alors qu’il y avait des genres proprement latins, comme l’atellane, les poètes latins semblent avoir préservé cette liberté dans les intrigues grecques et latines, non tant pour fuir le travail tout en servant leur volonté de produire, comme dit Horace, que pour le besoin précis que les oreilles de leurs concitoyens ne s’offusquent pas devant un produit étranger.
Ita factum puto, ut neque intra trimetros constiterint, neque Graecorum exquisitionem et quasi normam, ad quam numeros illi exegerant hi seruarint.
Il s’est produit, je pense, qu’ils n’ont pas su se contenir dans des trimètres ni n’ont conservé la requête et quasiment la norme grecque à laquelle eux avaient soumis leurs cadences.
Sed nunc deinceps de ratione horum et carminum comicorum structura, quae nostra diligentia obseruauit, quaeque postulare uidetur lectio fabularum Latinarum, breuiter quidem disseremus, ita tamen, ut fortasse nondum ab aliis demonstrata, indicemus.
Mais pour l’heure, sur leur scansion et la structure des poèmes comiques, que nous avons observée avec attention et que la lecture des pièces latines paraît réclamer, nous dirons quelques mots, non sans faire toutefois, peut-être, des remarques inédites.
Metra praecipua sunt nouem : iambicum, trochaicum, dactylicum, anapaesticum, choriambicum, antispasticum, ionicum a Maiore, ionicum a minore, paeonicum.
Les mètres principaux sont au nombre de neuf : iambique, trochaïque, dactylique, anapestique, choriambique, antispastique, ionique majeur, ionique mineur, péonique.
E quorum numero nunc eximemus Iambicum et Trochaicum, deque iis quae uidebuntur, dicemus.
De ce nombre, nous mettrons à part les mètres iambiques et trochaïques et évoquerons ceux qui apparaîtront.
Iambicum metrum a principe pede nomen habet, qui a conuiciis appellatus fuit34, ut placet Aristoteli. cumque sit maxime conueniens sermonibus (nam fortuito etiam loquentes, iambos crebros proferimus)35.
Le mètre iambique tire son nom de son pied principal, lequel tire son étymologie de iambizeïn36 (‘faire des reproches’), comme le veut Aristote, alors qu’il convient excellemment à la conversation (car même en parlant au hasard, nous proférons de nombreux iambes).
37
« Ce pied fut choisi par socques et haut cothurnes, fait pour dialoguer, apte à outrepasser Les rumeurs du public et né pour l’action », comme dit Horace.
Hoc carmen cum purum est et integrum,
omnibus in locis iambos habet, ut apud Catullum :
38
Ce pied, quand il est entièrement pur, a des iambes à tous les pieds, comme dans ces vers de Catulle : Phăsē/lŭs īl/lĕ quēm/ uĭdē/tĭs hōs/pĭtēs/ Ăīt/ fŭīs/sĕ nā/uĭūm/ cĕlēr/rĭmūs/.
Et Horatium, Beatus ille qui procul negotiis
39
Et d’Horace : Bĕā/tŭs īl/lĕ quī/ prŏcūl/ nĕgō/tĭīs/.
Quo autem grauius paulo in tarditate
procederet iambus,
40
Mais pour avancer un peu plus lourdement dans sa lenteur, l’iambe « prit le stable spondée en ses droits légitimes, généreux, complaisant, sans céder pour autant Les places 2 et 4 en trop bon camarade ».
Sed neque Tragici hoc, in primis Latini, seruarunt et comici omnibus in locis collocarunt pedes sine discrimine, quinque : Dactylum, Anapaestum, Tribrachyn, Spondeum. Iambum.
Mais les Tragiques d’une part (surtout les Latins) n’ont pas conservé cette loi et les Comiques d’autre part ont mis à chaque place cinq pieds sans distinction : dactyle, anapeste, tribraque, spondée, iambe.
Syllaba longa breui subiecta uocatur iambus : Deos, cliens, ferox, quae si ambae breues sint, pyrrichius is pes uocatur : lege, here, graue.
Une syllabe longue précédée d’une brève s’appelle iambe : dĕōs, clĭēns, fĕrōx ; mais pour peu qu’elles soient toutes les deux brèves, le pied s’appelle pyrrhique : lĕgĕ, hĕrĕ, grăuĕ.
Spondeus habet duas longas : exlex, concors, amens.
Le spondée a deux longues : ēxlēx, cōncōrs, āmēns.
Tribrachys tribus breuibus constat : domine, canere, misera.
Le tribraque est fait de trois brèves : dŏmĭnĕ, cănĕrĕ, mĭsĕră.
Anapaestus, duabus primis breuibus, postrema longa : silices, rabies, patiens.
L’anapeste est fait de deux brèves initiales et d’une longue finale : sĭlĭcēs, răbĭēs, pătĭēns.
Dactylus, prima longa, sequentibus duabus breuibus : littera, scribere, Musica.
Le dactyle a d’abord une longue, suivie de deux brèves : līttĕră, scībĕrē, Mūsĭcă.
In Latinis Comicis rari iambi sunt, etiam in trimetris, qui sunt senarii.
Chez les Comiques latins, les iambes sont rares, même dans les trimètres (qui sont les sénaires).
In integro tamen iambico, uult esse ultimus pes hic, aut propter ultimae indifferentiam pyrrichius, quasi definiens numeros ac uersum, sicut in dactylico, quintus dactylus.
Toutefois dans un vers iambique régulier, le dernier pied veut être un iambe ou (en raison de la syllabe finale indifférenciée) un pyrrhique, sorte de marque du rythme et du mètre, comme dans l’hexamètre le dactyle cinquième.
Horum loco cum spondeus ponitur, ii
uersus tum σπονδαΐζοντες et σπονδαϊκοί dicuntur. ut, Armatumque auro circumspicit Oriona
41
Apollinarem conueni meum
42
Mais s’il y a à cette place un spondée, ces deux types de vers sont dits spondaïsants ou spondaïques, par exemple : Ārmā/tūmqu<e> aū/rō cīr/cūmspĭcĭt/ Ōrī/ōnă ; Ăpōl/lĭnā/rēm cōn/uēnī/ mĕūm/, scāzōn.
Claudicare enim hi uersus putantur et σκάζοντες nominantur, et χωλιαμβοί.
Car on pense que ces vers boitent et on les appelle scazons (boiteux) ou choliambes (iambes boiteux).
Comici autem, ut dixi, numeros ideo minus distinxerunt, ut similitudo sermonis communis custodiretur.
Quant aux Comiques, comme je l’ai dit, s’ils ont fait peu de distinctions, c’est qu’ils voulaient maintenir une ressemblance avec la conversation quotidienne.
Itaque Cicero in Oratore sic ait.
C’est pourquoi Cicéron dit ceci, dans L’Orateur :
At comicorum senarii propter similitudinem sermonis, sic saepe sunt
abiecti, ut nonnunquam uix in his numerus et uersus intelligi possit
43
« Mais les sénaires des Comiques, par leur ressemblance avec la conversation, sont souvent si banals que parfois il est difficile d’y reconnaître un rythme et une forme versifiée ».
Haec confusio cum est maxima, tum carmina uocantur ἀπεμφαίνοντα, id est immanifesta et ἀνάρμοστα :
Quand la confusion est à son comble, on dit alors que les vers sont apemphaïnonta44, c’est-à-dire invisibles et anarmosta (non harmonisés) ; exemple :
Exclusit, reuocat, redeam ? non si me obsecret
45
« Elle m’a mis dehors, me rappelle, j’irais ? Nenni ! pas même si elle me suppliait ! ».
Qui uersus, si producas paenultimam, erit dactylicus σπονδαΐζων.
Ce vers, pour peu qu’on allonge sa pénultième, fera un dactyle spondaïque46.
Tres unam pereunt adolescentes mulierem/
47
Trēs ū/nām pĕrĕ/ūnt ădŏ/lēscēn/tēs mŭlĭ/ĕrĕm.
Totus dactylicus, praeter ultimum iambum.
Le vers est un dactyle, hormis le dernier pied, iambique.
Hoc genus et ad octonarios perducitur a comicis, qui sunt τετράμετροι a Latinis etiam quadrati uocantur.
Ce type va jusqu’à l’octonaire chez les comiques, qui sont des tétramètres, appelés carrés par les Latins.
Habet apud eosdem et κατάληξιν, ita ut ad Senarium additus amphibrachys, id est syllaba breuis longa, breuis : aut bachius, id est, syllaba breuis longa longa, (ultima enim syllaba omnis uersus est indifferens) hos numeros perficiat.
Chez eux il est catalectique en sorte qu’à un sénaire on ajoute un amphibraque (brève, longue, brève) ou un bacchée (brève, longue, longue : de fait la dernière syllabe de tout vers est indifférenciée) pour terminer ce type de rythme.
Nam si remittant quippiam Philumenam
48
Nām sī/ rĕmīt/tānt quīp/pĭām/ Phĭlū/mĕnām/.
Hic est τρίμετρος.
C’est un trimètre49.
Addantur illae tres syllabae, dolores, et erit iam τετράμετρος καταλήκτικος.
Ajoutons le trisyllabe dŏlōrēs et ce sera alors un tétramètre catalectique50.
Nam in hoc genere alii pedes, quam supra memorati, non nominantur.
Car dans ce type, il n’y a pas d’autres noms de pieds que ceux répertoriés ci-dessus.
Sed neque seruarunt hoc, ut ante κατάληξιν semper esset iambus, neque non pro syllaba longa catalectica saepe duas breues posuerunt.
Mais d’une part ils n’ont pas gardé la règle qu’il y eût toujours un iambe avant l’ajout catalectique et d’autre part, souvent, au lieu de la syllabe longue catalectique ils ont mis deux brèves.
Edepol lenones, meo animo, nouisti, lusce, lepide
51
Edepol lenones, meo animo, nouisti, lusce, lepide52.
Ante κατάληξιν est τρίβραχυς : Tacuisse mauellem, hau male meditate male dicaces
53
Avant la catalexe, il y a un tribraque : Tacuisse mauellem, hau male meditate male dicaces54.
Ante κατάληξιν est spondeus : Bene ego istam eduxi meae domi et pudice. Si huius miseret
55
Avant la catalexe, il y a un spondée : Bene ego istam eduxi meae domi et pudice. Si huius miseret56.
Ante κατάληξιν est dactylus : Nunquam me orares quin darem. Nunc illum te orare melius est
57
Avant la catalexe, il y a un dactyle : Nunquam me orares quin darem. Nunc illum te orare melius est58.
Lius est, in unam syllabam concrescunt.
Lius est est condensé en une seule syllabe.
Hi uersus appellantur Hipponactei, ab auctore et latine septenarii : tum enim, Priscianus ait, Varronem scripsisse, fieri septenarium, cum ad senarium iambicum trisyllabus pes addatur, hoc modo, Quid immerentibus noces ? qui inuides amicis ?59
Ces vers sont dits hipponactéens, du nom de leur inventeur60, et en latin septénaires iambiques ; car Priscien dit que Varron a écrit qu’on trouve un septénaire lorsqu’à un sénaire iambique on ajoute un pied trisyllabique, comme dans cet exemple : Quĭd īm/mĕrēn/tĭbūs/ nŏcēs ?/ quĭd īn/uĭdēs/ ămīcīs ?
Talia sunt Aristophanae in Pluto, quorum primum
hoc, ὦ πολλὰ δὴ τῷ δεσπότῃ ταὐτὸν θύμον φαγόντες
61
Il y en a chez Aristophane, dans Plutus, dont le premier exemplaire est ὦ πολ/λὰ δὴ/ τῷ δεσ/πότῃ /ταὐτὸν/ θύμον/ φαγόντες.
Trochacium carmen est ambicum commutatum.
Le vers trochaïque est l’inverse de l’iambique.
Trocheus a uolubilitate et ratione nomen habet, contrarius pes iambo, constans longa et breui, scribe, Musa, uerba.
Le trochée tire son nom de τροχός62 (‘roue’) par analogie ; opposé de l’iambe, constitué d’une longue et d’une brève comme scrībĕ, Mūsă, uērbă.
Hoc iambum non admittit, quemadmodum neque in iambicum trocheus ingreditur, etsi reperitur etiam in Graecis τροχαϊκὸν τετράμετρον καταλήκτικον, in cuius quarto loco ponitur iambus, ut in Nebulis :
Il n’admet pas l’iambe, pas plus que l’iambe n’admet le trochée, même si l’on trouve en grec un tétramètre trochaïque catalectique au quatrième pied duquel on met un iambe, comme dans Les Nuées :
ὦ θεώμενοι, κατερῶ πρὸς γ’ ὑμᾶς ἐλευθέρως
63
ὦ θε/ώμε/νοι, κα/τερῶ/ πρὸς γ’ ὑ/μᾶς ἐ/λευθέ/ρως.
Idque εὐπολίδειον ἀσύστατον uocarunt.
Et on l’appelle eupolidien irrégulier.
Sed multo maiore licentia Latini usi fuerunt et passim, ut uidetur, inseruerunt iambos.
Mais les Latins ont eu un usage beaucoup plus permissif et ici ou là, à ce qu’il semble, ils ont mis un iambe.
Docent autem ita
fieri hoc carmen, si ad senarium iambicum addamus creticon, qui ἀμφίμακρος, id est, syllaba longa breuis longa : ut
aurifex, hoc modo, - Dii boni, Boni quid porto, sed ubi inueniam Pamphilum ?
64
- Laetus est, Nescio quid. nihil est. nondum haec resciuit
mala
65
Or on dit qu’on obtient ce pied quand à un sénaire iambique on ajoute un crétique, dit aussi amphimacre, à savoir longue brève longue, comme aurifex ; par exemple : Dī bŏnī,/ Bŏnī/ quīd pōr/tō, sĕd ŭ/b<i> īnuĕnĭ/ām Pām/phĭlūm ?/ 67. Et - Laētŭs ēst,/ Nēscĭŏ/ quīd. nĭhĭl/ ēst. nōn/d<um> haēc rēs/cīuīt/ mălā/. On dit que c’est Archiloque qui a composé ces vers et, d’après son nom, on l’appelle vers archiloquien.
Sed hoc non seruarunt comici, praesertim Latini, ut secundam syllabam breuem semper facerent, quod praeceptum de cretico subiicit, cum in hoc uersu ubique reperiatur, dactylus, anapaestus, spondeus, trocheus, τρίβραχυς.
Mais les Comiques (surtout les Latins) n’ont pas gardé la règle de la seconde syllabe toujours brève, qui vaut pour le crétique, vu qu’à cette place on trouve partout un dactyle, un anapeste, un spondée, un trochée ou un tribraque.
Apage, non placet me hoc noctis esse : cenaui modo
68
Apage69, non placet me hoc noctis esse : cenaui modo.
Quid si ego illum tractim tangam ut dormiat ? seruaueris
70
Quid s<i> e71/g<o> illum/ tractim/ tang<am> ut/ dormi/at ? ser/uaue/ris.
Exossatum os esse oportet, quem probe percusseris
72
Exos73/sat<um> os/ ess<e> o/portet/, quem pro/be per/cusse/ris.
Facinus, nequiter ferire malam male discit manus
74
Facinus75/, nequi/ter fe/rire/ malam /male dis/cit ma/nus
Illic homo me interpolabit, meumque os finget denuo
76
Illic ho77/mo m<e> in/terpo/labit,/ meumqu<e> os /finget/ denu/o.
In fine esse ante κατάληξιν debet trocheus, ut carminis ratio appareat, sed reperitur et τρίβραχυς ut,
Il faut à la fin qu’il y ait devant la catalexe un trochée, pour faire voir le type métrique, mais on y trouve aussi un tribraque, par exemple :
Quid id exquiris tu, qui pugnis os exossas hominibus
78
Quid id exquiris tu, qui pugnis os exossas /homini/bus79.
Et Aristophanes : ὦ σοφώτατοι θεαταί, δεῦρο τὸν νοῦν προσέχετε
80
Et Aristophane : ὦ σοφώτατοι θεαταί, δεῦρο τὸν νοῦν /προσέχε/τε.
Saepe autem multumque usi fuere hoc carmine archilochio comici et illo plurimas sermocinationes composuerunt.
Souvent les Comiques ont fait maint usage du vers archiloquien et en ont composé des dialogues nombreux.
De aliis generibus quid dicam, aut quomodo in Latinis comoediis indicem, non habeo.
Sur les autres types, que dire ou comment l’indiquer dans les comédies latines, je ne sais pas.
Etsi Sisenna, referente Rufino, anapaesticum metrum in Aululariae quadam scena esse dixit, sed concisum ita, ut non intelligatur.81
Pourtant Sisenna, mentionné par Rufin, a dit qu’un mètre anapestique se trouvait dans une scène de l’Aulularia, mais cité de façon si concise qu’on ne le comprend pas.
In his igitur nos frustra torquere, praesertim tam foede corruptis exemplis, et in metricae nequaquam exacta cognitione, nihil necesse, uel potius curiositatis hoc fuerit, otio non admodum liberaliter abutentis.
Sur ce point donc, il ne nous sert à rien de nous torturer en vain, surtout avec des exemples si hideusement corrompus et avec une connaissance de la métrique tout sauf exacte, mais c’est pour satisfaire notre curiosité sans trop abuser de notre temps.
Confusa quidem, id est συγκεχυμένα μέτρα, plurima sese offerunt passim tam in Plauto, quam Terentio. in quibus iambus et trocheus et alii pedes ingredientes haec metra, collocantur promiscue.
De nombreux passages confus, c’est-à-dire des passages polymétriques82, s’offrent à foison chez Plaute comme chez Térence, où iambe, trochée et les autres pieds constitutifs cohabitent pêle-mêle.
Quod autem ad καταλήξεις et βραχυκαταλήξεις et ὑπερκαταλήξεις attinet, de eo magis suspicari possumus, quam certi aliquid demonstrare.
Pour ce qui est des catalexes, des brachycatalexes83 et des hypercatalexes84, nous pouvons faire des conjectures plutôt que des démonstrations certaines.
Qui tamen cogitatione non illiberali his de rebus sese occupare uoluerint, ii primum ad exemplum aliquod rationem numerorum in uersibus conferent, et ita informabunt animo qualemcunque notionem horum.
Néanmoins, si l’on réfléchit savamment sur ces questions, on comparera à tel exemple la scansion des pieds dans les vers et ainsi on se formera mentalement un modèle pour reconnaître chaque type.
Ponatur igitur hoc numeros esse aptos quosdam et determinatos et consentaneos sonos uocis humanae.
Posons donc que les pieds sont des sons d’un certain type de la voix humaine, solidaires, précis et harmonieux.
Hi cum in uoce natura insint, in oratione quoque inesse oportet.
Comme ils se trouvent de façon innée dans la voix, il faut qu’ils se trouvent aussi dans le discours.
Sed cum abest cura conpositionis, et ars quaedam ueluti structurae, facile illi et dissipantur et delitescunt.
Mais, faute d’une règle de composition et d’une technique disons structurelle, ces sons se dissipent facilement et se délitent.
Atque hoc est quod Aristoteles poemata, suapte sponte extitisse et fortuito prodiisse ait, ipse αὐτοσχεδιάσματα uocat85.
Et c’est ce qu’Aristote dit des poèmes qui surgissent d’eux-mêmes et sortent au hasard, ce qu’il appelle des autoskhediasmata (discours improvisés).
Haec concinnitas quaedam in omnibus linguis reperitur ad quam aurium obseruatione adhibita, uersus extitit, elaboratus studio et arte ingeniosorum et doctorum hominum et processu temporum ita suo quisque in genere perfectus, ut nihil fieri elegantius neque pulchrius, aut magis sonorum posset.
Cette sorte d’harmonie s’observe dans toutes les langues et, après un examen minutieux du son, en sort un vers, élaboré par le soin et la technique d’hommes ingénieux et savants, perfectionné progressivement chacun dans son type, en sorte qu’on ne peut rien trouver de plus élégant, de plus beau, de plus sonore.
Potestque de nostris uernaculis cantilenis etiam aliquo modo cognosci, ut, etsi forte hoc ineptum uideatur, sed in docere fideliter cupiente nihil ineptum, ut si conferamus haec nostratia ad illa erudita, nonne in his similiter desinentibus quae nostrum uulgus rhythmos appellat, aliquid iambicis senariis simile agnoscitur ?
Et dans nos chansons vernaculaires aussi, d’une certaine façon, on peut en juger de même ; par exemple, même si la chose peut sembler inepte (mais rien n’est inepte dans la volonté d’instruire fidèlement), comme si nous comparions les chansons de chez nous à ces poèmes savants, ne reconnaît-on pas dans les finales de ce que notre langue appelle des ‘rythmes’, quelque chose qui s’apparente aux sénaires iambiques ?
Et in modis chorearum, quasi anapaesticum est et Paeonicum melos.
Et dans les modes dansés, il y a quasiment de l’anapeste et de la mélopée en péons.
Sed et in soluta oratione, diligentia nunc multorum, accurate uerba conponens, ῥύθμους qui sunt numeri, efficit.
Mais même en prose, le zèle général aujourd’hui, en mettant les mots dans un ordre soigné, réalise des rythmes, qui sont des pieds.
Certo autem et plane ostendere omnia, id esse eiusmodi puto ut fieri nequeat, quemadmodum et in aliis quae usu perdita fuerunt, instauratio et restitutio absoluta desperanda est.
Mais la situation en est, je crois, au point qu’il n’est pas possible de tout montrer avec certitude et évidence, de même que, dans les autres domaines dont on a perdu l’usage, toute restauration et réparation parfaites sont sans espoir.
Citius enim mihi aliquis illud Hesiodeum plaustrum lignorum centum86 construxerit, quam scenam hoc tempore explicuerit, omnibus partibus et numeris suis, ut dicitur, absolutam.
Car on m’aurait plus vite construit le chariot d’Hésiode aux cent planches qu’on expliquerait aujourd’hui une scène dans son intégrité, avec toutes ses parties et ses rythmes, comme on dit.
Hoc tamen dubium non est, in linguae cuiusque usu communi, harum rerum rationem consistere, quo labefactato aut amisso, illa quoque uacillet atque confundatur, uel potius non magis appareat, necesse est.
Mais il n’y a aucun doute que, dans l’usage quotidien de chaque langue, l’explication est que, quand l’usage chancelle et se perd, la langue aussi, nécessairement, vacille et devient confuse, ou, mieux, ne se laisse plus appréhender.
Est autem in omni genere carminum uarietas numerorum depositionis, ut uocant : ea est uersus conclusio, talis quaedam.
Or il y a dans chaque type de mètre une variété d’achèvement87, comme on dit : c’est la conclusion du vers, dont voici la typologie.
Versus dicitur ἀκατάληκτος, qui est plenus et integer et pedes suos
habet totos ut, Poeta cum primum animum ad scribendum appulit
88
On parle de vers acatalecte quand il est plein et entier et qu’il a ses pieds complets, par exemple : Poe/ta cum/ prim<um> ani/m<um> ad scri/bend<um> ap/pulit.
Versus est iambicus trimeter, qui et senarius, ἀκατάληκτος.
Le vers est un trimètre (ou sénaire) iambique acatalecte.
Sic est ἀκατάληκτος
Theocriteus hic primus in Fistula : Οὐδενὸς εὐνάτειρα μακροπτολέμοιο δὲ μάτηρ
89
Tout aussi acatalecte chez Théocrite, ce premier vers de La Syrinx : Οὐδενὸς/ εὐνά/τειρα μα/κροπτολέ/μοιο δὲ/ μάτηρ90.
Et postea σκάζων : μαίας ἀντιπέτροιο θοὸν τέκεν ἰθυντῆρα
91
Puis juste après, scazon : Μαίας/ ἀντιπέ/τροιο θο/ὸν τέκεν/ ἰθυν/τῆρα92.
Et mox καταλήκτικος εἰς συλλαβήν : οὐχὶ Κεράσταν ὅν ποτε θρέψατο ταυροπάτωρ
93
Puis juste après, catalectique par manque d’une syllabe : οὐχὶ Κε/ράσταν/ ὅν ποτε/ θρέψατο/ ταυροπά/τωρ 94.
Et πεντάμετρος deinde, uel καταλήκτικος εἰς δύο συλλαβάς : οὔνομ’ Ὅλον, δίζων, ὃς τᾶς μέροπος πόθον
95
Puis un pentamètre ou un hexamètre catalectique sur deux syllabes : οὔνομ’ Ὅ/λον, δί/ζων, ὃς /τᾶς μέρο/πος πόθον/96.
Atque ita usque ad διάμετρα καταλήκτικα εἰς συλλαβήν, καλλιόπᾳ et νηλεύστῳ
97
Et ainsi de suite jusqu’à des dimètres catalectiques sur les syllabes, καλλιόπᾳ et νηλεύστῳ/98.
Nam in hoc genere μονόμετρος ἀκατάληκτος fieret unus pes.
Car dans ce type, il pourrait y avoir un monomètre acatalecte constitué d’un seul pied.
Metimur enim omnia genera carminum pedibus duplicatis, praeter dactylicum.
Car nous comptons tous les types de vers par paires de pieds, sauf le dactylique.
Idque et
Rufinus testimonio Herodoti comprobauit, ueteres factitasse. nam
dactylica oracula reddita fuisse ait τόνῳ ἑξαμέτρῳ
99
Et Rufin a prouvé, sur le témoignage d’Hérodote, que les anciens faisaient ainsi, car il dit que les oracles dactyliques étaient rendus sur le ton de l’hexamètre.
Gygis autem facinoris meminisse
Archilochum in iambico uersu τριμέτρῳ, qui huiusmodi quidam ibi ascribitur, οὔ μοί γε Γύγεω τοῦ πολυχρύσου μέλει
101
Quant au forfait de Gygès, Archiloque l’a mentionné dans un trimètre iambique, que l’on cite sous cette forme : οὔ μοί/ γε Γύ/γεω τοῦ/ πολυ/χρύσου/ μέλει/.
Est ergo et elegiacus dactylicus,
quem, ut scimus, tribus dactylicis pedibus, additi anapaesti duo, absoluunt : ὅττι δὲ μοῖρα παθεῖν, οὔτι δέδοικα παθεῖν
102
Il y a donc aussi le pentamètre élégiaque qui, nous le savons, consiste en trois pieds dactyliques auxquels on ajoute deux anapestes103 : ὅττι δὲ/ μοῖρα πα/θεῖν, οὔ/τι δέδοι/κα παθεῖν/.
Lis est cum forma magna pudicitiae
104
Lis est/ cum for/ma mag/na pudi/citiae/.
Ita penthemimeris utraque coniuncta et ipsa facit spondeum, ut sic pedes quinque dactylici construantur.
Ainsi les deux côtés de la penthémimère sont-ils liés, elle-même sur un spondée, ce qui donne une structure de cinq pieds dactyliques.
Est autem penthemimeris, τομή πενθημιμερής, id est quinaria, cum syllaba in
uerbo superest post pedes duos : Arma uirumque cano
105
Quant à la penthémimère (coupe penthémimère, c’est-à-dire quinaire), elle intervient après un mot qui succède à deux pieds : Arma ui/rumque ca/no.
Hephthemimeris, τομή ἐφθημιμερής, cum fit hoc post tres pedes, Mnesthea Sergestumque uocat
106
L’hephthémimère (coupe hephthémimère) intervient après trois pieds : Mnesthea/ Serges/tumque uo/cat.
Sed in aliis uersuum generibus metra
duplicatis pedibus procedunt, ut in iambico est hoc μονόμετρον ἀκατάληκτον, id est, habet duos pedes
integros, Pessima mane
107
Optume, odio es
108
Mais dans les autres types de pieds, les mètres procèdent par paires, comme dans ce vers iambique, monomètre acatalecte, qui, donc, a deux pieds entiers : Pessima/ mane/. Optum<e>/ odi/o <e>s/.
Δίμετρον hoc, Verebar quorsum euaderet
110
Dimètre : uere/bar quor/s<um> eua/deret/.
Τρίμετρον : Obsequium amicos, ueritas odium parit
111
Trimètre : obsequi/<um> ami/cos ue/ritas /odium/ parit.
Τετράμετρον : hoc : Quid faciam nunc ? si tres uiri me in carcerem compegerint
112
Tétramètre : Quid faci/am nunc ?/ si tres/ uiri/ m<e> in car/cerem/ compe/gerint/.
Atque hactenus producti iambici uersus exempla adduxisse satis fuerit, etsi grammatici πεντάμετρα quoque formam adiiciunt.
Et on se contentera d’allonger jusqu’à 4 les exemples de vers iambiques, même si les grammairiens ajoutent aussi le type du pentamètre iambique113.
Illum autem tetrametrum reperisse Boiscum quendam Cyzicenum, ἐπιγραμμα indicat, tetrametri ἀκαταλήκτου et καταληκτικοῦ, quod legitur in commentario Rufini de metris Terentianis.
Le tétramètre a été inventé par un certain Boïskos de Cyzique, comme l’indique l’épigramme en tétramètre acatalecte et catalectique qu’on lit dans le commentaire de Rufin à la métrique térentienne.
114
Βοΐσ/κος ἁ/πὸ Κυ/ζικοῦ/, παντὸς/ γραφεὺς/ ποιή/ματος, / τὸν ὀκ/τάπουν/ εὑρὼν/ στίχον,/ Φοίβῳ/ τίθη/σι δῶ/ρον.
Boiscus ille Cyzicenus scriptor omnis carminis Versus pedum octo repperit, Phoeboque dedicauit.
Boïs/cus il/le Cy/zice/nus scrip/tor om/nis car/minis/ Versus/ ped<um> oc/to rep/perit,/ Phoebo/que de/dica/uit (« Boïskos de Cyzique, auteur de chaque type de poème, a découvert le vers octopode et l’a dédié à Phoebus ») 115.
Verum ad καταλήξεις reuertamur.
Mais revenons aux catalexes.
Est igitur καταληκτικός, cum deest quo minus uersus compleatur, syllaba una :
Date, mox ego huc reuertar
116
Un vers est donc catalectique quand il manque pour le rendre complet une seule syllabe : Date, mox/ eg<o> huc/ reuer/tar. Dimètre iambique catalectique.
Sit enim reuertero, nam et hac forma usi uerbo fuerunt, erit iam ἀκατάληκος.
Car admettons que ce soit reuertero ; s’ils utilisent cette forme, le vers sera alors acatalecte.
Si mihi perget quae uult dicere, ea quae non uult audiet
118
Si mihi/ perget/ quae uult/ dicer<e>, e/a quae/ non uult/ audi/et.
Trochaicus Archilochius, id est τετράμετρος καταληκτικός seu quadratus καταληκτικός.
Trochaïque archiloquien, c’est-à-dire tétramètre ou vers carré catalectique.
Sit enim, audientur, erit trochaicus τετράμετρος omnibus numeris absolutus.
Car mettons audientur, et ce sera un tétramètre trochaïque complet dans tous se pieds.
Hypercatalecticus uersus est, in quo syllaba una abundat, huius exemplum de dactylicis adducunt.
Un vers hypercatalecte est un vers qui a une syllabe supplémentaire ; on en donne des exemples dactyliques.
Alloquitur Venus O qui res hominumque Deorumque
119
Iactemur doceas, ignari hominumque locorumque
120
Alloqui/tur Venus/ O qui/ res homi/numque De/orumque/, Iacte/mur doce/as, ig/nar<i> homi/numque lo/corumque.
Verum diligentiores in dactylico genere ὑπερκατάληξιν et βραχυκατάληξιν, nominari oportere negant, sed κατάληξι νεἰς συλλαβήν aut εἰς δύο.
Mais les plus rigoureux affirment que, dans la scansion dactylique, il ne faut pas parler d’hypercatalexe ni de brachycatalexe, mais de catalexe sur une ou sur deux syllabes.
Ex Plauto
Priscianus
δίμετρον iambicum ὑπερκαταληκτικὸν esse hunc uoluit, Hospitio publicitus accipiar
121
Chez Plaute, Priscien a voulu faire de Hospiti/o pu/blicitus/ accipi/ar un dimètre iambique hypercatalecte, ce dont nous doutons, nous l’avons dit, et nous ne retenons pas cette distinction.
Βραχυκαταληκτικὸν dicitur, cum toto pede deficitur uersus integritas.
On parle de vers brachycatalectique quand son intégrité est mise en défaut d’un pied entier.
Vt si μονόμετρον sit, Eheu mihi, βραχυκαταληκτικὸν erit, Eheu.
Par exemple si l’on part d’un monomètre Eheu mihi, Eheu sera brachycatalectique123.
Priscianus
δίμετρον hunc retulit, Ita peregre adueniens
124
Priscien a rapporté ce dimètre : ita pe/regr<e>ad/ueniens/, sur lequel voir supra126.
Et iam fassi sumus, haec neque obseruari, neque exquiri potuisse a nobis et haud scio an a nullo possint omnium qui nunc uiuunt, in tam tenui scientia Musices antiquae, et hac deprauatione exemplorum.
Et nous avons déjà admis que ces faits ne peuvent pas être observés ni recherchés par nous, ni peut-être par aucun de nos contemporains, vu notre pauvre connaissance de la musique antique et l’état désespéré des exemples.
Sciendum autem, Comicos latinos, prologos et primas fere scenas, pertexuisse senariis iambicis, qui sunt τρίμετροι ἀκατάληκτοι.
Il faut aussi savoir que les Comiques latins ont fait les textes de leurs prologues et de leurs toutes premières scènes en sénaires iambiques, qui sont des trimètres acatalectes.
Plautus tamen et in Amphitruone et alibi, in primis statim scenis numeros mutauit.
Cependant Plaute, dans Amphitryon et ailleurs, surtout dans les premières scènes, a changé les mètres.
A trimetris autem ad longiores peruenerunt, ut τετραμέτρους.
Or à partir des trimètres, ils sont parvenus à des vers plus longs comme les tétramètres127.
Mirabar hoc si sic abiret, et heri semper lenitas
128
Mira/bar hoc/ si sic/ abi/ret, et he/ri sem/per le/nitas/129.
Ne forte imprudens faciam quod nolit, sciens cauebo
130
Ne for/t<e> impru/dens faci/am quod/ nolit,/ sciens/ caue/bo131.
Quid ? credebas dormienti haec tibi confecturos deos
132
Quid ? cre/debas/ dormi/ent<i> haec/ tibi con/fectu/ros de/os ?/133.
Nec non concidisse reperiuntur uersus, ut subiicerent longis breuiores.
Assurément on trouve des vers qui ne coïncident pas et substituent des brèves à des longues.
Nec non confudisse numeros, ut miscerentur trochei et iambi, de quibus iam satis dictum.
Assurément, des pieds se confondent et mélangent trochées et iambes, sur lesquels en voilà assez.
Hoc autem silentio
praetereundum134 non est, in iambico
et trochaico creticum non esse, quamuis de Archilochii Trochaici structura ille praecipiens, Rufinus ut ferunt, hoc scripserit, Creticon Archilochus supra caput addit
iambi
135
Mais il y a un élément à ne pas passer sous silence, c’est que, en versification iambo-trochaïque, il n’y a pas de crétique, même si, sur la structure du trochaïque archiloquien, Rufin a donné ce précepte, selon certains : « Archiloque ajoute un crétique à la tête de l’iambe ».
Nam cretici ratio, qui est, ut diximus, ἀμφίμακρος, temporum quinque, ab hoc genere est alienior.
Car le décompte du crétique, qui est, comme on l’a dit, amphimacre, avec cinq temps136, est incompatible avec ce type.
Itaque quidam inculcantes in iambicos et trochaicos uersus hunc pedem, audiendi, mea quidem sententia non sunt.
C’est pourquoi certains qui inculquent ce pied dans la versification iambo-trochaïque ne doivent pas être pris en compte, à mon avis.
Et si ut uerum fatear, hoc dixisse illi uidentur, in his uersibus reperiri uerba in quibus creticus insit, ut, Edepol, et similia, de quibus postea.
Et, à dire vrai, s’ils semblent avoir dit qu’on trouve dans ces vers des mots dans lesquels niche un crétique, comme Edepol et d’autres, voir ci-dessous.
Non quod in uersu iam sit creticus, sed quod in illis esset uerbis, si totis syllabis plane proferrentur.
Il est faux de dire que le crétique est dans le vers, mais il est dans des mots, si on prononce toutes leurs syllabes.137.
Haec sententia est, ut puto, Scaligeri, uiri eruditi, qui de uersibus Comicis edidit breuem libellum : itaque in eo requisiuimus nonnulla, quae minus explicarentur nobis et uiderentur secundum Platonem, τοῦ πατρὀς δεῖσθαι βοηθοῦ, αὐτἀ οὔτε ἀμύνασθαι οὔτε βοηθῆσαι δυνατὰ αὑτοῖς.138
C’est je crois, l’opinion de Scaliger, homme érudit qui a écrit un bref traité sur la versification comique ; aussi lui avons-nous emprunté quelques éléments pour ne pas avoir à les expliquer trop longuement nous-même et qu’ils semblent, selon le mot de Platon, « avoir besoin d’un père protecteur, incapables qu’ils sont de se défendre et protéger eux-mêmes ».
Ad numeros uersuum comicorum expediendos assumenda sunt ea quae Graeci πάθη nominant λέξεως, quibus et dilatantur et contrahuntur dictiones.
Pour se dépêtrer des pieds des vers comiques, il faut accepter ce que les Grecs appellent « troubles du mot », qui produisent dans les mots des allongements et des contractions.
Idque nimirum tum loquentes communiter fecerunt, ut pluribus aut paucioribus syllabis uerba enuntiarent, quam nos descriptura, aut secundum rationem uersuum nobis notam.
Et par le fait, en parlant communément, ils ont réussi à prononcer les mots avec plus ou moins de syllabes que nous dans l’écriture ou suivant la méthode de scansion connue nous.
De qua re nunc etiam breuiter quaedam memorabimus.
Sur ce sujet, nous ferons un bref rappel.
Dilatantur uerba dissolutione, seu diuisione syllabarum, quae est διαίρεσις.
Les mots sont allongés par la résolution ou la division de syllabes qu’est la diérèse.
Vt iam δισσυλλάβως.
Comme par exemple iam dissyllabique.
Quod et Scaurum Rufinus ait indicasse, qui diceret in Pseudolo, Nunc iam, esse tres syllabas, et Plautum diuisisse Iam in duas.139
C’est ce qu’indique Scaurus, chez Rufin, qui déclare que, dans le Pseudolus, Nunc iam fait trois syllabes et que Plaute a divisé iam en deux syllabes.
Tale est indicatum in eadem fabula, Malai, τρισύλλαβον140.
Même indication dans la même pièce, malai trisyllabique.
Sic et quis, qui, quae et casus
horum diuiserunt : Qui per uirtutem peritat non interit
141
De mêmes quis, qui et leurs autres cas sont divisibles : Qui/ per uir/tutem/ peritat/ non in/terit/142.
Legendum Qui δυοσυλλάβως si est uera scriptura, de quo quaeretur illo in loco.
Il faut lire Qui en deux syllabes, si l’orthographe est authentique, ce qu’on se demandera au passage concerné.
Sed exempla in Plauto iam multa indicauimus.
Mais nous avons déjà donné beaucoup d’exemples plautiniens.
Apud Horatium lib. II. Carm.
Chez Horace, livre 2 des Odes :
Ramis quo obliquo laborant
143
Rāmīs qŭ<o> ōblīquō lăbōrānt144.
Est enim uersus ιambicus dimeter145 ὑπερκαταληκτικός.
Il s’agit en effet d’un dimètre iambique hypercatalectique.
Huc pertinet calim, pro clam146, ut Festus ait.
C’est à quoi tend la forme calim pour clam selon Festus.
Et in diuersis uerbis hiatus uocalium.
Et dans divers mots, il faut un hiatus.
Quod tamen non fecisse Latinos, nisi poetas quosdam, Cicero in Oratore scripsit, qui ut uersum facerent, saepe hiauerint.
Cicéron rappelle dans l’Orateur que Les Latins ne faisaient pas cela, sauf certains poètes qui, pour versifier, pratiquaient les hiatus.
said
149
Qu’Ennius a dit une fois Scipio/ inuic/te et lui-même : Hoc mo/tu radi/antis e/tesiae/ in uada/ ponti.
Sed sunt et apud Maronem huius diuisionis exempla150 : Et longum formose uale, uale, inquit, Iola
151
Mais on trouve des exemples de ces hiatus même chez Virgile152 : Et lon/gum for/mose ua/le, uale,/ inquit, I/ola/.
Insulae Ionio in magno
153
Insulae/ Ioni/<o> in mag/no.
Ter sunt conati imponere Pelio Ossam
154
Ter sunt/ cona/ti im/ponere/ Pelio/ Ossam/155.
Glauco et Panopeae et Inoo Melicertae
156
Glauco/ et Pano/peae et/ Ino/o Meli/certae.
Apud Horatium, lib. I. Carm.
Chez Horace, livre 1 des Odes :
Ossibus et capiti inhumato
157
Ossibus/ et capi/ti inhu/mato/.
Apud Lucretium, lib. V.
Chez Lucrèce, livre 5 :
Passim per caeli uoluunt se inania templa
158
Passim/ per cae/li uol/uunt se i/nania/ templa/.
Et libro secundo, Viuam progeniem qui in oras luminis edant
159
Et au livre 2: Viuam/ progeni/em qui in/ oras/ luminis/ edant/160.
Vbi tamen et διαίρεσις esse potest dictionis Qui, ut et in hoc uersu, At contra quae amara atque aspera cunque uidentur.
On peut d’ailleurs y voir aussi une diérèse de qui161, comme dans ce vers : At con/tra qŭ<ae> a/mar<a> at/qu<e>/ aspera/ cunque ui/dentur.
Et apud Horatium rursum lib. III. Carm.
Et chez Horace encore, au livre 3 des Odes :
Iam uirum expertae male ominatis/ parcite uerbis
162
Iam ui/r<um> exper/tae male/ omi/natis // parcite/ uerbis/.
Et Sermon. lib. I Satyra 9.
Et dans les Satires, livre 1, satire 9 :
Si me amas, inquit, paulum hic ades
163
Si me a/mas, in/quit, pau/l<um> hic ades/.
Item cum retinetur littera m,
ἀνέκθλιπτος, tum collisio usitata fieri non
potest, ut Insignita fere tum milia militum octo
164
De même quand on garde le m en finale sans élision, la collision prévue ne peut pas se faire, par exemple : Insig/nita fe/re tum/ milia/ militum/ octo.
Vt Horatius, Nil opus est te circumagi
165
Comme Horace : Nil opus/ est te/ circuma/gi.
Lucret. lib. III. : Namque papauerum aura potest suspensa, leuisque
166
Lucrèce, livre 3 : Namque pa/pauerum/ aura po/test sus/pensa, le/uisque/.
Et libro I Corporum in plumbo est
167
Et au livre 1 : /Corporum/ in plum/bo <e>st/.
Et rursus, Plus in se corporum esse
168
Et encore : Plus /in se/ corporum/ esse/.
Et mox, Corporum augebit numerum
169
Puis : Corporum/ auge/bit nume/rum.
Et paulo post, Corporum atque loci
170
Un peu plus bas : Corporum/ atque lo/ci/.
Et rursum lib. III.
Et encore au livre 3:
Sed dum abest quod auemus
171
Sed dum a/best quod a/uemus/.
Et libro II. Cetera quae cum ita sunt.
172
Et au livre 2 : Cetera/ quae cum i/ta sunt/.
Et hoc, Nam quod fluuidum est
173
Et ceci : Nam quod/ fluuidum/ est.
Atque etiam uocalium concursum et contractionem interposita litera d, prohibuerunt.
Et même les hiatus et les contractions de voyelles sont empêchées par l’insertion d’un d.
Sicut in redeo, redhibeo, redarguo,
redoleo, reduncus et in diuersis dictionibus, med erga
174
ted hoc noctis
175
Ainsi dans redeo, redhibeo, redarguo, redoleo, reduncus et dans différentes expressions : med erga, ted hoc noctis.
Ita longae illae manent, si natura longae sunt.
Ainsi restent longues les syllabes longues par nature.
De his exempla quaedam Plautina promiscue ponam, pauca illa quidem, sed de quibus similes loci facile explicari posse uideantur.
Je vais proposer des exemples de ce type empruntés à Plaute, mais quelques-uns seulement, susceptibles de servir facilement d’illustration à d’autres passages comparables.
Iam hi ambo et seruus et hera frustra sunt duo
176
Iam hi am/b<o> et ser/uus et he/ra frus/tra sunt/ duo/.
Iam hi am, est iambus, uel soluta dictione Iam, uel retenta litera m.
Iam hi am fait iambe, soit par diérèse de iam, soit par conservation de la finale en m177.
Quot pondo ted esse censes nudum, non edepol scio
178
Quot pon/do ted/ esse/ censes/ nudum/, non ede/pol sci/o.
Ille opere foris faciundo lassus noctu aduenit
179
Ill<e> o/pere fo/ris faci/undo/ lassus/ noctu/ adue/nit.
Quanquam inuita te carebo, animum ego inducam tamen
180
Quanqu<am> in/uita/ te ca/rebo,/ anim<um> e/g<o> indu/cam ta/men.
Te heri me uidisse, qui hac noctu in portum aduecti sumus
181
T<e> heri me/ uidis/se, qŭ<i> hac /noctu/ in por/t<um> aduec/ti su/mus.
Blepharonem ut re diuina facta mecum prandeat
182
Blepharo/nem ut/ re di/uina/ facta /mecum/ prande/at/.
Nimis bella es atque amabilis et si hoc esse meum hodie
183
Nimi’ bel/la <e>s at/qu<e> ama/bilis et/ s<i> hoc es/se meum/ hodi/e.
Qui uersus omnes διαιρέσει explicari poterunt.
Tous ces vers pourront s’expliquer grâce à une diérèse.
Contractio syllabarum crebrior est.
Les contractions syllabiques sont plus fréquentes.
Et apparet, fuisse linguam Latinam magis aptam ad uoces cogendas, quam distrahendas.
Et il appert que le latin est plus apte à condenser les mots qu’à les étirer.
Hoc illud etiam indicat, quod
retulit Cicero lib. II. de
Diuinatione : Cum M. Crassus exercitum Brundusii imponeret, quidam
in portu caricas Cauno aduectas uendens, Cauneas, clamitabat. Dicamus, inquit Cicero, si
placet, monitum ab eo Crassum, caueret ne iret
184
La preuve en est aussi donnée par ce que rapporte Cicéron au livre 2 de La Divination : « alors que Crassus débarquait son armée à Brindes, un marchand sur le port, qui vendant des marchandises de Caunum, criait ‘Cauneas !’ (« figues de Caunum ! »). Disons, écrit Cicéron, si l’on veut, que Crassus recevait l’avertissement de ne pas y aller ».
Sonuisse enim apparet illud, cauneas, contractum hoc, caue ne eas.
Car il apparaît que ce mot cauneas sonne comme une contraction de caue ne eas (‘garde-toi d’y aller’) 185.
Haec indicantur omnibus συναλοιφῆς et ἐπισυναλοιφῆς.
Ce sont là les effets de la synalèphe et de l’épisynalèphe.
Synaloephe, quae et συναίρεσις proprie uocatur, cum duae syllabae in unam ueluti confluunt.
Il y a synalèphe (ou proprement synérèse) quand deux syllabes fusionnent pour ainsi dire en une seule.
Vt Phaethon δισσύλλαβον, pro trisyllabo Phaëthon.
Par exemple Phæthon dissyllabique au lieu du trisyllabe Phaëthon.
Cum te deiectum crudeli fulmine Phaethon
186
Cum te/ deiec/tum cru/deli/ fulmine/ Phæthon/.
Nam a et e in lingua Latina diphthongum faciunt.
Car a + e en latin font diphtongue.
Deinde187, proinde188, δισσυλλάβως, Lucret.
Deinde, proinde dissyllabiques chez Lucrèce.
Tandem coierunt τρισυλλάβως.
Enfin coierunt trisyllabique189.
Nihil, nil ; mihi, mi : mehe, me :
si uis, κατ’ ἔθλιψιν, u, pro consonante, Sis ;
ille et terris
190
Sceptroque innisus eburneo
191
Pendent lychni laquearibus aureis
192
Nihil, nil ; mihi, mi : mehe, me ; si uis, par élision, u valant consonne, Sis ; ille et terris, illet. Scep/troqu<e> in/nisus e/burneo : eburno193. Pen/dent lych/ni laque/aribus/ aureis/, (aureis en deux syllabes).
Libra diei noctisque pares ubi fecerit horas
194
Libra di/ei noc/tisque pa/res ubi/ fecerit/ horas/
Diei, uel die, duabus syllabis.
Que ce soit diei ou die, il vaut deux syllabes.
Tale et rei, συνῃρημένως.
Idem pour rei, avec synérèse195.
Sic Dii, Di sunt ; et iit, it ; periimus, perimus.
De même dii, valant Di ; et iit, it ; periimus, perimus.
Ἐπισυναλοιφὴ autem longius patet, cum qualescunque uocales contrahuntur, deque duabus syllabis una sit, quod saepe nobis mirifice factum uidetur in lingua Graeca et Latina, cum in sua fieri nemo miretur, quia minus considerat.
L’épisynalèphe a des applications plus étendues, quand n’importe quelles voyelles se contractent et que de deux syllabes on en obtient une seule, chose qui suscite notre étonnement en grec et en latin, alors que personne ne s’en étonnerait dans sa propre langue, parce qu’il y prête moins attention.
Secundum autem diuersarum linguarum naturam diuersitas in his est.
Selon la nature des diverses langues, on y voit de la diversité.
Sed exempla ἐπισυναλοιφῆς, ad quam quidem et ἔκθλιψις et συνίζησις referenda, haec sunt, fuit, una syllaba.
Mais les exemples d’épisynalèphe, auxquels il faut rapporter aussi l’élision et la synizèse, sont les suivants : fuit en une seule syllabe196.
Lucret. lib. V.
Lucrèce dans le livre 5 :
Et ambiens multa perussit
197
Et/ ambiens/ multa pe/russit/.
Et, Et equorum duellica proles
198
Et Et e/quorum/ duellica/ proles, où il peut aussi y avoir syllepse de duel.
Et Et sonitu sterilia
199
Et Et soni/tu steri/lia.
Et, Nunc scio quid sit amor
200
Et, Nunc scio/ quid sit a/mor…, il faut lire sco par épisynalèphe, selon Diomède.
Sodes, si audes.
Sodes = si audes.
Sultis, si uultis, κατ’ ἔκθλιψιν.
Sultis = si uultis par élision.
Suam, sam : suum, sum ; suis, sis : eum, im ; eapse, ea ipsa ; sapsa, se ipsa.
Suam, sam : suum, sum ; suis, sis : eum, im ; eapse, ea ipsa ; sapsa, se ipsa.
Postquam lumina sis oculis bonus Ancus reliquit
202
Postquam/ lumina/ sis ocu/lis bonus/ Ancu’ re/liquit/.
Virgines nam sibi quisque domi Romanus habet sas
203
Virgines/ nam sibi/ quisque do/mi Ro/manus ha/bet sas/204.
Quo res sapsa loco sese ostentatque iubetque
205
Quo res/ sapsa lo/co se/s<e> osten/tatque iu/betque/.
Tuus, tus. Tua, ta. Sue, se. Aut συλλήψει μονοσυλλάβως, sicut suauis.
Tuus = tus. Tua = ta. Sue =se. Ou monosyllabiques par syllepse, comme suauis206.
Est et crebra ἔκθλιψις, et postea contractio. ut Amauerunt, decreuerat, commouerit : Amarunt, decrerat, commorit.
Il y a une élision fréquente puis une contraction : Amauerunt, decreuerat, commouerit / Amarunt, decrerat, commorit.
Et apud Lucretium, irritat uirtutem animi
207
Et chez Lucrèce irritat uirtutem animi pour irritauit208.
Pandite, sultis genas et corde relinquite somnum.
209
Sultis = <si> uultis210 : Pandite,/ sulti’ ge/nas et/ corde re/linquite/ somnum/.
Omnino autem quo minus corriperetur
pronuntiatio, non obstitit ueteribus, u pro consonante : ut, Sine inuidia laudem inuenias
211
La présence d’u comme consonne n’a jamais empêché les anciens d’abréger la quantité, par exemple sin<e> in<u>i/dia/ laudem inuenias.
Est enim sin inid τρίβραχυς.
Car ça fait /sin inid/, tribraque.
Audiui, audii.
Audiui = audii.
Eliditur et litera m, Multum ille et terris
212
On élide aussi m : mult<um> il/l<e> et ter/ris.
Hanc collisionem uocant.
C’est ce qu’on appelle une collision213.
Etiam littera b, non obstitit interdum contractioni syllabarum : ut, abi, μονοσυλλάβως prolatum.
La lettre b également n’a parfois pas empêché la contraction de syllabes, par exemple dans abi prononcé monosyllabique214.
Συγκοπὴ est concisio, cum syllaba diminuitur uerbum.
La syncope est un raccourcissement qui ampute d’une syllabe le mot.
Nis, pro nobis215.
Nis pour nobis.
Scilicet, pro scias licet, capsis, pro cape si uis.216
Scilicet pour scias licet, capsis pour cape si uis.
Emem, pro eundem
Emem pour eundem
Cette manus
218
Cette manus pour cedite.
Actae non alio rege puertiae
219
Actae non alio rege puertiae, au lieu de pueritiae.
Euasti ? credo metues, doctusque cauebis
220
Euasti ?221 credo metues, doctusque cauebis.
Vixet, cui uitam Deus et sua dextra dedisset
222
Vixet223, cui uitam Deus et sua dextra dedisset.
Motus quoque surpere debet
224
Motus quoque surpere225 debet.
Quae me surpuerat mihi
226
Quae me surpuerat227 mihi.
Extritio autem proprie unius tantum literae est, ut illa ἔκθλιψις litterae m, et literae u, pro consonante : et caldior, lamnae, pro calidior, laminae.
Il y a proprement écrasement228 d’une lettre, comme dans le cas de l’élision de m ou de de u consonne : ainsi caldior, lamnae pour calidior, laminae.
Istic, priore breui, ab oles, pro ab illis ; antiqui enim litteram non geminabant229, ut inquit Festus. qui et fenstram dixere, quam posteriores τρισυλλάβως fenestram.
Istic, avec la première syllabe brève230, ab oles231, pour ab illis ; car les anciens n’utilisaient pas de géminées, aux dires de Festus, et disaient fenstram232, que leurs successeurs ont prononcé en trois syllabes, fenestram.
Senx, uel snex, pro senex.
Senx ou snex pour senex233.
Edepol, Edpol.
Edepol, Edpol234.
Virgines, Virgnes
235
Virgines scandé Virgnes236.
Semine oriundi
237
Sed magis uniuersum
238
Semine oriundi, sed magis uniuersum, chez Lucrèce, se scandent semne et unuersum239.
Sic et in euenat, extrita i litera
uidetur, ut apud Ennium, referente Nonio,
240
De même, semble-t-il, euenat, avec écrasement du i, par exemple chez Ennius, selon Nonius : Sĕnēx/ s<um> ŭtĭnām/ mōrt<em> ōp/pĕtām/ prĭŭ’qu<am> ē/uĕn<i>āt/ Quod in/ pauperi/a m<e>a/ senex/ grauiter/ gemam/
Quin etiam initiales syllabas quasi absorbentes minus expresserunt.
Mieux encore, ils ont assez peu prononcé les syllabes initiales, comme en les absorbant.
Sed ad extritionem reuertamur.
Mais revenons à l’écrasement.
Delicuit igitur in Latina Lingua
saepe ac multum in pronuntiationes littera s : Samnis Spurcus homo uita illa dignus locoque
241
En latin, donc, on observe souvent et fréquemment la déliquescence du s dans la prononciation : /Samnis/ Spurcus ho/mo ui/t<a> illa/ dignu’ lo/coque/.
Formido quid ago, da Venus consilium
242
Formido/ quid ago,/ da Venu’/ consili/um (…).
Pandite sultis genas
243
Pandite/ sulti’ ge/nas (…).
Puncto temporis reddant
244
(…) /puncto/ tempori’/ reddant/.
Huc referenda illa quae a Cicerone memorantur, multimodis, uasargenteis, palmet crinibus, tectifractis, pro multis modis, uasis argenteis, palmis et crinibus, tectis fractis245.
C’est à ce phénomène qu’il faut rapporter les exemples rappelés chez Cicéron multimodis, uasargenteis, palmet crinibus, tectifractis, pour multis modis, uasis argenteis, palmis et crinibus, tectis fractis.
Et illae συγκοπαί, secundum quas tali, et ala extitit, de taxillis et axilla246.
Et ces syncopes qui aboutissent à tali et ala à partir de taxilli et axilla.
Et meum factum, exitium, pro meorum factorum et exitiorum, quae in quibusdam usitatae admodum fuerunt, Deum, nummum aureum, liberum247.
Et meum factum, exitium, pour meorum factorum et exitiorum, les formes qu’on trouve attestées chez certains, Deum, nummum aureum, liberum248.
Quin etiam duorum uirorum iudicium, aut trium uirorum capitalium, aut decem uirorum litibus iudicandis, ait se Cicero, dicere nunquam ; quomodo ergo ? nimirum συγκεκομμένως, Duum uirum, et trium uirum, et decem uirum249.
Bien plus, les formes de génitif uirorum iudicium, trium uirorum capitalium ou decem uirorum litibus iudicandis, Cicéron avoue ne jamais les utiliser ; comment cela ? C’est qu’il les utilise syncopés : duum uirum, et trium uirum, et decem uirum.
Item siet, sit.
De même siet, sit.
E republica, pro, ex. ; pomeridianas quadrigas, pro postmeridianas250.
E republica, pour ex251 republica ; pomeridianas quadrigas pour postmeridianas.
His addantur ἀποκοπαί.
Ajoutons-y les apocopes.
Viden’, Ain’, satin’, Men’, Mihin’, de quibus abscissum est ne252.
Viden’, Ain’, satin’, Men’, Mihin’, formes desquelles on a retranché ne.
Exin, dein, proin, amputato de ; famul, pro famulus. Lucret. :
Exin, dein, proin, avec amputation de de ; famul pour famulus, chez Lucrèce :
Ossa dedit terrae proinde ac famul infimus esset
253
Ossa de/dit ter/rae proind<e>/ ac famul/ infimus/ esset/.
Volup, Animal, Exemplar, de quibus recisum est e ; illi, pro illic.
Volup, Animal, Exemplar, dont on a coupé le e final ; illi pour illic.
Iam de productione et correptione uocalium multa dici possent.
On pourrait là en dire long sur les allongements et abrègements vocaliques.
Fuit, fieri, extenta priore syllaba.
Fūit, fīeri, avec première syllabe allongée254.
Inclitus, ut ait Cicero, prima breui255.
Inclitus, selon Cicéron, avec première brève.
Secundum haec fiunt mirificae collisiones, elisiones, detritiones et comprehensiones litterarum ac syllabarum, et pronuntiatione uera, quam saepe nos non possumus coniecturis nostris consequi, uersus procedunt, in quibus scriptura non raro, praesertim in dilatando, numeros non seruat.
Selon ces phénomènes se produisent d’étonnantes collisions, élisions, écasements et condensations de phonèmes et de syllabes, et c’est d’après cette prononciation authentique (que souvent nous ne pouvons pas reconstituer par nos conjectures) que les vers sont faits et l’écriture, fréquemment, surtout par des allongements, ne conserve pas la prosodie.
Sed nunc et eorum, de quibus multo minus diximus, quam dici potuisset, et tamen satis fuisse plana indicatio uidetur, Plautina exempla afferamus, et ita tandem hanc quasi commentatiunculam finiamus.
Mais maintenant, sur ces points dont nous avons dit beaucoup moins que nous n’aurions pu et néanmoins bien assez, semble-t-il, ajoutons des exemples plautiniens et finissons ainsi cette sorte de petit traité.
Similem rem ipse in legem iussit esse Iupitter
256
Similem rem ipse in legem iussit esse Iupitter.
Aut corripitur Esse, aut est κατ’ ἐπισυναλοιφὴν, Similem δισσύλλαβον.
Ou bien on abrège esse ou, par épisynalèphe, on dit similem en deux syllabes257.
Vt conquisitores fierent histrionibus
258
Vt con/quisi/tores/ fierent/ histr<i>o/nibus/259.
Histrionibus, κατὰ συνίζεσιν.
Histrionibus, avec synizèse260.
Nisi maluerit aliquis conquaestores.
A moins qu’on ne préfère la variante conquaestores261.
Qui ne quo placeret alter, fecisset minus
262
Qui ne quo/ place/ret al/ter, fe/cisset/ minus.
Qui ne quo, spondeus. pronuntiatione mediam syllabam absorbente.
Qui n<e> quo, spondée, avec absorption de la syllabe centrale.
Qui cum Amphitruone abiuit hinc in exercitum
263
Qui c<um> Am/phitruo/n<e> abi<u>it/ hinc in/ exer/citum
Et mox, Nunc hodie Amphitruo ueniet huc ab exercitu
264
Puis : Nunc hodi/<e> Amphitru/o ueniet/ huc ab/ exer/citu.
Hinc in ex. et huc ab ex spondei sunt pari ratione concisionis, in breuitate syllaba quasi euanescente.
Hinc in ex et huc ab ex font des spondées265 pour une identique raison de concision, la syllabe s’évanouissant dans sa brièveté266.
In tabernaculo : id quidem hodie nunquam poterit dicere
267
In ta/berna/c<u>l<o> : id qui/d<em> hodie/ nunquam/ poterit/ dice/re.
Simplicissimum est, ut legatur, tabernaclo.
Le plus simple est de lire tabernaclo.
Quid in tabernaclo fecisti ? uictus sum, si dixeris
268
Quid in ta/berna/clo fec/isti ?/ uictus/ sum, si/ dixe/ris.
Quid in ta, Trocheus.
Quid in ta, trochée269.
Vel ut annotauimus, Quid in, κατὰ διαίρεσιν anapaestus, et taberna, spondeus.
Ou alors, comme remarqué, qŭĭd īn, anapeste par diérèse, puis tab<e>rna-, spondée.
Ridiculi caussa, uel hunc rogato Sosiam
270
Ridicu/li caus/sa, uel hunc/ roga/to So/siam/.
Nam hanc ueram lectionem puto : uel hunc μονοσυλλάβως pronuntiandum.
Car telle est, je crois, la leçon authentique : uel hunc monosyllabique.
Quin, si tu uoles, domi serui qui sunt castrabo uiros
271
Quin, si/ tu uo/les, domi/ serui/ qui sunt/ castra/bo ui/ros/.
Dmi μονοσυλλάβως κατ’ ἐπισυναλοιφήν.
D<o>mi, monosyllabique par épisynalèphe272.
Portitorum simillimae sunt ianuae lenoniae
273
Porti/t<or>um si/milli/mae sunt/ ianu/ae le/noni/ae/274.
Aut portitum κατὰ συγκοπήν, aut smillimae, κατ’ ἐπισυναλοιφὴν pronuntiandum.
Soit il faut prononcer portit<or>um, par syncope, soit s<i>millimae, par épisynalèphe275.
Da meus ocellus, da mea rosa, da mi anime, da mea uoluptas
276
Da meus ocellus, da mea rosa, da mi anime, da mea uoluptas.
Aut sic, Da mus ocel ; aut sic, da ma rosa, et mea uoluptas. o, breui absorpto δισσυλλάβως ; uel ma uoluptas.
Ou il faut da m<e>us ocellus ; ou da m<e>a rosa et uoluptas dissyllabique avec absorption du o ; ou m<e>a uoluptas277.
Lenonis hae sunt aedes, male istis eueniat
278
Leno/nis hae/ sunt ae/des, mal<e> is/tis e/uen<i>at/.
Pronuntiandum euenat κατ ἔθλιψιν litterae i.
Il faut prononcer euenat par élision du i.
Credam pudor si cuipiam lenoni siet
279
Credam/ pudor/ si cui/p<i>am le/noni /siet/.
Pronuntiandum cuipiam δισσυλλάβως et κατὰ συναίρεσιν et συνίζεσιν.
Il faut prononcer cuipiam en deux syllabes, par synérèse et synizèse.
Voltisne oliuas aut pulpamentum, aut capparim ?
280
Volti<s>n<e> o/liuas/ aut pul/pamen/t<um>, aut cap/parim ?/281.
Oliuas δισσυλλάβως, ut annotauimus : uel potius, Voltine, extrita littera s.
Oliuas dissyllabique, comme remarqué282 ; ou plutôt Volti’ne, avec écrasement du s.
Quis autem scit utra potius pronuntiatio actori arriserit ?
Or qui peut savoit laquelle des deux prononciations a eu la préférence de l’acteur ?
Fateor : abi deprome. age tu interea huic somnium
283
Fateor :/ ab<i> de/prom<e>. age/ t<u> intere/<a> huic som/nium/.
Abi de, spondeus : huic som, spondeus, κατ’ ἐπισυναλοιφὴν et συνίζεσιν.
Ab<i> de, spondée ; huic som, spondée, par épisynalèphe et synizèse.
Superstitiosus hic quidem est, uera praedicat
284
Super/stitio/sus hic/ quidemst, ue/ra prae/dicat/.
Quidem est ue, spondeus κατ’ ἐπισυναλοιφήν : haec collisio creberrime occurit in comicis uersibus.
Quidemst ue, spondée par épisynalèphe : cette collision se produit très fréquemment dans les vers comiques.
Qui periurum conuenire uult hominem, mitto in comitium
285
Qui per/iurum/ conue/nir<e> <u>ult/ hominem/ mitt<o> in/ comiti/um/.
Ni re uult, spondeus, elisa u, pro consonante.
Nir<e> <u>ult, spondée, par élision du u consonne.
Quo is homo insinuauit facto se ad te ? per Dionysia
286
Qŭ<o> is ho/m<o> insinu/auit/ facto/ s<e> ad te/ ? per Dio/nysi/a/.
Quo is ho, τρίβραχυς κατὰ διαίρεσιν syllabae quo.
Qŭ<o> is ho, tribraque par diérèse de la syllabe quo.
Nam eum pater eius subegit : nunc mea mater irata est mihi
287
N<amgt; e<u>m pater/ eius su/begit :/ nunc mea/ mater/ ira/tast mi/hi/.
Nam eum pater, dactylus est, eius sub aut dactylus liquescente S, aut trocheus, κατ’ ἐπισυναλοιφήν, ut eius, una sit syllaba.
N<amgt; e<u>m pater, dactyle, eius su soit dactyle, avec liquéfaction du s, soit trochée par épisynalèphe, en faisant eius monosyllabique.
Huius quae locuta est quaerere aiebas, filiam
288
Huius quae/ locu/tast quae/rer<e> aie/bas, fi/liam/.
Huius, κατ’ ἐπισυναλοιφήν, una syllaba ; sicut, aiebas, duae.
Huius, par épisynalèphe, monosyllabique ; de même aiebas, dissyllabique.
Ego ad anum recurro rursum, Lampadio obsecro
289
Ego ad anum/ recur/ro rur/sum, Lam/padi<o> ob/secro/.
Aut est ego ad anum, anapaestus pronuntiatione, e initiale colliquante ; aut etiam prioris hoc cum uersus ultimae dictionis finali syllaba, ut saepe fit, collidente.
Soit eg<o> ad anum fait anapeste dans la prononciation, l’initiale e se coagulant ; soit aussi ce début fusionne avec la syllabe finale du dernier mot du vers précédent, comme il est fréquent290.
Videar fortasse in his alicui nimis diu immorari, et non necessariam, uel etiam inutilem operam consumere.
On pourrait sans doute croire que je m’attarde trop longtemps dans ces questions et que je perds un temps non nécessaire, voire inutile.
Veruntamen ego de re neque prorsus negligenda et digna liberalibus studiis, et a plerisque tractata negligentius, dicendum hoc loco aliquid putaui : quod quidem eiusmodi esse confido, ut qui forte uoluerint in his uersari accuratius, mediocrem occasionem exercendi studium suum habituri esse uideantur.
Néanmoins, sur un domaine qui n’est pas du tout anodin, qui mérite l’attention des arts libéraux et que la plupart ont traité avec trop de négligence, j’ai pensé qu’il fallait ici dire quelque chose ; et je suis sûr que c’est de nature à donner à ceux qui voudront se spécialiser dans ce domaine l’impression qu’ils pourront avoir une petite occasion d’exercer leur pratique.
Etsi autem haec sunt praecipua, per quae poterunt numeri uersuum comicorum expediri et quasi exsolui, tamen et alia quaedam ad hanc curam assumenda sunt, et in primis syllabarum productio, quae ἔκτασις, ac correptio, quae συστολὴ nominatur.
Or, même si ce qui précède constitue le principal pour traiter et quasiment résoudre la versification comique, il y a pourtant d’autres points à envisager pour cet objectif, et d’abord les allongements de syllabes (ce qu’on appelle ektasis) et les abrègements (ce qu’on appelle systole).
Fit autem ἔκτασις, uocali interdum producto natura breui, ut fuit, et fieri, quod supra retulimus.
Il y a ektasis quand une voyelle brève par nature est allongée, comme fūit, fīeri, dont nous avons déjà parlé.
Interdum geminata consonante, ut relligio, redduco, repperit.
Parfois par gémination de consonne, comme dans relligio, redduco, repperit.
Συστολὴ autem, syllaba correpta : ut omitto, et reicio, et συναιρέσει reicio, ut:
Quant à la systole, c’est une syllabe abrégée, comme dans ŏmitto291, reicio et même rei-ci-o avec synérèse, comme dans :
Tityre pascentes a flumine reice capellas
292
Tityre/ pascen/tes a/ flumine/ reice ca/pellas/293.
Ita putatur ἐκτεταμένον, Vitam dederitis in undis
294
Transieritis aquas
295
Ainsi suppose-t-on une ektasis dans Vi/tam dede/ritis in/ undis et dans /transie/ritis a/quas/296.
Etsi quibusdam natura flexionis postulare uidetur, ut in huiusmodi uerbis, ri, syllaba producatur, et illa corripiatur κατὰ συστολήν.
Néanmoins quelques-uns sont d’avis que la nature de cette conjugaison postule que dans ces verbes la syllabe ri soit longue et qu’elle soit abrégée par systole297.
Haec et superius indicatorum παθῶν, de Homero etiamnunc quaedam indicabimus, Ἰλ. Σ :
Ces types de troubles indiqués plus haut, nous en indiquerons encore quelques-uns tirés d’Homère, Iliade, chant 18 :
υἱεῖ ἐμῷ κλυτὰ τεύχεα δόμεναι παμφανόωντα
298
υἱεῖ ἐ/μῷ κλυτὰ/ τεύχεα/ δόμ<ε>ναι/ παμφανό/ωντα/.
Est enim δόμεναι, quasi δόμναι, sicut abietibus299, et ariete300, et parietibus301.
Car δόμεναι vaut δόμναι, comme ab<i>etibus, ar<i>ete et par<i>etibus.
Et hoc Ennianum, Capitibus nutantes pinus, rectasque cupressos
302
Et dans ce vers d’Ennius, Cap<i>tibu’/ nutan/tes pi/nus, rec/tasque cu/pressos/.
In quibus tamen συλλήψεις sunt, pronuntiato i, pro consonante, sicut
hoc uersu, Ὀδ.
γ. : πόλλ’ ἐπιμήρι’ ἔθεμεν
303
Dans ces vers, pourtant, il y a des syllepses304, le i se prononçant comme une consonne, comme dans ce vers du chant 3 de l’Odyssée : πόλλ’ ἐπι/μήρι’ ἔθε/μεν (…).
Est enim μήρι’ ἔθε, dactylus.
Car μήρι’ ἔθε fait dactyle.
νῦν δ’ αὖτέ με φίλε’ Ἀθήνη
305
φίλαι Ἀθήνη
306
νῦν δ’ αὖτέ με φίλε’ Ἀθήνη ou variante, /φίλαι Ἀ/θήνη/.
Et ἔξοχα γάρ μιν ἐφίλατο Παλλὰς Ἀθήνη
307
Et (…) /ἔξοχα/ γάρ μιν ἐ/φίλατο/ Παλλὰς /Ἀθήνη/ : car il faut prononcer comme avec un double lambda pour allonger la syllabe φι308.
Sicut Ἰλ.
B : Ἴλιον ἐκπέρσαντ’ εὐτείχεον ἀπονέεσθαι
309
De même au chant 2 de l’Iliade, Ἴλιον/ ἐκπέρ/σαντ’ εὐ/τείχεον/ ἀπονέ/εσθαι/, comme si c’était ἀππονέεσθαι.
Tale et illud Ἆρες
310
Il en va de même, semble-t-il, pour la forme Ἆρες, quasiment Ἄρρες.
Ita et φιλομειδὴς Ἀφροδίτη
311
De même φιλομειδὴς Ἀφροδίτη, où la syllabe λο est longue.
Et hic uersus similiter pronuntiationis productione sustentatur, Ἰλ. Γ :
Et ce vers a le même genre d’étirement par un allongement de la prononciation, Iliade, chant 3 :
αἰδοῖός τέ μοί ἐσσι φίλε ἑκυρὲ δεινός τε
312
αἰδοῖ/ός τέ μοί/ ἐσσι φί/λε ἑκυ/ρὲ δει/νός τε.
Nam et aspiratio breuis uocalis
pronuntiationem remoratur, et ρὲ δει, est quasi
ρὲ δδει, sicut ἔδδεισε δ’ Ἑλένη
313
Car d’une part l’aspiration sur la voyelle brève crée un allongement de la prononciation et d’autre part ρὲ δει fait quasiment ρὲ δδει, comme dans ἔδδεισε δ’ Ἑλένη.
Rursum Ἰλ.
E : καί νύ κεν ἔτι πλέονας314 Λυκίων κτάνε δῖος Ὀδυσσεὺς
315
De même Iliade, chant 5 : καί νύ κεν ἔ/τι πλέο/νας Λυκί/ων κτάνε/ δῖος Ὀ/δυσσεὺς/.
Etsi poterat facere καί νύ κ’ ἔτι πλέονας, tamen illud maluit, nimirum pronuntiatione uersum expediente, quatuor breuibus syllabis unam longam et duas breues sonantibus ; sicut Ὀδ ζ :
Bien sûr ça pourrait faire καί νύ κ’ ἔ/τι πλέο/νας316, mais il a préféré à l’évidence un vers à la prononciation dégagée, quatre brèves de suite valant une longue et deux brèves317 ; de même Odyssée, chant 6 :
Καὶ τότε Φαιήκων ἐς πόλιν ἴμεν ἠδ’ ἐρέεσθαι
318
Καὶ τότε/ Φαιή/κων ἐς/ πόλιν ἴμεν/ ἠδ’ ἐρέ/εσθαι/319.
Est enim πόλιν ἴμεν dactylus non syllabis, sed ueteri pronuntiatione, quam nos exprimere lingua aliena non possumus.
πόλιν ἴμεν forme donc un dactyle, non pas en syllabes, mais en raison d’une ancienne prononciation que nous ne pouvons pas exprimer avec notre langue étrangère.
Hoc loco in mentem mihi uenit uersus, quem Scaliger adduxit ex Euripidis Oreste, in quo esset ὲπισυναλοιφή :
Il me revient à l’esprit, à ce moment, un vers que Scaliger fait venir de l’Oreste d’Euripide, où il y avait une épisynalèphe :
αὐτουργός, οἵπερ καὶ μόνοι σώζουσι πόλιν
320
αὐτουρ/γός, οἵ/περ καὶ/ μόνοι/ σώζου/σι πόλιν/321.
Sed nos et in editis ab Aldo exemplis et in explicatione reperimus σώζουσι γῆν.
Mais, tant dans les exemplaires imprimés par Alde que dans le commentaire, nous trouvons /σώζου/σι γῆν/.
Hoc igitur relinquamus.
Laissons donc ce cas.
Ἰλ. Υ :
Dans l’Iliade, chant 20 :
μόρσιμον δέ οἵ ἐστ’ ἀλέασθαι
322
¯μόρσι/μον δέ οἵ/ ἐστ’ ἀλέ/ασθαι/.
Vbi manifesta est συγκοπή, et illud μόρσιμον quasi μόριμον.
On y voit une syncope manifeste et le mot μόρσιμον vaut quasiment μόριμον323.
Sicut et in hoc, Ἰλ. Ω :
De même dans ce passage de l’Iliade, chant 24 :
ἐκτὸς μὲν δὴ λέξον γέρον φίλε
324
ἐκτὸς/ μὲν δὴ/ λέξον/ γέρον φίλε/.
Est enim plane γρον φίλε.
Car cela fait clairement γρον φίλε325.
Quemadmodum et Ὀδ
η : μήδ’ οὗτω φίλον Διὶ πατρὶ γένοιτο
326
De même dans l’Odysée, chant 7, /¯ ¯/ ¯ μήδ’/ οὕτω/ φίλον Διὶ/ πατρὶ γέ/νοιτο/ fait quasiment φλον327.
Iam in hoc Ἰλ.
B : βωμοῦ δ’ ὑπαΐξας
328
Et dans l’Iliade, chant 2 : βωμοῦ δ’ ὑπαΐξας, il y a une synérèse.
Ἰλ. autem Ω in
hoc : χωόμενος ᾧτινι δήπω ἀδελφεὸν ἔκτανεν Ἕκτωρ
329
Au chant 24 de l’Iliade : Χωόμενος/ ᾧτινι/ δήπω ἀ/δελφεὸν/ ἔκτανεν/ Ἕκτωρ/, il y a synizèse330.
In hoc uero Ἰλ. Θ :
Mais dans ce passage de l’Iliade, chant 8 :
Ἠὼς μὲν κροκόπεπλος ἐκίδνατο πᾶσαν ἐπ’ αἶαν
331
Ἠὼς/ μὲν κροκό/πεπλος ἐ/<σ>κίδνατο/ πᾶσαν ἐπ’/ αἶαν/332.
Et hoc, Ἰλ. B :
Et celui-ci, Iliade, chant 2 :
πολυστάφυλόν θ’ Ἱστίαιαν
333
πο/λυστάφυ/λόν θ’ Ἱ<σ>τί/αιαν/.
Et hoc Ἰλ. E :
Et celui-ci, Iliade, chant 5 :
ὅς τ’ ὦκα ῥέων ἐκέδασσε γεφύρας
334
ὅς τ’/ ὦκα ῥέ/ων ἐ<σ>κέ/δασσε γε/φύρας/335.
Et paulo ante, ὅς ῥα καμάνδρου ἀρητὴρ ἐτέτυκτο
336
Et un peu plus tôt : ὅς ῥα <Σ>κα/μάνδρου/ ἀρη/τὴρ ἐτέ/τυκτο/.
Et hoc Ἰλ. H :
Et celui-ci, Iliade, chant 7 :
τοῦ δ’ ἤτοι κλέος ἔσται ὅσον ἐπικίδναται ἠώς
337
τοῦ δ’ ἤ/τοι κλέος/ ἔσται ὅ/σον ἐπι/<σ>κίδναται/ ἠώς/.
Et hoc Ὀδ ε :
Et celui-ci, Odyssée, chant 5 :
κλῦθι, ἄναξ, ὅτις ἐσσί
338
κλῦθι, ἄ/ναξ, ὅ<σ>τις/ ἐσσί ̆ /.
Et hoc Ὀδ λ :
Et celui-ci, Odysée, chant 11 :
καί ῥ’ ἔσχον δύο παῖδας, Ἀμφίονά τε Ζῆθόν τε
339
καί ῥ’ ἔσ/χον δύο/ παῖδ<ας>, Ἀμ/φίονά/ τε Ζῆ/θόν τε/,
παῖδας Ἀμφ spondeus liquescente littera σ ; ut in superioribus uersibus omnibus cursui haec numerorum obstaret, nisi remoueretur pronuntiatione.
παῖδας Ἀμφ fait spondée, avec liquéfaction du sigma ; comme dans tous les vers précédents, le sigma contrarierait le cours de la scansion, sauf à le décompter de la prononciation.
Nam si uersibus aliquis alienos pedes, qui sunt proceleusmaticus, et creticus seu ἀμφίμακρος, aut nescio quos alios inserit, cum constet heroici carminis proprios pedes esse, dactylum ac spondeum, iambici, iambum, spondeum et spondeo aequales, trochaici, trocheum et spondeum et huic aequales, et alios alius generis, illum igitur qui admiscet alienos, non audiendum putamus, corrumpentem carminis modos, et numerorum rationem dissoluentem.
Car si l’on insère à tels vers des pieds étrangers, comme le procéleusmatique et le crétique (ou amphimacre) ou je ne sais quels autres pieds, alors qu’il est établi que le pied propre de l’hexamètre est le dactyle ou le spondée, celui du vers iambique l’iambe, le spondée et les monnaies du spondée, celui du vers trochaïque le trochée et le spondée et les monnaies du spondée, et les autres types selon leur genre, celui, donc, qui mélange des pieds hétérogènes ne doit pas être pris en compte, à mon avis, puisqu’il corrompt les cadences poétiques et anéantit les règles prosodiques.
Sed pronuntiatio haec omnia quondam nullo cum negotio et sine omni insuauitate explicuit.
Mais c’est la prononciation qui, à l’occasion, a pu expliquer tous ces faits sans difficulté et sans désagrément.
Quare non assentior, neque Plutarcho, qui
Homerum studiosum bonae narrationis,
compositionem neglexisse scribit, et primum statim uersum ἄμετρον extulisse, Μῆνιν ἄειδε θεὰ Πηληϊάδεω Ἀχιλῆος
340
Aussi ne suis-je pas d’accord avec Plutarque, qui écrit qu’Homère était soucieux de bien raconter mais négligeant dans la composition et d’emblée avait produit un premier vers amétrique, Μῆνιν ἄ/ειδε θε/ὰ Πη/ληϊά/δεω Ἀχι/λῆος/342.
Non enim ille ita extulit ut Plutarchus, multo minus ut nos, secundum perscriptas litteras.
C’est qu’Homère ne prononçait pas comme Plutarque, encore moins comme nous, en fonction de l’orthographe.
Neque Scaligero infulcienti creticos in iambicos modos.
Ni d’accord avec Scaliger qui introduit des crétiques dans les cadences iambiques.
Qui Erasmi sententiam de syncopa in nomine
Voluptas cum exagitat, mentione Teutonici soni, facit, ut mihi uidetur,
inclementer. Nam neque nostrae, neque ipsius gentis lingua exprimere elegantiam
antiquitatis, et praestare pronuntiationis sinceritatem, neque sine studio et
cura singulari maxima in pronuntiando uitia uitare possit. Neque ipse
animeduertit, dum reprehendit Erasmum quasi Teutonum crasso aere natum, sonantem aliquid
plenius, se reprehensioni ipsum exponere, quasi minus cogitatae congruitatis in
uerbis ; quis enim, mea uolup. dixit ? cum uolupe, unde uolup, decurtatum,
neutri formam habeat et saepe aduerbii significationem : ut, Volupe est, quod agas, si id procedit lepide ex sententia
343
Ce dernier, évoquant l’avis d’Érasme sur la syncope dans le nom uoluptas, en mentionnant un son allemand, agit mal, selon moi. Car ni notre langue ni la sienne ne sauraient exprimer l’élégance de la langue antique, ni garantir l’authenticité de la prononciation, ni éviter des fautes de prononciation, sauf au prix d’un travail et d’un soin extrêmes. Et lui-même n’a pas remarqué que, quand il reproche à Érasme, en tant que natif d’un pays germanique, de prononcer de façon trop pleine, il s’expose lui-même au reproche d’une trop faible réflexion sur l’harmonie dans les mots ; en effet, qui a dit mea uolup, dans la mesure où uolupe, d’où la forme abrégée uolup, a une forme de neutre et souvent un sens adverbial, comme Volupe est, quod agas, si id procedit lepide ex sententia ?345
Etsi ad hoc delabitur ut uoluptas,
anapaesticam uelit esse dictionem, id quidem melius, sed illae συγκοπαί pronuntiationis rectius expediunt numeros, mea
quidem sententia, et antiquitate teste, cuius unum etiam nunc exemplum adducere
uisum, Hesiodi, Ἄσκρῃ, χεῖμα κακῇ, θέρει δ’│ ἀργαλέῃ, οὐδέ ποτ’ ἐσθλῇ
346
Même s’il va jusqu’à proposer une prononciation anapestique de uoluptas347, ce qui est certes meilleur, ces sortes de prononciations syncopées débrouillent mieux les rythmes, à mon avis et au témoignage de l’antiquité, dont j’ai cru bon d’ajouter encore un exemple, d’Hésiode, Ἄσκρῃ, χεῖμα κακῇ, θέρει δ’│ ἀργαλέῃ, οὐδέ ποτ’ ἐσθλῇ, car cela fait θρει et λῃ.
Sed de hac re, cum tantum iam uerborum fecerim, plus quidem quam initio institueram me facturum esse, nunc desinam, et haec nostra iudicio aliorum submitto ; et quod restat, obseruationem et curam harum rerum diligentium studio committo.
Mais sur ce sujet, alors que j’ai fait déjà un si long discours, plus que je n’avais prévu de faire au début, je vais m’arrêter là et je soumets mes réflexions au jugement d’autrui ; et pour le reste, je confie mes observations et mon travail à ceux qui sont spécialistes de ces questions.
Quantulamcunque autem operam hanc
industriae meae cupio omnes boni consulere, quod bonos et bonarum artium cupidos
scio esse facturos : ii enim neque ullam in literis exquisitionem nimis paruam et
futilem ducunt, neque hos conatus indicationis nostrae poterunt despicere ; περὶ δὲ τῶν ἄλλων, οὐ φροντὶς Ἱπποκλείδῃ
348
En tout cas, ce petit travail issu de mon énergie, je souhaite que tous en jugent bien, ce que je sais que feront les gens de bien et ceux qui veulent se cultiver ; car eux ne trouvent aucune recherche littéraire trop mince ou trop futile et ne pourront mépriser ces efforts de notre contribution ; « pour le reste, pas de souci pour Hippoclidès ».