Clarissimo et eruditissimo viro Germano Valenti Guellio PP. Senatori amplissimo, Germanus Lambinus Salutem dat.
Germanus Lambinus

Présentation du paratexte

À la fin de sa vie, Denis Lambin entreprend de recenser les comédies de Plaute, mais il n’a pu examiner que treize d’entre elles. Son travail est repris par son ami Jacques Hélie, professeur de grec au Collège royal, qui termine la recension, ajoute des index et publie le tout, avec diverses pièces liminaires. L’ouvrage s’ouvre sur une lettre du fils de Lambin à Germain Vaillant de Guelis, poète néo-latin proche de la Pléiade, commentateur de Virgile (1575) et conseiller au Parlement de Paris, sous les auspices duquel il place le travail de son père.

Bibliographie :
  • Astrid Quillien, « Lambin, Denis - Lambinus, Dionysius (1519-1572) », notice bio-bibliographique de l’ANR « Renaissance d’Horace », en ligne : http://www.univ-paris3.fr/index-des-commentateurs-l-z-361031.kjsp?RH=1280408376821.
  • Jacques Chomarat, Prosateurs latin en France à la Renaissance,pubPlace, publisher, date, p. 445-449.
  • Astrid Quillien, Denis Lambin dans la tourmente de l’aetas horatiana, Mémoire de Maîtrise sous la direction de P. Galand, université de Paris IV-Sorbonne, date.
  • Jean-Eude Girot, hi « Denis Lambin », dans Dictionnaire des lettres françaises, Le XVIhi siècle, dir. editor, publisher, publisher, date.
  • Denys Lambin, Lettres galantes de Denys Lambin, 1552-1554, texte établi, trad. et annoté par editor, pubPlace, publisher, date.
  • Henri Potez, « La jeunesse de Denis Lambin (1519-1548) », Revue d'histoire littéraire de la France, 9, date, p. 385-413.
  • Astrid Quillien, « Les Orationes de Denis Lambin. La défense du grec dans l’Oratio de utilitate linguae graecae et recta graecorum latine interpretandorum ratione (22 octobre 1572) », dans Philosophie, philologie et poétique de l’Antiquité à la Renaissance, éd. editor et editor, Camenae, 1, date, en ligne : http://www.paris4.sorbonne.fr/fr/rubrique.php3?id_rubrique=1761.
  • Astrid Quillien, Denis Lambin lecteur, traducteur royal et défenseur du grec. Étude et traduction annotée de l’oratio De utilitate linguae Graecae et recta Graecorum Latine interpretandorum ratione (22 octobre 1571), Mémoire de D.E.A. sous la direction de P. Galand, université de Paris IV-Sorbonne, date.
  • Linton C. Stevens, « Denis Lambin : Humanist, Courtier, Philologist, and Lecteur Royal », Studies in the Renaissance, 9, date, p. 234-241
Traduction : Mathieu FERRAND

Clarissimo et eruditissimo uiro Germano Valenti Guellio PP. Senatori amplissimo, Germanus Lambinus Salutem dat.

Au très illustre et très érudit Germain Vaillant de Guelis1, sénateur très éminent, Germain Lambin adresse son salut

Non id ago (uir clarissime) ut hac mea qualicumque epistola tantillum splendoris et ornamenti paternis uigiliis accedat.

Je n’écris pas, homme très illustre, cette lettre, quelle qu’elle soit, pour ajouter le moindre éclat de lumière ni la moindre parure aux travaux nocturnes de mon père.

Vt enim hactenus in lucem emissae, sic et hae satis per se sufficient ad sui commendationem et gloriam.

Comme, en effet, ces travaux nocturnes ont jusqu’à maintenant été publiés au grand jour, de même aussi ils suffiront par eux-mêmes à le recommander et à le couvrir de gloire.

Tum quod is non sum, cui, uel aetas, uel Dei specialis quidam fauor, aliquid nominis inter aequales, ne dicam eruditos, attulerit ;

Et puis, je ne suis pas de ceux à qui ou bien l’âge, ou bien quelque faveur spéciale de Dieu ont accordé du renom parmi leurs pairs, pour ne pas dire parmi les savants ;

ac si quid nunc possem, uererer adhuc, ne ea in re nimis suspectum esset domesticum testimonium.

et quand bien même cela serait, je craindrais que, en la matière, mon témoignage ne passe trop pour celui d’un proche.

Quinimo ut intelligas, me, si non doctrinae, laboris, et tolerantiae filium imitatorem relictum, obseruantiae tamen et amoris in te certissimum esse monimentum.

J’écris cette lettre, en revanche, pour que tu saches bien que, si je ne suis pas, comme fils, le digne imitateur de sa science, de son travail et de sa constance, je perpétue cependant le très sûr souvenir de sa déférence et de son amitié pour toi.

Igitur quae patri, etiam in ipso morbo qui uitae diem extremum attulit, in Plauti comoedias meditari licuit, ea, inquam, in agone apud matrem deposita, tibique forte iampridem consecrata, dicare uolui, ut quantum in me esset, uel uota defuncti persoluerem, uel illius saltem optatis respondere conarer.

C’est pourquoi, des réflexions que, au milieu même de la maladie qui l’a conduit au terme de sa vie, il fut permis à mon père de concevoir à propos des comédies de Plaute, de ces réflexions, dis-je, qu’il a laissées chez ma mère, au beau milieu du combat, comme il se trouvait que depuis longtemps déjà il te les avait adressées, j’ai voulu faire de toi le dédicataire de telle sorte que, autant qu’il était en mon pouvoir, je puisse exaucer le vœu du défunt, ou, tout au moins, essayer de répondre à son souhait.

Nec enim me latet qua beneuolentia, non ut litteratos caeteros, sed fraterna paene sis eum prosequutus et uicissim, quo in pretio et honore, tum propter tuam singularem doctrinam, tum aequi obseruantiam, apud eum fueris ut coniectare liceat, si eum Deus et mihi et Reipublicae diutius seruasset, nonnihil tuis auspiciis tentaturum fuisse.

En effet, je n’ignore pas de quelle bienveillance tu l’as entouré – non point de celle dont tu entoures les autres savants, mais d’une bienveillance presque fraternelle – et en retour, quelle estime et quelle considération, aussi bien pour ta culture singulière que pour ton amour de l’équité, il avait pour toi. Si bien qu’il est possible d’imaginer l’œuvre qu’il allait accomplir sous tes auspices, si Dieu l’avait maintenu plus longtemps en vie, pour mon bonheur et celui de l'état.

Accedit et illud quoddam quasi necessitatis uinculum, ut non immerito laborum patris mei frustus consequaris, qui postquam e fonte sacro me suscepisti, uices illius quodammodo geras.

Les liens de l’amitié, comme une chaîne, imposent aussi que tu recueilles, à juste titre, le fruit des travaux de mon père, toi qui, après m'avoir tenu sur les fonts baptismaux, prends sa suite d'une certaine façon.

Debuerant autem, fateor, trita esse haec commentaria, uerum aliquandiu me sollicitum detinuit, communis utilitatis alioqui cupidum, desiderata imprimis, ut uidebatur, patris ἀκρίϐεια, quam in aliis quibuscumque libris euulgandis adhibere consueuerat ;

Or, je l'avoue, les commentaires que voici auraient dû être retravaillés – mais longtemps m'a retenu, inquiet et pourtant désireux d'être utile à tous, cette acribie de mon père, que l'on regrettait plus que tout, semblait-il, et dont il avait l'habitude de faire preuve lorsqu'il publiait un livre ;

notae item ad postremas comoedias obiter et tamquam ab aliud agente conscriptae, quadamtenus a proposito reuocabant, donec uicerit et parentum auctoritas, et amicorum sincerius iudicium quibus uisum est nil illic detrahendum, nil quoque hic expetendum esse, satisque fuisse patri quod sibi ea in re temperarit, et si quid (ut morte praeuentus fuerat) aut abundaret, aut deesset, non ideo temere quidquam de scriptis illius immutandum.

de même, ces notes sur les dernières comédies, composées à la hâte et comme en passant, étaient dans une certaine mesure un obstacle au projet, tant que l’emportèrent et le jugement autorisé des proches et l’avis plus sûr encore de ses amis, qui pensaient qu’ici, rien ne devait être enlevé, là rien ne devait être ajouté, qu’il avait suffi à mon père de s’être abstenu en la matière, et que si (dès lors qu’il avait été emporté par la mort) quelque chose était en trop, ou bien manquait, il ne fallait pas, pour cette raison, avoir l’audace de modifier quoi que ce fût dans ses écrits.

Suberat tamen eiusmodi nouissima cogitatio, commentariis istis aeque ac caeco cuidam proprioque lumine orbato accidisse, cui iam nonnisi robustiori aliquo duce praeeunte iter ingredi tutum sit.

Pourtant naquit une pensée toute nouvelle : à ces commentaires, il était arrivé la même chose qu’à un aveugle, privé de ses yeux, pour qui désormais il n’était pas sûr de marcher sans être précédé de quelque guide plus robuste.

Aduertens autem posterioris cuiusdam aeui Maronem tuum grauitate et pondere praestantem ab omnibus digne fuisse exceptum, non dubitaui amplius quin, qua gratia et auctoritate apud praestantes clarissimosque uiros valet, eadem utique patrem ueteris latinitatis, etsi uulgatioris, non minus uenustae tamen et politae Plautum haberi faciat ; atque, si forsan neruorum debilitate titubet, erigere uel, quod est hoc tempore uerendum magis, si detrectantium morsibus appetatur, ab eis uindicare possit.

Or, me rendant compte que ton Virgile, dernièrement publié, se distinguant par son autorité et son poids, avait été dignement reçu par tous, je n’ai pas davantage douté que, par cette grâce et cette autorité qui le font prévaloir parmi les hommes les plus éminents et les plus célèbres, il ferait tenir Plaute, surtout, pour le père de la vieille latinité – qui, bien qu’assez populaire, n’en est pas moins charmante et élégante – et que, si par hasard Plaute chancelait à cause de la faiblesse de ses nerfs, Virgile pourrait le redresser ou bien, ce qu’il faut davantage craindre de nos jours, s’il s’offrait aux morsures des détracteurs, il pourrait l’en sauver.

Viuat ergo, probetur, ametur, horum certe omnium pars maxima per me tibi concedetur, quem etiam pater, si superesset, maiori, credo, munere non grauatus decoraret.

Qu’il vive donc , qu’on l’approuve et qu’on l’aime, que la plus grande part, assurément, de tous ses détracteurs s’incline grâce à moi, devant toi, toi que mon père lui-même, s’il avait survécu, honorerait volontiers d’une faveur plus grande encore, je crois.

Quod si minus quidpiam desiderio suo fuerim assecutus, id caeteris in rebus quibus et officium meum et dignitas tua postulabunt, compensare nitar.

Et si j’avais échoué à satisfaire son désir, je m’efforcerai d’y parvenir partout ailleurs où l’exigeront mon devoir et ton mérite.

Vale. Lutetiae Parisiorum 17. Octobr.

Salut. A Paris, le 17 octobre.


1. Germain Vaillant de Guelis, abbé de Paimpont (diocèse de Saint-Malo), poète néo-latin proche de la Pléiade, commentateur de Virgile (P. Virgilii Maronis, Opera, et in eum commentationes et Paralipomena Germani Valentis Guellii. Eiusdem Virgilii appendix cum Iosephi Scaligeri commentariis et castigationibus, Anvers, Christophe Plantin, 1575), fut chanoine de Notre-Dame, conseiller au Parlement de Paris à partir de 1557 puis évêque d’Orléans (1586-1587). Voir notamment la notice biographique dans les Mémoires historiques, critiques et littéraires, par feu M. Bruys, t. II, Paris, J.-T. Hérissant, 1771, p. 261-262.