Présentation du paratexte
Ce commentaire de Joachimus Camerarius adressé à Franciscus Vinariensis débute sur une distinction entre les différents genres poétiques et par des remarques sur le style des poètes grecs et latins. Camerarius souligne l'importance d'inclure les tragédies dans l'enseignement des étudiants, ce qui le pousse à produire une édition destinée au public des étudiants.
Bibliographie :-
Anastasia Daskarolis , Die Wiedergeburt Des Sophokles Dem Geist Des Humanismus. Studien Zur Sophokles-Rezeption in Deutschland Vom Beginn Des 16. Bis Zur Mitte Des 17. Jahrhunderts., pubPlace, publisher, date - Voir Opera Camerarii
Commentarii in Tragoedias Sophoclis argumenti Thebaidos, ad Franciscum Vinariensem, Professorem literarum Graecarum in Schola Wittenbergensi.
Commentaire aux tragédies de Sophocle, à l’argument de La Thébaïde, pour Franciscus Vinariensis1, professeur de littérature grecque à l’université de Wittenberg.
Quae oratione aut scripto exponuntur, uel continent ἁπλῆν διήγησιν δι’ ἀπαγγελίας, cum auctoris tantum persona agnoscitur, ut in dithyrambis quondam, et in soluta oratione omnibus fere disputationibus, uel imitatione constant, quae est Graecis μίμησις, ut in soluta oratione dialogi, in carmine δράματα, quae sunt Latinis fabulae, quarum Tragoediae et Comoediae imitationem ita complectuntur, ut nusque amittant, quemadmodum et Mimos tradidere.
Ce qu’on expose à l’oral ou à l’écrit soit contient une narration simple pour ce qui est de l’énonciation (ἁπλῆν διήγησιν δι’ ἀπαγγελίας), quand on ne reconnaît qu’une seule persona, celle de l’auteur, ainsi naguère dans les dithyrambes ou, en prose, dans à peu près toutes les dissertations, soit relèvent de l'imitation (la mimêsis des Grecs), ainsi en prose les dialogues, en poésie les drames (les fabulae des Latins), dont les tragédies et les comédies embrassent à ce point la représentation qu’elles n’en sont jamais exemptes, comme on le dit aussi des mimes.
In Bucolicis quidem multum usurpantur Dramatica, et Satyra similiter, quam totam Latinorum esse 2 Fabius scripsit.
Dans le genre bucolique, il y a bien sûr beaucoup de dramatique et aussi de satire, que Quintilien attribue entièrement aux Latins.
Quare cum σατυρικῶν δραμάτων mentionem, Satyrorumque factam legimus, sciendum id genus quoddam fuisse fabularum, in quibus agrestium numinum personae introducerentur, cuiusmodi cum alios tum Callimachum scripsisse accepimus.
Aussi, puisque nous avons lu qu’il est fait mention de drames satyriques et de Satyres, il faut savoir que c’était un genre de pièce de théâtre où sont mis en scène des personnages de dieux campagnards, dont nous connaissons plusieurs noms d’auteurs et particulièrement celui de Callimaque.
Caeterum in omnibus scriptis haec alicubi miscentur, et in poeticis rerum expositionibus semper.
Par ailleurs dans tous les écrits ces notions se mélangent ici ou là, et dans les expositions poétiques des choses, toujours.3
Nam cum narrationem est orsus poeta, tum deinceps inseruntur personae, ut Homerus statim ab exordio Iliados suae Chrysen introducit loquentem, et Virgilius Iunonem.
Car dès que le poète a débuté le récit, de but en blanc sont introduits les personnages, comme fait Homère juste après l’exorde de son Iliade quand il met en scène Chrysès qui se met à parler, ou Virgile avec Junon.
Hoc genus Graecis dicitur κοινὸν uel μικτὸν,
uel ut apud Platonem
δι’ ἀμφοτέρων
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Ce genre, les Grecs l’appellent "commun" ou "mixte" ou, comme dit Platon, alternatif.
Est enim haec quam recensuimus Socratica partitio πολιτειῶν. γ.
C’est de fait la typologie de Socrate dans le livre 3 de la République dont nous avons fait l’édition critique.
In imitatione autem prorsus uersantur, ut diximus, Comoediae et Tragoediae, quarum illae non sunt unius modi, quod in praesentia non uisum est explicare.
Pour ce qui est de la imitation, on trouve surtout, on l’a dit, les comédies et les tragédies, dont les premières ne sont pas d’un seul type ; mais ce n’est pas le lieu de s’en expliquer.
Tragoediae uero retinuerunt suum quoddam quasi filum ab antiquo.
Mais les tragédies n'ont pas rompu le fil avec l'antiquité.5
Atque in illis faciendis habuere
Graeci auctores sicut totius eruditionis non ignauos imitatores Latinos, putatque
Fabius
said
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Et dans leur facture, les auteurs grecs, comme dans tout le reste du savoir, ont eu des imitateurs latins énergiques et Quintilien est d’avis que le Thyeste de Varius peut être comparé à qui l’on veut des Grecs.
Nobis gustum quendam huius generis licet capere de Senecae Tragoediis.
Nous pouvons goûter une saveur de ce genre dans les tragédies de Sénèque.
De quo quidem in uniuersum quid sentiam, dicere non habeo necesse.
Mon opinion globale sur Sénèque, je n’ai pas besoin de la donner.
Sed profecto omnes illorum temporum scriptores uidentur corrupisse Graecitate Latinam linguam.
Mais à coup sûr tous les écrivains de cette époque semblent avoir gâché le latin avec des hellénismes.
Mihi autem magno amatori Tragici carminis, fortasse naturae et ingenii sensu, saepe doluit a studiosis minus illud diligenter coli.
Pour moi, qui aime beaucoup la poésie tragique, peut-être par un sentiment naturel et inné, j’ai souvent déploré que les étudiants ne la pratiquent pas avec plus de zèle.
Neque enim Graecorum praeter illas duas elegantissimas uersas ab Erasmo Roterodamo in Latinum Tragoedias, in scholis apud nos saltem in manibus haberi, cognoscere potui, quod ego cum summa utilitate discentium futurum fuisse existimo.
Car qu’on n’ait entre les mains à l’école que ces deux très élégantes tragédies grecques traduites en latin par Erasme de Rotterdam, j’ai pu en faire l’expérience, alors que ce genre serait à mon avis très utile aux élèves.7
Nam quae Plato contra poetas quasi magistros uirtutis parum probos introduxit disputantem Socratem, non arbitror negligenter cognoscenda, si forte recte intellecta minime contumeliosa illis inueniantur.
Car ce que dit Platon, par la bouche de Socrate, contre les poètes qui seraient des maîtres de vertu trop peu honnêtes, je ne crois pas qu’il faille en négliger l’apprentissage, pour peu qu’en le comprenant bien on n’y voie pas du tout d’injures à leur encontre.
Sin id fieri nequeat, dimittamus hac in parte diuinum potius Philosophum, sed unum, quam tantum diuinorum hominum chorum.
Mais si c’est impossible, alors congédions sur ce point le divin philosophe, qui est tout seul, plutôt que le chœur si important des hommes divins 8.
In hac igitur sententia et cupididate mea, uersanti mihi studiose Graecas domi per ocium fabulas, placuit aliquod ex illis certum argumentum nostris commentariolis illustratum emittere in manus studiosorum.
Dans l’état d’esprit et le désir où j’étais, à force d’étudier chez moi pour mon loisir les pièces grecques, j’ai décidé d’en tirer un résumé défini, illustré de nos notes, pour le mettre dans les mains des étudiants.
Ita enim sperabam fore, ut scholae nostrates hactenus neglectum genus eruditionis et ipsae amplecterentur.
C’est que j’espérais que les écoles de chez nous s’empareraient elles aussi de ce genre de connaissance jusqu’ici négligé.
Excerpsimus autem Thebaida, historiam notam tritamque innumerabilibus scriptoribus quod et uetus esset et copiosa.
Nous avons donc fait une compilation de la Thébaïde, un sujet connu et galvaudé chez de nombreux auteurs, parce qu’elle était antique et copieuse.
In hac sumus alicubi adiuti Graecis interpretatiunculis, mendosissimis quidem illis, sed non tamen nusquam fructuosis.
Là nous avons trouvé une aide ponctuelle dans les scolies grecques, certes très erronées mais néanmoins fructueuses ici ou là.
Vbi uero ea nos defecere, neque enim Phoenissas, neque Supplices, neque maximam Antigones partem complectebantur, inque Oedipis multis in locis parum proderant, mutilae, et ut diximus, mendosissimae, ibi nos igitur non paruo, sed grato labore secuti animi nostri rationem et iudicium, in hac inopia et eruditionis et exemplarium, exponentes ea quae in Codicibus uulgatis extarent, sic nos, ut confido, gessimus, ne opera nostra bonis contemnenda aut improbanda uideri possit.
Là où elles nous faisaient défaut (et il n’y en avait pas pour Les Phéniciennes, Les Suppliantes ni la plus grande partie d’Antigone et dans Œdipe elles étaient presque inutiles dans de nombreux passages), au prix donc d’un gros mais agréable travail, suivant la méthode et le jugement de notre esprit, devant la pauvreté des connaissances et des exemplaires et en exposant ce qui se trouvait dans les manuscrits publiés, nous avons tout fait, je le crois, pour éviter que notre œuvre prête le flanc à la critique et aux reproches des honnêtes savants.
Quod si inuenietur profereturque aliquando melius quid, non solum non contrarium nobis fuerit, nostra rectioribus aboleri, sed ut optatum, ita gratum quoque.
Si un jour on trouve et énonce quelque chose de meilleur, non seulement nous n’éprouverons nulle contrariété d’être effacé par une traduction meilleure que la nôtre, mais nous l’appelons même de nos vœux et souhaits.
De erratis autem, si qua forte notabuntur, idem dixero.
Pour les erreurs, si l’on en remarque, je dirai de même.
Me quidem, cum fecerim sedulo quae potuerim, non solum non offensurum quenque qui correxerit aliquod peccatum nostrum, sed eum etiam, quisquis fuerit, gratiam apud me inuenturum esse.
Que, ayant fait du mieux possible, non seulement je n’en voudrai à personne d’avoir amendé une erreur que j’aurais faite, mais qu’au contraire, qui qu’il soit, je lui en saurai gré.
Quid enim est peruersius, quam benemeritis irasci, aut malle male currere, quam rectum cursum demonstrari?
Car quoi de plus pervers que de s’irriter contre des bienfaiteurs ou de préférer courir mal au lieu de se faire montrer la ligne droite ?
Hoc nostrum opusculum tibi dicamus, Francisce, ut sit et nostrae memoriae indicium, et ut per te qui Wittenbergae, in sola paene Germanae. reliqua schola, cum summa laude Graeca doces, in multorum studia et manus traducatur.
Cet opuscule que j’ai fait, c’est à toi que je le dédie, Franciscus, pour qu’il témoigne de mon souvenir et que, par ton entremise, toi qui à Wittenberg, dans la presque dernière école qui reste en Allemagne, professes avec tant de succès le grec, il passe dans les mains de beaucoup comme un objet d’étude.
Nos quidem et multa quae intellectu facilia crederemus, non attigimus, et ubi de obscuris locis, quibus illos explanari arbitraremur, attulissemus, retraximus statim manum, perstringentes etiam pleraque, ut uidebis, ac relinquentes lectoribus quasi spicilegium quoddam in ueterum auctorum scriptis.
Pour nous, nous avons laissé de côté de nombreux passages que nous trouvions faciles à comprendre ; et quand nous avions, pour les passages obscurs, montré par quels autres nous pensions qu’ils s’expliquaient, nous n’avons pas été plus loin, effleurant la plupart des épisodes et laissant aux lecteurs comme une anthologie prise aux livres des vieux auteurs.
Nam omnia aut plurima saltem colligere, ostentationis multum, utilitatis parum habiturum uidebatur.
Car tout rassembler ou du moins presque tout nous serait, nous semblait-il, bien ostentatoire et fort peu utile.
Sane libellus creuisset, ut exempli caussa, talibus locupletationibus, Sphinga etiam Aethiopicum animal esse tetrum ac pestiferum, Gorgona Africanum ipso aspectu necans, cuiusmodi ad Marium Imperatorem ab incolis interfecta aliquot fuerint allata. 9
Sinon le livre aurait été grossi d’enrichissements tels que, par exemple, ‘le Sphinx est un animal d’Ethiopie hideux et funeste, la Gorgone un animal d’Afrique qui tue quand on la regarde, du genre de ceux dont des habitants qui les avaient tués apportèrent des exemplaires au général Marius’.
Iam in Gnomis intelligis quantus se
campus aperuerit augmentandi commentarios nostros, ut in illa: Nihil homine esse miserius
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Déjà dans les sententiae, on comprend quel immense domaine se serait ouvert pour augmenter nos notes, par exemple ‘que rien n’est plus malheureux que l’homme’, si nous avions voulu rechercher les équivalents euripidéens, comme ceux qui sont dans Oreste :
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« Il n’y a pour ainsi dire aucune calamité, aucune souffrance, aucun malheur mandé par les dieux dont la nature humaine n’ait porté le faix ».
Et Hippolyto.
Et dans Hippolyte :
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« La vie des hommes est toute malheur et il n’y en a nulle trève ».
Et Sophoclaea.
Et chez Sophocle :
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« je vois bien que nous tous qui vivons ne sommes rien d’autre que des fantômes ou de vaines ombres ».
Iam illa Pliniana nimis longum fuerit perscribere.
Il serait ici trop long de transcrire tous les passages de Pline.
Quid autem?
Et quoi ?
Nonne ut Deorum sunt cognomina μακάρων et ῥεῖα ζώντων, quibus beata esse illorum numina et omni miseria ac molestia carere declaratur, ita contra aerumnosa uita hominum uariis appellationibus nobilitata est?
N’est-il pas vrai que les dieux ont reçu le surnom de "bienheureux" et de "à la vie heureuse", ce qui prouve que leur divinité est béate et exempte de toute douleur et qu’à l’inverse de nombreuses épithètes ont qualifié la vie des hommes comme accidentée ?
Quae plurima Aristophanes collegit his uersibus:
En voici un condensé dans des vers d’Aristophane :
ἀπτῆνες, ἐφημέριοι, ταλαοὶ, βροτοί, ἀνέρες
εἰκελόνειροι.
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« sans ailes, éphémères, infortunés, mortels, semblables à des songes ».
In huiusmodi occasionibus ostentare πουλυμαθημοσύνην, ἧς οὐ κενειότερον ἄλλο, 15 ut est uetus uerbum, non libuit, sed relinquere utilem hunc laborem discentium studiis.
Montrer à cette occasion une "érudition d’une vanité sans égale", comme dit le vieux proverbe, je n’ai pas voulu le faire, préférant laisser aux étudiants ce travail utile.
Tu mi Francisce, qualecunque hoc est quo tibi gratificari uoluimus, amplectere pari animi promptitudine atque nos misimus, neque indignum uel me uel te duces scholasticum munus, in hac seculi nostri superbia et fastu.
Toi, mon cher Franciscus, quoi que vaille ce dont j’ai voulu te gratifier, reçois-le avec la disposition d’esprit qui était la mienne quand je te l’ai envoyé et tu trouveras que mon cadeau d’écolier n’est indigne ni de toi ni de moi, au milieu de l’orgueilleux tape-à-l’œil de notre siècle.
Nostris enim literis quamuis egentibus et nudis, nunquam putabo praestantiores ullorum opes ac diuitias.
Car notre correspondance, si pauvre et nue, vaudra toujours plus pour moi que le pouvoir et les richesses de n’importe qui.
Sed haec subiicio per se et intelligenti et sentienti.
Mais voilà un ajout qui s’adresse à quelqu’un qui, en soi, le comprend et le ressent.
Vale e Norico.
Adieu depuis le Norique.