Présentation du paratexte
Claudius Theraeus Ioannis Sturmio salutem plurimam dat.
Claudius Theraeus adresse son chaleureux salut à Joannes Sturmius1.
Scribenti mihi in Sophoclis Aiacem et Electram, istam qualemcunque praefationem, Sturmi doctissime, diuersa prorsus a multis, qui hodie aut suis, aut aliorum scriptis, solent praefari, mihi acciderunt.
Alors que j’écrivais cette préface, quelle que soit sa qualité, sur Ajax et Électre de Sophocle, ô très savant Sturmius, je me suis écarté de la foule de ceux qui ont l’habitude de préfacer aujourd’hui ou leurs propres écrits ou ceux des autres.
Illorum namque bona pars eo scribere mihi uidetur ut sui nominis splendore ii ad quos scribunt illustriores reddantur, aut etiam ipse auctor, in uulgus prodeat gratior, quorum sane neutrum, ipse praestare possum, adeo enim meum nomen obscurum esse uideo ut nisi tuum plus multo in hac re posse confiderem quam omnis meus conatus, perinde profecto esse crederem, si hic libellus ἄνευ τοῦ προλόγου exiret.
Car une bonne partie d’entre eux me semble écrire afin de rendre plus illustres ceux à qui ils écrivent grâce à l’éclat de leur nom ou pour que l’auteur lui-même gagne en estime auprès du public ; mais je ne peux vraiment répondre à aucun de ces deux objectifs : en effet, je vois que mon nom est à ce point obscur que, si je n’espérais pas fermement que le tien puisse bien plus dans cette affaire que tout mon effort, je croirais obtenir une réussite comparable en sortant ce livret sans le prologue.
Verum tantam merito laudem, apud omnes te consequutum esse uideo, ut ea non modo quae scribis, ipse aut tibi scribuntur, sed illa etiam in quibus fit de te mentio aliqua, grata fore existimem: praesertim hodie, quum putant homines nihil Argentina prodire, ἄνευ τοῦ τησέως2.
En réalité je vois que tous te louent si abondamment que je pense que ce que tu écris toi-même ou que l’on t’écrit mais aussi ce qui fait mention de ta personne recevra un bon accueil, surtout aujourd’hui que les hommes pensent que rien ne paraît à Strasbourg « sans Thésée ».
Quapropter hanc praefationem ad te scribi bonum putaui, partim ut esse possint apud studiosos acceptiores hae tragoediae partim ut omnes intelligant, quantum tibi debeat Iuuentus, non Argentinensis modo, sed totius Germaniae etiam, qui curas huiusmodi auctores seorsim imprimendos.
Ainsi, j’ai pensé que j’avais bien fait de t’écrire cette préface, en partie afin que ces tragédies puissent être plus agréables aux érudits, en partie pour que tous comprennent combien la jeunesse, non seulement de Strasbourg mais aussi de l’Allemagne tout entière te doit, à toi qui t’occupes d’imprimer séparement ce genre d’auteurs.
Quum enim non unicuique detur Argentinae uiuere, ut Sturmium audiat, aut cum eo de ratione studiorum communicet, multis sane conducit, intelligere quo nam pacto tantus uir instituendam iuuentutem uelit quod certe illi facile uident, qui non quae ipse scribis tantum, sed quae ex aliorum scriptis deligis, ac deinde in gratiam nostrae scholae (aut tuae potius) imprimenda curas ex illis insuper, prudens aliquis facile deprehendere poterit, quem ordinem in praelegendis auctoribus, sequi uelit homo singulari iudicio praeditus, quandoquidem unoquoque anno, aliquid tum graece, tum latine, nomine Scholae Argentinensis imprimetur.
Car comme il n’est pas donné à tout le monde de vivre à Strasbourg pour écouter Sturm ou de discuter avec lui de son projet d'études3, il est très utile à beaucoup de comprendre comment un si grand homme veut éduquer la jeunesse (projet qu’il leur est facile de deviner), eux qui non seulement par ce que tu écris de ta main, mais aussi par ce que tu choisis dans les œuvres d’autrui, et qu’ensuite en l’honneur de notre école (la tienne plutôt) tu fais imprimer, comprendront facilement de tout ça, s’ils ont quelque sagesse, quel ordre de lecture des auteurs veut suivre cet homme doté d’un jugement sûr, puisque chaque année, tantôt en grec tantôt en latin, est imprimé quelque chose sous le nom de l’école de Strasbourg.
Omnia quidem legi utile esse, nemo negat, uerum quum id homini sit negatum, multum quidem est nosse quid omnium legendum maxime quidue omittendum, ne te mere primum quemquem auctorem aggrediamur atque sine ullo studiorum profectu per uarios auctores uagemur ; in qua re quod quaeso melius quam doctum singulareque iudicium (id est tuum) sequi ?
Certes, personne ne nie qu’il soit utile de tout lire, mais, lorsque l’homme se l’est vu refuser, c’est un grand bien de savoir ce qui, parmi tout ce qu’il y a, doit être lu en priorité ou ce qui doit être mis de côté afin de ne pas commencer par aborder n’importe quel auteur au hasard et de ne pas errer parmi différents auteurs sans faire aucun progrès dans les études ; sur ce point qu’y a-t-il de mieux, je te prie, que de suivre un jugement savant et remarquable (c’est-à-dire le tien) ?
Non enim ex quibusuis aut quaeuis, sed ex optimis quibusque optima deligis, ut uides iuuenum studiis non solum utilia, sed necessaria.
Car tu choisis non parmi n'importe qui ni n'importe quoi mais les meilleurs écrits parmi les meilleurs, selon que tu vois qu’ils sont non seulement utiles mais aussi nécessaires aux études des jeunes gens.
Quod quidem et si non magni momenti prima fronte uideatur, si tamen pressius inspiciatur, maius sane atque utilius quam appareat deprehendetur.
Et, même si cela ne semblait pas de prime abord d’une grande importance, si cependant on l’étudiait plus précisément, on le considérerait comme bien plus grand et plus utile qu’il n’apparaît.
In his enim rebus proponitur a te uelut exemplar aliquod certum aliis imitandum, qui erudiendae iuuentuti praeficiuntur.
En effet, sur ces sujets tu proposes pour ainsi un exemple assuré à imiter pour d’autres, qui sont préposés à l’érudition de la jeunesse.
Multi sunt, fateor, qui antea libellos de hac re inscriptos ediderunt doctos sane ac perutiles, uerum rem inchoasse magis quam perfecisse mihi uidetur.
Je l’avoue, il y a beaucoup de gens qui ont fait paraître auparavant des livres écrits à ce sujet, des livres tout à fait savants et utiles, mais il me semble qu’ils ont débuté l’entreprise davantage qu’ils ne l’ont menée à bien.
Illi namque non secus fecisse mihi uidentur, atque medici τὴς θεορiκῆς tantum periti, qui multa quidem et diuina prope de aliquo morbo philosophantur.
Ceux-là, en effet, me semblent n’avoir pas agi autrement que les médecins qui connaissent seulement la théorie et qui produisent beaucoup de philosophie presque divine à propos d’une maladie.
Remedium uero adhibere non ita commode possunt, quoniam sunt τῆς πράξεως non ita periti.
Or, ce n’est pas ainsi qu’ils peuvent prescrire convenablement un remède, puisqu’il ne connaissent pas la pratique.
Tu uero Sturmi, utrumque felicissime praestitisti, aliis enim libello de hac re edito, satis significasti quodnam tuum est et in huiusmodi rebus iudicium, in schola uero Argentinensi tui animi ἰδέαν ad uiuum expressisti.
Mais toi, Sturm, tu as mené d’heureux triomphes sur les deux plans : en effet, en éditant pour d’autres un livre sur ce sujet, tu as suffisamment montré quel est ton jugement dans ce genre d’affaires également, mais tu as marqué au vif ta disposition d’esprit dans l’école de Strasbourg.
Quo sane cum primum uenirem, tuum illud incoeptum, illumque tam pulchre seruatum ordinem in instituenda iuuentute non potui non uehementer mirari, atque laudare eoque praesertim quod tam beneuolam mutui consensus inter professores concordiam mutuumque amorem cernerem.
Et vraiment dès que j’y venais, cette entreprise qui est la tienne, cet ordre si magnifiquement respecté dans l’instruction de la jeunesse, je ne pouvais qu’ardemment l’admirer et le louer, surtout parce que je voyais la concorde bienveillante du consensus entre les professeurs et leur affection mutuelle.
Citra quae profecto collabuntur non solum collegia, sed Accademiae etiam, atque regna potentissima.
Sans eux assurément s’écrouleront non seulement les collèges, mais aussi les académies et les plus puissants royaumes.
Quam igitur nihil sit concordia maius nihilque utilius, merito profecto suspiciendus es, qui tantae rei auctor fuisti.
Que donc rien ne soit plus grand ni plus utile que la concorde, on doit t’en avoir grande admiration puisque c’est toi qui as réussi ce tour de force.
Quae enim posset inter professores concordia esse, nisi γυμνασιάρχης tanquam totius rei caput in concilianda atque retinenda concordia ualeret ?
Quelle concorde en effet pourrait exister entre les professeurs si le gymnasiarque, pour ainsi dire la tête de toute l’entreprise, n’excellait pas pour concilier les hommes et conserver leur concorde ?
Et si profecto ingenio polles, eloquentia praestas, felicitate cum docendi tum scribendi ita excellis, ut inter Ciceronianos habearis ; omnia tamen haec quantumuis sint magna, tibi apud posteros non tantam laudem parient, atque haec unica schola te auctore nuper Argentinae instituta, atque tam concordi omnium professorum consensu gubernata.
Et si tu as assurément une grande force d’esprit, tu l’emportes par ton éloquence, tu excelles par ta réussite autant dans ton enseignement que dans l’écriture, au point d’être compté parmi les Cicéroniens ; cependant, toutes ces qualités, si grandes qu’elles soient, ne t’apporteront pas auprès des générations futures autant de louange que cette école unique récemment créée à ton initiative à Strasbourg et gouvernée par une concorde si harmonieuse de tous les professeurs.
Et (inquis) mi Claudi, adeo enim me amice soles appellare :
Et tu dis : « Mon Claude, (car notre amitié te fait m’appeler ainsi) ne me loue pas tant ni ne me blâme, car ils savent cela, les Argiens auxquels tu t’adresses ».
Probe sane mones uir eruditissime, hic enim periculum non paruum esse uideo, ne cum absque ullo orationis fuco tuas illas egregias animi dotes persequar.
C’est très sagement que tu m’avertis, homme très érudit : je vois en effet que le péril est grand à ne pas faire voir ces remarquables qualités de ton esprit sans farder mon discours.
Commendationis tamen nimiae, (ne dicam adulationis) insimuler, nec fortasse immerito, tantae enim sunt in te omnes, ut omnem propemodum fidem superent.
Cependant je serais accusé de te recommander de manière excessive (pour ne pas dire te flatter) et je le serais peut-être à juste titre : en effet, toutes les qualités sont si grandes chez toi qu’elles vont au-delà de presque tout ce à quoi on peut accorder du crédit.
Quapropter ueritus ne cum prodesse cupiam, detrimenti aliquid adferam, finem orationis faciam, te tamen interim orans, et obsecrans, ut eo semper animo in studiis iuuentutis, et instituendis et promouendis eo pergas animo, quo hactenus fecisti.
Ainsi, puisque je crains d’être source d’inconvénient alors que je souhaite être utile, je mettrai fin à ce discours ; cependant, avant cela, je te prie et te conjure d’agir toujours, dans l’institution et la promotion des études de la jeunesse, avec la disposition d’âme qui t’a guidé jusque-là.
Vale. Argentinae Nonis Martiis. Anno 1540. Tuus5 Theraeus.
Porte toi bien. À Strasbourg, aux nones de Mars, 1540, ton Theraeus.