Présentation du paratexte
L’épitre est adressée par Giovanni Battista da Borgofranco à Mario Savorgnano. Outre les habituelles louanges adressées au destinataire (éloge de la dignité et de la gloire de Savorgnano et de son père, de l’érudition…), l’épître présente une réflexion sur l’office du traducteur et sur l’utilité de la traduction pour le rayonnement des texte et l’éducation des jeunes gens.
Traduction : Sarah GAUCHERNobilissimo atque ornatissimo uiro Mario Sauorgnano, Ioannes Baptista a Burgofrancho, Papiensis, salutem dat.
Au très noble et très distingué Mario Savorgnano, Giovanni Battista da Borgofranco1, natif de Pavie, adresse son salut.
Nullam in homine tam praestantem umquam uirtutem iudicaui: quam eam, quam beneficentiam uocamus.
J’ai jugé qu’aucune vertu n’avait jamais été aussi remarquable dans un homme que celle que nous appellons bienfaisance.
Nihil enim est quod naturae hominis sit magis proprium magisque accommodatum.
Il n’y a rien en effet qui soit plus propre et convenable à la nature de l’homme.
Nam ut caetera quidem omnia ad usum hominum sunt creata, ita homines hominum causa generati existimantur, ut ipsi inter se alii aliis prodesse possint.
Car de même que toutes les autres choses ont été créées pour l’usage des hommes, de même on pense que les hommes ont été engendrés pour les hommes en vue d'une entraide mutuelle.
Atque in hoc quidem officii genere et bonos omnes et quicumque naturam ducem sunt secuti aliquid semper, quod ad communem hominum utilitatem pertineret, diuersa quauis ratione praestitisse uideo.
Et dans ce genre de devoir en tout cas je vois qu’à la fois les gens de bien et tous ceux qui ont la nature pour guide ont toujours fait preuve, pour des raisons diverses, de quelque qualité qui tiendrait à un profit commun.
Alii enim pro Imperii dignitate ac ciuium salute non opes modo, sed etiam uitam profundere ; alii ad communem uitae usum uarias artes inuenerunt ; multi in literarum studiis et rerum scitu dignissimarum inuestigatione uersantes, ita sunt de mortalibus meriti ut nesciam, an ullum officii genus cum eo sit conferendum.
Certains ont donné non seulement des richesses mais aussi leur vie pour la dignité de l’Empire et pour le salut des citoyens ; d’autres ont inventé des arts variés pour le bien commun de l’existence ; beaucoup, versés dans les études des lettres et dans la recherche de matières tout à fait dignes d’être connues, ont rendu de si bons services aux hommes que je ne sais si quelque autre devoir est comparable à celui-là.
Nam ceterorum quidem benemerendi ratio ac facultas exiguis admodum et terrarum et uitae finibus continetur, doctorum uero hominum opera, atque industria nulla neque loci, neque temporis circumscriptione terminatur.
En effet, pour les autres, la capacité et la faculté de rendre service sont bornées par les limites tout à fait exiguës des terres et de l’existence tandis que l’œuvre des savants et leur activité ne sont limitées par aucun contour ni de lieu ni de temps.
Neque hi solum quidem uiui atque praesentes discendi studiosis prosunt sed idem etiam post mortem literarum monimentis consequuntur.
Eux, ils sont utiles non seulement de leur vivant à ceux qui poursuivent des études, mais après leur mort également ils s’incrivent ensuite dans le patrimoine littéraire.
Qua in re cum Graecia maxime praestaret, Latini ueteres tanta se laude superari turpe ducentes, ita cum Graecis scriptoribus ingenio et industria, ueluti de Imperii dignitate, certarunt ut, si minus eis palmam eripuerint, tantum quidem certe perfecerint, ut non multum aut nihil omnino illis cederetur.
Alors que sur ce point la Grèce emportait une très large victoire, les anciens Latins, pensant avec honte qu’ils étaient surpassés par une si grande gloire, ont tant rivalisé avec les auteurs grecs par leur talent et leur activité, comme s’il en allait de la dignité de l’Empire que, s’ils n’ont pas arraché la palme aux Grecs, ils sont du moins certainement parvenus à leur ne concéder que peu de choses, voire rien du tout.
Eorum studium patrum nostrorum memoria, qua parte potuerunt, aemulati multi uertendis in latinum sermonem Graecorum scriptis omnem prope operam suam contulerunt.
Se souvenant du zèle de nos pères, de nombreux émules ont mis, autant qu'ils l’ont pu, presque tout leur soin à traduire en langue latine les écrits des Grecs.
Quae res, cum non parum utilitatis studiosis afferre prospecta sit, tam multorum studium ad eosdem conatus excitauit, ut pauca admodum iam supersint quae non sint latinis literis illustrata.
Et cette entreprise, puisqu’elle avait semblé fort utile à ceux qui poursuivaient des études, excita à ces même efforts le zèle de gens si nombreux que désormais il reste bien peu de textes qui ne soient pas éclairés par les lettres latines.
Quamobrem nos quoque, quae nostra semper fuit in studiosos omnes animi propensio et gratificandi uoluntas, ex Poetis Graecis quosdam ad uerbum latinitate donandos pridem curauimus ac superioribus quidem annis Homerum, Aristophanem, Theocritum edidimus.
C’est pourquoi nous aussi, qui avons toujours eu un penchant pour tous les savants et la volonté de nous rendre agréable auprès d’eux, nous nous sommes chargé depuis longtemps de donner en traduction latine littérale certains des poètes grecs et nous avons fait paraître ces dernières années Homère, Aristophane et Théocrite.
Nunc Sophoclem Tragicorum principem daturi, in tuo potissimum nomine emittendum censuimus, quod nostram in te, non dicam beneuolentiam, sed pietatem obseruantiamque declarare cupientes, nulla alia re magis testatam eam apud te relinquere posse arbitrabamur quam si te iis muneribus donaremus, quibus tu potissimum delectarere.
À présent que nous nous apprêtons à faire paraître Sophocle, le prince des Tragiques, nous nous décidons à le faire paraître en ton nom de préférence à tout autre, parce que, souhaitant montrer je ne dirais pas notre bienveillance, mais notre respect et notre déférence à ton égard, nous pensions ne pouvoir te les prouver autrement qu’en te gratifiant de ces cadeaux qui, de ton côté, te seraient fort agréables.
Nam cum fortunae bona tanta et tam multa apud te sint ut nihil iam prope supra optandum putem, quid ego tam amplum praestare tibi poteram, quod dignitati tuae conueniret ?
Car puisque tu possédais chez toi une si grande fortune et de si nombreuses richesses que tu ne devais, à mon avis, alors presque rien espérer de plus, qu’aurais-je pu, moi, te fournir de si grand qui pût convenir à ta dignité ?
Gloriae uero Hieronymus pater tuus tantos quasi radios splendore uirtutum suarum in totam familiam uestram diffudit ut nihil ea sit illustrius, nihil honoratius.
Jérôme, ton père, par la splendeur de ses vertus, diffusa tant de rayons de gloire (pour ainsi dire) sur toute votre famille que rien n’est plus illustre que cette gloire, rien n’est plus honorable.
Et quamquam tu ita literarum Graecarum latinarumque, scientiam tenes ut nihil huiusmodi rebus egeas, non minus tamen gratum fore tibi hoc quicquid est munusculi sum arbitratus quam si et amplissimum foret, et plurimum tibi prodesse posset, quippe qui nihil magis quam eorum, qui te colunt, animum propendas ac benemerendi iuuandique uoluntatem, etiamsi non possint ; pro eo accipias, quasi maxime iuuerint.
Et bien que pour ta part tu possèdes la connaissance des lettres grecques et latines si bien que tu ne manques d’aucun écrit de cette sorte, j’ai pensé cependant que ce petit cadeau, quelle que soit sa valeur, ne te serait pas moins agréable que s’il s’agissait du plus important et du plus utile, puisque tu n’apprécies rien davantage que l’esprit de ceux qui t’honorent et leur volonté de rendre service et de plaire, même s’ils ne le peuvent pas ; ainsi puisses-tu les accepter comme s’ils t’étaient les plus agréables.
Vale, et nos ama.
Adieu et entoure-nous de ton affection.