Présentation du paratexte
L’épître dédicatoire est adressée par Bartholomeus Marlianus au cardinal George d’Armagnac. L’auteur évoque sa crainte de publier l’ouvrage et la recherche d’un dédicataire susceptible de la prémunir contre les critiques. Suivent un éloge du destinataire et des remarques sur l’édition.
Traduction : Sarah GAUCHERReuerendissimo et illustrissimo Georgio Armaniaco Rhutenen. Episcopo ac Sanctae Romanae Ecclesiae Cardinale dignissimo. Bartholomeus Marlianus S. D.
Au très respectable et très illustre Georges d’Armagnac, évèque de Rodez, et très digne Cardinal de la Sainte Église Romaine Bartholomeus Marlianus adresse son salut.
Sophoclis tragici poetae uitam, Praesul amplissime, eleganter, copioseque graece descriptam, duabus maxime de causis, penes me latere multos annos passus sum.
De nombreuses années durant, très généreux évêque, j’ai souffert de conserver entre mes mains la vie du poète tragique Sophocle, écrite dans un grec élégant et recherché, et ce principalement pour deux raisons.
Verebar enim ne si illam, perinde ut rem nouam, et adhuc incognitam, quae multis fortasse nota esset, in lucem ederem, inscitiae, impudentiaeque possem redargui.
Je craignais en effet d’être accusé d’ignorance et d’impudence si je mettais en lumière cet écrit comme un écrit tout nouveau et jusqu’à présent inconnu alors qu’il était sans doute familier à beaucoup.
Deinde cogitanti cui potissimum, tanquam tutelari alicui numini, poetae Graecis celebratissimi, et qui non Tragicis modo, sed caeteris paene omnibus gloria praestiterit, uitam committerem, qui mihi plane satisfaceret, haud facile occurrebat.
Ensuite, alors que je songeais à l’homme auquel je pouvais de préférence confier, comme à quelque divinité tutélaire, la vie du poète le plus célébré par les Grecs et qui, par sa gloire, l’a emporté non seulement sur les tragiques mais aussi sur presque tous les autres poètes, celui qui me satisferait pleinement se présentait difficilement à mon esprit.
Nunc autem postquam animaduerto eos, qui illud poetae huius septem tragoediarum, quae extant, diuinum opus summa diligentia conquisitum, typis excudendum curauere, et in iis Lascarem ipsum plurimae lectionis uirum, ac natione Graecum, qui eius etiam operis commentaria in lucem dedit, hanc auctoris uitam, ubi minime oportebat, praetermisisse: non est quod dubitem si eam, ueluti ex scena, in eruditorum theatrum tandem prodire iussero, ne non magno applausu, ut res noua ac literis Graecis operam nauantibus peroptanda, excipiatur.
Et maintenant que je remarque que ceux qui se sont chargés d’imprimer cette œuvre divine, rassemblée avec un soin scrupuleux, des sept tragédies restantes de ce poète et parmi eux Lascaris lui-même, homme de choix et grec de nationalité, qui a également fait paraître des commentaires de cette œuvre, ont négligé cette vie de l’auteur lorsque c’était le moins opportun, je n’ai pas de raison de douter que, si je décide de la faire enfin paraître, pour ainsi dire hors de la scène, sur le thèâtre des érudits, elle soit accueillie par une ovation, comme quelque écrit nouveau et souhaité par ceux qui servent les lettres grecques.
Cum uero demum, Praesul ornatissime, te utriusque linguae studium summa cum tua laude grauissimis cogitationibus consiliisque coniunxisse, et in omnes, qui studiis bonarum artium prodesse cupiunt, quacumque in re alterum Mecoenatem esse munificentia uideo: coeterasque singulares animi tui uirtutes circumspecto, (nam Regii generis nobilitatem, summasque tuas, tuorumque innumeras laudes in praesentia omitto, ne dicam paucis quae longiorem desyderant orationem) nihil est quod me amplius moretur, quin tanti Poetae huius uitam, priusquam temporis inuidia, quae eam hucusque latere passa est, penitus aboleri sinat, in medium proferam et Poetae ipsius et eius, quisquis is fuit, qui eam scripsit, memoriae consulam simulque bonarum literarum studiosis pergratum faciam.
Lorsque je vois, êvèque tout à fait distingué, que tu as joint avec la plus grande réussite l’étude des deux langues à des réflexions et des projets très importants ; que, pour tous ceux qui souhaitent être utiles aux études des beaux arts dans tous les domaines possibles, ta générosité fait de toi un nouveau Mécène ; que je contemple le reste des remarquables vertus de ton esprit, (car, pour abréger ce qui réclame un plus long traitement, je passe pour le moment sous silence ta noblesse de genre royal, les plus hauts éloges à ton égard et les louanges innombrables à l’égard des tiens), je n’ai pas de raison de m’empêcher plus longtemps de faire paraître la vie de ce si grand poète avant que le temps hostile, qui a toléré qu'elle reste cachée jusqu'à aujourd'hui, permette que celle-ci soit complètement anéantie et je n’ai aucune raison de m’empêcher plus longtemps de pourvoir à la mémoire de ce poète et de celui, quel qu’il fût, qui écrivit cette vie, et en même de faire un grand plaisir à ceux qui étudient les belles lettres.
Hanc igitur uitam, simul et nonnullas, quas Graeci γνώμας uocant, eiusdem Poetae sententias, in unum congessi, interpretatione Latina, ad eorum usum, qui Graecas literas ignorant, praeterea apposita.
C’est pourquoi cette vie, en même temps que quelques sentences du même poète, sentences que les Grecs appellent gnomai, je les ai rassemblées dans un seul livre, mettant par ailleurs en regard leur traduction latine pour l’usage de ceux qui ignorent les lettres grecques.
Id qualecunque est munusculum tibi dedicatum, ne quaeso uir humanissime quod tua dignitate, ac auctoritate longe dispar sit, despicere uelis, animumque meum potius consideres, qui non tam quid mittam, quam ut aliquid mittam, quo testari possim quam tibi sim deditus, potissimum expenderim.
Ce petit présent, quelle que soit sa qualité, t’a été dédié ; je t’en prie, homme tout à fait bienveillant, ne méprise pas ce qui est de loin inférieur à ta dignité et à ton autorité et considère plutôt ma disposition d’esprit, puisque j’ai pesé non pas tant ce que j’envoie que la manière dont je l’envoie pour te montrer combien je te suis dévoué.
Neque dedigneris tantillum libellum in tuam Bibliothecam admittere, qui multa contineat scitu dignissima et qui nescio an ulli nostrorum, aut etiam Graecorum, praesertim quoad uitam ipsam attinet, non fuerit antehac diu multumque desideratus.
Et ne refuse pas d’admettre un si petit livre dans ta bibliothèque, puisqu’il contient bien des choses tout à fait dignes d’être sues et que peut-être tout le monde chez nous et même les Grecs a longtemps et vivement attendu, dans la mesure où il concerne la vie elle-même.
Vale.
Adieu.