In Œdipum Tyrannum Sophoclis Argumentum Ioachimi Camerarii.
Ioachimus Camerarius

Présentation du paratexte

Argument de l’Œdipe Roi par Camerarius. Après un long résumé de la pièce (§1-11), le texte se signale par une courte comparaison entre l’Œdipe Roi de Sophocle et la pièce perdue d’Euripide sur le même sujet (§11-12).

Bibliographie : Traduction : Diandra CRISTACHE

In Œdipum Tyrannum Sophoclis Argumentum Ioachimi Camerarii.

Oedipe Roi de Sophocle : argument par Joachim Camerarius.

Laio, cum quo nupta esset Iocaste, filio Labdaci, qui nepos fuit Cadmi, ex filio Polydoro, non nascebantur liberi ; , quorum ille cupidus Apollinem quid facere se oporteret consuluit ; qui respondit, ut Euripides exposuit, senariis uersibus :

De Laïos, époux de Jocaste, fils de Labdacos lui-même petit-fils de Cadmos par son fils Polydore, ne naissaient pas d’enfants ; mais comme il en désirait, il consulta Apollon pour savoir ce qu’il convenait de faire ; et l’oracle répondit, comme Euripide l’a exposé, en sénaires :

Ne serito sulcos liberum ui Daemonum, Nam te satus quondam trucidabit tuus. 1

Ne plante pas les sillons avec la force du démon, car ton rejeton un jour te tuera.

Alii oraculum exposuere uersibus Hexametris huius sententiae :

D’autres ont raconté que l’oracle avait donné sa réponse en hexamètres :

Laie Labdacide sobolem me supplice poscis Voce tibi, sed ego natum promitto petenti. In fatis tamen est dulcem illius tibi lucem Ereptum ire manum, Pelopi sic Iuppiter olim Annuit oranti, cuius natum rapuisses. 2

Laïos, descendant de Labdacus, tu me réclames d’une voix suppliante une descendance. Or, moi, je promets à celui qui le demande un enfant. Cependant, il est écrit que sa main t’ôtera la douce lumière du jour : ainsi Jupiter l’a jadis promis à Pélops, parce que tu lui avais ravi son enfant.

Significabatur autem oraculo Chrysippus filius Pelopis et Danaidis.

L’oracle faisait référence à Chrysippe, fils de Pélops et Danaïs.

Huius ille immemor quadam nocte, cum se plusculum in conuiuio inuitasset, concubuit cum uxore, et illam filio impleuit.

Ayant oublié cet oracle, Laïos, une nuit, alors qu’il s’était un peu trop régalé lors d’un festin, coucha avec sa femme et conçut avec elle un fils.

Quo edito in lucem, reuersoque in memoriam oraculo, metuens suae uitae Laius, dedit interficiendum pastori.

Une fois l’enfant né, s’étant rappelé l’oracle et craignant pour sa propre vie, Laïos le donna à un berger pour qu’il le tue.

Ille suspensum, resti traiecta per utrumque pedem, reliquit in solis locis Cithaeronis.

Mais lui le laissa suspendu les deux pieds liés dans un coin désert du Cithéron.

Sed forte tum Meliboeus, pastor Polybi, qui Corinthum teneret, seu inuentum, seu acceptum a pastore Laii, moto misericordia, ad regem suum detulit, qui cum et ipse liberis careret, tamquam filium educi curauit, et a tumore pedum nominauit Œdipum.

Mais par hasard, Méliboeus, berger du roi de Corinthe Polybe, soit qu’il l’eût trouvé, soit l’eût reçu du berger de Laïos, mu par la pitié, l’apporta à son roi, qui, puisque lui-même n’avait pas d’enfants, prit soin de l’élever comme son fils, et l’appela Œdipe à cause de sa blessure aux pieds.

Cum autem adoleuisset, interque aequales unus per iram exprobrasset generis ignobilitatem, profectus Delphos Œdipus, de patre Apollinem consuluit.

Or, alors qu’il avait grandi et que l’un de ses pairs lui avait reproché la bassesse de sa naissance dans un élan de colère, Œdipe, s’étant rendu à Delphes, consulta Apollon à propos de son père.

Qui quidem de genere nihil explanauit, sed respondit eum parricidam futurum et maritum matris suae. Itaque ille reuerti Corinthum noluit.

Et l’oracle ne lui expliqua rien au sujet de sa naissance, mais lui répondit qu’il serait l’assassin de son père et le mari de sa mère. Ainsi, lui ne voulut plus retourner à Corinthe.

Et ingressus uiam in triuio, quae σχιστὴ ὁδός dicebatur, ducentem Thebas, obuium parentem, a quo, quia non cessisset, sceptro fuerat percussus, interemit.

S’étant engagé sur une route qui menait à Thèbes, dans un carrefour, que l’on appelait σχιστὴ ὁδός, il tua son père qu’il avait rencontré sur sa route et qui, puisqu’il ne lui avait cédé le passage, l’avait frappé avec une épée.

Eo tempore infesta erat regio Thebana latrociniis Sphingis : monstrum id erat uirgineo ore, quod captis et in praecipitium adductis aenigma proponere solebat, quod non dissoluentes, deiciebat de saxis.

À cette époque, la région de Thèbes était exposée aux attaques d’une Sphinge : c’était un monstre à tête de jeune fille, qui avait coutume de proposer une énigme aux gens, après les avoir enlevés et amenés au bord d’un précipice, et qu’elle poussait, s’ils ne la résolvaient pas, depuis les falaises.

Id tale fuisse traditur : Nutrit humus bipedem 3 , et caetera.

On rapporte ainsi cette énigme : « le sol le nourrit, bipède, etc. »

Sed Œdipus explicuisse fertur, tum Sphinga sese ultro de saxo praecipitem dedisse, ita ductam reginam uxorem ab Œdipo ex pacto.

Mais Œdipe, dit-on, trouva la solution et la Sphinge se jeta de la falaise tête la première, et ainsi Œdipe prit la reine pour épouse comme convenu.

Alii tradidere adiunxisse Œdipum se Sphingi socium latrocinii, et circumuentam clam praecipitasse de saxo.

D’autres ont rapporté qu’Œdipe s’était associé à la Sphinge pour faire du brigandage, et que l’ayant trompée, il la précipita de la falaise.

Ex Iocasta matre uolunt Œdipum suscepisse illos liberos utriusque sexus, qui memorantur : de quo alias dicendi locus erit.

On veut qu’Œdipe ait engendré de sa mère Jocaste de célèbres enfants, garçons et filles : on aura l’occasion d’en dire quelque chose ailleurs.

Interea Thebanus populus diutina pestilentia et fame uexatus, ad Œdipum regem, opem auxiliumque implorans, confugit ; sed ille non expectata imploratione, iam miserat uxoris fratrem Creonta consultum de causa opeque mali Apollinem.

Entre-temps, le peuple de Thèbes, accablé par une peste et une famine durables, alla trouver son roi, Œdipe, implorant son secours et son soutien ; mais lui, sans attendre leur prière, avait déjà envoyé Créon, le frère de son épouse, auprès d’Apollon pour le consulter sur la cause du mal et sur son remède.

Qui reuersus nuntiat Apollinem iubere placari manes interfecti Laii, pulso patratore caedis.

Une fois de retour, Créon annonce qu’Apollon souhaite que les mânes de Laïus assassiné soient apaisés par l’exil de son meurtrier.

Quaeritur igitur quis facinoris tanti fuerit auctor.

On demande alors qui est l’auteur d’un si grand crime.

Et cognoscit tandem Œdipus, non modo eum sese esse, sed etiam incestas celebrasse cum matre nuptias.

Et finalement Œdipe apprend qu’il est non seulement le meurtrier, mais aussi qu’il a célébré des noces incestueuses avec sa mère.

Iocaste celeriter re cognita, finit laqueo uitam, Œdipus ubi omnia comperta et plana esse uidet, luminis usu se priuat acu effossis oculis.

Jocaste, ayant vite pris connaissance de ces faits, se suicide par pendaison. Œdipe, quand il voit que tout est découvert et mis au jour, se prive de l’usage de la vue en se crevant les yeux au moyen d’une aiguille.

Hanc fabulam quia summo artificio scripta fuerit, Tyrannum dictam uolunt, etsi ferunt in huius argumenti editione uictum Sophoclem a Philocle.

On veut que cette pièce ait été appelée Tyrannus, parce qu’elle a été écrite avec une très grande habileté, même si on rapporte, dans l’édition contenant cet argument, que Sophocle fut vaincu par Philoclès.

Sed ueri est similius non respexisse poetam ad scripti perfectionem, dum nomen imponit, sed potius uoluisse discernere hanc ab altera Œdipo sua, quae esset quasi mendici et miseri.

Mais il est plus vraisemblable que le poète ne se soit pas soucié de la perfection de son texte en lui donnant ce nom, mais plutôt qu’il ait plutôt voulu le distinguer de son autre pièce dédiée à Œdipe, où ce dernier était présenté tel un mendiant et un misérable.

Tyrannum aut uolunt a Tyrreno dictum, qui ex Lydia coloniam deduxerit in Italiam.

Ou on veut que la pièce ait été nommée Tyrannus d’après Tyrrenus, qui, de Lydie, avait implanté une colonie en Italie.

Alii ab ipsa gente quae immanis esset et uiolenta.

D’autres veulent qu’elle ait été nommée d’après cette même nation parce qu’elle était monstrueuse et violente.

Sed hoc nomine maxime ac primum sunt usi poetae post Homerum, qui etiam saeuissimus.

Mais ce titre a été utilisé surtout et avant tout par des poètes postérieurs à Homère, qui était également tout à fait cruel.

Regem Ἔχετον βροτῶν δηλήμονα πάντων, βασιλῆα 4 nominauit.

Il nomma le roi Echétos fléau de tous les mortels.

Sciendum cum tragicae fabulae complectantur imitationem rerum grandium et non leuium aut uulgarium, uel ut Graeci aiunt τῶν δεινῶν, potissimum laudari, quae magnam afferat expectationem exitus miserabilis, inopinati, terribilis, ut in ipsa expositione auditores, quamque extra pericula, tamen horrescant repraesentatione eorum quae diximus.

Il faut savoir, alors que les pièces tragiques consistent en une imitation de faits grandioses, et non pas légers ou ordinaires, ou, comme le disent les Grecs, des faits effrayants, la couvrir des plus grandes louanges si elle fait naître l’attente d’une fin misérable, inattendue, terrible, de sorte que, lorsqu’elle se déploie, les spectateurs, bien qu’ils soient hors de danger, soient cependant terrifiés par la représentation des faits dont nous avons parlé.

Qua propter omnium consensu huic fabulae et alteri Œdipo Coloneo, primae datae sunt.

C’est pourquoi, à l’unanimité, on a donné à cette pièce et à l’Œdipe à Colone, les premières places.

Et ex Euripideis in admiratione est Orestes, Hippolytus, Phoenissae.

Et parmi les pièces d’Euripide, on admire Oreste, Hippolyte et Les Phéniciennes.

At Rhesum et Cyclopem, sunt qui negent Euripidis esse.

Quant à Rhésos et au Cyclope, il en est qui nient qu’elles soient d’Euripide.

Quis enim percellatur aut timore aut misericordia, cum Polyphemo strui malum et interitum, qui humanis carnibus pasceret, intellexerit ?

Qui en effet serait touché par la crainte ou la pitié en comprenant le malheur et la fin promis à Polyphème qui se nourrissait de chair humaine ?

Quis autem non ferat aequo animo malo interitu occidere illum gloriantem Thraca, deumque et hominum contemptorem ?

Qui pourrait supporter sans ciller que ce Thrace plein de lui-même, contempteur des dieux et des hommes, ne succombe pas d’une mort terrible ?

Quin potius talibus euentibus patefieri diuinam ultionem et uindictam existimant.

Bien plus, on estime que de tels dénouements font voir la punition et la vengeance divine.

At ubi uir bonus et honestatis uirtutisque amans, indignum in malum impellitur, quasi fatali ui, aut peccata uel non uoluntate, uel ignoratione quoque commissa, poenas extremas sustinent, tum et metus et misericordia talibus ab exemplis homines inuadit, et lamenta horroresque excitant.

Mais lorsqu’un homme bon, qui chérit l’honnêteté et la vertu, est jeté dans un malheur indigne de lui pour ainsi dire par la force du sort ou que les fautes qu’il a commises involontairement ou par ignorance entraînent des châtiments extrêmes, alors, devant ce genre d’exemples, la crainte et la pitié envahissent les hommes et elles provoquent chez eux tristesse et horreur.

Haec igitur fabula merito laudem prae omnium aliis habet, quamuis non etiam sit non similiter laudabiles inter Euripideas reperire, quem propter hanc causam Aristoteles quisquam, autor libri eius qui de poetica circumfertur, τραγικώτατον 5 fuisse dicit, etsi dispositione saepe reprehendenda usum.

Aussi cette pièce reçoit à juste titre la gloire d'être la meilleure de toutes, même s'il est tout à fait possible d'en trouver de bonnes dans la production d'Euripide dont, pour cette raison, un certain Aristote, auteur d’un ouvrage sur la poétique affirme qu’il fut le plus tragique des tragiques, même s’il a fait montre d’une disposition souvent blâmable.

Et Sophoclem ferunt dixisse, se quidem repraesentare actiones rerum, quales esse conueniat, Euripidem quales sint.

Selon certains, Sophocle a dit qu’il représentait les choses telles qu’elles devraient être, Euripide les choses telles qu’elles sont.

Sed hactenus haec attigisse sufficiat.

Mais en voilà assez sur ce sujet.


1. La référence demeure introuvable.
2. La référence demeure introuvable.
3. La référence demeure introuvable.
4. Hom., Od. 18, 85 ; 116 ; 308..
5. Arstt., Poet. 1453a.