Présentation du paratexte
Argument de l’Œdipe à Colone de Sophocle par Winshemius . L’auteur reprend la chronologie d’écriture des pièces sophocléennes, rappelant que l’Œdipe à Colone, dernière pièce de Sophocle, retranscrit les préoccupations du tragique à la fin de sa vie. Le propos politique de la pièce, et notamment la recommandation d’Œdipe à Thésée de se méfier de l’alliance avec les Béotiens, est également présenté comme une manière détournée du poète de parler de la politique de son époque. Le texte se termine par un éloge du style de Sophocle.
Bibliographie : Traduction : Sarah GAUCHERIn Œdipum Coloneum Sophoclis.
Sur Œdipe à Colone de Sophocle
Haec fabula a Sophocle sene scripta dicitur, cum iam annum secundum et octogesimum ageret.
On dit que cette pièce fut écrit par Sophocle dans sa vieillesse, alors qu’il entamait déjà sa 82e année.
Notus enim est locus Ciceronis in Catone maiore, ubi sic ait.
Il y a un passage connu du Cato maior de Cicéron où il dit ceci :
Manent ingenia senibus, modo permaneat studium et industria, nec ea solum
in claris et honoratis uiris, sed in uita etiam priuata et quieta. Sophocles ad summam senectutem tragoedias fecit,
qui propter studium, cum rem familiarem negligere uideretur, a filiis in
iudicium uocatus est, ut quemadmodum, nostro more, rem male gerentibus
patribus, bonis interdici solet, sic illum quasi desipientem a re familiari
remouerent iudices. Tum senex dicitur eam fabulam, quam in manibus habebat,
et proxime scripserat, Oedipum Coloneum
recitasse iudicibus, quaesisseque num illud carmen desipientis uideretur:
quo recitato, sententiis iudicum est liberatus.
1
« Les vieillards conservent leurs dispositions naturelles, pourvu qu’ils conservent jusqu’au bout leur application et leur activité; et cela vaut non seulement pour les personnages illustres et chargés d’honneurs, mais aussi pour la vie paisible d’un particulier. Sophocle a, jusqu’à l’extrême vieillesse, composé ses tragédies ; comme cette occupation semblait lui faire négliger son patrimoine, ses fils le citèrent en justice ; de même que chez nous on enlève aux pères qui gèrent mal leur fortune l’administration de leurs biens, ils voulaient lui faire interdire par les juges, sous prétexte de déraison, l’usage de son patrimoine. Alors le vieillard lut aux juges, dit-on, la pièce qu’il avait entre les mains et venait d’écrire, Œdipe à Colone, puis il demanda si ce poème semblait l’œuvre d’un homme privé de raison ; après cette lecture, les juges rendirent un verdict d’acquittement. »
Hactenus Cicero.
Fin de la citation de Cicéron.
Non uero dubium est, quin Sophocles in his fabulis praecipuarum rerum suae aetatis quasi exempla et imagines expresserit.
Mais il n’y a pas de doute que Sophocle dans ces tragédies ait donné à voir pour ainsi dire les exemples et les représentations des principales problématiques de son âge.
Et hac fabula uidetur suae domus et senectutis suae fortunam deplorare.
Et, à travers cette tragédie, il semble déplorer le sort de sa maison et de sa vieillesse.
Introducit enim Œdipum caecum iam et afflictissimum senem, a liberis et Creonte in exilium pulsum, uarieque uexatum, praedicentem filiis exitium ob impietatem erga parentem, et defensum ab alienis aduersus suorum iniurias.
En effet, il présente Œdipe comme un vieillard désormais aveugle et dans une extrême souffrance, poussé à l’exil par ses enfants et par Créon, subissant toutes sortes de tourmentes, prédisant la mort de ses fils à cause de leur impiété envers leur père et défendu par des étrangers contre les outrages des siens.
Idem sibi quoque euenire Sophocles significat.
Sophocle veut dire que la même chose lui est également arrivée.
Pertinet igitur haec fabula ad hanc
partem legis diuinae, Honora parentes etc.
2
Cette pièce renvoie donc à cette partie de la loi divine « Honore tes parents etc. »
Sed quemadmodum ubique solet, ita hic quoque multa politica admiscet.
Mais de même qu’il en a partout l’habitude, Sophocle mêle ici également de nombreuses questions politiques.
Monet enim hic Œdipus Thesea grauissimis uerbis, ne foederi aut societati cum Boeotiis nimium confidat quod nihil firmi aut fidi sit in foederibus et societatibus hominum leuique momento saepe arctissimae coniunctiones dissiliant, idque non tantum in regnorum et urbium inter ipsas foederibus et amicitiis accidere, uerum etiam in priuatis, illisque adeo amicitiis, quas inter homines natura uoluerit esse sanctissimas, qualis sit inter parentes ac liberos.
En effet, dans cette pièce Œdipe conseille à Thésée avec des mots très graves de ne pas placer trop de confiance dans le traité ou l’alliance avec les Béotiens parce qu’il n’y a rien de ferme ou d’assuré dans les traités et les alliances des hommes et les liens les plus étroits se défont souvent en un instant ; il dit que cela arrive non seulement dans les traités et les alliances entre rois et entre villes, mais aussi dans les affaires privées et jusque dans les alliances dont la nature a voulu qu’elles soient les plus sacrées entre les hommes, comme entre les parents et les enfants.
Quasi dicat, non mirum uobis uideri debet, quod Boeotii, qui olim coniunctissimi amici Atheniensibus fuerunt, nunc infestissimo odio hanc urbem prosequuntur: uidetis enim quid contra me immerentem ac placidissimum senem filii mei moliantur.
C’est comme s’il disait : il ne doit pas vous sembler étonnant que les Béotiens, qui jadis furent les plus proches alliés des Athéniens, poursuivent maintenant cette ville de la haine la plus farouche, car vous voyez ce que mes fils entreprennent contre moi qui suis un vieillard innocent et tout à fait tranquille.
Et oblique monet Thebanos quoque, ne nimium confidant amicitiae Lacedaemoniorum, quod et illa aliquando dissolui possit, Id quod paulo post accidit ; estque post paucos annos potentia Lacedaemoniorum a Beotiis ita labefacta, ut numquam posthac uires pristinas recuperare potuerint.
Et d’une manière détournée il conseille également aux Thébains de ne pas placer trop de confiance dans l’alliance avec les Lacédémoniens parce que celle-ci aussi peut un jour être dissoute ; c’est ce qui arriva peu après ; quelques années plus tard l’influence lacédémonienne fut renversée par les Béotiens de sorte qu’ensuite les premiers ne retrouvèrent jamais leur puissance d’antan.
Iam et hoc operae pretium est, illius apiculae Atticae, sic enim Sophoclem uocarunt, iam senescentis uocem audire, et uidere quomodo in senibus oratio maturescat, hoc est, simplicior, dulcior, et naturae rerum uicinior ac similior efficiatur.
Il vaut donc la peine d’entendre la voix de cette petite abeille attique (car c’est ainsi qu’on appela Sophocle), entendre la voix d’un homme qui décline et de voir comment le discours des vieillards a mûri, c’est-à-dire comment il est devenu plus simple, plus doux, plus proche de la nature des choses et plus semblable à elle.
Est enim in hac fabula lenis et
dulcissima oratio ac plane quod prouerbio dicitur
κύκνειον ἆσμα , hoc est Cygnea cantio
3.
En effet, dans cette pièce, son discours est doux et tout à fait agréable, ce que le proverbe appelle un κύκνειον ἆσμα, c’est-à-dire le chant du cygne.
Sententiae uero et cogitationes tranquilliores ac grauiores hic sunt, et omnia plena salutaribus ac grauissimis uitae praeceptis, perinde ac si quis uenerandum aliquem senem, ingenio et doctrina praestanti praeditum, ac longo insuper usu rerum exercitatum in Senatu uel contione de rebus magnis, grauibus et necessariis perorantem audiat.
Les sentences et les réflexions y sont plus paisibles et plus graves et tout est plein de préceptes de vie utiles et tout à fait graves, comme si l’on entendait un vieillard respectable, doté d’un esprit et d’un savoir remarquable, aguerri en outre par sa longue expérience, faire au Sénat ou à l’assemblée un discours sur des sujets importants, graves et nécessaires.
Ergo adolescentes hoc scriptum, ut maturum tanti uiri foetum, praecipue amabunt et diligenter ac studiose euoluent.
Ce sont donc principalement les adolescents qui aimeront cet écrit en tant que fruit mûr d’un si grand homme et qui l’expliqueront scrupuleusement et soigneusement.