Trachiniae Sophoclis. Argumentum.
Vitus Winshemius

Présentation du paratexte

Argument des Trachiniennes de Sophocle par Winshemius . Comme dans l’argument d’Antigone, l’accent est mis sur la notion de providence divine et sur l’espoir d’une vie future où le héros obtiendra la récompense de ses labeurs. Suit une digression sur la traduction de Sophocle dans les Tusculanes : Cicéron doit servir de guide au traducteur et d’argument d’autorité pour le lecteur.

Bibliographie : Traduction : Sarah GAUCHER

Trachiniae Sophoclis. Argumentum.

Les Trachiniennes de Sophocle. Argument.

Haec fabula uberrime descripta est ab Ouidio libro 9 Metamorphoseon.

Cette histoire a été abondamment décrite par le 9e livre des Métamorphoses d’Ovide.

Continet autem postremum actum rerum Herculis, quem inter Heroas primo loco collocauit antiquitas et attribuit ei summam rerum gestarum gloriam.

Elle contient le dernier acte de la geste d’Hercule, que l’Antiquité a placé au premier rang des Héros et qu’elle a porté au pinacle pour ses exploits.

Operae pretium uero est uidere, qualem catastrophen et exitum uitae sortitus sit uir tantus.

Il vaut la peine de voir quel le catastrophe et quel dénouement un si grand héros a obtenu du sort.

Qui cum uictoriarum fama et nominis sui gloria impleuisset totum orbem, potitus tandem ea uictoria, quae illi finem laborum allatura uidebatur, cum iam se in posterum quietam uitam acturum speraret, concidit domestico uulnere, interfectus errore a coniuge sua.

Car lui, alors qu’il avait rempli la terre tout entière de la renommée de ses victoires et de la gloire de son nom, après s’être finalement emparé de la victoire qui semblait devoir mettre fin à ses travaux, alors qu’il espérait mener ensuite une existence paisible, il succomba d’une blessure domestique, puisque son épouse le tua par erreur.

Praebuit uero huic tam tristi calamitati causam uaga libido ipsius.

C’est son désir déréglé qui lui causa ce si triste malheur.

Nam cum uxori pellicem ob oculos adduceret, illa dolore muliebri incensa, marito tunicam ueneno, quod ipsa philtrum esse credebat, infectam mittit.

En effet, alors qu’il ramenait une rivale sous les yeux de son épouse, cette dernière, enflammée d’une douleur féminine, envoie à son mari une tunique infectée par un venin qu’elle croyait être un philtre.

Quo ueneno cum inflammatus horribiliter cruciaretur tandem impatientia, et magnitudine doloris uictus, rogum sibi in monte Œta instrui iubet seque in eo collocat et a Poeante, patre Philoctetae, ut incendatur, impetrat : ita obrumpit cum uita dolorem.

Et, alors que ce venin qui l’a embrasé lui cause une horrible torture, finalement terrassé par une souffrance qu’il ne peut supporter et une douleur immense, il ordonne qu’on lui dresse un bûcher sur le mont Œta, il s’y place et obtient que Poeas, le père de Philoctète, y mette le feu : il met ainsi fin à sa douleur en même temps qu’à sa vie.

Sed hoc tamen memorandum est quod inter Ethnicos, homines ingeniosi, cum uiderent uiros magnos ac praestantes in hac uita multis duris certaminibus obici et tandem multis calamitatibus exercitos multisque laboribus perfunctos, saepe etiam tragicum, tristemque uitae exitum sortiri, his exemplis moti, de prouidentia diuina, deque immortalitate cogitare coeperunt.

Mais il faut cependant se souvenir que, parmi les païens, les hommes intelligents, lorsqu’ils voient que des hommes grands et remarquables sont poussés ici-bas dans des combats nombreux et difficiles et qu’à la fin ceux qui ont été tourmentés par de nombreux malheurs et se sont acquittés de nombreux travaux obtiennent souvent du sort une fin tragique et triste, entreprennent, émus par ces exemples, de songer à la providence divine et à l’immortalité.

Hinc est, quod Herculem uiuum adhuc et semiustulatum a rogo ad caelum transferunt ibique aeternam sedem, et debitum pro uirtute honorem illi tribuunt, significantes pietatem ac uirtutem, etsi in hac uita adflicta sit, tamen post hanc uitam aeterna praemia manere.

De là vient qu’ils font passer Hercule encore vivant et à demi-brûlé du bûcher au ciel et qu'ils lui attribuent là-bas un séjour éternel et un honneur que lui a fait mériter son courage, montrant ainsi que la piété et le courage, même s’ils ont été mis à mal ici-bas, attendent cependant dans l’au-delà d’éternelles récompenses.

Haesit enim haec sententia Legis diuinitus sculpta in mentibus hominum saniorum ac recte institutorum omnibus saeculis inde usque a sanctis Patribus quod Deus malos puniat, bonis uero benefaciat.

En effet, cette phrase de la Loi gravée par Dieu est ancrée dans l’esprit des hommes sensés et de bonnes mœurs à toutes les époques depuis les Saints Pères : Dieu punit les méchants mais il favorise les hommes de bien.

Cum igitur saepe contrarium in hac uita fieri uiderent, coacti sunt statuere aliam uitam restare, in qua iudicium fieret, discrimen ostenderetur, bonique praemia, et mali poenam sortirentur.

En conséquence, alors qu’ils connaissent souvent l’adversité ici-bas, ils sont forcés de penser qu’il reste une autre vie où le jugement advient ; où la distinction est faite et où les hommes de bien obtiennent des récompenses et les mauvais un châtiment.

Est uero in hoc exemplo praecipue obseruandum, quod tam miserabiliter, et tam leui momento euertitur uir tantus : cui libido et causa est et occasio poenae.

Ce qu’il faut surtout observer dans cet exemple c’est qu’un si grand homme soit mis à bas de façon si misérable et en un si court instant : or, c’est son désir qui est à la fois la cause et l’occasion de sa punition.

Corruit, qui foris inuictus erat, uulnere domestico : quae uulnera et acerbiora sunt et minus caueri possunt.

Lui qui était invaincu hors de chez lui, il s’écroule d’une blessure domestique ; or, ces blessures à la fois sont plus difficiles à endurer et moins faciles à soigner.

Libido uero illi, quae et multis aliis, exitio fuit.

Le désir lui fut funeste, à lui et à bien d’autres également.

Haec satis sit dixisse de argumento huius tragoediae.

C’est assez parlé sur l’argument de cette tragédie.

Omitto enim uaria et prodigiosa figmenta, quae de Hercule, magna libertate sparsit antiquitas.

Je passe en effet sous silence les diverses inventions prodigieuses que l’Antiquité a répandues avec une grande liberté à propos d’Hercule.

Conferunt enim in hunc Heroem paene quidquid est fabulosarum imaginum.

On rapporte en effet à propos de ce héros presque tout ce qu’il y a de représentations mythiques.

Debet uero haec fabula nobis esse carior, cum propter orationis splendorem, et magnificentiam, ac multa praeclara lumina, tum uero, quod Cicero 2 libro Tusculanae quaestionum quaedam ex ea in Latinam linguam conuertit1.

Cette pièce doit nous être plus précieuse d’une part en raison de la splendeur de son discours, de sa magnificence et de ses nombreuses lumières éclatantes et d’autre part parce que Cicéron en traduit une partie en langue latine dans le livre 2 des Tusculanes.

Quae nobis illustre exemplum esse possunt, ex quo discamus quomodo ex Graecis Latina sint facienda et quam in uertendo formam probarint ueteres.

Et nous pouvons regarder ces vers comme un exemple illustre pour apprendre comment l’on doit forger du latin à partir du grec et quelles formes approuvent les Anciens en matière de traduction.

Est uero, ipso Cicerone teste, non aliud utilius aut fructuosius exercitii genus, quam splendidiora loca ex Graecis auctoribus in Latinum sermonem transferre.

Du témoignage de Cicéron lui-même, aucun autre genre d’exercice n’est plus utile ou plus fructueux que de traduire les passages assez brillants des auteurs grecs en langue latine.

Ad quam rem, quid conferat Sophocles, experientur hi, qui in eo euoluendo operam ponent et illustrioribus locis uertendis sese exercebunt.

Et ce que peut apporter Sophocle en la matière, en feront l’expérience ceux qui mettront leur soin à l’étudier et qui s’exerceront à en traduire les passages particulièrement brillants.


1. Cic., Tusc. 2.20-22.