Présentation du paratexte
Argument de Philoctète de Sophocle par Winshemius . Le texte se décompose en deux moments : un long résumé de la pièce (§1-17) ; une focalisation sur les argumentaires contraires d’Ulysse et de Néoptolème et sur l’essentielle fonction de la divinité dans la réussite des entreprises humaines (§17-33).
Bibliographie :- Voir Opera Camerarii : http://kallimachos.de/camerarius/index.php/Winsheim,_Interpretatio_tragoediarum_Sophoclis_(Druck),_1546
Sophoclis Philoctetes. Argumentum Fabulae.
Philoctète de Sophocle. Argument de la pièce.
Philoctetes filius Poeantis, amicus et comes Herculis, qui ab Hercule exoratus in monte Œta ipsius rogo flammam, ut est apud Ouidium, libro 9 Metamorphoseon, subiecisse dicitur.
Philoctète est le fils de Péas, ami et et compagnon d’Hercule : à la demande d’Hercule, dit-on, il a enflammé son bûcher sur le mont Œta, comme cela est raconté dans le livre 9 des Métamorphoses ovidiennes.
Alii hoc Poeanti ipsius patri tribuunt ; pro quo beneficio pharetram et sagittas felle Lernaeae Hydrae illitas ab Hercule dono accepit.
D’autres attribuent ce fait à son père Péas : et, en échange de cette faveur, Hercule lui donne un carquois et des flèches trempées dans le venin de l’Hydre de Lerne.
Cum uero Graeci oraculo admoniti essent, Troiam capi non posse sine sagittis Herculis, quaesitus est Philoctetes ; et quia ipse solus iis sagittis uti posset, ad bellum Troianum pertractus est.
Alors qu’un oracle avait averti les Grecs qu’ils ne pourraient pas prendre Troie sans les flèches d’Hercule, on fit chercher Philoctète ; et parce que lui seul, disait-on, pouvait faire usage de ces flèches, il fut traîné à la guerre de Troie.
Sed in itinere, dum aram quaerit ubi sacrificaret Herculi, morsus est a uipera quae illi uulnus immedicabile inflixit in pede.
Mais, en chemin, tandis qu’il cherchait un autel pour faire un sacrifice à Hercule, il fut mordu par une vipère qui lui infligea une blessure incurable au pied.
Cum igitur Principes Graeci in exercitu, et foetore hulceris putridi, et assiduis ipsius querelis ac lamentionibus offenderentur, de sententia Vlyssis in deserto loco insulae Lemni expositus ac relictus est.
Ainsi, alors que les Princes grecs de l’armée étaient dérangés par la puanteur de sa plaie purulente et par ses plaintes et lamentations continuelles, il fut, sur l’avis d’Ulysse, débarqué et abandonné dans un lieu désert de l’île de Lemnos.
Hoc Vlyssi inter crimina obiicit Aiax in XIII Metamorphose.
Ajax, dans la Métamorphose 13, fait ce reproche accusateur à Ulysse.
Post exactos uero decem annos, cum iam excidium Troiae immineret, hoc tamen obstaret, quod Philoctetes et sagittae Herculis abessent, mittuntur legati Neoptolemus et Vlysses ab exercitu, qui Philocteten ex Samo retrahant, atque adducant.
Mais, après exactement dix ans, alors que la destruction de Troie était désormais imminente et que l’absence de Philoctète et des flèches d’Hercule y faisait cependant obstacle, Néoptolème et Ulysse sont envoyés par l’armée en délégation pour ramener Philoctète de Samos1 et le faire venir.
Cum autem ille odio totius exercitus, et praecipue Vlyssis arderet, singulari arte opus erat, qua uirum suapte natura morosum, ac pertinacem, et uiolentia morbi insuper efferatum flecterent.
Or, puisque ce dernier avait envers toute l’armée et principalement envers Ulysse une haine ardente, il fallait un talent particulier pour fléchir un homme difficile de nature, tenace et en plus effarouché par la violence de la maladie.
Callide igitur aggrediendus erat, ac dolo circumueniendus, cum aperte et simpliciter agendo nihil ab eo impetrari aut obtineri posset: et uim adhibere uiro forti, atque iracundo, tamque saeuis sagittis armato, periculosum uideretur.
Il fallait donc l’approcher habilement et l’abuser par la ruse, puisqu’on ne pouvait rien avoir ni obtenir de lui en agissant ouvertement et simplement et qu’il semblait périlleux d’employer la force contre un homme vigoureux, irrité et armé de flèches si terribles.
Praeformat itaque Vlysses socium legatum Neoptolemum atque docet, quomodo fallendus sit Philoctetes.
C’est pourquoi Ulysse forme préalablement son compagnon légat Néoptolème et lui apprend comment il faut duper Philoctète.
Et adolescenti generoso ac Heroico uix longa oratione persuadere potest, ut ad struendum dolum adiutor sit, qui aliquamdiu quidem obtemperat, sed tandem ad ingenium redit fraudemque aperit : atque ea est fabulae protasis.
Et c’est avec peine qu’il parvient à persuader le noble et héroïque jeune homme de l’aider pour tendre le piège, lui qui obtempère, certes, après un moment mais qui revient finalement à sa disposition d’esprit et évente la ruse : et c’est là la protase de la pièce.
Epitasis uero uarias concertationes Pyrrhi et Vlyssis cum Philoctete, querelas et lamentationes ipsius ac diras imprecationes continet.
Et l'épitase contient les différentes discussions de Pyrrhus et Ulysse avec Philoctète, ses plaintes et ses terribles imprécations.
Tandem cum nulla ratione flecti posse uideretur, et legati re infecta ad exercitum redituri essent, insperato Hercules adparens difficultatem omnem discutit, Philoctetae persuadet, ut uolens ad Troiam proficiscatur, opemque et auxilium ei pollicetur.
Finalement, alors qu’il semble ne pouvoir être fléchi par aucun argument et que les légats sont sur le point de revenir vers l’armée sans avoir réussi leur mission, Hercule, apparaissant de manière inattendue, supprime toute difficulté, persuade Philoctète de se rendre à Troie de son plein gré et lui propose son secours et son aide.
Eaque est fabulae catastrophe.
Et voilà la catastrophe de la pièce.
Post excidium uero Troianum, Philocteten in Calabriam uenisse, atque ibi Petiliam urbem condidisse prodiderunt, quod et Virgilius testatur libro tertio Aeneidis.
Or, après la chute de Troie, on rapporte que Philoctète vint en Calabre et que là il fonda la ville de Pétilia, ce qui est attesté dans le livre 3 de l’Énéide de Virgile.
2
« C’est là que cette petite Pétilia s’appuie sur les remparts du chef de Mélibée, Philoctète ».
Diximus autem in singulis fabulis Sophocleis tractari aliquas insignes disputationes politicas.
D’autre part, nous avons dit que dans chaque pièce de Sophocle d’importantes questions politiques sont débattues.
Ita in Philoctete quoque duo sunt praecipui loci.
Ainsi, dans Philoctète, il y a aussi deux lieux communs d’importance.
Primum disputant inter se duo uiri, alter consilio et sapientia, alter uirtute ac robore praestans utrum reipublicae causa aliquando insidiis ac dolo utendum sit an uero semper aperte et simpliciter agendum.
D’abord, deux hommes, l’un remarquable par sa résolution et sa sagesse, l’autre par sa vertu et sa pugnacité, débattent pour savoir s’il faut quelquefois utiliser les pièges et la ruse pour le bien de l’État ou au contraire s’il faut toujours agir ouvertement et sans détours.
Cumque in utranque sententiam multa grauiter dicta essent, tandem concluditur non esse inhonestum aliquando utilitatis publicae causa fallere ac ueritatem dissimulare, cum uera dicendo, quod Reipublicae expediat, non semper obtineri possit.
Et alors que beaucoup d’arguments ont été avancés avec gravité pour défendre l’un et l’autre point de vue, on parvient finalement à la conclusion qu’il n’est pas malhonnête de tromper et parfois de dissimuler la vérité pour le bien de tous lorsqu’on ne peut rien obtenir qui soit avantageux à l’État en disant la vérité.
Atque ita filius Herois Pyrrhus informatur et eruditur artibus Vlysseis, qui ante id tempus omnia armis atque aperta ui gerenda esse putauerat.
Et ainsi Phyrrus, fils de héros, est formé et instruit par les talents d’Ulysse, lui qui pensait auparavant qu’il fallait tout accomplir par les armes et avec une violence ouverte.
Et monet hic locus in rebus magnis gerendis non tantum Achillea uirtute opus esse, sed etiam ingenio Vlysseo, hoc est, consilio et sapientia.
Et ce passage avertit que dans l’accomplissement des grandes choses, il faut non seulement la vertu d’Achille mais aussi le talent d’Ulysse, c’est-à-dire la résolution et la sagesse.
Deinde tota series atque oeconomia fabulae nos docet, utut consilio et uiribus homines instructi sint, cum res magnas aggrediuntur, nihil tamen effici, nisi adhuc tertium ac praecipuum momentum accedat, nempe successus et auxilium a Deo.
Ensuite tout l’enchaînement et l’économie de la pièce nous apprend que, bien que les hommes soient préparés par leur résolution et leurs forces, lorsqu’ils entreprennent de grandes choses, il arrive cependant que rien n’aboutisse à moins que ne s’ajoute cette troisième impulsion essentielle, c’est-à-dire l’aide et le secours de Dieu.
Hoc per sagittas Herculis significarunt homines ingeniosi, sine quibus Troia capi non potuit, fortunam uidelicet heroicam, quae regitur ac gubernatur diuinitus, sine qua quidquid suscipitur, quantumuis magno conatu et uiribus, irritum est et infelicem sortitur catastrophen.
Ces hommes ingénieux ont donné à voir à travers les flèches d’Hercule, sans lesquelles on n’aurait pu prendre Troie, une destinée naturellement héroïque, qui est régie et dirigée par la divinité, sans laquelle tout ce qui est entrepris, quelle que soit l’importance de l’effort et des forces, est stérile et voué à une catastrophe funeste.
Sapienter igitur Sophocles hac fabula nos monet tria requiri ad res magnas perficiendas : primum, consilium ac sapientiam ; deinde, uires et efficiendi facultatem ; postremo, quod praecipuum est, successum atque fortunam a Deo.
Ainsi, avec cette tragédie, Sophocle nous avertit que trois éléments sont requis pour accomplir de grandes choses : d’abord la résolution et la sagesse ; ensuite, les forces et la capacité d’exécution ; enfin, ce qui est essentiel, l’aide et la chance donnée par Dieu.
Non tantum enim insita uis ingenii, uerum etiam experientia magnos uiros edocuit, nullam rem magnam feliciter suscipi aut geri, nisi Deo auctore et adiutore.
En effet, non seulement la force de leur esprit mais aussi l’expérience ont enseigné aux grands hommes qu’aucune grande action n’est entreprise ou accomplie avec succès sans la protection et l'aide de Dieu.
Huc pertinet hoc Virgilianum :
C’est ce à quoi renvoie ce vers virgilien :
3
« Mais hélas, il n’est pas permis de se fier à des dieux qui vous sont contraires »
Et nota est Baptistae sententia Ioannis 3 :
Et cette sentence de Jean-Baptiste au chapitre 3 de Jean est bien connue :
4
« L’homme ne peut recevoir aucune chose si elle ne lui a pas été donnée du ciel »
Non modo igitur non necessarium quidquam aut sine uocatione suscipiamus, sed in his etiam, quae necessaria sunt, quaeque postulat uocatio, uersemur cum timore Dei, assidue implorantes auxilium et successum a Deo.
Ainsi, n’entreprenons point d’actions inutiles ou auxquelles nous ne sommes pas poussés mais aussi, dans les entreprises qui sont nécessaires et auxquelles nous sommes poussés, vivons avec la crainte de Dieu, en implorant sans cesse son secours et son aide.
Etsi uero haec fabula inter Sophocleas, quae extant, postremo loco posita est, tamen ob uenustatem, splendorem, atque inuentionis acumen, digna erat, quae uel primo loco collocaretur.
Même si, parmi les pièces survivantes de Sophocle, celle-ci a été placée en dernier, elle est cependant digne, en raison de sa beauté, de son éclat et de la finesse de son invention, d’être placée même en premier.
Deus nobis per Christum pacem ac tranquillitatem largiatur, ad haec pia et honestissima studia colenda ; atque studia nostra et omnes uitae actiones dirigat et gubernet ad Nominis Sui gloriam et publicam ac nostram salutem, Amen.
Que Dieu nous accorde à travers le Christ la paix et la tranquillité pour cultiver ces études pieuses et tout à fait honnêtes ; qu’il dirige et gouverne nos études et toutes les actions de notre vie pour la gloire de Son Nom, pour le salut de tous et pour le nôtre, Amen.