Generosissimo Heroi, Ludovico a Flandria, Domino de Praet, Equiti Summi Ordinis Velleris Aurei, etc. Georgius Rotaller
Georgius Ratallerus

Présentation du paratexte

L'épître de Georg Rattaler s'attarde notamment sur le besoin de traduire les ouvrages antiques (§1-8), sur l'utilité de la tragédie, notamment pour l'acquisition de l'éloquence et de la sagesse (§9-36). L'épître se clôt sur une recommandation de l'ouvrage et l'habituelle louange du destinataire (§37-43).

Traduction : Christian NICOLAS

Generosissimo Heroi, Ludouico a Flandria, Domino de Praet, Equiti Summi Ordinis Velleris Aurei, etc. Georgius Rataller

Au très noble seigneur Louis de Flandre, seigneur de Praet, Grand Chevalier de l’Ordre de la Toison d’Or 1, etc., Georg Rataller2.

Cum nulli paene scripto utilitate cedat tragoedia, heros et stemmate, et eruditione nobilis, siue eloquentiam spectes, siue rerum maximarum cognitionem consideres, perquam mirum mihi uideri solet, quid sit, quod cum tam praestantes in utraque lingua uiri et superiori et hac aetate extiterint, nulli, aut sane perquam pauci ullam nobis Latine Tragoediam exhibuerint.

Comme la tragédie, sur le critère de l’utilité, ne le cède à quasiment aucun genre littéraire, Seigneur qu’anoblit votre arbre généalogique et votre savoir, que l’on s’intéresse à l’éloquence ou qu’on considère la connaissance des plus grandes choses, comment se fait-il que, alors qu’il y a eu à la génération précédente et qu’il y a à la nôtre des hommes si forts dans les deux langues, aucun (ou si peu) n’ait songé à nous en montrer une traduite en latin ?

Extant aliquot Aeschyli, extant Sophoclis, Euripidis perquam multae, apud Latinos, si Senecae demas, nullae.

Il y en a quelques-unes d’Eschyle, il y en a de Sophocle, de nombreuses d’Euripide, mais en latin, excepté Sénèque, aucune.

Cogitanti itaque saepe numero, et causam mecum inquirenti, taedio et labore ab huiuscemodi lucubrationibus absterreri plerique mihi uideri solent.

Aussi J’y pense souvent et me demande pourquoi ; c’est que, à mon avis, la plupart en sont détournés d’ordinaire par l’ennui et le travail que procurent ces veilles.

Alios autem inuenias, qui etsi laborem non defugiant, alienis tamen ingeniis aut accommodare sese nequeunt, aut certe alieno in fundo operam sumere nolunt.

Mais on en trouverait aussi qui, quoique ne répugnant pas au travail, n’arrivent pas à s’adapter au talent d’autrui ou du moins ne veulent pas engager une construction sur le terrain d’autrui.

Malunt ipsi, quod uetustatem ferat, e suo penu aliquid depromere, et tanquam per spatiosos campos libere uagari, quam transferendis aliorum scriptis angustis se limitibus coarctare.

Ceux-là préfèrent prendre de l’ancien dans leur grenier et errer librement comme sur de grands espaces plutôt que de se contraindre dans les limites étroites en traduisant l’œuvre d’autrui.

Quorum quidem conatus ut laudandi sunt, modo dignum aliquid Musis et Apolline proferant, ita hac in parte reprehensione, mea quidem sententia, non omnino carent : quod utriusque linguae cognitione praediti, homines studiosos, qui magistrorum aut negligentia, aut inscitia Graecis literis a teneris imbuti non sunt, iamque per aetatem prouectiorem, occupationesque grauiores iis operam dare non possunt, tam egregiis ueterum monimentis defraudant.

Certes autant leur effort est louable, pour peu qu’ils énoncent des propos dignes des Muses et d’Apollon, autant sur un point ils ne sont à mon avis pas exempts de reproche : c’est que, doués dans les deux langues, ils dérobent aux savants qui, soit par négligence soit par ignorance de leurs maîtres, n’ont pas dès le jeune âge été imprégnés de grec, et aujourd’hui, vu leur âge avancé et leurs occupations trop lourdes, ne peuvent s’y consacrer, de remarquables trésors de l’antiquité.

Etenim cum pro se quisque eniti ac contendere debat, ut omnia sua studia, omnemque industriam ad Reipublicae utilitatem dirigat, non tam spectandum est quid nobis maximam gloriam parere, quam quid ex usu Reipublicae maxime possit esse.

Et de fait, alors que chacun doit travailler de toute son ardeur à diriger tout son zèle et son énergie à ce qui peut servir l’état, il ne faut pas tant regarder ce qui peut nous apporter la plus grande gloire que ce qui peut surtout être utile à l’état.

Ego autem ex quo iuris legumque studiis deditus uere re ipsa didici quantum utriusque linguae cognitio ad eam professionem momenti haberet, quamque nemo, hoc praesertim tam erudito seculo, Iureconsulti nomen tueri posset, nisi ex ipsis fontibus, hoc est, politiori utriusque linguae literatura, philosophisque, ea potissimum parte, quam ἠθικήν uocant, eam laudem hauriret: nihil neque prius habui, neque antiquius, quam in iis perdiscendis, sine quibus solida legum cognitio parari non potest, sic me exercere, ut ipse tandem aliquando etiam aliquid in communem usum proferre possem, quo me non omnino oleum et operam3 (quod aiunt) in eo studiorum genere impensam perdidisse declararem.

Pour ma part, depuis que, adonné aux études juridiques, j’ai appris tout ce que la connaissance des deux langues peut apporter à cette profession, encore que nul, surtout à notre époque, ne puisse se targuer du nom de jurisconsulte sans tirer ce titre glorieux des sources mêmes, c’est-à-dire de la littérature et de la philosophie raffinée des deux langues, et particulièrement de cette partie appelée éthique, je n’ai eu d’autre priorité, d’autre urgence que de m’entraîner à apprendre ce sans quoi une solide connaissance du droit ne peut s’acquérir, au point de pouvoir moi-même enfin dire quelque chose d’utile à tous, qui puisse me faire avouer que je n’ai pas entièrement perdu ma sueur et ma peine (comme on dit) en me consacrant à ce genre d’étude.

Itaque quod huic meae aetati, in qua imbecillitas iudicii grauiores res tractare prohibet, aptissimum congruentissimumque uisum est, tale argumentum delegi, quod et utilitate et suauitate senes aeque ac iuuenes ad lectionem sui inuitare posset.

Aussi, chose qui a paru le plus apte et convenable à mon âge, que sa faiblesse de jugement empêche de traiter des questions plus graves, j’ai choisi un sujet capable, par l’utilité et l’agrément qu’il recèle, d’inciter aussi bien les vieux que les jeunes à le lire.

Quid enim Tragoediarum lectione pulchrius?

Car quoi de plus beau que la lecture des tragédies ?

Quid ad eloquentiam prudentiamque comparandam utilius?

Quoi de plus utile pour faire acquérir éloquence et sagesse ?

Quemadmodumenim in comoediis imagines quaedam et simulacra communem hominum uitam repraesentantiaoculis4 subiiciuntur, sic in tragoediis magnorum regum principumque casus, regnorum mutationes, uarietasque fortunae spectanda tanquam in speculo5 proponuntur.

En effet, de même qu’en comédie ce sont des images et des simulacres représentant la vie ordinaire des hommes qui sont offerts aux yeux, de même en tragédie, ce sont les hasards malheureux des rois et princes, les changements de règne et les vicissitudes de fortune qui sont donnés à voir comme dans un miroir.

Adde quod nusquam alibi tam utilia de gubernanda bene Republica praecepta tam dextre, tamque apte mutua communicatione ac συζητήσει explicantur, quae utinam diligenter legerentur, aut lecta, ab his, qui ad Reip. gubernacula aspirant, expenderentur, rectius se res humanae haberent, neque tam uariis fluctibus τῆς τῶν πολυπραγμόνων περιεργίας ἐκβλησαμένης sursum ac deorsum omnia uoluerentur.

Ajoutez que nulle part ailleurs on ne trouve d’aussi utiles préceptes de bonne gouvernance, aussi adroitement, aussi harmonieusement développés, par partage mutuel et suzêtesis (discussion), préceptes qui, si seulement ils étaient lus avec soin, et une fois lus, mis en œuvre par ceux qui aspirent à gouverner, corrigeraient les choses humaines, qui ne seraient pas ainsi roulées dans tous les sens sous les flots de la curiosité déplacée des courtisans indiscrets.

Quam suauis foret et personarum et rerum omnium ἀρμονία, si Rempublicam sic constituam cernere liceret, ubi suo quisque munere contentus, in ea, quam nactus esset, Sparta exornanda6 praecellere potius, quam in aliis, quae ab officio suo aliena sunt, exercendis operam ponere pulchram duceret.

Quel agrément il y aurait à avoir cette harmonie des personnes et des choses, si l’on pouvait voir un état ainsi fait que chacun, content de sa fonction, jugeât bon d’y exceller en ornant la Sparte qui lui serait échue plutôt que de faire son chef-d’œuvre en s’exerçant à d’autres activités éloignées de son office !

Tum uero ἀναλογίας τῆς γεωμετρικῆς quam tantopere omnes Reipublicae necessariam esse praedicant, quam Plato grauiter uereque non uno in loco δῶρον θεῶν7 appellat, uim atque utilitatem euidenter conspiceremus.

C’est alors que nous verrions de façon évidente le pouvoir et l’utilité de cette analogie géométrique que tous les états jugent si nécessaire, que Platon, avec gravité et vérité, appelle plus d’une fois un « cadeau des dieux ».

Atqui eo redierunt hominum mores, quod et quotidie cernimus usu uenire et Tragoediarum scriptores graphice depingunt, ut nil nisi magnum animo concipiant, ut simul atque humo se sustollere possunt, sine alarum, quod dicitur, remigio sydera affectent, ut Pygmaei onera, quibus uix ipse Atlas par sit, subire non uereantur.

Or les mœurs humaines en sont arrivées au point -nous le voyons tous les jours et les auteurs tragiques le décrivent dans leur art- que l’on ne conçoit que du grand, que, dès qu’on a pu se lever du sol, sans le soutien des ailes (comme on dit) on vise les astres, que l’on ne peut soutenir un fardeau de pygmées alors qu’on se croyait plus fort qu’Atlas.

Quae quidem temeritas etsi quibusdam interdum ex sententia succedat, alii tamen poenas luunt, et Icari in morem diffluentibus solis ardore alis praecipites ruunt, ac sibi ipsi exitium accersunt, alii quorum periculum perniciesque etiam in alios redundat, Phaetontis exemplo et se, et totas Respublicas concutiunt, ac subuertunt, neque ex aliis fontibus haec pestis promanat, quam ex ea humanae mentis ambitione, quae non examinatis propriis uiribus nihil non temerario ausu et tentat et aggreditur.

Bien que cette témérité s’empare de quelques-uns parfois à leur idée, les uns pourtant en sont punis et, à la manière d’Icare, leurs ailes fondant sous la chaleur du soleil, s’écroulent la tête la première et se donnent eux-mêmes la mort, d’autres, dont la prise de risque et le caractère nocif rejaillissent aussi sur les autres, frappent, à l’exemple de Phaéthon, eux-mêmes et les états et les renversent et ce fléau n’a pas d’autre source que l’ambition de l’esprit humain qui, sans examiner ses propres forces, tente et entreprend tout dans son audace téméraire.

Eaenim uere quod de diuitiis quidam apud Aristophanem ait,

Car il en va comme de ce qu’un personnage d’Aristophane dit des richesses :

Καθάπερἰατρὸςκακὸς τυφλὲς βλέποντας παραλαβὼν πάντας ποιεῖ. 8

« de même qu’un mauvais médecin reçoit des gens qui voient et les rend tous aveugles ».

Deinde quantam ruinam secum trahat neglecta illa ἀναλογίας τῆς γεωμετρικῆς εὐταξία quis non uidet sine qua nullam Rempublicam nec constitui feliciter, nec consistere posse etiam Vlysses apud Euripidem testatur ?

Ensuite qui ne voit l’ampleur du désastre qu’on apporte avec soi quand on a négligé l’organisation de l’analogie géométrique sans laquelle aucun état ne peut se mettre en place avec succès ni se maintenir, ainsi que l’atteste Ulysse chez Euripide ?

Vt autem hoc hominum genus praesentem Rebuspublicis perniciem adfert, ita illud uituperandum quoque extremo grauiter monent, etiamsi nemini perinde ac sibi noxium sit, qui otio marcescere uiuere demum putant, in eoque summum bonum collocandum sibi persuadent, nihil ad communem hominum societatem tuendam studii, nihil operae in medium conferunt, ἀσύμβολοι in Republica uersantes: homines non re, sed nomine.

Or autant c’est ce genre d’hommes qui cause à nos états leur ruine actuelle, autant le blâme opposé nous est gravement rappelé par ceux qui (quand bien même ils en sont eux-mêmes les seules victimes) pensent que moisir dans l’inaction, c’est justement cela, vivre, et se persuadent que c’est là qu’il faut placer le souverain bien, qui ne consacrent aucune attention à protéger le bien commun, aucune énergie à produire quelque chose au public et restent sans charge dans l’état, hommes de nom mais non dans la réalité.

Quae omnia etsi apud philosophos grauissime disputentur, in Tragoediis tamen exemplis uariis, et ὐποθετικῶς ita illustrantur, ut neminem non monere et flectere mirificae illae uitae imagines possint.

Cette question, même si elle est traitée avec gravité chez les philosophes, est pourtant si bien illustrée dans les tragédies par des exemples variés et par hypothèse, que ces admirables images de la vie ne peuvent manquer de donner à chacun un avertissement et une incitation.

Quam pulchra passim exempla obuia sunt, quibus uitam Princeps meliorem reddere, quibus alteram fortem aduersis sperare, secundis metuere discat!

Que de beaux exemples on trouve en chemin ici ou là, dont un prince pourrait améliorer sa vie, qui lui permettraient d’apprendre à espérer une meilleure fortune en cas de revers et à craindre le succès !

Quis adeo ferreo est animo, uel obstinato ad scelera pectore, qui Œdipi aerumnas aerumnarumque causas legens non moueatur, non mutetur, cui non meridiana luce clarius esse uideatur, diuinitus sic comparatum esse, ut atrocia flagitia poenae etiam consequantur consimiles ?

Qui a un cœur de fer ou une âme obstinée à faire le mal au point de ne pas être ébranlé à la lecture des malheurs et des causes des malheurs d’Œdipe, de ne pas changer, de ne pas avoir la conviction plus claire que le soleil de midi que ce sont les dieux qui sont à la manœuvre et que d’atroces châtiments attendent aussi les semblables d’Œdipe ?

Nam cum florentissimo regno praeesset, propter parricidium, et incestam cum matre consuetudinem, in luctuosissimam fortunam praecipitatus, ipsi sibi oculos eruit, et uictum senex regno pulsus sibi quaerere coactus est.

Car, alors qu’il était à la tête d’un royaume florissant, à cause de son parricide et de ses rapports incestueux avec sa mère, précipité dans un sort de deuil absolu, il s’arracha les yeux et, vieillard chassé du trône, fut contraint de mendier sa pitance.

Neque uero ipse solus afflictus fuit, sed in uniuersam eius progeniem horribiles poenae grassatae sunt : mater eius Iocasta, ac eadem uxor, laqueo ob flagitium quod imprudens cum filio commiserat, se strangulauit ; filii de regno dimicantes mutuis uulneribus occubuerunt ; tandem uero Antigone miserabili fato interiit, ut late in posteriore Tragoedia exponitur, in qua quid adumbrat aliud poeta, quam praesentem esse et Reipublicae et ipsis principibus perniciem τὴν ἀβουλίαν ?

Et il ne fut pas le seul à être plongé dans l’affliction, mais toute sa descendance fut frappée de peines horribles : sa mère Jocaste (qui était aussi son épouse), à cause du scandale qu’elle avait causé avec son fils sans y réfléchir, s’étranglé avec un lacet ; ses fils, rivaux pour sa succession au trône, s’entretuèrent ; Antigone enfin périt d’un destin malheureux, comme il est exposé largement dans la dernière tragédie, dans laquelle le poète esquisse principalement que la ruine actuelle de l’état et de ses princes est causée par le manque de volonté.

Nam Creon Thebarum Rex cum pro sua libidine omnia ageret, nec sano consilio locum ullum relinqueret, religionem contemneret, Tiresiam bene monentem reiiceret, ex alia in aliam praecipitatus calamitatem, grauissimo tandem suo malo didicit sapere.

Car alors que Créon, roi de Thèbes, gouvernait selon ses caprices, ne laissait pas de place aux bons avis, méprisait la religion, repoussait Tirésias de bon conseil, tombant d’une catastrophe dans une autre, il finit par apprendre de son malheur extrême.

Quid de Atreo et Thyeste?

Que dire d’Atrée, de Thyeste ?

Quid de miserrima Priami fortuna?

Du sort épouvantable de Priam ?

Quid de aliis dicam?

Que dire des autres ?

Quorum etsi ueteres historiae meminerunt, tenacius tamen haerent, magisque animos hominum afficiunt, quae in Tragoediis quasi coram geri uidentur.

Même si de vieilles légendes en font témoignage, elles marquent plus profondément les esprits humains quand, dans les tragédies, elles semblent se produire en direct.

In Aiace autem Sophocles quid aliud sibi uult, quam ex nimia ambitione καὶ φιλονεικίᾳ homines de statu mentis suae deturbari, et tandem in magnas calamitates ruere ?

Et dans Ajax, quelle est l’intention de Sophocle sinon de montrer que l’ambition excessive et la jalousie rendent les hommes fous et les jettent dans de grandes calamités ?

Vt uidemus Aiacem armis Achillis frustratum praecipuo cuique in exercitu necem moliri.

Ainsi voyons-nous donc Ajax, lésé des armes d’Achille, préméditer la mort de tous les généraux de l’armée.

Sed Deus, cui principum et Reipublicae salus curae est, hanc impietatem, animique ferociam retudit, ac hominem in furorem actum ad armenta conuertit ; qui dum se putat flagris caedere, et mactare principes, boues, atque alia, pecora iugulat ; quod ad se reuersus cum resciuit, sibi ipsi, doloris impatientia uictus, manus attulit.

Mais Dieu, qui se souciait du salut des princes et de l’état, retoqua cette impiété et cette violence et tourna cet homme mû par une folie furieuse contre le bétail ; et lui, croyant tuer à coups de fouet et immoler les chefs de guerre, égorge des bœufs et autres bestiaux ; revenu à lui, il s’en aperçut et, incapable de supporter cette souffrance, il se tua.

At quam egregia ubique praecepta aspersa sunt, quam graues sententiae de pietate erga Deum, de referenda bene meritis gratia, de obedientia magistratui praestanda, de moderanda ira ?

Et combien de sublimes préceptes s’y trouvent épars, combien de graves sentences sur la piété envers Dieu, la reconnaissance qu’il faut avoir pour les mérites, l’obéissance qu’il faut montrer aux institutions, la modération de la colère !

Quam prudens Vlysses introducitur, qui inimicitias post mortem prorogari impium existimans, Agamemnonem cum Teucro de Aiacis cadauere digladiantem monet, ut cadauer, quod fas aequumque postulat, terrae mandari permitteret.

Quel sage Ulysse est mis en scène, lorsque, jugeant impie de continuer les inimitiés après la mort, il persuade Agamemnon, qui en découd avec Teucer sur le cadavre d’Ajax, de permettre au cadavre, comme il est juste et bon, d’être mis en terre !

Sed sentio me nunc epistolae metas egredi ; quare ad tuam Celsitudinem uenio, sub cuius nomine hae Sophoclis duae Tragoediae, quarum altera AIAX, altera ANTIGONE inscribitur, in lucem prodeunt ; in quibus quidem uertendis quantum praestiterimus, tuae Celsitudinis, si quando lectioni aliquid temporis dare dignabitur, doctorumque hominum iudicium esto.

Mais je sens que mon épître excède les bornes ; aussi me voici devant Votre Altesse, sous la protection de laquelle sortent ces deux tragédies de Sophocle, intitulées l’une Ajax et l’autre Antigone ; sur le travail de traduction que nous y avons engagé, je laisse juges Votre Altesse (si elle daigne consacrer à cette lecture un peu de son temps) et les savants.

Sumpsimus certe hoc quicquid est operae eo libentius, quod sperauimus fore, ut nostro exemplo prouocati eruditiores in huius generis occupationes plusculum laboris sint collocaturi.

Nous nous sommes employés à cette tâche, quoi qu’elle vaille, très volontiers, dans l’espoir que, incités par notre exemple, de plus savants que nous décideraient de consacrer plus de travail à ce genre d’occupation.

Nec enim ut rem paruam aspernari quisquam poterit, qui sciat olim regum hoc opus principumque fuisse: quemadmodum de Dionysio Siculorum tyranno, de Octauio Augusto, et aliis multis proditum est.

Car nul ne pourra la mésestimer en sachant qu’autrefois c’était l’œuvre de rois et de princes, comme on l’a dit de Denys de Syracuse, d’Octave Auguste et de beaucoup d’autres.

Quin hic ipse Sophocles unus ex principibus Atheniensis Reipublicae fuit, ac Tragoedias, ut autor est Suidas centum uingititres, ut autem alii uolunt multo plures edidit.

Bien plus : ce Sophocle fut lui-même un des premiers citoyens d’Athènes et il produisit des tragédies, selon ce que dit la Souda, au nombre de cent vingt-trois, et même encore bien plus selon d’autres sources.

Lucubratiunculam igitur hanc ceu προτέλεια quaedam tibi dedico, consecroque, illustris princeps, ut qui praeter insignem antiquamque generis nobilitatem, praeter summum dignitatis fastigium, praeter alias eximias, et corporis et ingenii dotes, quibus inter nostrae aetatis heroas emines, eo nomine uel praecipue commenderis, quod et ipse rara quadam eruditione, doctrinaque singulari praeditus, eruditis hominibus impense faueas, ac literarum te, literatorumque assertorem egregium praestes qua quidem laude nulla potest esse amplior.

Je vous dédicace donc ce fruit de mes veilles, ou ce prélude, illustre Prince, dans la mesure où, en plus de l’insigne et antique noblesse de votre famille, en plus du poids extrême de vos charges, en plus de ces dons physiques et intellectuels remarquables qui vous mettent au-dessus des grands hommes de notre temps, vous vous recommandez particulièrement à un titre : vous-même riche d’une érudition rare et d’un savoir singulier, vous aidez les savants sur votre cassette personnelle et vous montrez un remarquable défenseur des lettres et des gens de lettres, mérite sans égal.

Precor Deum Optimum Maximum ut nostris te regionibus ac Reipublicae quam diuitissime seruet incolumem.

Je prie Dieu, Très Bon, Très Grand, dans l’intérêt de nos régions et de notre République, de vous conserver en bonne santé le plus longtemps possible

Louanii Idib. Octobr. Anno a Christo nato M. D. XLVIII.

Louvain, 15 octobre de l’an de grâce 1548.


1. Louis de Praet (Bruges, 1488 - Bruges, 7 octobre 1555), descendant des comtes de Flandre et de Philippe le Bon, est un diplomate éminent de Charles Quint, qu’il travaillera à faire couronner à Bologne des mains du pape Clément VII et auprès de qui il ralliera les membres du Sacré-Collège. Ancien gouverneur de Hollande et Zélande de 1544 à 1546, il est, à la fin de sa vie, un personnage considérable. Il a reçu le collier de la Toison d’Or en 1531.
2. Georgius Ratallerus ou Rotallerus est le nom latin de Georg Rataller (1528-1581) qui s’est fait une spécialité de la traduction en latin de tragédies grecques, d’Euripide (Hipp., Phoen., Andr.), de Sophocle. Il fut Président du Conseil d’Utrecht (sources : fiche BNF).
3. Pl., Poen. 332.
4. La référence demeure introuvable.
5. La référence demeure introuvable.
6. Erasme, Adagia 1401, Il s’agit de rendre dans un meilleur état les provinces qui sont échues.
7. La référence demeure introuvable.
8. Antiph., Frag. 259.