Stephani Strati Iureconsul. Antuerpiani Epistola, qua Georgium Rotallerum ad Sophoclis sui editionem adhortatur, Calend. August. M. D. L.
Stephanus Stratus

Présentation du paratexte

Long poème en distiques élégiaques d'Etienne Van der Straten encourageant Rataller à publier son ouvrage.

Traduction : Christian NICOLAS

Stephani Strati Iureconsul. Antuerpiani Epistola, qua Georgium Rotallerum ad Sophoclis sui editionem adhortatur, Calend. August. M. D. L.

Epître d’Etienne Van der Straten1, juriste anversois, par laquelle il encourage Georges Rataller à éditer son Sophocle, 1er août 1550.

Aiacis furias, infoelicemque Creonta, Dignum perpetua laude Sophoclis opus, Iam tuus iste labor, tragicaeque peritia Musae, Romulidum iussit ferre patique togam.

La folie d’Ajax et le malheur de Créon, œuvres qui valent à Sophocle une gloire éternelle, voici que ton travail et ta connaissance de la Muse tragique les forcent à porter et tolérer la toge romaine.

Et Telamone satum toga, Thebarumque tyrannum, Non secus ac olim pallia Graeca decent.

Et la toge est aussi seyante au fils de Télamon et au roi de Thèbes que jadis le pallium des Grecs.

Sic Latio retulit sermone Terentius, ante Quae fuerat Graiis fabula scripta modis.

De la même façon, Térence a mis en latin des pièces qui avaient d’abord été écrites en vers grecs.

Inuenisse quidem, sed et est uertisse decorum: Et peregrina, uelut restituisse sua, Usque adeo, ut uariet populi sententia discors, Autor, an interpres sit potiore loco.

L’invention certes est belle, mais la traduction aussi ainsi que la naturalisation d’une œuvre étrangère, au point que le public hésitant ne sait pas si c’est l’auteur ou le traducteur qui a la première place.

Ergo tuo geminus studio producitur Aiax Et geminus, praeceps in sua fata, Creon.

Donc ton travail fait sortir deux jumeaux, Ajax et Créon, qui fonce tête baissée vers son destin.

Et merito, quod enim semel insaniuerit Aiax, Non satis exemplo Iuppiter esse putat.

Et à bon droit, car une folie isolée d’Ajax n’est pas un exemple suffisant selon Jupiter.

Saepius ille Deam belli meliora monentem, Sedula cum Graecis Aegide ferret opem, Reppulit, adiiciens etiam conuicia culpae, Se ratus inuito uincere posse Ioue.

Plusieurs fois Ajax repoussa la déesse de la guerre de bon conseil, quand de bonne grâce elle apportait aux Grecs avec l’égide son soutien, ajoutant même à sa faute des insultes, croyant qu’il pourrait vaincre malgré Jupiter.

Patris et elusit uerbis mandata superbis, Heu male confisus uiribus ipse suis.

Il se moqua aussi avec morgue des ordres de son père, hélas trop confiant en ses propres forces !

Denique uincendi quo non iam percitus oestro, Atque mala flagrans ambitione ruit ?

Enfin où ne se rue-t-il pas quand il est piqué par l’aiguillon de la victoire et qu’il brûle d’une ambition mauvaise ?

Testis Vlysses erit cum principe classis Achiuae Donec Maeonidis nobile uiuet opus.

En témoignera Ulysse avec le chef de la flotte achéenne tant que vivra l’œuvre célèbre de Méonie.

Nam sese proceres credens iugulare Pelasgos, Dicitur armentis commaculasse manus.

Car croyant égorger les chefs Pélasges, il souilla, dit-on, ses mains du sang des bestiaux.

Hinc irae impatiens Graece furit, atque Latine: Et documenta sui certa furoris habet.

Donc incapable de supporter sa colère, il se met en furie en grec et en latin et montre des preuves certaines de sa folie.

Debuit et luctu multo grauiore moueri, Impius abiecta relligione Creon.

Le deuil a dû être une émotion beaucoup plus forte chez l’impie Créon qui repousse la religion.

Scilicet, humani iuris temerator et aequi, Dum tenet arbitrio regia sceptra suo, Lacrymula poterit nati cum coniuge manes, Antigonenque sibi conciliare piam?

Evidemment, contempteur du droit et de la justice des hommes tant qu’il tient le sceptre selon son caprice, pourra-t-il d’une petite larme se concilier les mânes de son fils et de sa femme, se concilier la pieuse Antigone ?

Saeuitiae monimenta tuae tria funera ritu, Si nescis, alio sunt reparanda tibi.

Preuves de ta cruauté, trois morts, si tu l’ignores, réclament de toi réparation selon un autre rite.

Neu sceleris poenam, quod sponte sciensque patrasti, Post longas repetat Iuppiter ipse moras, Incipe maerori legem praescribere iustam, Acrior et uindex criminis esse tui.

Que du châtiment du crime, que tu as perpétré en conscience et volontairement, Jupiter ne tarde pas trop à te demander justice, commence à instaurer une loi juste pour ta douleur et sois de ton forfait un vengeur acharné.

Planxisti, fateor: nullo quoque tempore mendax Funerei luctus Graecia testis erit.

Tu as pleuré, j’en conviens ; la menteuse Grèce ne verra plus de deuil funèbre.

Ditis at irati nec sit componere uultum, Aut isto poteras thure litare Ioui.

Et inutile de te faire un visage de riche mais courroucé, sans quoi tu aurais pu apaiser Jupiter de cet encens-là !

Quo fit, ut Ausonias etiamnum squallidus aures, Permoueas querulo carmine saepe Creon.

Pourquoi continues-tu en habits de deuil à ébranler les oreilles latines de tes plaintes chantées, Créon ?

Et qui nuper eras Graio miserandus amictu, Non minus in Latia nunc quoque ueste gemas.

Tu te faisais plaindre déjà naguère sous un manteau grec ; tu ne gémis pas moins dans un habit latin.

Hoc uiolata Iouis placantur numina pacto, Hasque mali poenas exigit ira Deum.

C’est ainsi qu’on apaise la violence faite à la divinité de Jupiter, c’est le châtiment exigé par le dieu.

O te feliciprognatum sidere uatem, Qui potes in numeros ista referre tuos.

O heureux poète, né sous une bonne étoile, qui peux enfermer cela dans tes vers !

Nanque cothurnatae sunt haec monimenta Camenae, Digna Sibyllaeos exuperare dies.

Car ce sont là des témoignages de la Muse en cothurne, dignes de survivre aux jours fixés par la Sibylle.

Solus at ipse uetas, quod nec prohibere Sophocles Vellet, in hac causa sit licet ille prior.

Mais tu ne le laisses pas -et même Sophocle ne souhaite pas l’interdire- être seul en cette affaire, même s’il est le premier.

Illius obstruxit famae tuae Musa Georgi ; Quodque decus nuper solus habebat, habes.

Sa Muse s’est opposée à ta réputation, Georg ; et l’honneur qu’il avait seul naguère, tu l’as aussi.

Nec tamen in tenebris optat tua scripta perire Inuidus, aut tineas exaturare putres: Egregia sed ouans tantum pro laude reportat, Argumenta tibi quod placuere sua.

Pourtant il n’est pas jaloux à souhaiter que tes écrits se perdent dans les ténèbres ou gavent de répugnantes teignes, mais il s’octroie une gloire sans pareille en se félicitant que ses histoires t’aient plu.

At tu Cimmerias Aiacem saeuus in oras Trudis, et Antigonen uis sine teste legi.

Mais toi, cruel, tu repousses Ajax dans les régions des Cimmériens et veux qu’Antigone se lise sans témoins !

Ingenio sic testis abest, tragicisque cothurnis, Quos populi par est docta per ora uehi.

Le témoin n’a donc pas le talent ni les cothurnes de la tragédie, qu’il serait légitime de faire passer par les doctes bouches du public.

Dic mihi, cum Musis scribas et Apolline digna, Quosque putet numeros Naso poeta suos, Orequidingrato proprias damnasse tabellas, Et nimis ipse tibi displicuisse studes?

Dis-moi, alors que tu écris des œuvres dignes des Muses et d’Apollon et des vers que le poète Ovide pourrait faire siens, pourquoi t’acharnes-tu à condamner tes brouillons et à les trouver trop déplaisants ?

Non ita deformes odit pia simia foetus, Sed fouet amplexu, sollicitoque sinu.

Même la guenon, en bonne mère, ne déteste pas autant ses nourrissons hideux mais les réchauffe de ses bras et leur donne la mamelle à la demande.

Fortiter illa quidem Naturam ferre nouercam, Tugenium Phoebi dissimulare potes?

Elle, elle peut supporter courageusement la marâtre nature et toi tu peux laisser caché le génie de Phébus !

Indocton’ stylo facis, inuitaque Minerua, Nemo quod ingenio uincere possit, opus?

Est-ce d’un style inculte et malgré Minerve que tu fais une œuvre que personne de talent ne pourrait surpasser ?

Scilicet, exciderant iuuenili fusa calore, In quibus elucet non imitanda manus.

Probablement ce sont des choses échappées à ta chaleur juvénile où l’on ne voit le brio d’aucune main à imiter !

Quaere peregrinum, qui te non norit, ut istis Credulus obiectis possit habere fidem.

Cherche un étranger qui ne te connaisse pas, pour qu’il puisse croire naïvement à tes objections !

Sed tua te nimium manifesto carmina produnt, Vt sit ab inspecto notior ungue leo.

Mais tes vers te trahissent trop manifestement, en sorte qu’on reconnaît le lion en inspectant ses griffes2.

Nam simul ac socia natura potentior arte, Impulit ad calamos cor animumque tuum, Scribis, uera loquor, cedris et digna cupresso Verba nec a rebus sunt aliena suis.

Car depuis que la nature, plus forte que son associé l’art, a poussé ton cœur et ton âme vers la plume, tu écris, je l’atteste, des mots dignes du cèdre ou du cyprès3 et qui sont appropriés aux choses.

Nunc elegos tractasse leues, modulosque Phaleuci, Nunc etiam tragicum personuisse decet.

Tantôt tu as traité des élégies légères et des hendécasyllabes phaléciens, désormais c’est le vers tragique qu’il te sied de faire sonner.

Pectoris et postquam uenas inflauit Apollo, Omnia sunt numeris inferiora tuis.

Depuis qu’Apollon a soufflé dans tes veines, tout reste inférieur à tes vers.

Quare Castalio ter cum sis munere foelix, Cur tua frustratur laude Camena sua?

Aussi, puisque tu es riche d’un triple cadeau de Castalie, pourquoi ta Muse se prive-t-elle de sa gloire ?

Quin, exploratis committito carbasa uentis: Ipse uel hanc puppim per mare Phebus aget.

Allons, regarde les vents et lance ta voile : Phébus lui-même conduira ton navire sur les flots.

A scopulis tutam, lethumque ferentibus undis, Dirigit Aonii turba perita chori.

A l’écart des écueils et des ondes assassines, c’est la troupe experte du chœur d’Aonie qui mène la barque.

Nec ducibus tantis audes te credere ponto ? I miser, hic metus est rusticus, atque pudor.

Et avec de tels guides, tu n’oses pas te confier à la mer ? Va misérable, c’est une peur et une honte de paysan !

Sed fortasse tuo demus non pauca pudori ; An uenia poteris dignior esse tamen?

Mais peut-être accordons-nous trop à ta peur ; mais mériteras-tu le pardon ?

Nam quae te dociles enutriuere sub annos Pierides, Clario numina sacra, nouem, Haud impune feres pretio spoliasse laboris, Vltio si laesas tangit et ira deas.

Car à celles qui t’ont nourri dans tes tendres années, les neuf Piérides, divinités sacrées pour Apollon, tu ne resteras pas impuni d’avoir volé le fruit de leur labeur, si la vengeance et la colère touche les déesses lésées.

Quodque magis caueas, referam notissima toto Fonte Medusaeo carmine facta breui.

Et, pour te rendre plus circonspect, je vais donner maintenant à tout cela de la publicité dans toute la source de Méduse avec la petite fable que voici.

Nec, quia te didicisse reor, meminisse pigebit, Vt uel ab exemplo doctior esse queas.

Et, puisque je crois que tu as appris, tu ne regretteras pas de te souvenir pour pouvoir par l’exemple devenir plus sage.

Sic male quisque sibi, cum rerum postulat usus, Consulit, ac sequitur deteriora fere.

C’est ainsi qu’on est pour soi, quand l’expérience le demande, un mauvais conseiller et la situation empire bien souvent.

Celsus erat lyricae uatum celeberrimus artis, Inclyta quos habuit tempore Roma suo.

Celsus était un des plus fameux poètes lyriques que la célèbre Rome ait eus en son temps.4

Cedere non Celso dubitauit Horatius olim, Sit licet Ausoniae nunc caput ille lyrae.

Horace n’hésita pas à laisser la primauté à Celsus un jour, bien qu’il fût le champion de la lyre italienne.

Quo minus, at quaeris, numerosa poëmata nostros Detineant oculos impediantque manus, Si quid habent ueri uiuacibus illita chartis, Totius in promptu causa futura reiest.

Mais, demandes-tu, qu’est-ce qui fait que les poèmes cadencés retiennent nos yeux et encombrent nos mains ? S’il y a quelque vérité dans les signes tracés durablement sur du papier, la cause future de toute l’affaire est évidente.

Fama secuta fuit, iuuenem cum thure Sabaeo Thespiades multa sollicitasse prece, Posset ut interpres operi succedere dignus, Pindaricae retinet quod monimenta lyrae.

La suite de l’histoire est que le jeune homme, avec de l’encens d’Arabie et moultes prières, sollicita les Muses de lui accorder le mérite de prendre la suite de l’œuvre qui contient les monuments de la lyre pindarique.

Exoratus erat Phoebus, Phoebique sorores, Certaque Parnassus uertice signa dabat: Ecce nouo, mirum, correptus numine Celsus, Melpomene uires suppeditante suas, Romuleae Graium foeliciter inserit urbi, Ausoniis mutans pallia Graeca togis.

Phébus et ses sœurs s’étaient laissé fléchir, le Parnasse à son sommet donnait des signes favorables, et voici que, prodige, Celsus enlevé par une nouvelle divinité, Melpomène y mettant toutes ses forces, insère avec bonheur un Grec dans la cité romuléenne, changeant le pallium grec pour une toge italienne.

Nec manus a tabula deponitur ante, Latino Quam desperatum carmine claudit opus.

Et la main ne lâche pas la page avant de clore cet ouvrage perdu sur un poème latin.

Parte ferunt lecta Musas stupuisse libelli: Et sua miratus munera Phoebus, ait :

Les Muses, dit-on, lurent une partie du livre et furent saisies de stupeur et Phébus, admirant son cadeau, déclara :

Pindare nuper eras Latiis peregrinus in agris, Nunc studio Celsi iura Quiritis habes.

‘O Pindare, naguère étranger dans la campagne latine, tu as aujourd’hui, grâce à Celse, le droit de cité à Rome.

Sic Heliconiades mecum uoluere, nec isto Est quod te pudeat serius ore loqui.

Ainsi les Muses de l’Hélicon en ont-elles décidé avec moi et tu n’as pas à rougir de parler désormais dans cette langue.

Te dominus rerum multa cum laude Senatus, Et Romana teret plebs, populusque manu.

Le Sénat, maître des choses, pour ta plus grande gloire, et la plèbe de Rome et le peuple t’useront sous leurs doigts.

Ac nostro meritoque tuo celebratus abunde, Sublimi feries uertice summa poli’.

Et abondamment célébré grâce à nous et grâce à toi, tu frapperas de ta tête sublime le haut des astres’.

Verba fides sequitur uolat ecce per arua Latina Pindarici uatis nuntia forma noui.

Les mots sont suivis d’effet et voici que vole par les champs latins une forme annonciatrice d’un nouveau poète pindarique.

Quoque sit utilitas magnarum publica rerum, Quam scelus est ingens continuisse domi.

Et donc un objet capable de procurer au peuple l’utilité des grandes inventions, quel crime c’est que de le garder chez soi !

Vndique solliciti coeunt iuuenesque senesque, Et precibus Celsum turba fatigat inops.

De partout affluent, soucieux, les jeunes et les vieux et une foule dans le besoin harcèle Celsus de ses prières.

Ille negat, differt: causasque disertus utrinque Explicat, ut uulgi non sit in ore frequens.

Mais lui refuse, diffère et explique éloquemment de part et d’autre pourquoi il ne veut pas être sur toutes les lèvres.

Hactenus et uenia poterat quoque dignus haberi, Nam solet hoc uitium uatibus esse bonis, Vt sua lambentes ursino more reforment, Nec nisi permittant post duo lustra legi.

Jusque-là il pourrait mériter le pardon car c’est là un défaut ordinaire des bons poètes que de vouloir continuer à lécher leur petit, comme une ourse, et à ne pas en autoriser la lecture avant deux lustres.

Celsus at iste domi tacite sibi plaudit, et idem Ausonios ridet spe cecidisse sua.

Mais notre Celsus rit chez lui et s’applaudit et rit aussi de l’échec des Italiens.

Hinc aganippaeas merito querimonia tangit, Quam plebs, quam populus, quamque Senatus agit.

Mais là la plainte émeut les Muses, poussée par la plèbe, le peuple, le Sénat.

Et sua iam Musae, sua munera Phoebus et odit: Vsque adeo ingrati gratia nullauiri est.

Et maintenant les Muses et Phébus détestent leur cadeau, tant est grande l’ingratitude de l’ingrat.

Denique concilio placuit uindicta coacto Et sceleris uindex Mulciber ipse fuit.

Alors l’assemblée réunie vota la vengeance et on dépêcha Vulcain comme vengeur de ce crime.

Nam subito mediae per cuncta silentia noctis, Qua positum uates parte fouebat opus, occupat immeritos flamma populante penates, Immissoque ferox expiat igne nefas.

Là, d’un coup, dans le profond silence de minuit, à l’endroit où le poète avait déposé son œuvre pour la retoucher, il occupe de sa flamme ravageuse une demeure qui ne l’a pas mérité et fait expier férocement son forfait en allumant un incendie.

Celsus ut haec sentit, sine somno forte iacebat, Impiger extremam flumina poscit opem.

Celsus s’en aperçut, car il se trouve qu’il se reposait sans dormir, et s’empresse de demander le secours urgent des fleuves.

Auxiliumque miser uicina sperat ab unda, Dum noua Neptuno uota precesque facit.

Le malheureux espère l’aide du cours d’eau tout proche en faisant à Neptune de nouveaux vœux et prières.

Hausta sed, o mirum, solitis sine uiribus unda, Vulcanoque dabant flumina sponte locum.

Mais, prodige, l’eau qu’il tire n’a pas son pouvoir habituel et le fleuve de lui-même fait place au feu de Vulcain.

Scilicet Aonidum causam Neptune fouebas, Quamuis natura Mulciber hostis erat.

Apparemment, Neptune, tu étais du côté des Muses alors que Vulcain, par nature, leur est hostile !

Haec operum Celsi finis sed et exitus illum Hic lyricos inter nomen habere uetat.

Telle fut la fin de l’œuvre de Celsus, mais même ce dénouement l’empêche de laisser un nom parmi les lyriques.

Neue sit ingratus posthac sine uindice, longi Irritus ecce labor temporis igne perit.

Et pour éviter que par la suite l’ingratitude reste dans l’impunité, voici comment périt dans le feu avant d’être entériné le labeur d’une longue période.

Atque ita momento spes facta caduca poëtae est, Quam sibi post cineres fecerat at ipse suos.

Et c’est ainsi qu’en un instant s’écroula l’espoir que le poète avait fondé pour lui-même après sa mort.

Hoc decet exemplo, quo non illustrius ullum, Aut pro materia certius esse potest, A tenebris monitum defendere scripta, situque Vt sic uicta pudor, det quoque terga metus.

Par cet exemple, le plus illustre ou le plus certain possible pour nos matières, il convient, avec cet avertissement, de défendre ses écrits contre les ténèbres et l’oubli en faisant reculer la réserve et la crainte, vaincues.

Pelle moram, fictasque morae procul abiice causas: Ecquid enim frustratempora longa teris?

Arrête les délais, renonce aux fausses raisons de ce délai : car pourquoi cette longue et vaine attente ?

Nonne uides, prudens ut publica commoda tardas Quaepotesingenio demeruisse tuo?

Ne vois-tu pas, quand dans ta prudence tu retardes un profit public, ce que ton génie peut te valoir ?

Disce tui uiuus mercedem ferre laboris, Nam uenit extructo gloria sera rogo.

Apprends de ton vivant à toucher le fruit de ton travail car au moment de tes funérailles la gloire est trop tardive.

Sic te Phoebus amet redimitum tempora lauro, Treisque simul Charites, Pieridesque nouem, Sic te Mercurius faciat sermone disertum, Atque suo foueat docta Minerua sinu.

Puisses-tu, les tempes ceintes de laurier, être aimé de Phébus, des trois Grâces, des neuf Muses, puisse Mercure te donner la parole éloquente et Minerve te réchauffer sur son sein !


1. Notice BNF :Stefanus Stratius/ Etienne Van der Straten. Autre graphies : Strats, Strace. - Juriste-consulte et homme politique. Né à Anvers. Étudie à Louvain et à Bruges. Succède en 1551 à Nicolas Belloni en qualité de professeur de droit civil à l'université de Dôle. Nommé en 1558 conseiller de Brabant, démissionne en 1561 et revient à l'université, puis passe au service du prince Guillaume d'Orange, qui lui confie temporairement l'administration des terres de la maison de Chalon. Il aurait embrassé le protestantisme. Décédé à Paris, d'où était originaire sa femme, en 1572 ou peu après, laissant quantité de manuscrits juridiques inédits.
2. Erasme, Adagia, 834 : Leonem ex unguibus aestimare. Le proverbe signifie qu’on connaît le tout par la partie, que l’on peut préjuger de l’ensemble de l’œuvre par quelques vers.
3. Erasme, Adagia, 3210 Cyparissi fructus : le cyprès fait des fruits inutiles ; le proverbe s’applique à des discours jolis mais vains. Ici, comprendre : « tu produis des fruits en vain, comme le le cyprès ». Et pourtant, ils sont digna cedris (voir aussi Erasme, Adagia, 3054, Digna cedro), c’est-à-dire faits d’une matière immortelle.
4. Il y a bien un Celsus poète chez Horace (voir Hor. Ep. 1.3 et 1.8), mais ici il s’agit d’un personnage fictif de poète lyrique, inventé (apparemment) par Van der Straten, et censé symboliser Rataller, trop peu empressé à éditer son travail. Commence donc au ici la fable promise plus haut.