Présentation du paratexte
L'épître de Joachim Camerarius à Jean Oporin rappelle la difficile gestation de l'ouvrage, confié maintenant au soin de l'imprimeur. Alors que Camerarius a déjà terminé la lettre et inscrit sa formule d'adieu, il ajoute plusieurs paragraphes pour évoquer la parution d'une édition française de Sophocle. L'année de publication n'étant pas précisée, il est difficile de savoir à quelle édition il est fait référence. Camerarius hésite donc une dernière fois à envoyer son ouvrage, qu'il souhaiterait augmenter à l'aide de l'édition française avant de finalement se conformer à sa résolution initiale.
Bibliographie :- Voir Opera Camerarii : http://kallimachos.uni-wuerzburg.de/camerarius/index.php/Camerarius,_Commentatio_explicationum_omnium_tragoediarum_Sophoclis_(Werk),_1556
Ioachimus Camerarius Ioanni Oporino S. D.
Joachimus Camerarius adresse son salut à Jean Oporin.
Mitto tibi tandem Sophoclea nostra, de quibus aliquoties mentio facta est literis nostris, sed neque elaboratione nostra perfecta, neque descriptione explanata. Quorum utrique obstiterunt, cum quidem studium non deesset, uaria, et saepe de improuiso oblata negotia.
Je t’envoie enfin nos travaux sophocléens, dont nous avons fait quelquefois mention dans nos lettres, mais dont la forme n’est pas parfaite ni la description développée. Différentes affaires ont fait obstacle à l’une et à l’autre de ces deux choses, bien que le zèle ne nous ait guère fait défaut, et souvent des obligations se sont présentées à l’improviste.
Non autem te fugit, quam difficulter et inconcinne, interrupta in hoc genere contexi soleant.
Or, tu sais combien il est difficile et maladroit de remonter d’habitude le fil de ce qui a été interrompu.
Sed malui tandem, qualecunque opusculum hoc, ad te mittere, quam incerta spe perpolitionis retinere mecum diutius.
J’ai finalement préféré te faire parvenir ce petit ouvrage, quelle que soit sa qualité , plutôt que de le retenir plus longtemps auprès de moi dans l’espoir incertain d’un résultat parfait.
Quid enim melioris temporis sperare possim, ad cultum bonarum literarum atque artium ?
En effet, quel meilleur moment pourrais-je espérer pour la culture de la littérature et des arts ?
Tuae igitur et eruditioni et diligentiae permitto caetera, ut iam fortuna huius editionis futura sit communis amborum atque facies tu de his iam plane tuis, non meis amplius, quicquid uolueris.
Je confie donc à ton érudition et à ton acribie tout le reste, afin que le sort de cette édition soit désormais partagé entre nous et également pour que toi tu agisses à ton gré concernant ces travaux qui sont désormais tiens autant que miens.
Ego quidem diuersis occasionibus, non etiam eo ordine quo sunt editae, post longa quoque multorum annorum interualla, istam Tragoediarum Sophoclis explicationem peregi.
Quant à moi, j’ai mené à terme ce commentaire aux tragédies de Sophocle en différentes occasions, dans un ordre différent de celui où elles ont été éditées, en laissant passer entre elles de nombreuses années.
Coeperam interpretari bifariam, ut et uerbis conuersio inhaereret, et sensum liberius exprimeret.
J’avais commencé à traduire de deux manières, de sorte qu’à la fois la traduction fût fidèle aux mots et qu’elle en exprimât aussi le sens plus librement.
Sed quum cognouissem, integram conuersionem tragoediarum huius poetae editam esse a doctissimo et clarissimo uiro Vito Ortelio Vinesimo, aliarum quidem Tragoediarum conuersiones a nobis proferendas esse non putaui, sed duarum, quae primo et secundo loco in editis exemplaribus leguntur, interpretationem diuersi modi, quasi specimen, non tam industriae meae quam consilii, uolui adiungere explicationi.
Mais puisque j’avais appris qu’une traduction complète des tragédies de ce poète avait été éditée par le très savant et très illustre Vitus Winshemius, j’ai finalement estimé qu’il ne serait point nécessaire de présenter nos traductions des autres tragédies, mais j’ai voulu ajouter à l’explication de deux d’entre elles, qui occupent la première et la deuxième places dans les exemplaires édités, une traduction faite d’une façon différente, à titre d’exemple non pas tant de mon application, que plutôt de mes réflexions.
Et existimo studiosis utriusque linguae hunc laborem nostrum ad proprii et puri sermonis cognitionem, nonnihil adiumenti, esse allaturum.
Et j’estime que le fruit de notre travail apportera à ceux qui étudient le latin et le grec un peu d’aide pour la connaissance d’une langue propre et pure.
Quod quidem attinet ad scripturam alicubi indistinctam et confusam, tu uidebis, ne operae uestrae in disponendo hallucinentur.
Pour ce qui tient à une écriture parfois obscure et confuse, tu veilleras à ce que vos travaux ne s’égarent pas en y mettant de l'ordre.
De caeteris non impedio, quo minus utare iudicio tuo, si quid forte uel non recte cogitatum, uel perperam exaratum esse uideatur.
Quant au reste, je ne t’empêche pas d’user de ton jugement, si par hasard une remarque te semble fautive ou recensée de façon erronée.
Mea quidem opinio est, quamuis de tua officina multa praeclara opera, te curante, exeant, non male tamen, ne in talibus quidem scriptis diuulgandis operam collocari
À mon avis, bien que de ton atelier paraissent de nombreux ouvrages illustres produits par tes soins, il n’y aurait, certes, aucun mal à s'occuper de la divulgation de tels ouvrages.
Etsi me non fugit, quae inhumanitas sit saeculi nostri, et quae bonarum artium atque literarum neglectio, nos uero consolemur propositum istud persuasione honestatis, καὶ ὃτι τὸ καλὸν τὸ δι᾽ αὑτὸ αἱρετόν.
Même si la barbarie qui caractérise notre siècle, et le peu de cas qu’on fait des arts libéraux et des lettres ne m’échappent pas, nous, encourageons ce projet en nous persuadant de son bien-fondé, « puisque le Bien, c’est ce qui est en soi désirable ».
Erit enim, erit aliquando, cum uel pariet iste tibi laetitiam labos1, secundum Plautum, uel memoria profecto grati animi a posteritate persoluetur meritis tuis.
En effet, il y aura, il y aura un jour où soit cette peine vous causera de la joie, comme le dit Plaute , soit la postérité payera tes mérites du souvenir d’un esprit plein de gratitude.
Non enim certe (ut spero)
Car certainement, comme je l’espère, même si nous sommes malheureux aujourd’hui, il n’en sera pas toujours ainsi, comme le chante Horace.
Sunt penes me alia quoque in hoc genere τὰ τοιυτότροπα, inchoata illa quidem, interque haec Aeschylea, ad quorum editionem quasi prouehendam, et aura quadam tranquillitatis ac quietis publicae, et priuatam occupationum remotis impedimentis opus futurum est.
D’autres écrits, certes à leurs débuts, se trouvent également entre mes mains, et parmi eux les pièces d’Eschyle : pour faire voguer plus loin, pour ainsi dire, leur édition, il faudra que souffle un vent de tranquillité et de calme public et que s’écartent les obstacles des affaires privées.
Sed haec Deo sunt permittenda. Te bene ualere cupio. Vale, Idibus Martii.
Mais il faut que Dieu le permette. Je te souhaite de te porter bien. Adieu. Aux ides de mars.
Cum haec scripsissem, narratum mihi fuit, in Gallia editas esse, nescio quando, explicationes copiosas fabularum Sophoclis, libro grandi.
Alors que j’avais écrit ces mots, il me fut rapporté que d’abondants commentaires aux pièces de Sophocle avaient été édités en France, je ne sais quand, dans un ouvrage important.
Dubitare igitur coepi, et mecum quaerere, rectius ne facturus essem, si nostra diutius continerem, et nactus librum Gallicum, ornarem illa, atque redderem locupletiora.
J'ai donc commencé à douter et à me demander si je ne ferais pas mieux de reporter la parution de nos travaux, de les embellir, après m’être procuré le livre français, et de les rendre encore plus riches.
Sed uicit sententia, ut tibi illa mitterem, sicut institueram. Arbitrabar enim, de his nostris, etiam exilibus et tenuibus, aliquid fructus in lectione diligente percepturos esse studiosos bonarum literarum atque artium.
Mais ma résolution de te les envoyer, comme j’avais décidé de le faire, l’emporta. En effet, je pensais que nos travaux, même malingres et faibles apporteraient quelque fruit, grâce à une lecture attentive, à ceux qui étudient les belles lettres et les arts libéraux.
Plura autem et meliora si acquirerent aliunde, non modo non inuidendum ullis, sed gratulandum esse potius omnibus.
Or, s’ils acquièrent ailleurs des connaissances plus nombreuses et meilleures, non seulement il ne faut pas leur en vouloir, mais il faut même les en féliciter.
Non autem optare modo, ut sententiam utiliorem sua dici Agamemnon apud Homerum, sic praeclariora scripta ad aliorum usum proferri, sed ipse quoque prolatis cupidissime uti soleo. 3
J’ai l’habitude non seulement de souhaiter, comme Agamemnon chez Homère qui souhaite que soient prononcées des paroles plus utiles que les siennes, que des écrits plus lumineux soient fournis à l’usage des autres, que ces écrits illustres soient présentés pour l’usage des autres, mais aussi d’user avec la plus grande avidité de ceux qui sont parus.
Verum, ut dictum est, tibi facio potestatem non modo edendi uel supprimendi ista nostra, quorum maxima ex parte αὐτόγραφα ad te misimus manus nostrae: sed prorsus σαωσέμεν ἢ ἀπολέσθαι 4.
Mais, comme je l’ai dit, je t’accorde libre pouvoir non seulement de faire paraître ou de détruire nos travaux, dont nous t’avons envoyé pour la plus grande partie les parties autographes de notre propre main. En un mot "les conserver ou les faire périr".
Et de nostris scriptis, cum semel illa extrusimus, quid deinde fiat, non magnopere laboramus.
Et, une fois chassées ces craintes, nous ne nous inquiétons pas de ce qu’il pourra advenir de ces écrits.
Iterum atque iterum uale. Καὶ εὐτύχει ἑκάστοτε κατὰ φοινίκην ἐμπολήν 5, ut par est, δούς τι ἀγαθὸν καὶ λαβών 6
Encore une fois, adieu. Sois heureux en toute circonstance "suivant le trafic des Phéniciens", comme il convient, "en prenant et recevant" quelque bien.