Présentation du paratexte
Cette courte préface aux tragédies présente les deux raisons qui ont poussé Johannes Lalamantius à traduire Sophocle: l’obscurité du langage des poètes (§1-3) ; la richesse des enseignements délivrés par la tragédie (§4). Le texte se termine par l’énumération des bienfaits que le lecteur recevra en acquérant une pleine compréhension des textes poétiques (§5).
Traduction : Sarah GAUCHERIn Sophoclis Tragoedias Praefatiuncula Per Ioannem Lalamantium.
Courte préface aux tragédies de Sophocle par Joannes Lalamantius
Quoniam poetae solent inuolucris et ambagibus ueritati tenebras offundere et ueluti suo uelum poemati praetendere, ut inde quasi a mysteriis sacrorum ignarum uulgus et indoctum (cuius tamen instruendi praecipua cura esset habenda) arceant, nihil me alienum a meo instituto facturum existimaui, si uelum, quod singulis Sophoclis tragoediis praetensum est, contraherem, et ueritatem, quae figmento poetico subest, patefacerem.
Puisque les poètes ont coutume de répandre des ténèbres sur la vérité par des ombrages et des détours et pour ainsi dire de tendre un voile sur leur poème comme pour tenir la foule ignare et imbécile (dont l’instruction cependant devrait être tenue pour une tâche fondamentale) loin des mystères des choses sacrées, j’ai pensé ne rien faire d’étranger à ma mission si je tirais le voile qui a été tendu sur chacune des tragédies de Sophocle et si je faisais apparaître la vérité qui se trouve sous la représentation poétique.
Sic enim existimaui fore uti noster hic labor inanis, et frustra susceptus permultis uideretur, nisi quae sub aenigmate dicta sunt a Sophocle, ob oculos eorum ponerem, qui uel Œdipum domi non habent uel Delio egent natatore1.
J’ai pensé en effet que beaucoup considéreraient notre travail comme dérisoire et entrepris en vain, si je ne faisais pas voir les énigmes de Sophocle à ceux qui ou bien ne possèdent pas Œdipe chez eux ou bien réclament le nageur de Délos.
Namque profecto quicunque ad poetarum lectionem ita accedunt, ut quid Tityrus, quid Corydon, quid Simo, quid Dauus, quid hic, quid ille dicat, tantum considerent, uerba tantum ad aurium iudicium appendant et trutinent, formulas dicendi obseruent, hi fructum aliquem inde, fateor, reportant sed qui profecto ei, qui ex ueli contractione colligitur, quo nimirum uita et mores fiunt meliores, longo interuallo relinquatur.
Car assurément tous ceux qui ont accédé à la lecture des poètes en prenant en compte seulement ce que dit Tityre, Corydon, Simon, Davus, ou tel ou tel autre, en mesurant à l’oreille et en soupesant seulement leurs mots, en observant les formules de leurs discours, ceux-là, je l’avoue, en tirent de là quelque fruit mais un fruit qui se conserve longtemps à celui qui le récolte en retirant ce voile pour rendre excellentes sa vie et ses mœurs.
Et uero cum Tragoedia non minus quam Comoedia uitae humanae speculum sit, hominumque mores, dicta, facta, fortunae uarios incertosque euentus, et uitae calamitates, illa in Heroum personis repraesentet, non uideo, quomodo quis sese ueluti in speculo possit contemplari, ni apud se perpendat et consideret quid sibi res uelit et quo tendat operis argumentum ; quod et ipsum cum tectum sit et uelatum, ab his qui interpretationem poetarum suscipiunt, siquidem docere uolunt, est retegendum.
Et en vérité puisque la tragédie est autant que la comédie le miroir de la vie humaine et que par le truchement de personnages héroïques elle représente les mœurs des hommes, leurs paroles, leurs actions, les tribulations variées et incertaines de leur sort et les malheurs de leur vie, je ne vois pas comment quelqu’un pourrait s’y contempler comme dans un miroir s’il n’évalue pas et ne considère pas en son for intérieur ce que cet écrit signifie et à quoi tend le sujet de l’œuvre ; et puisque cela a été caché et voilé il faut que le fassent connaître ceux qui se chargent de l’interprétation des poètes, si vraiment ils veulent l’enseigner.
Nam si quale est argumentum tantum consideras, uerba tantum auctoris ponderas, elocutionem spectas, genus dicendi admiraris, neque tamen uelum contrahis, quo remoto, quid subsit ueri intelligas, in sole caligabis, et uiatoris instar locorum ignari, a uia regia in semitas aberrabis, et deflectes, et demum eo fructu, qui ex poetarum lectione colligi debet, priuabere ; quo tamen intellecto, uitam tuam instrues, te contra fortunae insultus armabis, eius te esse existimabis ludibrium, ad omnia denique quae illa posset aliquando in te iaculari tela, parabis et munies.
Car si tu considères seulement la nature de l’argument, si tu pèses seulement les mots de l’auteur, si tu regardes l’élocution, si tu admires le style mais que cependant tu ne retires pas ce voile pour comprendre la vérité sous-jacente après qu’il a été retiré, alors tu seras à l’ombre en plein soleil et, semblable à un voyageur à qui les lieux sont inconnus, tu erreras dans des sentiers loin de la voie royale, tu te fourvoieras et tu seras finalement privé de ce fruit que la lecture des poètes devait te faire récolter ; mais si tu en as la pleine compréhension, tu bâtiras ton existence, tu t’armeras contre les outrages du destin, tu sauras que tu es son jouet, et finalement tu te prépareras et t’armeras contre tous les traits que la fortune pourrait un jour lancer contre toi.
Hoc igitur Aiacis argumento quid sibi uelit Sophocles, paucis, ut intelligatur, efficiam.
Ainsi, grâce à l’argument d’Ajax, je ferai brièvement en sorte que tu comprennes ce que Sophocle veut dire.