Présentation du paratexte
Ce court texte est consacré à exposer la scansion des sénaires iambiques. L’énoncé de la règle générale (§1) est suivie des remarques sur les licences poétiques en la matière (§2-5) puis d’une étude de cas centrée sur la traduction que Cicéron donne dans les Tusculanes de certains vers des Trachiniennes (§6-14). L’auteur explique enfin la règle qu’il s’est donné pour sa traduction métrique (§15-16)
Traduction : Sarah GAUCHERCarminis Ratio.
Scansion
Quanquam iambici senarii lex postulare uidetur, ut locis paribus iambus, tribrachus, aut anapaestus, imparibus uero praeter supradictos, spondaeus, et dactylus locum habeant, tantam tamen licentiam in fundendis dimetris et senariis usurparunt Comici Latini, ut reperirentur qui a Terentio, quod eius carmen praescriptam senarii legem non seruaret proximeque ad orationem solutam accederet, ullam carminis legem esse obseruatam negarent.
Bien que la règle des sénaires iambiques semble postuler qu’on trouve sur les pieds pairs un iambe, un tribraque ou un anapeste tandis qu’on trouve sur les pieds impairs, outre ceux évoqués, un spondée et un dactyle, les comiques latins ont cependant fait usage d’une si grande licence dans la construction des dimètres et des sénaires qu’on trouve des gens pour dire que Térence, sous prétexte que sa poésie ne répond pas à la règle du sénaire que l’on vient de décrire et qu’elle se rapproche au plus près de la prose, n’a suivi aucune règle de scansion.
Quos et idem de caeteris Comicis Latinis iudicaturos fuisse crediderim, si illorum scripta ad illorum quoque manus peruenissent.
Et ils auraient, je crois, été du même avis concernant les autres comiques latins si les écrits de ces derniers étaient également parvenus jusque dans leurs mains.
Haud ita dissimilem ab illis licentiam usurpauisse uidetur et Marcus Tullius qui in plerisque locis, quos de Graeco in Latinos senarios conuertit, adeo libere fundit trimetros iambicos, ut ultimae sedis, in qua semper iambum collocat, tantum uideatur habere rationem.
Cicéron semble avoir employé une licence semblable à la leur, lui qui, en bien des endroits, produit des trimètres iambiques si librement traduits en sénaires latins qu’il semble seulement s’en tenir au principe du dernier pied, où il place toujours un iambe.
Neque enim legi illi senariorum se adeo astringit ut quoties uisum sit, pedes alios ab iis, qui paribus, uel imparibus locis debentur, uereatur sufficere.
En effet, il ne s’astreint pas à la règle des sénaires au point de craindre d’employer, chaque fois qu’il lui semble bon, d’autres pieds que ceux qu’on doit trouver aux pieds pairs ou impairs.
In his uersibus, quos a Trachiniis Sophoclis Tusculana 2 conuertisse comperitur, partem aliam senariorum legem seruare, aliam non seruare comperias.
Dans ces vers que l’on trouve traduits des Trachiniennes de Sophocle dans la deuxième Tusculane, on verrait qu’il respecte une partie de la règle des sénaires et pas l’autre.
Ex illo loco haec sunt:
Ces vers sont issus de ce passage :
1
2
3
4
5
Nec tantum inuexit tristis Eurystheus mali. Et aussi, Haec me irretiuit ueste furiali inscium. Et aussi, Sic corpus clade horribili absumptum extabuit. Et, Vrgensque grauiter pulmonum haurit spiritus. Et, Perge, aude nate, illachryma patris pestibus.
In primo uersu, spondaeus omnes sedes occupat, praeter ultima, quae iambo propria est.
Dans le premier vers, le spondée occupe tous les pieds sauf le dernier, qui est réservé à un iambe.6
Secundo uersu, quarto loco tribrachus est : caeteros locos usurpat spondaeus.
Dans le deuxième vers, il y a un tribraque au pied quatre : le spondée occupe tout le reste.
Tertio uersu, dactylus tertium locum occupat, reliquos spondaeus.
Dans le troisième vers, un dactyle occupe le troisième pied, des spondées le reste.
Quarto uersu, secunda sede tribrachus est, reliquis spondaeus.
Dans le quatrième vers, il y a un tribraque au deuxième pied, des spondées aux autres.
Quinto uersu, tertium locum dactylus occupat, caeteros spondaeus.
Dans le cinquième vers, un dactyle occupe le troisième pied, des spondées le reste.
Vltimam semper excipio, quae iambo, ut dixi modo, propria est.
J’excepte toujours le dernier pied qui, comme je l’ai dit plus haut, est réservé à un iambe.
Eadem libertate gaudere uoluit Erasmus in illis Hecuba, et Iphigenia Euripidis tragoediis.
Érasme a voulu jouir de la même liberté dans les tragédies Hécube et Iphigénie d’Euripide.
Horum ego uicissim exemplo in conuertendis Sophoclis tragoediis liberior esse uolui, tantumque operam mihi dandum putaui, ut parum de caeteris sedibus sollicitus, iambus in ultimam caederet.
Moi à mon tour j’ai voulu être plus libre que ces deux exemples dans la traduction des tragédies de Sophocle et j’ai pensé devoir simplement apporter mon soin à ce que l’iambe, peu sollicité aux autres pieds, tombe au dernier pied.
Hoc eo dictum uolui, ne quis in dimetiendis uersibus aut ingenium suum torqueret, aut eo me culpandum putaret, quod leges senariorum et dimetrorum minus me accurate secutum fuisse iudicaret.
J’ai voulu dire cela pour qu’on ne torture pas son esprit à scander les vers ou pour qu’on ne pense pas devoir me blâmer sous prétexte que j’ai suivi avec moins de précision les règles des sénaires et des dimètres.