Adriani Mylii Senatoris Regii apud Hollandos ad Lectorem Epistola.
Adrianus Mylius

Présentation du paratexte

L'épître d'Adrianus Mylius au lecteur débute par une recommandation de la traduction de Rataller (§1-4). Suit, de façon plus originale, la mention de la traduction de Sophocle par Jean Lalamant en 1557 : Mylius souligne que Lalamant a emprunté à Rataller, dont les traductions, bien que parues postérieurement, sont en réalité antérieures à celles de Lalamant. Entre les deux éditions, Mylius tranche sans conteste et sans surprise pour celle de Rataller. (§5-12)

Traduction : Sarah GAUCHER

Adriani Mylii Senatoris Regii apud Hollandos ad Lectorem Epistola.

Lettre du sénateur du Royaume de Hollande Adrianus Mylius au lecteur.

Habes tandem, amice lector, multorum uotis tantopere desideratum Sophoclem totum ab amplissimo uiro Domino Nostro Georgio Ratallero Regio Senatore, annis ab hinc plus minus XIX Latinitate donatum.

Tu as finalement, ami lecteur, Sophocle tout entier, si appelé des vœux de bien des gens, rendu il y a environ dix-neuf ans en latin par notre très généreux seigneur Georg Rataller, sénateur du royaume.

Quem cum uir ille, quae est modestia, totum supprimere statuisset, sub idem fere tempus ex amicis eius aliqui Aiacem, Electram, et Antigonen nacti, Lugduni apud Gryphium excudi curauerunt.

Et alors que cet homme illustre, qui est la modestie même, avait résolu de le garder tout entier pour lui, presque en même temps, quelques-uns de ses amis qui avaient trouvé Ajax, Électre et Antigone, s’occupèrent de les faire imprimer à Lyon chez Gryphe.

Quae cum in publicum prodiissent, tantae omnibus eruditis admirationi fuerunt, ut illi qui reliquas tragoedias ab eo uersas esse ignorarent, ad reliquarum uersionem sine intermissione adhortarentur ; qui autem totius uersionis essent conscii, obnixe rogarent ne tam insigni bono diutius Rempublicam literariam defraudaret ; quibus uero etiam legendi illas atque perlustrandi facultas, pro ea quae illis cum interprete erat amicitia, contigisset, illi summam dexteritatem, fidem atque eloquentiam qua ubique sui similis sensum auctoris dilucidissime explicat admirati, nefas esse ducebant, si ab interpellatione desisterent, priusquam totius Sophoclis editionem, uti nunc tandem impetrarunt, obtinere illis datum esset.

Et ces tragédies, à leur parution, furent pour tous les savants un si grand objet d’admiration que ceux qui ignoraient qu’il avait traduit le reste des tragédies l’exhortèrent sans trêve à traduire le reste ; que ceux qui étaient au courant de l’ensemble de la traduction l’incitaient fermement à ne pas frustrer plus longtemps d’un bien si insigne la République des lettres ; que ceux qui, en raison de l’amitié qui les liait au traducteur, avaient eu la possibilité de les lire et de les parcourir, admiratifs de l’extrême habileté, de la fidélité et de l’éloquence avec lesquelles partout, égal à lui-même, il explique avec le plus grand éclat le sens de l’auteur, tous pensaient qu’ils commentaient un sacrilège s’ils renonçaient à l’interpeller avant qu’il leur ait été donné d’obtenir l’édition complète de Sophocle ainsi qu’ils l’ont à présent finalement obtenue.

Cuius ego te, candide Lector, etsi interpres ipse id contempsit ac pro nihilo propemodum putauit, admonere pro ea, quae mihi cum eo intercessit, amicitia, operae pretium existimaui, ne si forte in aliam Sophoclis editionem incideris, nostrum interpretem illius uestigiis institisse arbitreris.

Et moi, lecteur bienveillant, même si le traducteur en personne l'a méprisée et l’a considérée pour rien, j’ai cru bon de t’avertir, en raison de l’amitié qui me lie à lui, de la valeur de son travail, pour que, si d’aventure tu tombais sur une autre édition de Sophocle, tu saches que notre traducteur a marché sur ses traces.

Prodiit enim ante annos aliquot hic idem auctor Latine uersus a Ioanne Lalemantio Heduo.

En effet, ce même auteur est paru quelques années auparavant en latin traduit par Johannes Lalamentius d’Autun.

Hic multos uersus, et paginas interdum integras ex tribus illis tragoediis a nostro interprete uersis, et ante annos, ut dixi, XIX editis, in suam uersionem transtulit, absque illius mentione, nisi quod in primo Antigones Choro, quem totum transcripsit, nomen eius dimidiato expressum ad Chorum annotauit.

Ce dernier a traduit dans son édition de nombreux vers et parfois des pages complètes de ces trois tragédies déjà traduites par notre traducteur et éditées, comme je l’ai dit, il y a dix-neuf ans, et il n’en fait pas mention, si ce n’est que, dans le premier chœur d’Antigone qu’il a traduit en entier, il note son nom abrégé en marge de « chœur ».

Licet igitur haec editio, illa Lalemantina, sit posterior, tamen prioris trium illarum tragoediarum admonitus, noueris Heduum a Ratallero multa mutuatum ; Ratallerum autem Hedui laboribus nequaquam adiutum esse, quanquam hoc ipsum, erudite lector, utriusque phrasis et dictio facile euicerit.

Ainsi, bien que cette édition soit postérieure à celle de Lalamantius, maintenant averti par la première de ces trois pièces, tu sauras que l’homme d’Autun a beaucoup emprunté à Rataller ; que Rataller ne s’est nullement aidé des travaux de l’homme d’Autun, bien que, lecteur érudit, le style et les mots des deux traducteurs aient facilement évincé cette question1.

Atque idem ille Heduus multa de generibus uersuum, quibus in explicando Sophocle usus est, praefatus, ait se, exemplo Erasmi, in duarum Euripidis tragoediarum uersione, liberius id facere.

Et, à propos du type de vers qu’il a employé en traduisant Sophocle, ce même homme d'Autun dit dans sa préface qu’il a agi assez librement, à l’exemple d’Érasme dans sa traduction de deux tragédies d’Euripide.

Sed an ille, quod tanti uiri exemplo se fecisse ait, etiam in iis uersibus, quos ex nostro interprete non habet, praestiterit, eruditi lectoris iudicio relinquo.

Mais je laisse au jugement du lecteur érudit le soin de savoir si ce qu’il dit avoir fait à l’exemple d’un si grand homme il a également réussi à le faire dans les vers qu’il ne tire pas de notre traducteur.

Certe noster hic interpres, in uniuersum obseruatis religiosissime carmini legibus, summa elegantia ac fide mentem Poetae expressit ita ut citra uanitatem asserere audeam plurimos nostro saeculo etiam summos uiros in hoc genere laudis uersatos esse.

À la vérité, notre traducteur, qui respecte en général le plus scrupuleusement du monde les règles de la scansion, a exprimé la pensée du poète avec une si grande élégance et une si grande fidélité que j’oserais affirmer en toute franchise que nombre des plus grands hommes de notre siècle ont vécu entourés de ce genre de louanges.

Hos omnes si Ratallerus non superauit, primos certe adaequauit, secundos longe a tergo reliquit.

Si Rataller n’a pas surpassé tous ceux-là, certainement il a égalé ceux qui tenaient le premier rang et il a laissé loin derrière lui ceux qui tenaient le second.

Bene uale, amice lector, et clarissimi uiri laboribus atque iuuentutis uigiliis feliciter fruere.

Porte toi bien, ami lecteur, et jouis avec félicité des travaux de cet homme si illustre et des veilles de sa jeunesse.


1. Comprendre que le plagiat de Lalamantius, abolissant quasiment les différences de style entre les deux éditions, rend difficile la traçabilité du travail de Rataller.