Présentation du paratexte
Cette lettre est adressée à Georg Rataller par Joachimus Polites. Polites fait part du plaisir qu’il a eu à la lecture de l’ouvrage de Rataller. S’ensuit une demande de voir imprimée la traduction des tragédies restantes, que Rataller a déjà effectuée, et un appel à se prémunir contre les critiques injustes.
Traduction : Sarah GAUCHERIoachimus Polites Georgio Ratallero S. P. Atrebatum.
Joachimus Polites adresse son salut à Georg Rataller. A Arras.
Etsi a multis quidem annis egregias uirtutes tuas, ingeniique dotes amplissimas semper feci maximi, Ratallere doctissime, tamen ex Italia reuersus ubi tres illas Sophoclis Tragoedias, quas summa mehercule felicitate Latinas reddidisti Caspari Sceti beneficio nactus perlegi, ita derepente incredibili tui amore ac desiderio ardere coepi, ut quem antea de nomine tantum mihi cognitum propter aliorum de excellenti doctrina tua iudicium summis ubique laudibus extuleram, eundem ex eo tunc tempore non modo diligere, uerum etiam perpetua quadam obseruantia ac ueneratione prosequi non dubitarim.
Même si, depuis de nombreuses années, j’ai toujours fait très grand cas de tes vertus remarquables et des immenses qualités de ton esprit, très savant Rataller, revenu d’Italie où j’ai lu, par l’intermédiaire de Gaspar Schetz, en tombant dessus, les trois tragédies de Sophocle que tu as rendues latines avec une félicité ma foi extrême, j’ai soudain commencé à brûler d’une si incroyable amité pour toi et d’une grande impatience de te rencontrer que, toi qu’auparavant le jugement d’autres hommes sur ton remarquable savoir me faisait connaître seulement de nom et que j’avais porté aux nues avec les plus grandes louanges, je ne doutais pas alors non seulement de t’apprécier mais aussi de te suivre avec un respect et une révérance éternels.
Memoria tenere Scetum arbitror, quanta cum animi uoluptate tunc in lectione uersionis tuae assidue sim uersatus, in qua non modo cothurnatam illam Sophoclis grandiloquentiam imitatus es, uerum etiam, obseruata in omnibus eiusdem paene carminis ratione, diuinam ipsius auctoris maiestatem quam felicissime assecutus esse uidearis.
Je pense que Schetz se souvient du si grand plaisir avec lequel je me suis alors profondément plongé dans la lecture de ta traduction, où tu as imité non seulement cette grandiloquence tragique de Sophocle mais où tu sembles aussi, ayant observé presque partout la loi de ses vers, avoir atteint la majesté divine de cet auteur avec le plus de félicité possible.
Testis est praeterea non obscurus et omnino studiorum meorum conscius Cornelius Scribonius Grapheus, apud quem tacitis nuncupatisque uotis saepenumero eam tibi mentem ac uoluntatem dari exoptaui, qua reliquas etiam tragoedias Sophoclis pari felicitate in Latinum sermonem conuertere posses.
J’en ai d’ailleurs un témoin illustre et tout à fait au courant de mes travaux en la personne de Cornelius Scribonius Grapheus, auprès duquel j’ai souvent fait le souhait par des vœux silencieux et solennels que te soient données cette résolution et cette volonté grâce auxquelles tu pourrais également traduire en langue latine le reste des tragédies de Sophocle avec cette même félicité.
Et quoniam id abs te factum esse intellexi, constitui in posterum quotidianis paene flagitationibus impellere ac lacessere animum tuum teque rogare etiam atque etiam non dubitaui, ut ea tandem luce frui patiaris, ex quibus olim summam laudem atque gloriam sis consecuturus.
Et puisque j’ai compris que tu avais exaucé ce vœu, j’ai résolu pour l’avenir de pousser et de harceler ton esprit par des réclamations presque quotidiennes et je n’ai pas hésité à te demander encore et encore de souffrir qu’enfin jouisse de la lumière cette œuvre grâce à laquelle tu pourrais un jour obtenir la plus grande estime et la plus grande gloire.
Neque uero te mouere debent quorundam tetricorum hominum praepostera iudicia, qui sub praetextu ac specie iurisprudentiae (cuius tantum nomen atque titulum profitentur) non tam odio quondam inueterato erga omnes disciplinas, quam mera barbarie rerumque ignoratione imbuti, in optimarum artium studia paene conuicia facere consueuerunt.
Et il ne faut pas t’émouvoir des jugements déplacés de certains hommes sévères, qui, sous le prétexte et l’apparence de la jurisprudence (dont ils se donnent seulement le nom et le titre), alors qu’ils sont pénétrés non pas tant d’une haîne enracinée en eux à l’encontre de toutes les disciplines que d’une pure barbarie et d’une ignorance de la réalité, ont eu coutume de critiquer les études des meilleurs arts.
Nam illi ipsi dum in perpetuis tenebris sine laude, sine gloria delitescunt, splendori uestro non modo obesse non poterunt, uerum etiam ne ipsi quidem ullam factorum consiliorumque suorum memoriam ad posteritatem traducent.
Cachés en effet dans des ténèbres perpétuelles sans louange et sans gloire, ces gens-là ne pourront pas nuire à votre splendeur, non plus qu’ils ne feront passer à la postérité le souvenir de leur actions ou de leurs jugements.
Quare si te tuaque omnia tibi curae esse uis, si uirtutes tuas orbi innotescere, si denique scripta ac monumenta tua ab interitu atque obliuione uindicare cupis, consule in tempore rebus tuis et reliquas tragoedias a te Latinitate donatas, legendas atque imprimendas quamprimum ad nos mitte ; quas Casparo Sceto, Nicolao Grudio, et Grapheo communicabimus ; et denique dabimus operam, ut honori tuo cum dignitate, et simul posteritatis memoriae inseruiamus.
C’est pourquoi, si tu veux être en souci de toi et de tous tes accomplissements, si tu veux que le monde connaisse tes vertus, si enfin tu désires soustraire tes écrits ou tes réalisations à la ruine et à l’oubli, veille en temps opportun à tes intérêts et envoie-nous à lire et à imprimer dès que possible le reste des tragédies que tu as traduites en latin ; nous les communiquerons à Gaspar Schetz, Nicolas Grudius et à Grapheus ; enfin, nous nous occuperons de rendre un digne service à ton honneur et en même temps à ton souvenir pour la postérité.
Vale, Optime Ratallere, et de Domino Petro Manchicourtio de meliore nota commenda.
Adieu, très grand Rataller, et recommande-moi de la meilleure façon au seigneur Pierre de Manchicourt.
Antuerpia, IIII Calendis Nouembris. MDLVII.
Anvers, le 4 des calendes de Novembre, 1557.