Gulielmi Canteri in Sophoclem Prolegomena.
Gulielmus Canterus

Présentation du paratexte

Chacune de ses éditions s’ouvre sur une dédicace en grec puis des prolégomènes rédigés en latin, les arguments des pièces du volume en un vers latin, des épigrammes sur le poète ; viennent ensuite, toujours en grec, la vie du poète, la liste de ses pièces puis le texte grec de chacune des tragédies, précédé de l’argument en grec. Les vers employés sont indiqués en majuscules grecques dans le texte (ΙΑΜΒΟΙ, ΑΝΑΠΑΙΣΤΟΙ), ainsi que les antistrophes et monostrophes (ΑΝΤΙΣΤΡΟΦΙΚΑ, ΜΟΝΟΣΤΡΟΦΙΚΑ); en minuscules sont précisées l’alternance des strophes, antistrophes, les anapestes, les odes et épodes. En marge, des manicules pointent vers les sentences.

S’appuyant sur le manuel d'Héphestion, Canter distingue les séries de vers semblables (série d’iambes, d’anapestes), les séries de vers dissemblables, qui peuvent être monostrophiques (qui combinent des mètres différents assemblés sans aucune règle apparente), ou alloiostrophiques ou systèma quand il y a peu de vers. Une troisième catégorie est constituée des séries de vers antistrophiques, où strophe et antistrophe se répondent, des séries épodiques, composées de deux strophes semblables et d’une strophe différente, et les perikommata, où deux séries de strophes dissemblables correspondent entre elles. (Mund-Döpchie 1989)

Traduction : Sarah GAUCHER

Gulielmi Canteri in Sophoclem Prolegomena.

Prolégomènes à Sophocle de Guillaume Canter

Quoniam duo quaedam similiter sunt a nobis in Sophoclem post Euripidem praestita, studiose lector, de utroque similiter dicendum breuiter existimo.

Puisqu’après Euripide nous avons semblablement proposé deux types de remarques sur Sophocle, lecteur attentif, je pense qu’il faut également dire brièvement quelque chose au sujet de l’un et de l’autre.

Primum igitur carminum omnium rationem, quae hactenus obscurior merito fuit, apertam et facilem reddidimus, cum et uersuum genera singulis locis indicauimus et eorum inter se collationes ostendimus.

En premier lieu donc, la prosodie de chaque vers, qui jusque-là fut non sans raison assez obscure, nous l’avons rendue évidente et facile, en indiquant le genre des vers dans chacun des passages et en montrant la relation qui existe entre eux.

Verumtamen cum hoc totum in Euripide nobis ipsis, a quibus erat profectum, tribuerimus, in hoc poeta contra Demetrio Triclinio magnam partem ferimus acceptum, qui non paruo hac in re labore (uerum enim fatendum est) leuauit.

Cependant alors que pour Euripide nous nous sommes attribué l’intégralité de ce travail dont nous avions pris l’initiative, pour ce poète en revanche nous en mettons une grande partie au compte de Démétrius Triclinius, qui nous a soulagé dans cette matière d’un grand effort (car il faut dire la vérité).

Cum enim ea, quae in reliquos duos tragicos a Grammaticis de carminum ratione scripta sunt, partim sint mutila, partim falsa, ideoque saepe plus obsint, quam prosint: in hoc quidem tragico solo tum plena, tum fere semper uera carminum est ratio a Triclinio tradita.

En effet, alors que ce que les grammairiens avaient écrit sur la métrique des deux autres tragiques était en partie mutilé en partie erroné et, pour cette raison, constituait souvent davantage un obstacle qu’un soutien, sur ce tragique seul la métrique transmise par Triclinius est à la fois complète et presque toujours correcte.

Nos porro quae fere semper uera fuerant ut ubique uera essent ingenii nostri ope (uerum enim et hic fatendum est) effecimus et, ubi Triclinium fuisse lapsum deprehendimus, nostris eum obseruationibus et grammaticorum uetustiorum praeceptis adiuti correximus.

En outre, nous, grâce à notre perspicacité (car il faut également dire la vérité ici), nous avons fait en sorte que ce qui avait été presque toujours correct soit toujours correct et, lorsque nous avons vu que Triclinius avait commis une erreur, nous l’avons corrigée à l’aide de nos observations et des préceptes des grammairiens plus anciens.

Id autem saepe non leuiter factum esse, Chorus unus Oedipi posterioris, Ὅστις τοῦ πλέονος μέρους 1, indicio futurus est, cuius uersus omnes cum ille inter μετρικὰ ἄτακτα refert, nos quidem inter ἐπῳδικὰ retulimus.

Le caractère souvent ardu de la tâche, un chœur du Second Œdipe Ὅστις τοῦ πλέονος μέρους en donnera la preuve, lui dont nous avons classé tous les vers parmi les vers épodiques alors que Triclinius les classe parmi les mètres irréguliers.

Quod certe ita fieri debuisset, res ipsa cum ibi clarissime docebit, tum in reliquis planissimum nobis testimonium dabit.

L’évidence même des faits fera clairement voir à cet endroit qu’il aurait dû certainement en être ainsi, en même temps qu’elle nous fournira une preuve tout à fait éclatante dans d’autres endroits.

Itaque quod iisdem uerbis manentibus uersuum dumtaxat partes quasdam loco mutamus, et qui sint quibus similes, ostendimus, ualde profecto sit inhumanus id qui aegre ferat.

Ainsi, puisque que nous ne déplaçons que certaines parties des vers en conservant les mêmes mots et que nous montrons lesquels sont semblables à quels autres, celui qui ne le tolèrerait pas serait assurément bien cruel.

Cumque Triclinium, qui Sophoclem hoc modo restituere uoluit, maximi omnes faciant, cur nobis, qui eadem ducti ratione in Euripide et Aeschylo (ut de Sophocle nunc taceam) idem potissimum praestitimus, maledicos et ingratos se exhibeant ?

Et puisque tous font le plus grand cas de Triclinius qui a voulu restituer Sophocle de cette façon, pourquoi se montreraient-ils médisants et ingrats envers nous qui, guidé par le même principe, avons produit le même résultat chez Euripide et Eschyle (pour ne rien dire à présent de Sophocle) ?

Quae porro sit ea ratio quae nuper Euripidi nostro praeposuimus, abunde docent.

Ce que sont précisément ces principes, ce que naguère nous avons proposé pour notre Euripide le fait suffisamment comprendre.

Hanc igitur etiam in Sophocle iam secutus, iisdem etiam uersuum utor nominibus, quanquam non totidem.

Ainsi, puisque je suis à présent ces principes pour Sophocle également, j’emploierai également les mêmes dénominations des vers, quoique moins nombreuses.

Etenim quae dicuntur ἀνομοιόστορφα, non usurpat Sophocles, ut nec nisi semel Aeschylus; qui quidem etiam quae uocantur περικόμματα non attigit, quibus tamen plenus est Sophocles.

Car ceux qui sont appelés ἀνομοιόστροφα (anomoiostropha), Sophocle ne les utilise pas, de même qu’Eschyle à une exception près, lui qui n'a pas non plus fait usage de ce qu'on appelle les περικόμματα (perikommata), auxquels Sophocle recourt souvent.

Nam cum Euripides tot in tragoediis tantum quatuor ponat, hic totidem habet, quot dramata.

En effet, alors qu'Euripide en tant de tragédies en propose quatre, Sophocle les propose en même nombre que ses tragédies.

Ceterum quem in his ordinem seruari ante Euripidem diximus, eum nequaquam tenet perpetuum Sophocles.

D'autre part, la disposition dont nous avons dit qu’elle était observée chez Euripide en ce qui les concerne n'est pas toujours pratiquée par Sophocle.

Nam de septem iis, quae posuimus, tria sunt ordine singulari conscripta.

En effet, sur les sept que nous avons déterminés, trois sont composés dans un ordre remarquable.

Ac duo quidem horum (alterum prioris Oedipi posterius, alterum posterioris Œdipi prius) post primam stropham et primum systema mox antistropham et antisystema subiungunt.

Et deux d’entre eux (le deuxième du Premier Œdipe et le premier du Second Œdipe) placent immédiatement après la première strophe et le premier système l'antistrophe et l'antisystème.

Deinde quasi ab initio alio stropham secundam cum systemate, et reliqua recto ordine subiiciunt.

Puis, comme s'il s'agissait d'un autre début, s'ajoutent la deuxième strophe avec son système et tout le reste dans un ordre régulier.

Tertium autem, quod solum est Antigones post primam stropham et primum systema, secundam stropham et secundum systema, demum antistrophas et antisystemata subiungit.

Le troisième, en revanche, qui est le seul dans Antigone, ajoute après la première strophe et le premier système la deuxième strophe et le deuxième système, puis les antistrophes et les antisystèmes.

Deinde itidem stropham tertiam cum systemate, ac reliqua recte subiicit.

Puis, de la même façon, il fait suivre la troisième strophe du système et le reste dans un ordre régulier.

Verumtamen, ne quid inexcussum relinquam, quoniam hic post antistropham quartam clauditur pericomma, facile in eam adducor sententiam, ut, quemadmodum in primo Euripidis pericommate dixi systema tertium deesse, ita hic antisystema quartum desiderari affirmem.

Et pourtant, pour ne rien laisser dans l’obscurité, puisqu'ici le pericomma se ferme après la quatrième antistrophe, il me vient immédiatement à l'esprit que, de même que j’ai dit que le troisième système manquait dans le premier pericomma d'Euripide, ici aussi le quatrième antisystème manque.

Et quoniam sit Euripidis pericommatum mentio, hunc quoque unum horum praeter ordinem confecisse admonendum est.

Et puisqu'il est question des pericommata d'Euripide, il faut noter qu'il en a aussi composé un irrégulier.

Id in Hippolyto sic habet, ut post priorem congeriem primae strophae, primi systematis, secundae strophae, secundi systematis, quae recta est, sequatur posterior congeries inuersa, antistrophae secundae, antysistematis secundi, antistrophae primae, antisystematis primi.

C'est dans Hippolyte, où, après un premier regroupement première strophe, premier système, deuxième strophe et deuxième système, qui est régulier, suit un second ensemble inverse deuxième antistrophe, deuxième antisystème, première antistrophe et premier antisystème.

Iam quae in his uarietas cernitur, ea in iis etiam, quae ἀντιστροφικὰ dicuntur, occurrit.

D'autre part, la structure variée que l'on observe dans ces dernières revient également dans les compositions appelées ἀντιστροφικὰ (antistrophica).

Quam tamen hoc loco pluribus explicare, tum ne quid nimis, tum quia perplexa non est, non statuimus, ut qui ne priora quidem, nisi plusculum in se difficultatis habuissent, attingere decreuissemus.

Mais nous avons décidé de ne pas l'illustrer plus longuement ici, à la fois pour ne pas être prolixe et parce que ce n'est pas compliqué, étant donné que nous aurions décidé de ne même pas traiter les questions précédentes si elles n’avait pas présenté un peu plus de difficulté.

Ad alteram igitur dicendorum partem pergimus.

Nous passons maintenant à la deuxième partie de notre propos.

Quemadmodum ergo carminum ratio non paulo nobis expeditior in hoc poeta, quam in Euripide, fuit, ita etiam uersuum eorundem lectio multo suppetiit emendatior, sic ut pauciores in Sophoclem quam in alterum proferamus correctiones, quae tamen tanto gratiores esse debent, quanto minus in hoc opere expectari poterant.

Donc, de même que la métrique est bien plus simple chez ce poète que chez Euripide, de même la leçon des vers est beaucoup plus correcte, si bien que nous proposons moins de corrections dans Sophocle que dans le premier poète, qui cependant doivent être d'autant plus acceptées qu'on pouvait moins s'y attendre dans cette œuvre.

Quemadmodum praeterea nonnihil in Euripide iuuerunt quae in eius partem posteriorem Henricus Stephanus ex antiquis codicibus contulerat, ita et heic quae in Sophoclem idem nuper annotauit alicubi nobis profuerunt, quanquam rarius, quod omnis fere illius labor in comparandis et saepe tantum indicandis uariis lectionibus sit positus : de quibus quidem non eas, quae Sophocli uidebantur aptissimae, usurpauimus, reliquas omisimus.

En outre, de même que les annotations à la seconde partie des tragédies proposées par Henri Estienne d'après les manuscrits anciens nous ont été d'un certain secours pour Euripide, ici les annotations sur Sophocle qu'il a récemment produites nous ont été utiles en certains endroits, bien que plus rarement, puisqu’il a consacré presque tout son effort à comparer et souvent à se contenter d’indiquer les variantes : nous les avons utilisées autant qu'elles nous ont paru les plus appropriées à Sophocle, et avons passé les autres sous silence.

Nam qui eas etiam cognoscere uolet, alibi facile reperiet.

En effet, celui qui désirera les connaître les trouvera facilement ailleurs.

Vale, lector, et ita conatibus nostris faue, ut Aeschylum quoque tertium tandem eadem ratione, qua duos priores dedimus, emendatum et expolitum dare pergamus.

Adieu, lecteur, et réserve un accueil favorable à nos efforts, si bien que nous puissions enfin présenter en troisième lieu Eschyle, amendé et amélioré de la même manière que nous avons présenté les deux premiers.


1. Soph., OC. 1211.