Présentation du paratexte
Dans sa préface l’éditeur Benedetto Riccardini témoigne sa consideration envers son dédicataire Dominicus Benevenius / Benivenius, un chanoine de San Lorenzo. Après avoir rendu grâce à l’homme et à son œuvre, il présente l’ouvrage qui suit, certes profane, mais dans lequel la philosophie et la dialectique ont leur place.
Bibliographie :- Black, Robert. « The School of San Lorenzo, Niccolò Machiavelli, Paolo Sassi, and Benedetto Riccardini ». Brill’s Studies in Intellectual History 241 (2015): 107‑33.
- Black, Robert D. « A Humanist History in the Italian Vernacular: The Speeches in Machiavelli’s Florentine Histories », 2017, 339‑55.
- Frazier, Alison Knowles. Essays in Renaissance thought and letters: in honor of John Monfasani. Leiden: Brill, 2017.
- Paré-Rey, Pascale, "Les éditions des tragédies de Sénèque conservées à la Bibliothèque nationale de France (XVe-XIXe s.)", in L’Antiquité à la BnF, 17/01/2018, https://antiquitebnf.hypotheses.org/1643
- Paré-Rey, Pascale, Histoire culturelle des éditions latines des tragédies de Sénèque, 1478-1878, Paris, Classiques Garnier, « Histoire culturelle » 20, 2023
BENEDICTI PHILOLOGI FLORENTINI PRAEFATIO SVPER LVCII ANNEAE SENECAE TRAGOEDIIS AD DOMINICVM BENEVENIVM DIVI LAVRENTII CANONICVM
Préface de Benedictus « Philologus » le Florentin sur les tragédies de Lucius Annaeus Sénèque, au chanoine de San Lorenzo, Domenico Benivieni
Nisi gratias agerem tibi uir optime, cum referendi nulla se nobis pro magnitudine tua facultas offerat, profecto non tam ingratus, et inciuilis, quam inhumanus et impius censendus essem.
Si je ne te rendais pas grâce, excellent homme, alors qu’aucune possibilité ne s’offre à nous de le faire en proportion de ta grandeur, assurément je devrais être considéré comme manquant non pas tant de reconnaissance et de civilité que d’humanité et de piété.
Cum tu, urbis nostrae deliciae, nos contra animi nostri sententiam, et diu in humanioribus his studiis uersatos, tua illa propensa in omnes bonitate, et singulari doctrina, ad sacrarum litterarum cognitionem induxeris.
Alors que toi, délice de notre ville, contre la disposition de notre esprit, alors que nous étions depuis longtemps versés dans les études humanistes, tu nous as conduit à la connaissance de la littérature sacrée, par la bonté qui t’anime et qui se tourne vers tous, et par ton insigne savoir.
Quae inter omnes studiorum disciplinas quibus hominum uita instruitur, supremum ac eminentissimum locum sibi ascripsere, quippe quae (ut mihi uidetur) uera sunt hominibus lumina ad caelestia et diuina capessenda.
Or parmi tous ces champs d’étude, par lesquels la vie des hommes se construit, cette littérature sacrée s’est assigné un lieu sublime et très éminent, dans la mesure où (à ce qu’il me semble) elle est une vraie lumière menant les hommes à la compréhension des choses célestes et divines.
Quae (ut Paulus ait) nec oculus uidit, nec auris audiuit, nec cor hominis cogitauit.
1
Or ces choses (comme le dit Paul), ni l’œil ne les voit, ni l’oreille ne les entend, ni le cœur de l’homme ne les pense.
Latet enim in hac uis quaedam caelestis, uiua, et efficax, quae legentis
animum in diuinum amorem mirabili quadam potestate transformat.
2
En effet, demeure cachée dans cette connaissance une certaine force céleste, vive, et efficace, qui transforme l’esprit du lecteur en un amour divin par une sorte de pouvoir miraculeux.
Haec est illa dei sapientia, quae rectam et salutarem bene uiuendi rationem
insinuat, quae uirtutum omnium suppeditat copiam, quae mentes nostras ab huius
mundi uoluptatibus, quae dum quaeruntur fatigant, cum acquiruntur infatuant, cum
amittuntur excruciant, abducit.
3
C’est la sagesse de dieu, qui communique une méthode de vie honnête, droite et salutaire, qui fournit toutes les vertus en abondance, qui éloigne nos esprits des plaisirs de ce monde, plaisirs qui épuisent tant qu’on les poursuit, abêtissent quand on les acquiert, torturent quand on les perd .
Nam si omnes homines natura scire
desiderant; si omnes trahimur (ut inquit Cicero) et ducimur ad cognitionis et scientiae
cupiditatem
4
Car si c’est un fait que tous les hommes désirent savoir par nature, si « tous nous sommes tirés » (comme dit Cicéron) « et guidés jusqu’au désir de la connaissance et de la science », si dieu a créé la nature de l’homme comme désirant infiniment atteindre le vrai, est-il quelque objet que nous puissions hors des ténèbres de cette vie soit rechercher de mieux soit poursuivre de plus fructueux que ce qui s’éprouve dans la littérature sacrée et qui se révèle dans les oracles divins ?
Fateor ingenue haec esse illa studia, quae Platonis dicendi copiam, uim Demostheni 5, Socratis suauitatem, Aristotelis sagacissimi naturae interpretis acumen excedunt, quae litterarum humanarum flores, blandas poetarum illecebras, splendida rhetorum ornamenta longissime antecellunt.
J’avoue sincèrement que ce sont ces études qui excèdent l’abondance de Platon, la force de Démosthène, la douceur de Socrate, la pénétration d’Aristote, l’interprète de la nature le plus perspicace, ces études qui l’emportent de très loin sur les fleurs de la littérature profane, sur les suaves séductions des poètes, sur les splendides ornements des rhéteurs.
In his enim humanae uitae firmissimum praesidium constitutum est, contra terrena, caduca, incerta, uilia, et cum brutis quoque nobis communia.
C’est dans ces études en effet que s’est construit pour la vie des hommes un rempart très ferme contre les affaires terrestres, caduques, incertaines, viles, et que nous partageons aussi avec les brutes.
In his tutissimus quidam, ac tranquillissimus portus, quem si peterent homines, turbulentes huius maris procellas, atque grauissimas fluctuantis pelagi tempestates penitus effugerent.
C’est en elles qu’il y a un certain port, très sûr et très tranquille, grâce auquel les hommes échapperaient totalement aux tempêtes turbulentes de cette mer et aux perturbations très importantes de la haute mer s’ils l’atteignaient.
Vnde Diuus Hieronymus inquit : in sanctarum scripturarum grauitate, uera uulnerum medicina est, et dolorum sunt certa remedia 6, quibus tuis sanctissimis praeceptis admonitus me addixi, ut caelesti cibo satiatus, terrestrium ac humanarum rerum famem deponerem, atque aquam salutarem de perenni fonte ore plenissimo haurirem. 7
D’où Saint-Jérôme dit : « dans la gravité des saintes écritures se trouve la vraie médecine contre les blessures et les remèdes assurés contre les douleurs, auxquels, fort de tes préceptes très saints, je me suis livré, afin que, rassasié de nourriture céleste, je fusse capable d’abandonner ma faim des choses terrestres et humaines et de puiser à pleine bouche une eau salutaire à une source éternelle.
Sed utinam cor impii, quasi mare feruens, conquiescat, 8 et caecus homo uideat, ac surdus audiat, et mutus loquatur9 , et demum mortuus reuiuiscens haec cum propheta dicat.
Mais puisse le cœur d’un impie, tel une mer bouillonnante, s’apaiser, et un homme aveugle voir, et un sourd entendre, et un muet parler, et enfin un mort ressuscitant dire cela avec le prophète.
Ad te domine leuaui animam meam, deus meus in te confido. Non erubescam etiam
si irrideant me inimici mei, et enim uniuersi qui sperant in te non confundentur.
Vias tuas domine demonstra mihi, et semitas tuas edoce me.
10
Vers toi mon seigneur j’ai levé mon âme, mon dieu, j’ai confiance en toi. Je ne rougirais pas même si mes ennemis se moquent de moi, et en effet tous ceux sans exception qui espèrent en toi ne seront pas confondus. Seigneur, enseigne-moi tes voies et apprends-moi tes chemins.
Quam ob rem quantum aut mihi gaudeam, aut tibi debeam, malo mihi conscius esse, quam te potioris spe conditionis electare, tamen est animus de te tam libenter ubique gentium praedicare, ut nihil maiori uoluptate sim facturus, non solum quia nihil iucundius auditur (ut ait Plato) quam ueritas11, sed etiam quia multo est dicere, quam audire uera iucundius.
C’est pourquoi combien je me réjouis de moi ou combien je te dois, je préfère en être conscient que de t’attirer par l’espoir d’une condition12 plus puissante ; cependant mon intention est de proférer des louanges à ton sujet et en toute terre des nations, d’autant plus volontiers que je ne ferais rien avec plus de plaisir non seulement parce que rien n’est plus agréable à entendre (comme dit Platon) que la vérité, mais aussi parce qu’il est beaucoup plus agréable de dire que d’entendre des choses vraies.
Caeterum testandi animi erga te mei, testandae fidei et obseruantiae, has Senecae tragoedias, quibus inest candida eloquentiae ubertas, uerborum proprietas, atque sententiarum grauitas, ex mediis philosophiae fontibus deprompta 13, tuo nomini nuncupauimus, dignae profecto, quae Beneuenio nominatim dicentur, cui uni omnes sacrarum litterarum amatores multum debere existimo.
Du reste, pour témoigner de mon intention, de ma foi et de mon respect envers toi, ces tragédies de Sénèque, dans lesquelles se trouvent l’abondance brillante de l’éloquence, la propriété du lexique et la gravité des pensées, tirée du beau milieu des sources de la philosophie, je m’en suis emparé en ton nom, toutes qualités assurément dignes d’être attribuées nommément à Benivieni, à qui seul j’estime que tous les amoureux de la littérature sacrée doivent beaucoup.
Nam dialecticam, et philosophiam sic tenes, ut et defendas acriter quaestiones propositas, et impugnes uehementer ; de priscis ecclesiae doctoribus deque Neotericis theologis, tantum iudicium apud te residet, ut siquis ex tempore abstrusam illorum cuiuspiam quaestionem enucleandam petat, eam tanti ingenii tui felicitate enodem reddis, ut magnum sit, quod ille de te sibi polliceatur.
Car tu maîtrises la dialectique et la philosophie si bien que les questions qui sont soumises, tu les défends avec ardeur et les attaques avec véhémence ; à propos des anciens docteurs de l’église et des nouveaux théologiens, une si grande capacité de jugement réside en toi que si quelqu’un cherche à éplucher sur-le-champ une question absconse de n’importe quel de ceux-là, tu la dénoues par le bonheur de ton si grand talent, de sorte qu’est grande l’idée qu’il se fait de toi.
Taceo uolumina elaborata, quae ad bene beateque uiuendum pertinentia publicasti.
Je passe sous silence les volumes confectionnés, que tu as publiés sur la vie bonne et heureuse.
Tuum praeterea illud opus iam ad coronidem perductum, quod Lucerna religiosorum inscribitur, ita amplector ut admirer, ita admiror ut commendare non desinam.
En outre, ton ouvrage désormais conduit jusqu’à la corônis14 , qui est intitulé La lanterne des religieux15, je l’embrasse si bien que je l’admire, je l’admire si bien que je ne cesse de le recommander.
Quod adeo cupide uidimus et legimus, ut prius paene ad calcem prae studio peruenisse, quam ex carceribus promouisse me senserim.
Or nous l’avons vu et lu avec une telle envie que je sentis presque antérieurement à son étude en être parvenu au bout avant d’avoir progressé depuis le point de départ.
Sunt adhuc in manibus in sacros omnes ecclesiae hymnos commentaria , quae (et si scio me non esse in hoc albo, nec eum qui huc ascendam idest ad iudicium rerum tuarum) non sunt tua, naturae sunt, dei sunt, quanquam si aliquid tuum est, haec maxime tua sunt.
J’ai encore dans les mains des commentaires à tous les hymnes sacrés de l’Église16, qui (même si je sais que je ne suis pas dans l’album17 , et que je ne suis pas homme à pouvoir me hisser jusque-là, c’est-à-dire à pouvoir juger tes compétences) ne sont pas tiens, mais ceux de la nature, mais ceux de dieu, bien que s’il est quelque chose qui t’appartient, ils t’appartiennent au plus haut point.
Sed noli longi incubatus foetura nos in exspectatione macerare.
Mais veuille ne point nous laisser baigner dans l’attente18, alors que nous avons déjà été couvés par une longue gestation.
Ac de his quae loquentis ingenium excedunt hactenus.
Et c’est assez à propos de ces sujets qui excèdent le talent de celui qui s’exprime.
Superest mi Dominice, ut hae nuper excusae tragoediae, utcumque erunt, et quanticumque in bonam accipias partem rogemus.
Il reste, mon cher Dominique, que ces tragédies récemment éditées, quelle que soit leur qualité et leur quantité, nous te demandons de leur faire bon accueil.
Quod si feceris, maximo mihi fueris inuitamento ad caetera quoque edenda, quae domi cottidie minus elaborata excuduntur. Vale laborum meorum dulce lenimen.
Et si tu le fais, tu m’inviteras très obligeamment à publier aussi toutes les autres œuvres moins élaborées qui sont composées chez moi tous les jours.
Vale laborum meorum dulce lenimen. 19
Salut, douce consolation de mes travaux.